Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Ce matin, j'ai réuni 28 ministres et représentants d'organisations internationales avec un ordre du jour consacré au conflit israélo-palestinien.
La France travaille à cette conférence depuis déjà plusieurs mois.
Je me suis rendu en Israël et en Palestine. Mon envoyé spécial, Pierre Vimont, a également fait un travail très intense auprès de tous les partenaires mais aussi auprès des parties elles-mêmes.
C'est donc une large mobilisation qui s'est produite et qui montre une chose : alors que le Moyen-Orient est le théâtre de nombreux conflits, alors que le terrorisme menace les populations de la région, le conflit israélo-palestinien reste au coeur de nos préoccupations.
Plus que jamais, nous sommes mobilisés pour trouver une solution à ce conflit et redonner une chance à la paix.
La réunion a permis de revenir sur les différents efforts en cours.
Chacun a salué l'engagement du secrétaire d'État américain, John Kerry, qui a fait la navette des mois durant auprès des Israéliens et des Palestiniens, chacun a salué les efforts du Quartet qui doit publier son rapport très prochainement, mais aussi la disponibilité des grands partenaires arabes à travers l'initiative arabe de paix qui a été saluée par tous les participants.
Chacun en convient aussi : toute bonne volonté est bienvenue. C'est ce qui explique d'ailleurs le nombre de pays et organisations présents aujourd'hui. Nous aurions pu être plus nombreux aussi.
Nous avons donc passé en revue la situation et examiné ce qui pouvait être fait à partir de cette mobilisation internationale qui n'a cessé de progresser au fil de ces derniers mois de travail que je viens d'évoquer il y a quelques instants.
Un communiqué, adopté par tous les participants, sera d'ailleurs publié à la fin de cette conférence de presse.
Trois grands messages se dégagent des travaux d'aujourd'hui.
Le premier message, et c'était le constat dominant de tous les participants, c'est que la solution des deux États est en grave danger.
Nous approchons d'un point de non-retour au-delà duquel cette solution ne sera plus possible.
Il faut donc absolument tout faire pour préserver cette perspective, mais pour cela, il faut la réanimer avant qu'il ne soit trop tard.
Car oui, la perspective de voir deux États, israélien et palestinien, vivre côte à côte, en paix et en sécurité, s'éloigne chaque jour.
Elle s'éloigne avec la progression constante de la colonisation ; elle s'éloigne aussi dans les esprits et dans les coeurs, par la méfiance, par l'incitation à la violence et par le fanatisme.
Et chacun connaît les risques de cette impasse : il y a eu trois guerres en six ans à Gaza et aujourd'hui les violences sont quotidiennes.
Il est donc essentiel d'agir en urgence pour préserver la solution des deux États.
Les parties doivent démontrer leur attachement à cette solution. Elles doivent prendre toutes leurs responsabilités.
Le deuxième message de cette réunion, c'est qu'au vu de l'absence de toute négociation depuis des années, au vu de la distance croissante entre les parties, il est urgent de recréer les conditions, de recréer la confiance pour qu'Israéliens et Palestiniens se parlent à nouveau vraiment et reviennent à la table des négociations.
Soyons clairs : eux seuls pourront faire la paix, personne d'autre ne pourra la faire à leur place, mais nous pouvons les y aider.
Ni la France ni les autres participants à la réunion d'aujourd'hui n'ont pour objectif de se substituer aux parties et ne veulent prendre la place des négociations directes, d'imposer telle ou telle option.
Mais faire le voeu de négociations directes, le proclamer chaque jour, ne suffit pas : il faut aussi que ces négociations puissent se tenir.
Le troisième message, notre conclusion, c'est que justement nous pouvons, tous ensemble, y contribuer.
Nous pouvons proposer un cadre et des soutiens qui permettront, le moment venu, la tenue de négociations directes entre Israël et la Palestine.
