Texte intégral
JULIE LECLERC
A 07h46, « L'interview vérité » d'Europe 1. Thomas, vous recevez ce matin Matthias FEKL, secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur.
THOMAS SOTTO
Greenpeace a mis la main sur une série de documents, 248 pages, concernant les négociations très très très opaques du TAFTA, ce Traité de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis, qui est en discussion. Bonjour Matthias FEKL.
MATTHIAS FEKL
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Est-ce que vous, le ministre en charge du Commerce extérieur, vous qui suivez ces négociations pour la France, vous y avez appris des choses, dans ces documents révélés par Greenpeace ?
MATTHIAS FEKL
Non, je suis de très près l'ensemble de ces négociations, et rien dans ces fuites n'est nouveau pour moi, heureusement d'ailleurs. En revanche, ce qui est problématique et même en fait scandaleux, c'est qu'il faille passer par ce type de fuite, c'est-à-dire que ces négociations se déroulent dans un climat d'opacité, vous l'avez rappelé, même si à la demande de la France, les parlementaires ont maintenant accès aux documents de négociations, il faut aller beaucoup plus loin. Moi je suis favorable
THOMAS SOTTO
Pourquoi vous, vous ne publiez pas les documents de négociations ?
MATTHIAS FEKL
Mais parce qu'on n'a pas le droit, parce que les règles l'interdisent. Moi, je suis favorable à ce qu'on fasse évoluer les règles, je l'ai déjà dit, mais je suis favorable à faire l'open-data sur ce sujet, c'est-à-dire que tout ce qui est discuté
THOMAS SOTTO
On met tout en ligne.
MATTHIAS FEKL
On met tout en ligne. De toute façon, tout est public, la preuve, mais une puissance publique moderne, n'a rien à cacher devant les citoyens, il n'y a rien de pire que de créer ce climat de méfiance, à coup de secrets, suivis de fuites, de révélations, etc. Donc il faut tout mettre en ligne, assumer devant les citoyens.
THOMAS SOTTO
Alors il y a ce problème d'opacité sur la forme, et puis il y a le problème de fond. L'analyse de Greenpeace, c'est que tout ça confirme les menaces sur la santé, sur l'environnement, sur le climat. Est-ce que vous, vous partagez cette analyse aujourd'hui ?
MATTHIAS FEKL
C'est un accord qui, tel qu'il est aujourd'hui, serait un mauvais accord, sur tous les sujets que vous avez indiqués, et je l'ai déjà dit, j'ai été le seul membre d'un gouvernement, dès 2015, à tirer la sonnette d'alarme et à dire : ça ne va pas, et si les choses continuent comme ça, les négociations doivent s'arrêter.
THOMAS SOTTO
C'est un accord que la France ne signerait pas aujourd'hui ?
MATTHIAS FEKL
En l'état, absolument pas, et pour des critères de principe : la transparence, la démocratie, et encore une fois les citoyens ont le droit de savoir, et puis sur le fond, nous souhaitons que nos PME puissent mieux travailler aux Etats-Unis, avoir accès au marché américain, nous souhaitons défendre l'agriculture, les indications géographiques, tout ce que j'ai appelé la « diplomatie des terroirs », et nous souhaitons que les choses bougent dans le bon sens. Le président de la République a rappelé avec beaucoup de force, que la France était attachée à ce que les négociations commerciales intègrent aussi l'environnement. Ça n'aurait aucun sens d'avoir fait la COP21 en décembre, à Paris, ce superbe accord pour l'environnement, et puis quelques mois après de signer un accord qui viendrait détricoter ça.
THOMAS SOTTO
Pour l'instant, c'est pas compatible COP21, ce qui est sur la table.
MATTHIAS FEKL
Absolument pas, mais de manière plus générale, le commerce c'est pas un but en soi, le commerce c'est un outil, et le commerce doit être utilisé au service d'autres fins, et notamment la préservation de l'environnement, c'est pourquoi la France porte avec beaucoup de détermination, le fait que le droit de l'environnement doit être contraignant, au même titre que le droit commercial. Il n'y a pas tout en haut le droit commercial, et puis après, de manière un peu floue et fumeuse, le droit de l'environnement.
