Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec Europe 1 le 26 avril 2016, sur le choix par l'Australie de la France et du groupe industriel DCNS comme partenaires pour la construction de 12 sous-marins.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


THOMAS SOTTO
C'est la nouvelle de la nuit, un contrat de 12 sous-marins pour 34 milliards d'euros signé par la France avec l'Australie. L'interview politique d'Europe 1, Jean-Pierre ELKABBACH vous recevez Jean-Yves LE DRIAN, c'est le ministre de la Défense. Messieurs, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors là, chapeau, chapeau de nous tous. Bienvenue Jean-Yves LE DRIAN, bonjour, l'homme qui vaut au moins 60 milliards, et vous ne venez pas seul, vous venez avec les deux principaux négociateurs qu'on montre sur Europe 1 à l'image, les voilà, félicitations à vous tous. Jean-Yves LE DRIAN, l'accord gigantesque qui a été conclu pour imaginer construire 12 sous-marins, c'est un exceptionnel exploit, si on dit chapeau et si on est assez content, c'est du jamais vu et du jamais obtenu.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est une grande victoire de l'industrie française, c'est une grande victoire de l'industrie navale française, qui intervient d'ailleurs après que l'industrie navale française ait engrangé d'autres contrats récemment dans l'industrie civile, à Saint-Nazaire, avec STX. C'est une grande victoire aussi pour toute l'équipe qui a travaillé auprès de moi, que ce soit DCNS avec la qualité de ses ingénieurs, et de ses techniciens, et de ses salariés, que ce soit les autres groupes qui sont associés, et que soit l'équipe de négociateurs qui m'a entouré dans cette affaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut dire que c'est depuis 2 ans, il y a un appel d'offres qui mettait en compétition le Japon, l'Allemagne et la France, qui a été retenue. D'abord, quand l'avez-vous appris Jean-Yves LE DRIAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je l'ai appris hier. Après que le président de la République ait pu s'entretenir avec le Premier ministre d'Australie, ma collègue australienne, ministre de la Défense, m'a appelé pour me dire que la décision avait été prise par les autorités australiennes. C'est une belle victoire parce qu'il y a eu une réelle compétition, très forte, et je me souviens que lorsque le président de la République s'est rendu, pour la première fois pour un chef d'Etat français, en Australie, ce n'était jamais arrivé. Il s'est rendu en Australie au mois de novembre 2014, et en revenant il me dit « il y a cette affaire de sous-marins », personne n'y croyait vraiment, et lui m'a dit « écoutes, il faut y aller, il faut tenter, parce qu'il faut prendre ces risques-là » et on a…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y a l'Etat, et après les industriels.
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a le président au départ, lors de ce déplacement, puis ensuite l'équipe France. Alors, l'équipe France c'est quoi ? c'est à la fois les industriels qui travaillent ensemble, à la fois les diplomates qui travaillent ensemble, à la fois l'équipe autour de moi qui travaille ensemble, pour faire en sorte qu'il y ait une vraie task force qui a réussi à battre deux candidats d'une extrême qualité que sont les industriels allemands et les industriels japonais, donc c'est une très belle victoire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors pourquoi la France, pourquoi vous ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Pourquoi la France, il faudrait le demander aux Australiens, mais je pense que nous avons d'abord une très longue habitude de coopération avec l'Australie, nous avons des opérations navales qui se déroulent régulièrement avec nos différentes marines. Il y a aussi…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais ça ne suffit pas.
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, ça ne suffit pas, mais ça joue, quand nos sous-marins font escale en Australie ça se voit, et ils sont en situation de pouvoir faire escale en Australie. Il y a aussi la longue histoire des sous-marins français, la stabilité, la qualité, la fiabilité des sous-marins français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que les Australiens sont venus voir les sous-marins, ici.
JEAN-YVES LE DRIAN
Français, il y a une longue histoire des sous-marins français, une longue histoire de qualité, et puis il y a aussi, je crois, la qualité technologique qui a prévalu, par la discrétion, par la capacité acoustique de discrétion, par la capacité de projection, par la capacité d'intégration des armes dans le système du sous-marin, tout cela a aidé à faire en sorte que nous gagnons dans une compétition très dure. Donc, l'industrie française est vivante, et la France gagne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, 35 milliards d'euros, chaque sous-marin 4000 tonnes, 90 mètres de long disait Didier FRANÇOIS, ce sera l'équivalent des sous-marins d'attaque français, les chasseurs…
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça ressemble au Barracuda.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Au Barracuda, mais nous c'est à propulsion nucléaire, et en Australie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça sera en propulsion classique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Autrement dit, si je veux acheter un sous-marin je sais à quelle porte frapper, la France.
