Interview de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, avec RTL le 26 avril 2016, sur le commerce extérieur et sur les négociations concernant le traité commercial entre l'Union européenne et les Etats-Unis.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


YVES CALVI
Olivier MAZEROLLE, vous recevez ce matin Matthias FEKL, secrétaire d'Etat au Commerce extérieur.
OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Matthias FEKL.
MATTHIAS FEKL
Bonjour Olivier MAZEROLLE.
OLIVIER MAZEROLLE
Vous êtes évidemment très heureux de la conclusion de ce contrat : 34 milliards d'euros, 12 sous-marins nucléaires à livrer à l'Australie, mais une partie de ces bateaux va être construite en Australie. Qu'est-ce qu'il va nous rester à nous ?
MATTHIAS FEKL
Eh bien beaucoup de choses, c'est une excellente nouvelle et il faut féliciter tous ceux qui ont travaillé là-dessus, les ingénieurs français, les ouvriers qui travailleront sur ces chantiers, l'excellence française, qui dans cette matière, comme dans beaucoup d'autres, exporte. C'est vrai dans ce domaine-là, c'est vrai dans l'aéronautique, c'est vrai dans le luxe, dans l'agriculture, l'agroalimentaire, la pharmaceutique, la chimie. Dans beaucoup de domaines il y a cette excellence-là, et dans un contexte où notre commerce extérieur ne va pas très bien, ce sont de bonnes nouvelles, comme est une bonne nouvelle qu'il y ait de plus en plus de PME qui se lancent à l'export, et donc…
OLIVIER MAZEROLLE
Mais justement, c'est ce que j'allais vous demander, parce qu'on voit les gros groupes, qui effectivement fonctionnent bien, mais les PME, on est encore un peu à la traine, par rapport à l'Allemagne, par exemple un pays que vous connaissez bien, puisque vous êtes à la fois Français et Allemand, avec vos parents, mère Française je crois, et père Allemand…
MATTHIAS FEKL
C'est le couple franco-allemand.
OLIVIER MAZEROLLE
Pourquoi on n'y arrive pas en France ? Pourquoi on n'y arrive pas en France ?
MATTHIAS FEKL
Non, alors, moi j'ai mis en place une feuille de route spécifique sur les PME et dans toute mes délégations il y a des PME, j'invite d'ailleurs toutes les PME qui le souhaitent, à faire des déplacements avec moi, il y a un enjeu fort là-dessus. On a un retard par rapport à l'Allemagne, par rapport aussi à l'Italie. Ce qui manque en France, beaucoup, c'est l'échelon des entreprises de taille intermédiaire, qui sont robustes, innovantes, concurrentes à l'export, donc il y a un travail qui est fait là-dessus en interne, du côté du ministère de l'Economie, avec beaucoup de volontarisme, et puis à la projection à l'international. Pour la première fois ces dernières années, le nombre d'entreprises exportatrices a à nouveau augmenté. Entre 2014 et 2015, on est passé de 121 000 à 125 000 entreprises qui exportent. Ça, ce sont concrètement de bonnes nouvelles, parce que c'est sur le terrain, dans les régions, des PME qui créent de l'emploi et qui se lancent à l'international.
OLIVIER MAZEROLLE
Ce sont de bonnes nouvelles, c'est vrai, il n'empêche qu'en 2015, le déficit de la balance commerciale pour les produits manufacturés, était un peu plus importante qu'en 2014. Est-ce que vous espérez le réduire cette année ?
MATTHIAS FEKL
Il y a une réduction continue de la balance du commerce extérieur, enfin, du déficit, depuis 2011, on était à plus de 70 milliards d'euros de déficit…
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais le prix du pétrole joue pour beaucoup.
