Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RFI le 3 mai 2016, sur les problèmes de sécurité en Afrique.

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Circonstance : Déplacement au Niger, le 3 mai 2016

Média : Radio France Internationale

Texte intégral


Q - Monsieur le Ministre, bonjour. C'est votre troisième déplacement conjoint avec votre homologue allemand. Cela veut-il dire que vous avez les mêmes intérêts ici au Sahel où que vous avez des intérêts complémentaires ?
R - Je ne dirais pas que c'est d'abord une question d'intérêts, ou alors si on raisonne en termes d'intérêts, il faut raisonner du point de vue de tous les Européens. Ma conviction, c'est que les Européens doivent être conscients des défis qui se présentent à eux et aux Africains et qui sont des défis communs. Il y a notamment le défi démographique : en 2016 il y a un peu plus d'un milliard d'habitants en Afrique, et ce chiffre sera doublé en 2050 et dans certains pays la population va tripler. Ce sont donc des pays qui sont déjà confrontés à d'énormes problèmes et si rien n'est fait pour les aider, les problèmes vont augmenter.
Les problèmes de sécurité se posent maintenant. Il n'y a pas d'avenir pour ces pays sans, à la fois un soutien aux projets de développement et sans un soutien aux politiques de sécurité.
Q - L'Europe peut-elle mieux faire en matière d'équipement militaire ? Le ministre malien de la défense l'a exprimé hier. Pour l'instant, l'Europe ne peut pas équiper une armée telle que l'armée malienne, les choses peuvent-elles bouger ?
R - L'Europe fait beaucoup en matière de développement mais elle peut peut-être mieux affecter ses crédits. Certains pays notamment se sont dotés d'une armée, l'Europe a apporté une contribution très forte en matière de formation mais là où c'est de plus en plus difficile, c'est l'équipement. Je crois effectivement que nous aurions intérêt à monter notre aide pour que l'autonomie des pays africains soit plus forte et plus grande.
Q - Vous étiez à Gao, l'opération Barkhane coûte cher. La France a-t-elle les moyens de faire durer Barkhane autant que l'exigerait la lutte anti-terroriste dans la zone ?
R - Il faut se fixer des priorités. La France ne peut pas être partout et tout financer. Là, nous sommes dans la continuité de la décision prise par le président de la République en janvier 2013. Il faut continuer dans le cadre de ce qui est fait avec l'Union européenne pour la formation de l'armée malienne et il faut continuer la mission d'opération internationale de paix des Nations Unies. Quant à Barkhane, elle est déployée dans plusieurs pays et elle vient en soutien des efforts considérables qui sont faits, notamment par les pays. C'est donc indispensable de poursuivre et si on veut se fixer des objectifs dans la durée où on finira par se désengager, il faut traiter aussi les autres problèmes et il y en a un autre qui est considérable, c'est celui de la Libye.
Q - Vous avez dit que la solution au Mali passait par le Mali, mais n'est-ce pas la Libye qui est la clef ?
R - La Libye, cela a été abordé par tous nos interlocuteurs, aussi bien au Mali qu'au Niger mais partout où nous allons, nous en parlons. La situation actuelle en Libye traduit les conséquences de l'intervention de 2011. Aujourd'hui il y a tout à reconstruire et cela passe par une étape politique. Il y a une première phase qui donne de l'espoir, c'est celle de l'installation d'un gouvernement avec M. Sarraj qui a pris ses fonctions à Tripoli, mais il faut absolument soutenir ce gouvernement pour qu'il prenne le contrôle du pays. Mais il faut aussi, ce que nous avons commencé à faire au niveau européen avec une mission qui s'appelle Sophia pour lutter contre les passeurs, que l'on amplifie cette action en lui donnant les moyens d'intervenir pour lutter contre le trafic d'armes qui alimente Daech en Méditerranée centrale.
Il faut se donner les moyens d'assurer la stabilité politique en Libye : plus il y aura de stabilité, plus il y aura de développement économique et plus nous pourrons, au bout du compte, redonner les perspectives que l'engagement militaire français n'est pas jusqu'à la fin des temps, mais qu'il pourra prendre fin quand les conditions de la sécurité seront réunis.
Nous pouvons le faire à condition qu'il y ait une volonté politique très forte et en tout cas, nous sommes décidés, la France et l'Allemagne à y prendre notre part.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mai 2016