JEAN-YVES LE DRIAN
A partir…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la négociation va s'engager maintenant sur des mois, est-ce que c'est un accord qui est définitif et solide ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, c'est un accord définitif. Il y a eu une compétition extrêmement longue, extrêmement rigoureuse, extrêmement précise de la part des autorités australiennes, et dont le déroulé a été très secret. Donc, maintenant, le lauréat est choisi, c'est DCNS, c'est la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et qui va les aider à fabriquer sur les chantiers d'Adélaïde, où vous êtes allé, en Australie…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je suis allé à Adélaïde il y a quelques jours, oui, pour me rendre compte du chantier où une partie du transfert de technologie allait se faire, et il va y avoir maintenant la mise au point du contrat définitif, dans les semaines qui viennent, il n'y a qu'un seul lauréat, donc il n'y a eu qu'une seule négociation, et l'établissement de ce contrat va permettre de situer l'organisation industrielle. L'Australie veut assurer sa souveraineté, à la fois sa souveraineté sécuritaire, et aussi sa souveraineté industrielle.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce qu'il y a des menaces, des tensions, dans les deux océans, Pacifique et Indien.
JEAN-YVES LE DRIAN
Parce que l'ensemble Indopacifique est un ensemble qui n'est pas stable, parce que c'est là que se passe la plus grande partie du trafic mondial, parce que l'Australie veut assurer sa propre sécurité, c'est un territoire qui est très grand, donc il lui faut 12 sous-marins pour le faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, pour la France, combien d'emplois, combien d'années de travail et où ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est difficile, à cette heure, de dire précisément le nombre d'emplois et où cela se passe dans le détail. Ce que l'on peut dire c'est que ce sera des milliers d'emplois en France, que c'est un contrat de très longue durée, puisque la première partie du contrat dure 25 ans et qu'ensuite il faudra assurer le maintien en conditions opérationnelles, donc nous nous sommes mariés, si je peux utiliser l'expression, avec l'Australie, pour 50 ans. Et les lieux où s'établiront ces emplois et où se développera l'activité liée à cette commande c'est d'abord Cherbourg, évidemment, puisque c'est le lieu, en France, où on fabrique les sous-marins, mais aussi Brest, mais aussi Lorient, mais aussi Nantes, donc les sous-traitants, les cotraitants vont en profiter largement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc toute cette région va en profiter, plus Saint-Nazaire pour le civil. Au passage, est-ce qu'on ne peut pas dire, Jean-Yves LE DRIAN, et sans vous choquer, c'est la fin de l'innocence, et j'ai envie de dire de la pudeur ? Grâce à la gauche la France est en train de devenir le deuxième fabricant exportateur d'armement dans le monde. C'est drôle ça.
JEAN-YVES LE DRIAN
Pourquoi est-ce que nous vendons à l'exportation des capacités militaires ? D'abord parce qu'avec les pays, avec lesquels nous sommes en partenariat, nous avons des enjeux stratégiques communs, et avec l'Australie c'est très clair. Ensuite, parce que le fait de vendre à l'extérieur consolide notre propre industrie de défense et donc consolide notre propre sécurité. Et puis ensuite ça crée de l'emploi, excusez-moi du peu, et donc c'est très important pour nous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça donne des moyens, est-ce que ça veut dire qu'on peut avoir d'autres clients, on parle d'une douzaine de sous-marins dont la Norvège aurait besoin. Je sais que vos négociateurs, qui sont là, sont en discussion avec la Norvège, c'est encore possible ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça veut dire qu'il y a une excellence industrielle française, que les Français, parfois, tardent à reconnaître, mais qui se manifeste là par cette capacité à l'exportation, même quand on est en grande compétition, ça veut d'abord dire ça. Ça veut dire que la France industrielle est très vivante, qu'elle peut se projeter à l'étranger, qu'elle peut gagner des marchés que certains estimaient impossibles, on l'a vu pour le Rafale, on le voit ici pour les sous-marins, il y a d'autres perspectives. Ça veut dire aussi que le militaire influe sur le civil, permet à l'industrie civile de se développer, parce que le militaire tire l'industrie civile vers le haut, car l'industrie militaire et l'industrie civile, généralement, se fertilisent l'une et l'autre, donc c'est un atout considérable pour notre pays. Et avec un pays, l'Australie, avec qui nous avons une longue histoire, puisque, hier, j'étais dans la Somme avec le Gouverneur général d'Australie Sir COSGROVE, qui vient en France en visite d'Etat pour marquer le 100e anniversaire du sacrifice de dizaines de milliers d'Australiens qui sont venus se battre pour la France, donc c'est une longue histoire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'on peut dire aussi que la France est en train de redécouvrir probablement son patrimoine et sa superficie maritime qui est plus vaste que l'Hexagone, la France est plus vaste. Est-ce qu'on a risque, on a les chances de devenir, ou de redevenir, une puissance navale mondiale…
