Déclaration de M. Emmanuel Macron, ministre de de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur la figure de Jeanne d'Arc et sa capacité de rassembler, Orléans le 8 mai 2016.

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Circonstance : Visite à Orléans pour célébrer Jeanne d'Arc, le 8 mai 2016

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers amis d'Orléans,
Rare est pour moi l'occasion de m'exprimer devant autant de Français. Votre invitation m'en offre l'opportunité et je veux vous en remercier.
Je veux vous dire l'immense plaisir qui est le mien de participer à cette belle fête populaire qui célèbre avant tout l'histoire même de notre pays. Car pendant trop longtemps, certains ont pensé que l'histoire était achevée, que l'Europe avait éradiqué de son territoire toute forme de conflit, que le cours du monde allait diluer les identités, les idéologies comme les religions. Certains y ont même vu une forme d'aboutissement. Mais ils s'étaient trompés, car l'histoire, chaque jour, avec constance, parfois avec acharnement, vient frapper à notre porte. Elle charrie son lot de bouleversements ou de drames : la guerre, le terrorisme, les réfugiés ; son lot de défis : la grande transformation numérique, le réchauffement climatique, la transition énergétique ; son lot de doutes : le sens du projet républicain, la possibilité même du progrès pour tous, la force de notre rêve européen.
Demain, le 9 mai, sera le jour de l'Europe et, en Europe comme en France, la tentation de céder aux facilités contemporaines, le risque de dislocation sont là. La Grande-Bretagne pourrait décider de quitter l'Europe alors que toute son histoire l'y inscrit, parce que d'aucuns seraient prêts à oublier la construction inédite de paix et de liberté qu'est notre continent.
Aujourd'hui, la France et l'Europe sont bel et bien plongées dans l'histoire. Notre temps n'est pas celui de la quiétude et de l'insouciance. Il ne doit pas non plus être celui du cynisme ou du défaitisme. Nous devons nous confronter à aux défis qui sont les nôtres sans rien céder à la peur et nous devons le faire en sachant qui nous sommes et d'où nous venons. Car le passé, toujours, brûle notre époque et le présent est gros de ce qui a été. Et dans notre passé, il est des traces vibrantes qui doivent nous éclairer, nous aider à retrouver le fil de cette histoire millénaire qui tient notre peuple debout. Or, Jeanne d'Arc appartient à cette histoire, à notre histoire.
Jeanne d'Arc, c'est comme l'écrivait MICHELET une « vivante énigme ». Nul ne détient la vérité sur elle, sur sa vie, sur sa mémoire. Nul ne peut l'enfermer ; tant l'ont pourtant convoquée ou récupérée. Ils l'ont trahie en ne la méritant pas. Ils l'ont trahie en la confisquant au profit de la division nationale. Manipulation des uns, mais aussi faiblesse des autres, car Jeanne d'Arc, comme nos autres grandes figures, comme notre hymne national, comme notre drapeau, ce sont nos héritages, notre histoire commune, ce qui nous a faits et nous tient ensemble. Les grandes figures de l'histoire ne nous parlent pas. Elles n'ont jamais cherché à nous envoyer un message. Nous seuls les faisons parler, nous seuls construisons leur légende et nous appuyons sur elles pour mieux nous comprendre. Il n'y a pas non plus d'hommes ou de femmes providentiels ; je n'y crois pas. Il n'y a que l'énergie du peuple et le courage de celles et ceux qui se jettent dans l'action.
J'aime, je l'avoue, que Jeanne soit une femme et une femme en devenir qui n'avait rien fait avant de se lancer dans l'incroyable aventure. J'ai souvent imaginé, sans doute comme vous, les scènes que racontaient nos livres d'histoire : Jeanne devant le roi, devant les grands capitaines, au milieu de son armée, Jeanne meurtrie, Jeanne blessée, mais n'abandonnant rien, donnant un irremplaçable témoignage de ce que peut la jeunesse du monde lorsqu'elle s'appuie sur la volonté bonne. On l'a brûlée d'abord, canonisée ensuite, avec les mêmes remords que le soldat anglais qui s'écriait devant le bûcher « vraiment, nous avons brûlé une sainte ». Mais ces remords sont, au fond, bien peu de choses au regard des leçons que nous pouvons tirer de la vie de Jeanne d'Arc.