THOMAS SOTTO
Ça c'est ce que vous dites, mais quand on regarde, quand on lit, quand on consulte ces documents, on a l'impression que les Américains ils ont pas très envie de négocier, eux, c'est sur les sujets qui les arrangent, et sur le reste, c'est comme ça et pas autrement.
MATTHIAS FEKL
Absolument, mais ça fait un an que je dénonce cette attitude là, l'idée que l'Europe multiplie les offres quand il n'y a aucune offre sérieuse du côté américain, en face, il me semble que les documents qui sont maintenant sur la place publique, confirment toute l'analyse que j'ai faite, toute l'année 2015.
THOMAS SOTTO
Et le patron du bureau berlinois de Greenpeace demande du coup que les négociations s'arrêtent. Est-ce que c'est aussi votre souhait, du coup, compte tenu de ce que vous nous dites ce matin ?
MATTHIAS FEKL
C'est une des options qui est sur la table, la France est l'un des rares pays à l'envisager, et ce encore une fois depuis l'année dernière, mais nous nous approchons de cette échéance, évidemment. Si les choses ne bougent pas
THOMAS SOTTO
Elle vous parait inéluctable, là, cette échéance, pour l'instant, vu comme les choses évoluent ?
MATTHIAS FEKL
Au vu de l'état d'esprit des Etats-Unis aujourd'hui, elle semble l'option la plus probable.
THOMAS SOTTO
On apprend aussi dans ces documents, que le TAFTA serait une menace pour le principe de précaution, qui nous permet à nous, européens, de refuser certains produits, au nom de la santé ou de l'environnement. Est-ce qu'il est en danger, ce principe de précaution ? Est-ce que vous y tenez ?
MATTHIAS FEKL
Ça, pour le coup, je ne pense pas qu'il soit en danger, parce que le mandat européen est très clair là-dessus la France y a veillé, d'autres Etats aussi, et la Commission est attentive à cela. En revanche, ce qui est vrai, c'est que les Américains, eux, ne veulent pas en entendre parler. Donc nous en sommes là, dans des négociations totalement bloquées, et qui sont parfaitement regrettables, car avec des partenaires et des alliés, quand on négocie, c'est pour avancer, c'est pas pour être sur des blocages et pour être sur l'absence de réciprocité. Nous, ce que nous voulons, c'est qu'il y ait de la réciprocité. L'Europe donne beaucoup, propose beaucoup, elle reçoit très peu en échange, et ce n'est pas acceptable.
THOMAS SOTTO
Est-ce que vous avez confiance, totalement confiance, dans la Commission européenne et sa façon de mener ces négociations ? La commissaire européenne, Cécilia MALMSTRÖM, elle parle malentendu, on a l'impression que c'est un peu plus que des malentendus aujourd'hui.
MATTHIAS FEKL
Alors, il y a eu d'abord un changement très important entre l'ancienne Commission et la nouvelle Commission, et autant l'ancien commissaire en avait absolument rien faire de tous ces enjeux un peu vulgaires, pour lui, de transparence de démocratie, autant l'actuelle commissaire est très attentive à cela, et honnêtement, aujourd'hui, rien ne permet de dire qu'elle ne prenne pas en compte les demandes de la France. Donc, confiance, oui, en même temps dans la vie publique, vous savez, la confiance, ça n'exclut pas le contrôle.
THOMAS SOTTO
Donc, confiance et vigilance. On a quand même, alors, nous, qui ne sommes pas à la table des négociations, nous qui n'avons pas accès aux documents, à part ceux qui fuitent comme ça, notamment ceux de Greenpeace, on a cette espèce d'impression qu'au final on va se faire avoir par les Américains. Est-ce qu'on est parano ou est-ce que vous êtes un peu comme nous, Matthias FEKL ?
MATTHIAS FEKL
La France veille à ce que nos principes, nos valeurs et nos intérêts soient défendus, de bout en bout dans cette négociation, et il ne peut pas y avoir d'accord sans la France, et encore moins contre la France.