J'ai donc proposé à tous nos partenaires de lancer un travail sur les incitations et les garanties qui pourront être présentées aux parties :
- en matière économique, où l'Union européenne, principal partenaire commercial d'Israël, a par exemple beaucoup à apporter ;
- en matière de coopération et de sécurité régionales, sujet sur lequel la Ligue arabe et les acteurs de la région sont très impliqués ;
- en matière de renforcement des capacités du futur État palestinien.
Voilà des thèmes essentiels sur lesquels nous pouvons travailler. Il ne s'agit pas de forcer les parties à négocier, mais nous ne sommes pas condamnés à ne rien faire. Nous ne sommes-pas condamnés à nous croiser les bras. Nous ne sommes pas condamnés à être des observateurs ou, simplement, à exprimer des regrets.
Nous ne voulons pas nous résigner à l'érosion de la solution des deux États. C'est pour cela que nous étions là ce matin. C'est pour cela que beaucoup ont voulu répondre présent, et d'autres étaient prêts à le faire aussi. Chacun mesure les conséquences gravissimes que cela aurait pour les populations et pour la région toute entière.
Aujourd'hui, nous disons le contraire de la résignation. Nous faisons le choix de combattre la méfiance, de combattre le fatalisme. Aujourd'hui, nous faisons le choix de faire à nouveau bouger les lignes. Aujourd'hui, nous faisons le choix de l'espoir là où il n'y a parfois que soupçon et dépit.
Nombre de nos partenaires sont prêts à contribuer à ce travail.
J'ai promis que ces travaux commenceraient avant la fin du mois.
Toutes les idées, toutes les volontés sont bienvenues.
Notre objectif est d'agréger les efforts des uns et des autres, d'aboutir à un paquet global d'incitations et de garanties, afin de le présenter aux Israéliens et aux Palestiniens lors d'une conférence internationale qui se tiendra d'ici la fin de l'année.
Nous avons longuement discuté du cadre dans lequel les négociations que nous espérons voir reprendre devraient avoir lieu. Pour la France, ce cadre est clair : ce sont les décisions qui ont été prises par la communauté internationale, c'est-à-dire les résolutions 242 et 338 et les autres résolutions pertinentes du conseil de sécurité, les principes de Madrid, l'initiative arabe de paix, et la feuille de route du Quartet. Il nous paraît également essentiel qu'il y ait un calendrier clair, car le temps joue contre nous et chaque jour perdu nous éloigne de la solution des deux États. Cette nécessité d'un cadre et d'un calendrier clairs, c'est un constat que beaucoup d'entre nous partagent, et certains l'ont porté avec vigueur ce matin.
D'ici la conférence internationale, nous allons poursuivre bien sûr nos consultations avec tous les partenaires, tous ceux qui sont intéressés, tous ceux qui sont présents et les autres aussi et, bien évidemment, avec les parties.
J'ai prévu de m'entretenir très rapidement avec le Premier ministre israélien et le président palestinien pour leur faire part du contenu de nos travaux, de nos conclusions et de notre souhait de travailler étroitement avec eux pour les prochaines étapes.
La France se propose de coordonner les efforts qui nous permettront de présenter aux parties une contribution collective de la communauté internationale pour la reprise des négociations.
Voilà, Mesdames et Messieurs, notre espoir ; notre objectif est que cette conférence puisse marquer un nouveau départ, un premier pas vers un dialogue renouvelé entre Israéliens et Palestiniens, la relance d'une dynamique de paix.
Aujourd'hui, nous étions 29 pays et organisations internationales. Nous avons fait le choix de tendre la main aux Israéliens, de tendre la main aux Palestiniens. Nous espérons qu'ils la saisiront. Nous ferons tout pour qu'ils la saisissent, car c'est la paix qui est en jeu, la paix pour eux, la paix pour nous.
S'il y a quelques questions, je suis prêt à y répondre.
Q - Dans le communiqué final que nous n'avons pas eu encore, y a-t-il une référence claire à l'arrêt de la colonisation israélienne ?
R - Oui, bien sûr, la colonisation a été évoquée.