La vie de Jeanne, c'est avant tout la puissance d'un destin qui démontre que l'ordre des choses ne tient pas si cet ordre est injuste. Jeanne voit le jour dans un univers chaotique à Domrémy, un village situé aux marges de la Champagne, du Barrois et de la Lorraine, une terre encerclée par les forêts qui n'a cessé de voir couler le sang de la guerre.
Au commencement, Jeanne est un sujet comme les autres ; elle se fond dans la multitude, dans cette masse d'anonymes, paysans et travailleurs qui se battent pour vivre et survivre. Mais elle sent déjà en elle, dès l'enfance, une liberté qui sommeille, un désir irrépressible de justice. Elle sait qu'elle n'est pas née pour vivre, mais pour tenter l'impossible.
Comme une flèche, sa trajectoire est nette. Jeanne fend le système, elle brusque l'injustice qui devait l'enfermer ; Jeanne est bergère, mais elle se fraie un chemin jusqu'au roi. Jeanne est une femme, mais elle prend la tête d'un groupe armé et s'oppose aux chefs de guerre ; Jeanne n'est personne, mais elle porte sur ses épaules la volonté de progrès et de justice de tout un peuple. Elle était un rêve fou, elle s'impose comme une évidence.
La deuxième leçon de Jeanne d'Arc, c'est celle de l'énergie du peuple ; en 1429, Jeanne n'a que 17 ans, le royaume se délite, l'armée de France est humiliée, la catastrophe encercle la cité fortifiée. Si Orléans tombe aux mains des Anglais, alors s'ouvriront les portes du sud ; le fleuve royal changera de couleur ; le dauphin Charles sera à portée de main de ses ennemis.
A la fin du mois d'avril, Jeanne atteint Orléans ; son arrivée suscite l'espérance, son énergie galvanise, elle redonne de la volonté, du souffle à la résistance des troupes françaises, chez les habitants, dans les conseils de guerre, sur le champ de bataille, que Jeanne parcourt en tous sens en libérant l'énergie de tous. Et Jeanne libère Orléans. Le 8 mai, le siège est levé et la ville délivrée. Le 8 mai 1945, comme en écho, le pays sera libéré du joug de l'occupant, parce que le Général de GAULLE et quelques-uns avaient tôt cru que l'énergie du peuple valait mieux que la défaite et la soumission.
Cette même énergie, je la sens, là, parmi vous, aujourd'hui. Et au fond, que nous dit l'aventure de Jeanne ? Que l'on ne peut rien réussir seul, qu'il ne suffit ni d'être aimé des gens ni de les aimer, mais qu'il faut leur faire confiance, croire dans les initiatives individuelles, dans le courage, dans le risque pris, dans notre jeunesse, dans chacun d'entre nous car l'énergie française, cette énergie de tous, c'est celle qui permet le sursaut aux moments les plus sombres.
La troisième leçon de Jeanne, c'est celle du rassemblement et de l'unité de la France. Jeanne naît dans une France déchirée, coupée en deux, agitée par une guerre sans fin qui l'oppose au royaume d'Angleterre. Elle a su rassembler la France pour la défendre dans un mouvement que rien n'imposait ; tant d'autres s'étaient habitués à cette guerre qu'ils avaient toujours connue. Elle a rassemblé des soldats de toutes origines et alors même que la France n'y croyait pas, se divisait contre elle-même, Jeanne a eu l'intuition de son unité, de son rassemblement. Et c'est cette même unité qui tiendra ensemble les soldats de Valmy, les Poilus et les Résistants, les Spahis, les tirailleurs sénégalais, nos soldats aujourd'hui qui combattent les intolérants, tous les visages anonymes qui, siècle après siècle, ont défendu la France et ses valeurs, l'intégrité de son territoire et la force de sa promesse partout dans le monde.
Au fond, Jeanne nous invite à regarder la France qui doute, celle du petit royaume de Bourges de 1429, celle de Londres de 1940 et peut-être notre France aujourd'hui qui veut renouer le fil de sa longue histoire. Car la France réussira si elle parvient à réconcilier les France  celle qui aime le cours du monde et celle qui le craint, celle qui croit en elle et celle qui doute. Il ne s'agit pas de forger une unité factice qui nierait nos différences. Mais une réconciliation qui trace un chemin qui nous est commun pour que la France continue d'embrasser son destin.
