Texte intégral
* Mali - Lutte contre le terrorisme - Libye
Nous sommes venus au Mali avec Frank-Walter Steinmeier, mon collègue allemand. Ce n'est pas la première fois que nous nous déplaçons ensemble. Nous sommes aussi allés en Ukraine, à Kiev, récemment en Libye, à Tripoli, et aujourd'hui ici à Bamako. Nous parlons au nom de chacun de nos pays bien sûr mais aussi, au Mali et demain au Niger, au nom de l'Union européenne.
Et quand je regarde le chemin parcouru ici depuis 3 ans lorsque la France, répondant à l'appel des autorités du Mali, a décidé d'apporter son soutien pour arrêter la vague terroriste qui allait s'emparer de Bamako, de tout le pays, et aussi de toute la région, je dois dire que mon premier message est celui d'un message de confiance au peuple malien, aux autorités maliennes, et à la démocratie malienne. Parce que cette démocratie qu'on voulait abattre a relevé la tête, des élections ont eu lieu, la démocratie fonctionne, elle est exigeante, mais elle est réelle.
Et puis il y a eu cet accord de paix, qui a été négocié à Alger, entre le gouvernement légal malien et les mouvements qui s'étaient affrontés, pour résoudre un problème qui durait depuis si longtemps et qui nécessite évidemment la mise en oeuvre de réformes qui ont été signées. Et peu à peu, ces réformes sont votées, ces réformes se mettent en oeuvre.
Nous avons abordé toutes ces questions dans nos entretiens, avec vous Monsieur le Ministre, ce matin avec d'autres ministres, et puis, il y a quelques instants, avec le président Keïta. Nous mesurons les efforts qui sont faits en matière de sécurité, nous mesurons les efforts qui sont faits en matière de développement, et du point de vue européen, la France se félicite qu'après avoir pris l'initiative, en accord avec les pays européens et les Nations unies, son engagement ait été aujourd'hui rejoint par un nombre conséquent de pays européens, dont l'Allemagne représentée par son ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui, bien sûr, le dira lui-même.
Mais je me réjouis aussi que 15 pays de l'Union européenne ainsi que plus de 1000 Européens soient engagés dans la mission de l'ONU, la MINUSMA, et que l'Europe, non seulement soutienne la formation des forces armées maliennes et des forces de police maliennes, mais soit également engagée, comme nous le sommes, en soutien aux projets de développement économiques, sociaux et environnementaux.
C'est là l'essentiel, c'est de réussir le développement, et pour réussir le développement, il faut garantir la sécurité. Et pour garantir la sécurité, il faut que les réformes qui ont été décidées dans l'Accord d'Alger soient effectivement mises en oeuvre pour les patrouilles mixtes et là les choses avancent bien. L'existence d'autorités intérimaires, pour permettre ensuite des élections et d'apporter aux populations qui ont longtemps été abandonnées les moyens dont elles ont besoin, les légitimes besoins en matière économique, en matière de santé, en matière éducative et, bien sûr, en matière de sécurité dans tous les domaines.
Et puis, en même temps, nous avons tous ensemble, avec le Mali, mais aussi avec les pays du G5 Sahel, renforcé notre coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Le terrorisme n'aime pas les accords de paix, le terrorisme n'aime pas la réconciliation, le terrorisme n'aime pas quand un État de droit se met en marche pour résoudre les problèmes des populations. C'est pour cela qu'il veut déstabiliser le Mali, comme il veut déstabiliser les autres gouvernements de la région. Donc, nous soutenons les efforts du G5 Sahel, politiquement, matériellement et militairement.
Et puis en même temps, il faut garantir aussi la sécurité et la stabilité partout, et c'est vrai aussi de la Libye, dossier que nous avons abordé avec le président Keïta. Nous soutenons les efforts du gouvernement de M. Sarraj pour stabiliser la région qui, bien sûr, a un impact sur tout ce qui se passe ici. Nous voyons les flux migratoires, les trafics de drogues et les trafics d'armes, donc un gouvernement légal, stable, soutenu, consolidé en Libye, c'est autant de perspectives pour lutter contre tous ces fléaux et, en particulier, en Méditerranée centrale. Ce sont les sujets sur lesquels nous avons discuté et ce sont les sujets sur lesquels, avec mon ami Frank-Walter Steinmeier, nous travaillons pour que l'Europe prenne toute sa part dans le règlement de cette question.