Q - Les pays arabes, dont l'Arabie saoudite, sont-ils prêts à remettre sur la table l'initiative de paix de 2002 ?
R - Bien sûr, elle a été évoquée à travers beaucoup d'interventions. Je dirais presque, sans exagérer, que tous y font référence ; en tout cas, tous l'ont en tête. Elle était au coeur de nos échanges et j'ai d'ailleurs noté qu'elle avait été évoquée par le ministre israélien. Partout, il y a un petit espoir et il faut le chercher et l'encourager.
Q - Quelle est votre réaction concernant les déclarations israéliennes qui mettent en doute l'impartialité française, tout en brandissant le vote de la France en avril sur un texte qui appelle à la sauvegarde du patrimoine culturel palestinien à Jérusalem-est ?
R - En aucun cas nous ne voulons entrer dans des échanges qui pourraient conduire à des polémiques. Ce que nous voulons, c'est trouver le chemin qui nous conduira à la solution. La France, je l'ai dit, est totalement désintéressée et sincère dans cette démarche. La dernière réunion internationale a eu lieu il y a neuf ans. Il y a eu les tentatives sincères de John Kerry que j'ai saluées. Nous sommes dans une impasse. La France prend cette initiative, elle sait que c'est difficile, elle sait que cela peut soulever des interrogations, des désaccords de méthode, du scepticisme, certains doutaient même que cette réunion aurait lieu.
Elle a eu lieu, elle a lieu. C'est un fait politique, c'est une étape ; ce n'est pas la fin, c'est le début. Je crois donc qu'il faut surtout regarder ce qui sera utile et se garder de tout le reste qui n'est pas nécessaire.
Q - La notion d'un calendrier est-elle bien évoquée dans cette décision finale ?
R - Elle est évoquée par moi puisque, je viens de vous le dire, le communiqué ne prend pas tous les aspects de nos travaux, mais les travaux, les échanges de ce matin, ont bien entendu évoqué la question du calendrier.
Q - Je voudrais poser cette question pertinente : dans l'hypothèse de l'aboutissement à une impasse, prévoyez-vous de reconnaître unilatéralement un État palestinien indépendant ?
R - Monsieur, la question que vous posez s'adresse à la France. Sur ce sujet, il y a eu beaucoup de mauvaises interprétations, du moins des interprétations erronées, non pertinentes si vous le permettez. La question n'est pas de savoir ce que pense la France elle-même, la question, c'est de savoir ce qui est utile pour relancer le processus de paix. La France ne répond pas à cette question comme une sorte de préalable, comme une condition ni comme je ne sais quoi. La France veut aider, par une initiative, à recréer un climat et un cadre favorable pour que ce qui est éteint depuis maintenant de nombreuses années, puisse renaître à nouveau : c'est-à-dire l'état d'esprit qui permettra de créer les conditions d'une négociation entre Israéliens et Palestiniens, pour que la perspective des deux États ne soit pas oubliée.
La seule réponse à votre question, c'est que cela soit porté par la communauté internationale. La France a travaillé essentiellement sur cet objectif depuis plusieurs mois - et c'était d'ailleurs au moment où j'ai pris mes fonctions.
La première étape était de tenir cette réunion, cette première étape est remplie et, pour le reste, je continue de me battre. La France continuera à se battre et elle n'est pas seule, c'est ce que cette réunion permet de constater. Je ne parie pas sur un échec, je parie pour que le bon sens et l'esprit de responsabilité l'emportent, c'est-à-dire celui qui nous conduira à la paix.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué des garanties de sécurité, des garanties sur le plan régional, des incitations économiques etc. Pourriez-vous détailler un peu plus afin que l'on comprenne de quoi il s'agit réellement ? De plus, ces garanties sont-elles des préalables que vous offririez aux deux parties, ou ce sont des choses qui arriveraient après la conclusion de la paix ?
