Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à France-Inter le 4 mai 2016, sur le versement de la prime annuelle pour les enseignants du primaire et la poursuite des créations de postes d'enseignants.

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Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
PATRICK COHEN
800 euros de prime annuelle en plus pour les 370 000 enseignants du primaire. D'abord ce sera versé quand et en combien de fois ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors d'abord il ne s'agit pas d'une prime parce que ce qu'on sous-entend par prime c'est quelque chose qu'on verse une fois et puis on s'arrête ; il s'agit bien d'une indemnité.
PATRICK COHEN
Oui mais qui n'est pas intégrée au salaire. Donc qui ne compte pas pour la retraite.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En effet. Enfin, elle compte pour partie, mais vous avez raison. C'est une indemnité donc qui a ses règles spécifiques, qui s'appelle l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves, qui était jusqu'à présent existante, d'un montant de 400 euros, elle avait été créée en 2013, et que nous augmentons pour la faire passer à 1200 euros pour s'aligner finalement sur l'indemnité équivalente dans le second degré.
PATRICK COHEN
Donc la différence sera versée quand et en combien de fois ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors ce sera versé comme l'a annoncé le Premier ministre hier à partir du mois de septembre, donc sur l'ensemble de l'année qui vient, de septembre 2016 jusqu'à juin 2017. En réalité jusqu'à août 2017, sur les 12 mois qui s'écoulent les enseignants seront amenés à percevoir 100 euros par mois, ce qui fait 1200 en tout. Sachant qu'ils en percevaient déjà 400 jusqu'à présent, c'est le différentiel de 800 euros qui est ajouté.
PATRICK COHEN
D'accord, donc ce sera une augmentation mensuelle pour les enseignants…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà, de 800 euros, qui sera perçue de façon mensuelle, absolument.
PATRICK COHEN
Quand il y a quelques mois Alain JUPPE avait proposé d'augmenter fortement les salaires des enseignants, vous aviez dit « promesse de gascon et où trouver l'argent », donc je vous retourne la question, où trouvez-vous l'argent ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, j'avais dit « promesse de gascon » parce qu'Alain JUPPE à l'époque disait « nous augmenterons les enseignants à budget constant ». La promesse de gascon elle était là, c'est-à-dire qu'il est impossible d'augmenter les enseignants à budget constant ; donc je vous confirme que ça n'est pas à budget constant que nous les augmentons, que cela coûtera de l'argent, mais que nous assumons.
PATRICK COHEN
Combien ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Très concrètement, sur l'exercice budgétaire 2016 cela coûtera 75 millions d'euros, sur celui de 2017, 230 millions d'euros, c'est un calcul que nous avons fait. Vous savez ce résultat que nous avons annoncé hier c'est le résultat d'un arbitrage et d'une négociation qui durent depuis des mois et des mois et donc je peux vous dire que évidemment le moindre détail a été passé en revue.
PATRICK COHEN
Et d'une récrimination qui est encore beaucoup ancienne, ça fait presque dix ans qu'on entend que les caisses sont vides, que les fonctionnaires doivent se contenter de ce qu'ils ont, et les enseignants aussi, les caisses ne sont pas moins vides aujourd'hui, mais quoi, la présidentielle approche.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors j'entends beaucoup ce commentaire que je qualifierais, si vous me le permettez, de facile et paresseux, parce qu'en réalité c'est méconnaitre totalement les efforts que nous avons déjà fait depuis 2012 en direction des enseignants. On l'oublie rapidement mais depuis 2012 et le simple fait d'avoir recréé une formation pour les enseignants. Donc la deuxième année se fait en alternance et est rémunérée, ça veut bien dire qu'on a augmenté le pouvoir d'achat des enseignants, c'est-à-dire que désormais à l'entrée dans le métier il commence par deux années de formation, dont une est rémunérée. Depuis 2012 le fait que nous ayons réformé l'éducation prioritaire, j'en ai un souvenir encore fort, vous le savez, à l'automne 2014 où nous avons fait en sorte que les enseignants qui exercent dans ces établissements les plus difficiles soient mieux payés. C'est quand même 110 000 personnels qui à l'occasion de cette réforme de l'éducation prioritaire perçoivent désormais une indemnité dite d'éducation prioritaire qui va entre 1700 et 2400 euros annuels. Donc ça c'est aussi des efforts que nous avons fait pour mieux considérer les enseignants. Et là nous sommes dans la poursuite de ces efforts constants avec cette indemnité du premier degré qui en effet méritait d'être réglée depuis de nombreuses années puisque celle du professeur du second degré avait été créée en 1989. Vous remarquerez à l'attention de ceux à droite qui s'expriment aujourd'hui sur la rémunération des enseignants que pendant dix ans de droite au pouvoir il ne s'est strictement rien passé sur la question du revenu des professeurs des écoles.