Monsieur le Maire, cher Olivier CARRÉ, je veux vous remercier sincèrement pour votre invitation. Nous n'appartenons pas au même bord politique, paraît-il ; notre vision de la France nous oppose-t-elle pour autant ? Je ne le crois pas. Nous croyons dans la France, dans sa force, dans l'esprit de justice et de progrès ; nous savons qu'à certains moments de l'histoire, il faut savoir rassembler les énergies autour d'un même projet, d'une même ambition, de mêmes valeurs. C'est là l'essentiel. Au fond, nous savons tous ici pourquoi nous aimons la France. Parce qu'à chaque fois que d'aucuns la croyaient prisonnière de la catastrophe, elle a su se redresser. Parce que c'est dans notre histoire que s'enracine l'espoir : l'espoir qui pousse à agir ; l'espoir qui anime l'entrepreneur qui ne possède rien et qui se bat pour construire ; l'espoir qui incite une famille d'immigrés à se défaire de tout pour venir s'installer chez nous, apprendre notre langue, comprendre notre histoire et faire corps avec la Nation ; l'espoir d'un jeune, persuadé que par son travail et sa persévérance, il pourra tout réaliser ; l'espoir qui permet à la force des humbles de triompher du cynisme de ceux qui font tout pour maintenir l'ordre établi ; l'espoir qui conduit Jeanne à se présenter devant le roi pour vouloir sauver la France.
Et au fond, qu'est-ce qui fait que ce 8 mai à Orléans est si singulier ? Qu'est-ce qui fait que chaque année, ici, pour fêter cette jeune femme morte sur le bûcher en 1431, un cortège d'autorités et près de 60.000 personnes se retrouvent chaque année ? Nous sommes là parce que nous sommes fidèles à notre histoire, fidèles à cet espoir. Le désir de justice, l'énergie du peuple, la volonté de rassemblement, le triptyque de Jeanne d'Arc, c'est celui qui scelle notre République. Ce fil qui nous relie à Jeanne, en passant par MICHELET, JAURES, GAMBETTA ou PEGUY, c'est celui de l'esprit républicain. Car notre République ne commence pas avec la République ; elle commence bien avant ; elle s'ancre dans cette histoire millénaire avec laquelle nous devons savoir renouer, du sacre de Reims à la fête de la Fédération, comme le disait Marc BLOCH. Ainsi, Jeanne d'Arc est beaucoup plus qu'elle-même ou que son époque. Elle contribue à forger cette identité française. Cette identité, c'est une langue, c'est un territoire, c'est une Nation, c'est aussi le fruit de notre passé, car elle est faite de celui-ci mais ce n'est pas non plus une identité fixe ou fermée, car elle s'accomplit dans la France, elle s'accomplit dans l'Europe. C'est un projet sans cesse recommencé auquel il convient de rendre ses devoirs avant de lui demander ses droits. C'est un projet ouvert, qui a toujours su accueillir l'autre et les plus faibles dont Jeanne d'Arc faisait partie. C'est un projet fou, au fond, forgé sur une culture et recherchant l'universel, exigeant, et généreux. C'est cela notre identité. Ce n'est rien d'autre. C'est cela notre espoir au fond. Cela n'a rien d'évident, mais c'est nous, et cette histoire continuera de vivre ici, à Orléans. C'est cette histoire qui a fait vivre Charles PEGUY, qui a fait vivre Jean ZAY, deux Orléanais happés par la guerre, frappés par l'injustice, portés par le courage.
« Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête : voilà l'exemple dont les peuples ont besoin et la lumière qui les électrise. » HUGO a là tout dit. Voilà pourquoi les Français ont besoin de Jeanne d'Arc, car elle nous dit que le destin n'est pas écrit, que nous n'avons pas à subir. Ne jamais subir, peser sur le destin du monde, c'est ce qui fait que les Français sont eux-mêmes et que la France restera elle-même.
Vive Orléans,
Vive la République,
Vive la France !
Source http://www.economie.gouv.fr, le 9 mai 2016