R - Non, c'est tout ce qui peut aider à reprendre les négociations dans un esprit de confiance. La question de la sécurité est essentielle pour les deux pays : pour Israël et le futur État palestinien. Nous allons donc travailler concrètement, avec des propositions. D'ailleurs, les pays de la région, je pense notamment à l'Égypte, sont prêts à jouer un rôle essentiel sur cette question.
Concernant la dimension économique du développement, j'ai mentionné dans mon propos, il y a quelques instants, que le partenaire essentiel d'Israël était l'Union européenne. Ce que nous voulons préparer, c'est que l'Union européenne fasse la même chose pour le futur État palestinien. Il faut donc y travailler maintenant. Ce sont des choses concrètes qui sont de nature à créer de la confiance, ce ne sont pas simplement des propos généraux.
Ce que nous voudrions faire dans les prochaines semaines, avec tous ceux qui sont volontaires - et tous ceux qui étaient autour de la table le sont - c'est travailler thème par thème.
Sur le plan de la méthode, je vais donc écrire à chacun des participants pour leur expliquer comment nous allons avancer.
Q - Monsieur le Ministre, c'est la première fois qu'on entend parler, que l'on voit une corrélation entre le terrorisme et le problème israélo-palestinien, on a cité le président dans son allocution ce matin. Est-ce une nouvelle découverte ?
R - Ce n'est pas une nouvelle découverte. Ce que vous pouvez constater comme moi, c'est que le contexte ne cesse d'évoluer. Aujourd'hui, la situation sur le terrain, au Proche-Orient, en Israël et en Palestine, est dans un contexte historique qui s'est profondément dégradé. Il y a eu l'intervention en Irak et ses conséquences, la guerre en Syrie qui dure depuis cinq ans, qui fait des centaines de milliers de morts, qui provoque des réfugiés en masse, réfugiés qui d'ailleurs sont installés aux frontières, notamment au Liban, en Jordanie, en Turquie et aussi en Europe et dans d'autres pays de la région.
Et puis, il y a maintenant une menace qui concerne tout le monde, qui est Daech, qui est l'État islamique, qui s'ajoute à la menace d'al-Qaïda. Cette menace est réelle, dans la région d'abord, au Moyen-Orient, et elle a un impact sur toute la région. Elle a un impact évidemment sur l'Europe, elle n'a pas disparu. Même lorsque l'on fait reculer l'État islamique, que l'on fait reculer Daech, il peut se redéployer, y compris en Libye, y compris en Europe, en organisant des attentats.
Daech mène aussi une action de propagande qui, aujourd'hui, se déploie dans les Territoires palestiniens, dans les camps palestiniens, vous le savez.
Cela, c'est un contexte extrêmement dangereux pour tout le monde. Donc chacun l'a en tête, chacun sait où est la menace et je pense que cela a contribué aussi à la prise de conscience qu'une initiative politique de reprise de pourparlers de paix pour relancer la perspective, qui redonnerait de l'espoir, de deux États. Eh bien je crois que ce contexte a énormément joué parce que chacun mesure la gravité de la situation.
On ne peut pas laisser les choses en l'état. On ne peut pas les laisser se dégrader encore davantage. Il fallait un sursaut, il fallait une initiative. Maintenant, je dirais que les difficultés sont encore devant nous. Je ne les sous-estime pas mais cette étape est une étape positive et je m'en félicite. Je remercie tous ceux qui, quelle que soit leur approche, quelle que soit leur histoire, quelles que soient leurs sensibilités à cette difficile question, ont décidé de venir ; c'est cela qui est important.
Le message que nous adressons, celui de la communauté internationale, c'est un message de mobilisation que nous adressons à tout le Moyen-Orient, mais que nous adressons aussi au peuple israélien et au peuple palestinien.
Donc maintenant ce message, c'est aussi un devoir ; il nous oblige et nous allons essayer de continuer à travailler avec un esprit de responsabilité et de détermination. Je suis convaincu que cette étape sera utile pour la suite.
Merci beaucoup, Mesdames et Messieurs.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 2016