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous sommes en train de…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas seulement par ce qu'on fabrique, mais par ce qu'on est ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous sommes déjà une puissance maritime mondiale de par nos espaces, de par les eaux qui sont sous souveraineté française partout dans le monde, nous sommes la deuxième puissance maritime mondiale en termes de superficie, mais nous avons aussi une marine océanique qui est sur toutes les mers, et ce qui a d'ailleurs retenu aussi l'attention des Australiens. Et puis, avec cette victoire, nous nous affirmons comme le pays qui sait le mieux, au monde, fabriquer des sous-marins, ce qui est très positif pour nous et pour tous ceux qui y ont travaillé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a combien de sous-marins en campagne en ce moment, en missions, sous les mers, dans les profondeurs ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a toujours eu, depuis 50 ans, Monsieur ELKABBACH, il y a toujours eu, depuis 50 ans, un sous-marin…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Depuis que le Général DE GAULLE a lancé la dissuasion…
JEAN-YVES LE DRIAN
Un sous-marin français qui assure la sécurité des Français en permanence sous les mers, sans aucune interruption.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et l'argent, il va à la DCNS, ou est-ce qu'il va aussi favoriser des investissements supplémentaires en matière de défense, ou va vous aider pour le budget de la défense, ou vous n'y touchez pas un sou ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Le montant des 35 milliards va être réparti sous la responsabilité de DCNS auprès des sous-traitants, des cotraitants, je pense entre autres à THALES, lorsque l'organisation industrielle va être achevée. Ce sont des sommes considérables, et il y a une partie de ces sommes, évidemment, qui sera investie en Australie, puisque l'Australie souhaite, et on les comprend, assurer leur souveraineté sécuritaire et industrielle, mais il y a aussi une partie significative qui reviendra en France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, est-ce que le président de la République a suivi toutes les négociations, enfin je veux dire pas dans le détail, parce qu'elles avaient lieu tous les 15 jours avec vos équipes…
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, mais il…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il vous a félicité cette nuit ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui. Le président de la République m'a félicité moi, mais au-delà de moi l'ensemble des équipes qui ont travaillé avec moi et singulièrement DCNS, qui est le maître d'oeuvre de tout cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il vous a dit « continues », et maintenant, où et qui, Jean-Yves LE DRIAN, ces équipes vont-elles frapper pour de nouveaux contrats ? Parce qu'il ne faut pas oublier les Rafale, dont on a parlé, et puis peut-être d'autres…
JEAN-YVES LE DRIAN
J'ai une méthode concernant les exportations d'armement, il ne faut jamais le dire avant, il faut toujours attendre que les affaires soient signées avant d'en parler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais on peut dire pendant, pendant que ça négocie.
JEAN-YVES LE DRIAN
Il ne faut jamais dire pendant non plus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non plus ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faut être, d'abord être uni, avoir une équipe France qui soit solidaire, qui soit en confiance, et faire valoir notre technologie, faire valoir la force de la France, son rayonnement dans le monde, et montrer que nous sommes à même de faire des transferts de technologie sans perdre nous-mêmes notre propre sécurité, nos propres atouts, et à partir du moment où tout cela est réuni, eh bien l'équipe de France gagne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ça veut dire que le monde est dangereux. Si on vend autant d'armes, si on cherche des sous-marins ou des avions de combat c'est probablement ça. Je vous pose une dernière question sur la Libye. Vous nous avez dit ici un jour, il y a 800.000 migrants qui attendent de traverser la Méditerranée vers l'Europe, un gouvernement commence à s'installer à Tripoli, daesh progresse à l'intérieur, est-ce qu'il faut s'attendre à une prochaine offensive militaire interalliés contre daesh sur le sol libyen ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour une fois il y a des bonnes nouvelles venant de la Libye, à partir du moment où un gouvernement s'est établi, à partir du moment où le Premier ministre EL-SARRAJ est reconnu par la communauté internationale et s'est installé à Tripoli avec le courage que cela nécessitait, à partir du moment où…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, qu'est-ce qu'on fait ?
JEAN-YVES LE DRIAN
A partir du moment où plus de 100 députés libyens soutiennent ce Premier ministre, il faut attendre que le Premier ministre nous dise les mesures de sécurité qu'il compte prendre et les sollicitations qu'il compte faire auprès de la communauté internationale, pour assurer la sécurité maritime de la Libye, nous nous sommes prêts.
THOMAS SOTTO
Merci Jean-Yves LE DRIAN. Petite précision quand même. Vous dites, sur ces 35 milliards il y aurait une partie significative investie en Australie, c'est quelle proportion, on a une idée ou pas ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est l'organisation industrielle qui va le dire, pour l'instant…
THOMAS SOTTO
C'est moitié-moitié, c'est un tiers-deux tiers, c'est… ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça se vérifiera dans les semaines qui viennent.
THOMAS SOTTO
On n'a aucune idée ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais l'ensemble du paquet, c'est un paquet DCNS.
THOMAS SOTTO
Mais on ne sera pas combien, quelle proportion… ?
JEAN-YVES LE DRIAN
A l'heure actuelle je ne peux pas vous le dire. Le lauréat a été indiqué hier, cette nuit plutôt, par les autorités australiennes, je vais me rendre, à la demande du président de la République, en Australie dans peu de jours pour établir la feuille de route.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Jean-Yves LE DRIAN d'être venu ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 avril 2016