MATTHIAS FEKL
Bien sûr, et le cours de l'euro, mais 20 % environ, du redressement, viennent des efforts de redressement, de compétitivité, des réformes qui ont été menées là-dessus et du travail des entreprises. Donc ce sont structurellement des choses importantes. Et puis il faut ajouter à cela, la balance des services, sur laquelle la France est largement excédentaire, et quand vous équilibrez le tout, il y a un indicateur qui est globalement à l'équilibre, donc il faut regarder les aspects, là, il y a des secteurs dans lesquels on est excellent et puis d'autres où c'est plus dur, sur lesquels il faut bien sûr travailler. Mais encore une fois, quand le déficit est à plus de 40 milliards, rien ne permet de fanfaronner, mais les tendances sont de bonnes tendances, encore une fois avec le nombre d'entreprises qui se lancent à l'export, des secteurs d'excellence qui sont réputés dans le monde entier et qui sont conquérants dans le monde entier.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc, la France peut exister. Reprise des négociations sur le traité commercial Europe – Etats-Unis, à New-York. Il n'y a aucune chance, finalement, qu'il soit signé avant la fin de la présidence OBAMA, à la fin de l'année.
MATTHIAS FEKL
Non, je ne pense pas, et on s'éloigne d'ailleurs des chances, ou des risques, chacun jugera, de conclusion tout court. Ça fait 18 mois que je travaille là-dessus, un peu plus, depuis ma nomination, j'ai élaboré la stratégie française sur ce sujet, mais nous avons posé, au titre d'autres pays, des actes très clairs, à la fois sur les principes, il faut intégrer l'environnement, ça n'a pas de sens de négocier la COP21 en décembre, et derrière de signer des accords qui viendraient annuler cela. Il faut faire de la transparence, qui a progressé, les parlementaires ont accès aux documents, la transparence est encore largement insuffisante. Il faut respecter la démocratie, les choix, interdire des attaques devant des tribunaux privés, de grands groupes qui viennent remettre en cause des politiques publiques, défendre…
OLIVIER MAZEROLLE
Mais là vous nous dites pratiquement : on n'en veut pas de cet accord.
MATTHIAS FEKL
Non. Non a posé des critères, et j'ai encore, en fin de semaine dernière, avec mon homologue allemand, et nous travaillons là-dessus avec Sigmar GABRIEL aussi, posé des critères très strictes sur ce que je viens de dire, sur la défense de l'agriculture, les indications géographiques. Donc il y a des exigences. Nous, ce qu'on souhaite, c'est un bon accord, pardon de dénoncer une évidence, mais on ne veut pas signer à tout prix, il n'y a pas de frénésie, ni française, ni européenne d'ailleurs, à signer à n'importe quel prix, n'importe quoi.
OLIVIER MAZEROLLE
Est-ce que quand même, vous n'êtes pas excessif dans le scepticisme ? Après tout, les négociations sont en cours, et est-ce que finalement on ne joue pas avec le feu ? Parce que les Américains, si l'Europe ne veut pas d'eux, ils vont s'entendre avec les pays du Pacifique, les pays asiatiques, ils ont d'ailleurs commencé avec la Chine, ils vont pouvoir peut-être se mettre d'accord pour régenter le commerce international, en fixant des normes communes, et nous, on va rester Gros-Jean comme devant, isolés dans notre coin.
MATTHIAS FEKL
L'argument théorique de dire : « Il vaut mieux fixer des normes avec les Américains, des standards de sécurité élevés et ensuite les imposer ou les étendre au reste du monde, est valable, mais ce n'est pas ce qui se passe dans les négociations. Et par ailleurs, moi je ne vois pas l'Europe, comme devant suivre le rythme des Etats-Unis. Le premier ensemble économique au monde, c'est l'Europe. Le premier ensemble qui pèse dans le commerce international, par sa valeur, par son poids, c'est l'Europe, et donc l'Europe doit se faire entendre en tant que telle, c'est la stratégie française dans cette matière, d'autres pays ont le même état d'esprit, il n'y a aucune raison de se mettre à la remorque de tel continent ou de tel ou tel pays, fut-il un partenaire et un allié.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais au départ, François HOLLANDE était plutôt favorable à cet accord, maintenant il est plutôt contre, parce que la présidentielle arrive et que c'est une bonne occasion de se réconcilier avec la partie de la gauche qui est contre le libre-échangisme ?