THOMAS SOTTO
Ça c'est votre vision, parce que Jean-Luc MELENCHON, il dit : « C'est bien gentil, la France existe, son rôle c'est de tenir la chandelle entre les Etats-Unis et l'Union européenne ».
MATTHIAS FEKL
Non mais ça c'est une vision défaitiste de la France. Nous sommes l'un des membres fondateur de l'Union européenne, nous sommes la deuxième économie de l'Union, et l'Europe est le premier ensemble
THOMAS SOTTO
Ça c'est une vision théorique de la France.
MATTHIAS FEKL
Non, c'est la réalité. C'est la réalité. Et lorsque la France dit quelque chose en Europe, ça compte, et les choses bougent. Sur l'ensemble des sujets, la transparence, la remise en cause des tribunaux privés, avec ma proposition, c'est-à-dire la proposition française de cour de justice commerciale, internationale, lorsque nous l'avons proposée et ensuite défendue fermement, tout cela est entré en vigueur. L'accès aux parlementaires, aux documents, c'est une demande française. Donc je travaille là-dessus avec les Allemands, en particulier avec le vice-chancelier Sigmar GABRIEL, nous sommes en phase sur ces grandes orientations, mais la France, du-t-elle au final être seule, tiendra bon sur ses positions, car ce sont des intérêts en jeu et ce sont des principes et des valeurs. Et donc il y a une seule position française, je l'ai définie depuis plus d'un an et demi, et elle n'a jamais varié depuis.
THOMAS SOTTO
Est-ce que vous pouvez, Matthias FEKL, nous promettre, nous garantir, ici, maintenant, que ce traité ne reverra pas les normes européennes à la baisse, tout ce qui aujourd'hui nous protège ?
MATTHIAS FEKL
Oui, car c'est l'une des lignes rouges de la France, nous sommes favorables à ce qu'il y ait des règles de sécurité élevées, communes, mais si c'est pour tirer vers le bas, c'est non. Ça fait des décennies, ça fait 30 ans qu'on assiste à une dérégulation de l'économie dans le monde entier, que les gens n'en veulent plus, il faut un retour de la puissance publique, un retour des règles, et à une économie mondiale, doivent correspondre des règles mondiales, et la capacité pour les citoyens de les faire respecter.
THOMAS SOTTO
On arrive à la fin de cette interview. Dites-moi si je me trompe, mais j'ai quand même l'impression que vous n'en avez pas très envie de cet accord, de toute manière, vous, si ?
MATTHIAS FEKL
En l'état, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais ce n'est pas un problème d'envie, c'est un problème d'analyse et de défense des valeurs et des intérêts de mon pays.
THOMAS SOTTO
Alors, Daniel COHN-BENDIT vous a écouté attentivement ces quelques minutes. Bonjour Dany.
DANIEL COHN-BENDIT
Bonjour Thomas, bonjour Matthias.
MATTHIAS FEKL
Bonjour Dany.
THOMAS SOTTO
Qu'est-ce que vous aviez envie de lui dire, au secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur, et donc de ces négociations pour la France ?
DANIEL COHN-BENDIT
D'abord de dire : enfin un responsable de gouvernement qui parle clairement, et je lui dis « tiens bon Matthias, tenez-bon, vous avez raison, il ne faut pas signer cet accord dans l'état, il faut le dire, et là, le franco-allemand Matthias FEKL doit, avec l'Allemagne, le bloquer ».
THOMAS SOTTO
Matthias FEKL ? Rien à ajouter ? Si c'est votre solidarité franco-allemande entre Dany et vous, puisque vous avez les mêmes origines pour le coup.
MATTHIAS FEKL
On est d'accord, mais c'est un combat, pour la France, c'est aussi un combat pour l'Europe, et c'est une conception de l'Europe qui est en jeu aussi dans cette histoire.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Matthias FEKL, d'être venu en direct sur Europe 1 ce matin. Merci et bonne journée.
MATTHIAS FEKL
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2016