PATRICK COHEN
Puisqu'on parle de promesse, la promesse était 60 000 postes crées sur le quinquennat, 60 000 postes promis, combien de crées et combien de postes d'enseignants réellement en fonction en plus ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord combien de crées. Nous en sommes à la rentrée 2016 qui vient à 47 000 postes crées très exactement.
PATRICK COHEN
Donc il en manque 13 000, vous allez en créer 13 000 l'an prochain ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, absolument.
PATRICK COHEN
Il y aura 13 000 créations de postes en plus ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui bien sûr c'est ce qui est prévu, qui seront créés donc pour la rentrée 2017. Je vous rappelle qu'un quinquennat, en terme de rentrée scolaire, ça se joue y compris jusqu'à la dernière rentrée scolaire. N'imaginez pas que parce que la présidentielle arrive au mois de mai 2017 nous ne nous soucions pas de bien organiser la rentrée 2017 qui, chacun le sait parmi les acteurs concernés, s'organise aux alentours du mois de janvier. Donc oui tous les postes seront là.
PATRICK COHEN
Et combien de titulaires, puisque vous comptez aussi dans ce chiffres les enseignants stagiaires, ceux qui partagent leur temps entre enseignement et formation ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais alors qu'est-ce que des enseignants stagiaires ? Ce qu'il faut bien comprendre c'est qu'il s'agit des jeunes professeurs qui sont en cours de formation dans les nouvelles écoles supérieures du professorat que nous avons remises en place, donc qui ont évidemment vocation à enseigner l'année suivante, une fois qu'ils sortent de cette formation en ESP. Donc oui, comme je vous l'indiquais tout à l'heure, ces professeurs-là sont, pendant leur deuxième année en ESP, en alternance rémunérés. Eh bien oui je crois que c'est plutôt une bonne nouvelle pour eux, et que c'est un investissement pour nous parce que ça veut dire que l'année suivante ils sont titularisés et à plein temps devant les élèves.
PATRICK COHEN
Oui sauf qu'ils ne sont pas toujours visibles en attendant pour les parents qui s'en plaignent, 22 000 jours d'absence non remplacés depuis la rentrée dernière.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est vrai, c'est là qu'on comprend que l'éducation c'est un temps long et que les décisions qu'on prend elles mettent du temps à produire leurs effets. Pour cette raison précise par exemple il faut deux ans pour former un professeur. Donc ayant reconstruit la formation à partir de 2013, pour vous dire les choses simplement, les 25 000 jeunes qu'on a accueillis à ce moment-là dans les écoles supérieures du professorat eh bien c'est deux ans plus tard qu'ils sont devant les élèves. Il faut du temps. Tout comme d'ailleurs les décisions néfastes et négatives dans l'éducation continuent à produire leurs effets des années plus tard. Par exemple en matière de remplacement, c'est bien la résultante des décisions prises par le gouvernement de droite précédent de supprimer tous les viviers de remplacement, que d'avoir aujourd'hui de telles difficultés dans certains territoires. Mais je veux le dire aux parents, je le leur dis régulièrement, nous résolvons de mieux en mieux ces problèmes de remplacement car à force de créer des postes eh bien nous reconstituons les viviers de remplacement aussi…
PATRICK COHEN
Ce n'est pas le sentiment de beaucoup de parents, j'imagine que vous avez des retours là-dessus de terrain qui sont …?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et pourtant, je vais vous dire, prenons la Seine Saint-Denis, prenons des exemples précis, puisque c'est notamment en Seine Saint-Denis que les parents se sont exprimés sur ce sujet, vous prenez il y a à peine deux, trois ans en arrière, les problèmes de remplacement se faisaient sentir dès le mois d'octobre qui suivait le mois de septembre, la rentrée scolaire, c'est-à-dire dès les premiers absences eh bien ça y est on ne trouvait personne dans le vivier de remplacement. Si vous prenez cette année le moment où ces problèmes ce sont fait sentir et se sont exprimés, on était au mois de février de mémoire. Donc vous voyez bien que ça veut dire que la situation s'améliore ; ça veut dire qu'on a réussi à résoudre les absences des mois d'octobre, novembre, décembre, janvier, et que c'est à partir de févier que ça a commencé à coincer. Donc oui les choses vont de mieux en mieux. Et à la rentrée prochaine, dans le premier degré, en primaire, nous allons mettre près de 4000 nouveaux postes dans les fameuses créations que j'évoquais, alors même que pour une fois nous avons une démographie à la baisse à la rentrée prochaine, eh bien cela va faire du personnel en plus pour reconstituer les viviers de remplacement, donc ça ira mieux à la rentrée prochaine aussi.