Je terminerai en remerciant à nouveau le président Keïta pour sa présence à Paris, aux Invalides, lorsque le président de la République française, François Hollande, a présidé une cérémonie d'hommage à trois de nos soldats qui sont tombés il y a quelques jours, les 12 et 13 avril derniers, et je sais que la population malienne a exprimé aussi sa compassion et sa solidarité. Monsieur le Ministre, je vous en remercie. C'était près de Gao, et c'est le 511ème régiment du train d'Auxonne que j'aurai l'occasion de visiter cet après-midi avec Frank-Walter Steinmeier pour rendre hommage à tous les soldats qui prennent des risques pour leur vie, qu'ils soient de la force Barkhane, qu'il soient de la MINUSMA ou qu'ils soient de l'armée malienne. Ils risquent leur vie mais ils la risquent pour une cause qui en vaut la peine, c'est celle de la paix, de la sécurité et de la liberté. Ainsi, il est juste qu'on leur rende hommage, c'était encore une fois l'occasion pour moi de le faire ici à Bamako.
Q - Vous dites que le chemin parcouru est important aujourd'hui au Mali. On a rétabli la démocratie, on a signé un accord politique, mais les Maliens restent encore sur leur faim : l'intégrité du territoire national, l'armée malienne est encore absente, tous les jours on entend parler de Kidal. Pensez-vous aujourd'hui qu'il est possible de lutter contre le terrorisme dans la région de Kidal sans l'armée malienne ? Pensez-vous qu'il est possible de sécuriser cette région avec des groupes armés qui obtiennent et circulent avec des armements n'importe comment et n'importe où dans cette zone ?
R - Vous avez raison, il faut encore poursuivre l'effort, nous ne sommes pas encore arrivés au but mais les efforts portent leurs fruits, je crois. Nous avons fait hier soir un point avec le commandant de la force Barkhane et avec le général Albl qui commande la mission EUTM Mali s'agissant de la formation de l'armée malienne. Les informations qui nous ont été données sont extrêmement prometteuses. Les efforts qui ont été faits sont considérables. Il y a encore du travail à faire pour arriver à une armée complète mais le nombre d'unités qui ont été formées et qui sont capables maintenant elles-mêmes de former d'autres personnels constitue un effort que je tiens à saluer particulièrement. L'armée malienne aujourd'hui n'a rien à voir avec ce qu'elle était il y a trois ans, et même il y a deux ans et il y a un an. Donc il faut le dire aux Maliens. Cette armée qui a vocation à être l'armée nationale au service des Maliens, elle va y arriver, c'est ma conviction.
Mais il faut poursuivre l'effort et l'effort c'est aussi de faire en sorte que l'Accord d'Alger puisse aussi être réalisé concrètement. Cela doit se traduire, mais on est presque au but, par la mise en place de patrouilles mixtes qui, dans un premier temps, seront des patrouilles mixtes avec Barkhane et la MINUSMA, mais aussi des forces intégrées venant des mouvements du nord car l'objectif c'est de rassurer les populations, d'être efficace, d'être performant, ce qui veut dire qu'il y a encore des perspectives d'intégration dans l'armée malienne de forces complémentaires et ce qui veut dire que le programme de formation EUTM doit se poursuivre.
Il y a aussi une autre question qui ne concerne pas que l'armée malienne mais qui concerne les armées du G5 Sahel et avec Frank-Walter Steinmeier, nous avons abordé cette question : que peut faire l'Europe ? C'est, en tout cas, le message que nous adresserons à notre retour car nous avons été mandatés en tant qu'Européens. L'Europe peut aider à former toutes les armées du G5 Sahel et, par ailleurs, nous souhaitons que l'Europe apporte sa contribution financière et concrète pour l'équipement de ces armées. Si on veut assurer leur efficacité, il ne faut pas seulement les former, il faut des équipements non létaux et il faut aussi des équipements plus lourds. Je pense, par exemple, pour l'armée malienne, à des hélicoptères, et ce sera bientôt le cas, mais aussi à des blindés car je crois que ce sont des matériels qui peuvent le mieux protéger les soldats quelle que soit leur nationalité, on le voit bien actuellement au Mali.
