Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à France-inter le 18 septembre 2001, sur la coopération européenne et internationale dans la lutte contre le terrorisme et le renforcement du plan Vigipirate.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - On entend les taliban annoncer ce matin que c'est une "guerre sainte" qui est engagée contre les Etats-Unis et probablement contre une partie du monde occidental, et donc l'Europe. Comment le ministre que vous êtes, puisque vous êtes en charge de la sécurité, une des principales préoccupations des Français, réagit-il aujourd'hui à tout cela ?
- "Je suis, comme vous le dites, chargé de la sécurité des Français en tant que ministre de l'Intérieur et j'essaie de faire en sorte que le calme et le sang-froid soient les maîtres mots dans cette période difficile. Tout le monde sait bien, notamment ceux qui croient en Dieu, que le mot "guerre" est incompatible avec le mot "saint." Il faut donc ramener les choses là où elles doivent être ramenées : combattre le terrorisme sous toutes ses formes. Le maître mot est "démocratie." A partir de là, il faut mettre tous les éléments du côté des forces de la démocratie, du droit et la paix, contre ceux qui ont des paroles et des actes de guerre. C'est ce que m'inspire ces mots et encore une fois, ce qu'il faut, c'est ne pas faire d'amalgame, car ce serait dramatique. Et c'est ce que nous essayons de faire en France. Je l'ai fait en rencontrant notamment les différentes communautés qui, elles-mêmes - et je veux les en remercier - font preuve de calme, d'appel au sang-froid, à la cohésion et à la paix dans nos pays, dans nos démocraties. Tout cela n'a rien à voir avec les croyances des uns et des autres, chacun doit être respecté dans sa croyance. C'est ça la laïcité, c'est ça un Etat laïque : c'est la tolérance."
Vous prononcez un mot très fort auquel nous sommes tous très attachés, c'est celui de "démocratie." Dans une situation comme celle que nous connaissons, est-ce qu'une démocratie n'est pas en partie impuissante contre le terrorisme, parce qu'elle n'utilise pas les mêmes armes que lui ?
- "Heureusement ! C'est bien ce qui fera que le droit, la démocratie et la paix l'emporteront de toutes façons sur ceux qui veulent engager des combats avec les armes du terrorisme. Cela me parait tout à fait clair, mais cela veut dire qu'il ne faut pas se priver d'éradiquer le terrorisme sous toutes ses formes. Je pense notamment au rôle très efficace - on ne le dit peut-être pas suffisamment - des services de renseignements de nos pays, qui travaillent ensemble. Je pense notamment aux services français qui, depuis quatre ans, ont eu beaucoup de succès. Mais moins on en parle et mieux cela vaut. Je veux que nos auditeurs sachent que par rapport à tous ces éléments, la garde n'est pas baissée. Nos services travaillent pour déjouer, pour renseigner et permettre d'éviter des drames, et pour réprimer ce qui doit l'être."
Evidemment, en matière de renseignements, on ne peut jamais tout savoir, mais pensez-vous que lorsque J. Chirac rencontrera toute à l'heure le Président américain Bush, lui dira : "Travaillons plus ensemble en matière de renseignements ; voilà ce que nous, Français et Européens, nous pouvons apporter" ?
- "On peut toujours travailler plus et mieux. Mais je veux dire - y compris par rapport aux services de renseignements américains - que nos services ont bien travaillé ensemble. De ce point de vue, le président de la République sait, comme le Gouvernement, qu'il n'y a pas eu de défaillance."
Le grand enjeu, c'est aussi pour nous, l'Europe, la coopération en matière de sécurité au sein même de l'Europe. Il faut sans cesse reposer la question d'un espace judiciaire européen, de la coopération des polices européennes. Est-ce les choses sont en train d'avancer ?
- "Elles avancent depuis déjà un certain temps, parce que la dimension sécurité-justice est mieux prise en compte, notamment parce que la présidence française de l'Union européenne a fait progresser ce thème de discussion au sein de l'Union européenne. J'ai moi-même présidé des Conseils européens où ces question de l'espace démocratique, de l'espace protégé que doit être l'Europe pour que nos concitoyens y adhèrent parfaitement, sont présentes. En matière de coopération policière, des efforts sont faits. Le concept-même d'une police européenne, notamment pour protéger les frontières extérieures de l'Union européenne, toutes ces questions vont être à l'ordre du jour. Concernant la lutte contre le terrorisme, je participerai jeudi à une réunion des ministres de l'Intérieur de l'Union européenne pour voir comment nous pouvons faire progresser encore par l'information réciproque, par l'échange, par des enquêtes communes, comment nous pouvons faire progresser nos polices au service de la sécurité, du droit et donc de la liberté."
