Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, sur le résistant Missak Manouchian, à Paris le 11 mai 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Hommage aux étrangers engagés dans la Résistance avec la communauté arménienne devant le buste du résistant Missak Manouchian, à Paris le 11 mai 2016

Texte intégral

Monsieur le consul d'Arménie,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Député, cher Patrick,
Monsieur le conseiller départemental,
Monsieur l'adjoint au maire, Monsieur Didier Parakian,
Monsieur le Directeur départemental de l'Office National des Anciens Combattants et des Victimes de guerre,
Monsieur le gouverneur militaire, mon général,
Monsieur le président du Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France,
Monsieur le président de l'Association des Anciens Combattants de la Résistance,
Madame et Messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames et messieurs,
Nous célébrons, à travers Missak Manouchian, l'engagement de milliers d'étrangers dans la Résistance. En 1939, la France compte près de 2,2 millions d'étrangers, dont beaucoup sont des réfugiés politiques et économiques. Des Allemands et des Autrichiens, notamment, ressortissants juifs qui avaient fui le nazisme ; des Républicains espagnols qui fuyaient le franquisme ; des Arméniens, enfin, rescapés du génocide de 1915. Tous ces étrangers admiraient la France et les valeurs démocratiques qu'elle incarnait dans une Europe de plus en plus dominée par les fascismes.
Il faut rechercher dans la générosité de la France, la raison pour laquelle tant d'étrangers se battirent contre les nazis au sein de la Résistance : il s'agissait non seulement de défendre leur patrie d'adoption, mais encore la nation qui incarnait des valeurs universelles alors menacées de mort par les totalitarismes. Pour tous ces étrangers, la libération de la France était le prélude nécessaire à la libération de l'Europe.
Parmi les grandes figures de cet engagement figure sans nul doute le « groupe Manouchian ». Missak Manouchian est né dans une famille de paysans arméniens. Son père trouve la mort lors du génocide et sa mère succombe à la famine.
En 1925, Missak et son frère Karabet débarquent à Marseille. Missak s'intègre peu à peu dans la communauté nationale. Il traduit en arménien Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et s'inscrit à la Sorbonne. Son parcours intellectuel est un modèle d'intégration.
En 1934, Missak Manouchian adhère au parti communiste ainsi qu'au Comité de secours pour l'Arménie. Sans jamais renier son engagement, après avoir été volontaire durant la guerre de 1939-1940, Missak Manouchian rejoint la Résistance suite à l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie, le 22 juin 1941. Affecté dans les FTP-MOI, groupe des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée de Paris, il mène de nombreuses actions résistantes et devient un cadre du mouvement.
Au matin du 16 novembre 1943, Missak Manouchian, ainsi que 23 de ses camarades, sont arrêtés et livrés aux Allemands. La propagande nazie placarde alors 15 000 exemplaires de la célèbre « Affiche rouge ». Cette Affiche, créée pour semer la terreur, déclenche tout au contraire un mouvement de sympathie.
Missak Manouchian, quelques heures avant d'être fusillé au Mont-Valérien, écrivit dans une dernière lettre à sa femme, le 21 février 1944 : « Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait mal à personne et, si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. » Il refusa de se bander les yeux pour affronter la mort en face.
L'exemple du « groupe Manouchian » nous oblige.
Le Président de la République, en déplacement au Mont-Valérien pour commémorer le 70ème anniversaire de l'exécution du « groupe Manouchian », rappela que ces résistants étrangers furent « l'honneur de la France » car ils s'étaient « battus pour elle, pour ses valeurs, pour sa liberté ».
L'histoire du « groupe Manouchian » s'inscrit dans les étroites relations qui ont uni la France et l'Arménie au cours d'un XXème siècle qui commença par un génocide. Des milliers d'Arméniens, qui avaient fui l'agonie et l'anéantissement, trouvèrent refuge en France, en partie à Marseille, qui leur offrit aide et secours.
La France continue d'honorer la mémoire du génocide arménien et de faire en sorte que jamais elle ne s'oublie ou ne soit combattue par les mensonges et les falsifications historiques.
C'est pourquoi je me suis rendu, le 24 avril 2015, avec le Président de la République, à Erevan, pour commémorer le centenaire du génocide. Le Président réaffirma alors sa volonté de ne jamais oublier cette tragédie.
Lors de mon déplacement à Vaulx-en-Velin comme lors de mon déplacement en Arménie, j'ai mesuré la puissance de cette mémoire et réalisé combien elle constituait votre identité. Je veux remercier toutes celles et tous ceux qui la font vivre.
Je suis très attaché à la transmission de cette mémoire. C'est pourquoi je rencontre régulièrement des membres de la communauté arménienne et les félicite pour leur travail de mémoire, comme à l'occasion du Dîner du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France auquel j'ai assisté ces deux dernières années.
Mesdames et messieurs, la mémoire du « groupe Manouchian » n'est pas que celle d'un groupe résistant ; elle est celle des milliers d'Arméniens, des milliers d'étrangers, qui prirent les armes pour défendre un pays dans lequel ils n'étaient pas nés, parce que ce pays, la France, incarnait pour ces hommes et ces femmes la liberté sur terre, le pays des valeurs universelles sans lesquelles l'humanité ne pourrait continuer d'espérer en son avenir.
En évoquant la mémoire du « groupe Manouchian », il me vient à l'esprit ces vers d'Aragon, tirés des « Strophes pour se souvenir ». Ce poème rend un hommage admirable aux martyrs de l'Affiche Rouge. Permettez-moi de citer ce passage :
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant. »
Je vous remercie.
Source : http://www.defense.gouv.fr, le 27 mai 2016