MATTHIAS FEKL
Non, au début des négociations, le président a indiqué un volontarisme, c'est ce qui se passe dans toute négociation. Moi, ça fait plus d'un an et demi que je travaille là-dessus, les critères et les exigences de la France n'ont jamais varié, elles ont toujours été validées par le président de la République, par le Premier ministre, par le ministre des Affaires étrangères, hier Laurent FABIUS, aujourd'hui Jean-Marc AYRAULT. La position de la France n'a pas varié, elle ne variera pas dans les mois à venir.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, vous avez sans doute vu la série de Canal+ « Baron noir », qui est souvent plus vraie que nature. Dans cette série, le conseiller joué par Kad MERAD, dit carrément au président « de se refaire la cerise sur le dos de l'Europe et de la mondialisation ». Vous êtes le Kad MERAD en vrai ?
MATTHIAS FEKL
Non. Non non. Encore une fois, il y a une grande cohérence là-dessus, moi je suis profondément européen…
OLIVIER MAZEROLLE
Ce n'est pas une façon de dire, votre façon à vous de dire « Hé oh la gauche ! » ?
MATTHIAS FEKL
Non non, mais encore une fois, d'abord, il y a des choses de gauche là-dedans, évidemment, je suis un homme de gauche, je ne vais pas vous dire que je fais des choses de droite. Ça c'est le premier sujet. Le deuxième sujet, c'est que la France est dans son rôle lorsqu'elle tient bon dans les négociations. Mais c'est quand même incroyable qu'on puisse être surpris que la France défende des valeurs, des principes et des intérêts, dans une négociation majeure, pour l'avenir, qui est présentée comme telle par tout le monde.
OLIVIER MAZEROLLE
Vous dites « on est en accord avec l'Allemagne », peut-être une partie de l'Allemagne. Avec les socialistes allemands, il y a toujours de belles paroles, et puis au moment de passer aux actes, ils sont absents, d'ailleurs, on a vu ça au début de la présidence de François HOLLANDE, en revanche Angela MERKEL, elle veut cet accord, c'est un désaccord de plus entre la France et elle, sur donc ce traité, sur les migrants, sur l'euro ; on a encore quelque chose à dire avec les Allemands ?
MATTHIAS FEKL
Moi je travaille depuis le début avec les Allemands là-dessus, avec Sigmar GABRIEL et avec mon homologue, Matthias, d'ailleurs, homonyme aussi, Matthias MACHNIG, et nous avons en permanence travaillé avec le gouvernement allemand. La chancelière n'est sans doute pas tout à fait du même avis, mais ce n'est pas la chancelière…
OLIVIER MAZEROLLE
Mais, elle compte quand même.
MATTHIAS FEKL
Evidemment, mais ce n'est pas la chancelière qui fait la position française sur un sujet comme ça, c'est le gouvernement de la France, le président, tous ceux qui travaillent là-dessus…
OLIVIER MAZEROLLE
Mais au début du quinquennat de François HOLLANDE, on l'a vu, il s'est couché lorsqu'il voulait renégocier le pacte budgétaire.
MATTHIAS FEKL
Non, je sais que ça a été… Sans François HOLLANDE, la Grèce ne serait plus aujourd'hui dans la zone euro, c'est ce que souhaitait l'Allemagne, en particulier le ministre des Finances, monsieur SCHÄUBLE, qui était extrêmement dur là-dessus. Donc on peut reprendre beaucoup de choses et regarder les interprétations en France, lire la Presse ailleurs en Europe, qui dit bien autre chose, bien souvent, sur l'action du président.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Matthias FEKL.
MATTHIAS FEKL
Merci à vous.
YVES CALVI
Matthias FEKL qui salue l'excellente nouvelle concernant le contrat de nos sous-marins et sur le traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Il n'y a aucune raison de se mettre à la remorque de l'Amérique, la position de la France n'a jamais varié et ne variera pas, nous a dit le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 avril 2016