Voilà donc un engagement dans la durée avec des résultats qui sont encourageants mais avec une vigilance accrue car, sur toute cette région, au Mali, y a une menace terroriste, il y a plusieurs groupes, sans oublier, et l'opération Barkhane est là pour cela aussi aux côtés des autres forces armées du G5 Sahel, la menace Boko Haram.
Je terminerai par une réflexion peut être plus politique. Nous, Européens, nous venons ici pour aider les pays à consolider leur autonomie et leur indépendance. Cela passe évidemment par des moyens de sécurité, cela passe aussi par des soutiens à des programmes de développement, mais l'un ne va pas sans l'autre. Il n'y aura pas de réussite à mettre en oeuvre des projets de développement économique, et il y en a beaucoup, ou d'équipement en infrastructures, et il y en a beaucoup, s'il n'y a pas en même temps de sécurité. Donc les deux combats doivent être menés ensembles.
Q - Sur une éventuelle conditionnalité de l'aide et le rythme de mise en oeuvre de l'accord de paix.
R - Je l'ai dit tout à l'heure, concernant la France, par exemple dans le cadre de la coopération bilatérale et de l'aide au développement, nous veillons à ce que les projets soutenu par l'Agence française de développement soient engagés au nord Mali même si tous les problèmes de sécurité, institutionnels ou de présence administrative ne sont pas tous réglés. Ce sont des réalisations concrètes qui améliorent de façon conséquente l'activité économique et la vie des populations. Nous voulons poursuivre dans cette direction mais il est bien évident que si l'accord était effectif, alors cette action de développement et d'amélioration des conditions de vie serait bien plus importante. Il y a donc un enjeu politique très clair, très fort.
Le président Keïta nous a dit son accord pour avancer. Une partie des initiatives qui ont donné lieu à un vote par l'Assemblée nationale d'une réforme institutionnelle a fait l'objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle. Donc, il faut attendre encore quelques jours ou quelques semaines que ce soit réglé. Mais il est bien évident que tant la question des patrouilles mixtes que celle des autorités intérimaires doivent être réglées à nos yeux, vu de l'extérieur évidemment, et rapidement car je crois que c'est une marque très forte de confiance et car, si ce n'est pas le cas, évidemment, certains peuvent tenter de déstabiliser la région en s'appuyant sur des mécontentements qui pourraient venir. Donc, nos interlocuteurs nous ont paru tous extrêmement lucides et conscients de ce qu'il fallait faire maintenant dans cette phase.
Q - Concernant la mise en oeuvre du processus de paix, qui met évidemment beaucoup de temps, on a parlé des impatiences que cela pouvait susciter. La force Barkhane a également suscité des impatiences, notamment dans le Nord avec des manifestations qui ont dégénéré à Kidal. Une réaction, Monsieur le Ministre, sur la présence de la force française : combien de temps est-elle amenée à durer ? Est-ce que cela peut remettre en question la stratégie de la France d'un point de vue militaire au Mali ?
R - En ce qui concerne la présence de Barkhane, qui correspond à une nouvelle organisation de la présence française dans la région prenant aussi en compte les besoins du G5 Sahel, c'est une mission qui a pour objectif de continuer à lutter contre le terrorisme, c'est vrai ici mais c'est vrai aussi par rapport à Boko Haram. Je le dis, je le répète ici, nous ne sommes pas là pour être éternellement présents, mais nous sommes là le temps qu'il faut pour aider l'armée malienne et les autorités maliennes à créer les conditions d'une sécurité durable dans leur propre pays et c'est vrai dans les autres pays autour du Mali.
Mais si cette situation a conduit à une manifestation, celle-ci était organisée principalement par ceux qui ne veulent pas de l'accord de paix, donc exploitant des insatisfactions ou des impatiences. D'où la raison d'aller vite dans ces accords de paix, de ne pas leur donner d'arguments et ça, je crois que nos partenaires maliens l'ont bien compris et en sont totalement conscients. Là, on est, je me répète, dans une étape extrêmement importante. Il faut la réussir.