PATRICK COHEN
Démographie à la baisse, mais enfin globalement sur les dix dernières années, vous le savez, 260 000 enfants supplémentaires scolarisés ça crée des tensions dans de nombreux endroits. Vous avez réussi à caser un « ça va mieux », vous avez une partie de votre contrat rempli, c'est la campagne qui est lancée.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, ce n'était pas l'objectif, mais cette question de la démographie, si vous me permettez juste une seconde, elle est très importante parce qu'il faut avoir conscience qu'en effet ces dernières années la démographie scolaire n'a cessé d'augmenter, ce qui rend encore plus absurdes les décisions prises avant 2012 de supprimer des postes de professeurs, puisque concrètement avant 2012 quelle était la situation ? A chaque fois qu'on avait 8 élèves de plus qui arrivaient à l'école on avait un professeur qui disparaissait. Enfin vraiment quand on y repense je trouve ça d'une ineptie terrible. Et aujourd'hui la création de postes, les fameux 60 000, ça aboutit à ce que par exemple à la rentrée 2016, pour être plus exact la démographie sera stable, c'est à la rentrée 2017 qu'elle sera vraiment à la baisse, à la rentrée 2016 nous en serons à 1 création de poste pour 5 élèves supplémentaires. C'est ça qui nous donne les moyens de recréer des viviers de remplacement, ou faire plus de maitres que de classes, ou d'autres diapositifs.
PATRICK COHEN
Tout à l'heure avec les auditeurs de France Inter, avec les messages que nous recevons, on reviendra sur la réforme du collège qui doit être appliquée à la rentrée prochaine et qui suscite encore beaucoup de protestations et de remous dans le corps enseignant.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Comme toutes les réformes.
PATRICK COHEN
Oui. Mais il y a des exemples concrets qui sont là. Je voudrais qu'on revienne en quelques mots sur ce séminaire anti raciste qui s'est tenu à Paris 8 « paroles non-blanches » que vous avez fustigé à l'Assemblée nationale en réponse à une question, vous accusez – si j'ai bien compris- vous accusez de racisme ces militants qui se revendiquent de l'anti racisme ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je les ai fustigés en effet à l'Assemblée nationale parce que cet évènement et l'affichage qui a été le sien en effet ne me convient pas à titre personnel, et je comprends qu'il choque. Cet évènement, les organisateurs disent l'avoir voulu pour lutter contre le racisme, mais en réalité bien loin de cet objectif poursuivi on voit bien qu'il conforte une vision racisée de la société, puisque par définition il fait le tri entre le bon grain et l'ivraie, en l'occurrence il dit « n'ont le droit de s'exprimer que tel type de personne à la peau non blanche et pas les autres ». C'est incroyable ! Comme si le fait d'être de peau blanche vous vous préservez du racisme ou faisiez que vous n'étiez pas légitime pour en parler. C'est l'exact inverse de ce que je défends moi, c'est-à-dire l'universalité des valeurs. Il faut qu'on soit capable les uns et les autres de défendre finalement des causes sans forcément qu'elles nous affectent à titre personnel. Moi quand je me bats par exemple pour défendre les droits des personnes homosexuelles, pour lutter contre l'homophobie, je ne suis pas directement concernée par le sujet, mais je le fais au nom des valeurs, au nom de l'égalité, au nom de la liberté d'être ce qu'on veut être. Et donc c'est vrai ce type d'évènement s'oppose absolument à la façon dont je perçois les valeurs de la République.
PATRICK COHEN
Vous avez prononcé le mot « universalité », universalisme c'est une valeur forte.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui absolument.
PATRICK COHEN
Le différentialisme, à l'inverse, il gagne du terrain dans les têtes, dans le débat public aujourd'hui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, je le crains, je le crains. Il gagne des points à la fois dans le débat politique, dans certains propos qui peuvent être tenus par les responsables politiques…
PATRICK COHEN
Y compris à gauche ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moins, honnêtement moins, enfin, en tout cas je n'ai pas d'exemple précis mais peut-être allez-vous m'en donner, je pense que ce n'est pas l'apanage en effet…
PATRICK COHEN
Un député socialiste Pascal CHERKI, pour ne pas le citer, pour le citer plus exactement, défendant par un tweet l'initiative de Paris 8.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'accord. Bon ben voilà désaccord avec lui évidemment sur ce sujet, mais le différentialisme surtout on voit bien qu'il gagne du terrain sur les réseaux sociaux, or c'est là que nos jeunes vont s'informer ; moi c'est ce qui m'intéresse le plus aujourd'hui, au fond il y a cette idée que ce serait beaucoup plus exigent intellectuellement de se différencier, de chercher – c'est la concurrence des mémoires, la concurrence victimaire – de chercher ce qui nous distingue des autres pour être encore plus fort dans notre combat, etc, mais c'est faire fausse route que de suivre cette idée là, au contraire ce qui est beaucoup plus exigent c'est l'universalisme, c'est de voir ce qui nous rassemble dans les combats en question et ce qui fait qu'on peut se battre au nom des autres tout autant qu'en son nom à soi. Et donc moi j'aimerais en effet dans le débat public qu'on porte davantage ce propos.
PATRICK COHEN
Najat VALLAUD-BELKACEM avec nous jusqu'à 9h ; Vous restez pour les questions des auditeurs.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 mai 2016