Pouvez-vous nous dire ce qu'est en ce moment une journée d'un ministre de l'Intérieur ? Etes-vous en communication permanente avec les ministres européens de l'Intérieur ?
- "Nous nous joignons, nous nous sommes vus. J'ai rencontré longuement mon collègue britannique en fin de semaine dernière à Paris pour traiter de cette question, mais aussi d'autres sujets qui concernent nos deux pays. J'ai eu plusieurs fois mon collègue allemand au téléphone. Il y aussi H. Védrine qui est dans son rôle, avec P. Moscovici. Nous nous joignons donc en permanence et nous allons, comme je vous le disais, avoir une réunion dès jeudi sur ce sujet, avant d'en avoir une autre fin septembre sur d'autres sujets. Nous travaillons ensemble. Donc, un ministre de l'Intérieur, ça travaille beaucoup à l'intérieur, avec ceux et celles qui travaillent à mes côtés, mais ça travaille aussi à l'extérieur, notamment au niveau de l'Union européenne."
Qu'est-ce que le ministre de l'Intérieur prépare pour notre vie quotidienne, s'agissant de notre sécurité ? Le plan Vigipirate restera-t-il dans la forme que nous lui connaissons aujourd'hui, prévoyez-vous d'autre chose ?
- "Ce qui est rassurant, c'est que le plan Vigipirate renforcé a été déclenché dans les deux heures suivant le drame qui s'est joué aux Etats-Unis, que les éléments de ce plan sont arrivés sans retard, avec rapidité et maîtrise, et que nos concitoyens s'en rendent compte. L'objectif est de tout faire pour prévenir un problème. Pour l'instant, il n'y a pas de raison de dire qu'il y a une menace caractérisée et identifiée sur notre pays, mais tout doit être fait pour éviter tout problème. C'est ce que font les forces de sécurité : police, gendarmes et militaires. Je constate aussi que nos concitoyens, dans leur responsabilité individuelle, font preuve de vigilance, de calme et de sang-froid. C'est ce que nous allons continuer à rechercher avec le plan Vigipirate renforcé et tous les éléments de précaution sur lesquels je ne peux pas m'étendre ici, mais qui sont pris. Rien n'est laissé au hasard, je veux que vous le sachiez, par rapport à des risques dont on parle moins souvent mais qui peuvent exister. Rien n'est laissé au hasard. Nous travaillons bien sûr entre ministres, entre services, entre cabinets, mais aussi entre directions, de manière à ce que nos concitoyens puissent continuer à vivre, à fréquenter les salles de spectacles, les restaurants. La vie économique doit bien sûr se poursuivre et il faut que nos concitoyens vivent en sécurité. De ce point de vue, ils peuvent compter sur l'Etat, sur la police nationale qui est à leur service, c'est son rôle."
Ce n'est pas la question la plus importante, mais est-ce que vous estimez qu'il y a une sorte de pause politique, que l'on est sorti des enjeux de politique politicienne, des échéances électorales, pour être confronté, malheureusement, à quelque chose de beaucoup plus important ? Une sorte d'unité politique est-elle en train de se faire en France aujourd'hui ?
- "L'analyse qui peut être faite de ces événements, c'est que la voix de la France est unique. On a constaté qu'il n'y a pas de désaccord, les échanges le permettent. Il n'y a donc pas de difficulté. J'ai participé avec A. Richard et H. Védrine à des auditions et des commissions à l'Assemblée nationale et au Sénat, et j'ai bien vu qu'au niveau de la représentation parlementaire, au niveau de l'exécutif comme au niveau des grands partis politiques démocratiques, qu'il y a une cohésion. Cela me parait normal par rapport à ces événements aux Etats-Unis, par rapport à la précaution qui doit être la nôtre dans notre pays et par rapport à la posture diplomatique et politique de la France. La démocratie, puisque je citais ce mot noble au début de notre entretien, vivra tout au long de ces semaines et de ces mois. Rien ne doit être occulté, parce que c'est cela démocratie. En même temps, il est des moments où il faut savoir faire preuve de cohésion. Et nous faisons preuve de cohésion."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 18 septembre 2001)