Ensuite, la lutte contre toutes les formes de terrorisme, par rapport à la question sur Barkhane, j'évoquais Boko Haram. Boko Haram c'est aussi un risque majeur pour toute cette région, que ce soit le Tchad, le Niger, le Nigéria. Il est évident que plus nous ferons reculer Boko Haram, plus nous donnerons à ces pays leurs capacités à assurer leur propre développement.
Je rappelle qu'à l'intérieur de cette grande région d'Afrique, il y a beaucoup de mouvements de populations, notamment de personnes qui vont s'installer dans les pays voisins pour trouver du travail. On parle souvent de l'émigration sud-nord mais l'émigration, elle est aussi intérieure. Pourquoi est-elle aujourd'hui mise en péril pour ceux qui vont chercher du travail ? Parce qu'il y a l'insécurité. Beaucoup ont quitté la Libye où ils avaient du travail. D'autres étaient au Nigéria qu'ils ont quitté. Maintenant on s'attaque à la Côte d'ivoire. Je me suis rendu à Abidjan et à Grand Bassam, ce n'est pas un hasard si ce pays, qui a surmonté sa crise politique, reconnu par la communauté internationale comme tel = un pays qui a réussi sa transition politique et, en même temps, qui est en plein essor économique = soit lui aussi attaqué. Donc tous ceux qui font des efforts, tous ceux qui veulent construire la démocratie, construire la paix, ont un ennemi, c'est le terrorisme. Il faut que nous en soyons tous conscients. Nous devons nous en donner les moyens.
Et encore une fois, tous les dossiers se tiennent d'une certaine façon. C'est pour cela que nous devons mener de front tous les combats. Et j'ai parlé de la Libye, le désordre libyen, la menace de ceux qui sont les passeurs et les exploiteurs des migrants, les exploiteurs de la drogue et aussi du trafic d'armes. Ils doivent être combattus puisqu'au bout du compte, c'est toute la stabilité de cette région qui est mise en cause, et c'est aussi la stabilité de l'Europe car je rappelle que, dans ces pays, quand on n'a plus d'espoir, on essaie de partir. Si on n'a plus d'espoir à l'intérieur du continent africain alors on va essayer d'espérer quelque chose mais qui est sans doute sans réponse plus loin. Alors, si nous voulons traiter cette question de l'immigration, il faut aussi répondre à la question de la sécurité des pays concernés et à leurs demandes et à leurs souhaits pour que les conditions de leur développement leur soient assurées. C'est leur intérêt, c'est notre intérêt. (...)
* Syrie
(...)
Q - Une réaction sur les bombardements en Syrie : en tant que chef de la diplomatie française, est-ce que vous soutenez les efforts américains à Genève pour relancer le cessez-le-feu en cours ?
R - Quand à votre question sur la Syrie, nous sommes mobilisés, totalement mobilisés pour que le processus de paix puisse reprendre le plus vite possible. Mais pour cela, il faut que les frappes sur Alep cessent. Nous avons dit à nos partenaires américains que nous souhaitons que toutes les pressions les plus importantes soient faites pour que les Russes interviennent auprès du régime de Damas pour que ce soit le cas, et pour l'instant ce ne l'est pas. Frank-Walter Steinmeier a pris une initiative, dont il peut parler lui-même bien sûr, pour qu'on se réunisse dans un format E3 à Berlin cette semaine. Moi-même, j'ai proposé, puisque jusqu'alors il n'y a pas de réponse pour que le GISS se réunisse, que le groupe des affinitaires puisse se réunir très prochainement à Paris. Nous ne voulons manquer aucune initiative pour que le cessez-le-feu redevienne effectif, pour que l'aide humanitaire puisse, elle aussi, arriver aux populations qui sont aujourd'hui dans la tragédie de tout ce que provoquent ces bombardements, et pour que reprennent le processus de paix et la négociation qui est la seule voie pour sortir de cette guerre civile qui n'a que trop duré et qui n'a fait que trop de morts.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2016