Texte intégral
Permettez-moi tout d'abord de saluer l'initiative du CESE qui s'engage, par la signature de cette convention, à promouvoir une communication sans stéréotype de sexe. Lancée à l'automne 2015 par le Haut conseil à l'égalité que je félicite encore de sa précieuse contribution et aussi de sa capacité d'impulsion cette démarche rassemble déjà de nombreuse structures publiques.
Je me réjouis donc que votre assemblée, qui tient une place particulière dans les institutions de la république, rejoigne aujourd'hui la liste des signataires. Votre engagement constitue un symbole fort.
Aujourd'hui, nous sommes rassemblés pour réaffirmer notre volonté commune de déconstruire les stéréotypes qui entretiennent une domination masculine séculaire dans toutes les sphères de la société.
Je suis convaincue que répondre à cette exigence, c'est commencer par tordre le cou à tous les clichés qui conduisent à penser que ce sujet serait anodin, futile ou accessoire ; que ce ne serait en fait - comme le disait si délicatement encore récemment un député à propos du harcèlement sexuel qu'une question de bonnes femmes.
La qualité des interventions de Mesdames Baudino et Grésy vous aura certainement convaincus du contraire, mais soyons lucides ; beaucoup pensent encore que la promotion d'une langue exprimant l'égalité n'est qu'une lubie de féministes radicales - voire même totalitaristes - et que nous ferions mieux de nous attaquer aux vrais problèmes. Les vrais problèmes seraient - quand on parle de lutte contre les stéréotypes - de nous occuper des violences faites aux femmes, des inégalités salariales, de la conciliation des temps de vie. Pourtant, quand je m'occupe de ces sujets, on me conseille encore de m'occuper de vrais problèmes. Je ne retiens pas ces arguments, mais je s'obstine à m'occuper de problèmes que je considère essentiels.
Cette question est essentielle, car elle est liée à toutes les autres. Et d'ailleurs, la virulence des polémiques que ce sujet inspire est certainement le meilleur révélateur de son importance. Pourquoi la féminisation des noms, métiers, titres ou fonctions déchaînerait-elle tant d'indignation et de passion si elle n'était vraiment qu'un sujet insignifiant ? La brutalité des critiques de ses opposants est précisément à la mesure des enjeux politiques que ce sujet recouvre.
Rappelons-nous la passe d'armes entre Sandrine Mazetier, vice-présidente de l'Assemblée nationale, et le député Julien Aubert qui s'obstinait avec délectation à l'appeler « Madame le Président ». Elle l'a rappelé gentiment à l'ordre une fois, deux fois, trois fois. On peut légitimement penser que ce garçon n'avait pas simplement qu'un problème de grammaire, mais qu'il cherchait un coup d'éclat, un peu son quart d'heure « warholien ». Or, refuser d'accorder au féminin le titre de Président, c'était tout bonnement nier la légitimité d'une femme à occuper la fonction de vice-présidente de l'assemblée. C'était exprimer une forme de résistance à l'affirmation de l'égalité des sexes dans le monde politique et, au-delà, dans tous les champs où les hommes ont joui d'une présence hégémonique durant des siècles.
Il n'est pas non plus étonnant que 142 députés de l'opposition, dont 16 femmes, se soient élevés contre la sanction prononcée à l'égard du député machiste en défendant la formulation coupable au nom de la pureté de la langue française ; car ce n'est pas une bataille sémantique qui se joue ici, c'est un combat politique.
Nous le savons toutes et tous ici - quoi qu'en disent les oreilles sensibles à ce que certains qualifient d'atrocités langagières - aucun mot n'est rebelle à la féminisation. C'est la société qui est encore récalcitrante à reconnaître aux femmes toute leur place dans l'espace public.
L'histoire le montre parfaitement ; la langue qui reflète notre manière de penser le monde légitime la domination d'un sexe sur un autre. Aujourd'hui, le masculin l'emporte encore sur le féminin pour des raisons assez étrangères à la linguistique.
Le très inspiré Nicolas Beauzée, grammairien du XVIIème siècle livre une justification limpide : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »
Il n'est pas anodin que cette règle ait été savamment entretenue par l'Académie française, une institution qui a mis pas moins de 345 ans à accueillir une femme parmi ses membres, et qui n'en compte que 5 sur 40 encore aujourd'hui. Plutôt que continuer à la défendre ardemment, peut-être pourrait-elle réfléchir à la manière dont on peut harmoniser le féminin des noms de fonctions et de métiers, afin que les nouvelles formulations cessent de heurter l'oreille des prétendus puristes ?
La langue est un héritage mais aussi une matière vivante qui doit s'adapter aux évolutions sociales. Dans un pays où l'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans la Constitution, la langue ne peut rester le dernier domaine où serait encore admise et revendiquée l'expression de la supériorité des seconds sur les premières. Soyons-en toutes et tous convaincus, ne pas pouvoir nommer le féminin ou le faire disparaître dans un genre prétendument indifférencié, c'est organiser l'invisibilité donc l'absence des femmes de la sphère publique. Ne pas pouvoir nommer au féminin, c'est interdire ou limiter l'accès des femmes aux métiers ou fonctions de pouvoir traditionnellement dévolus aux hommes en raison de leur supposée supériorité.
Mais c'est aussi instiller dans la tête des petites filles sur les bancs de l'école l'idée qu'elles ne seront jamais les égales des garçons même si on leur apprend qu'elles ont les mêmes droits. A-t-on jamais songé ce que représente dans le cerveau d'une petite fille de sept ou huit ans qui suit le cours de grammaire avec attention parce qu'elle est une bonne élève le fait d'entendre dire « le masculin l'emporte sur le féminin » ? Elle va le répéter puisque c'est la règle de grammaire qu'elle doit apprendre. Ce n'est pas sans effet sur ses représentations. Puis, elle passera à la conjugaison «je, tu, il, nous, vous, ils » ! Au final, c'est entretenir une conception rétrograde de la société que d'entendre dire cette grammaire qui reproduit les inégalités en les faisant symboliquement perdurer.
En prenant aujourd'hui l'engagement de promouvoir une communication débarrassée des stéréotypes de sexe, le CESE a choisi son camp si j'ose dire. Et je me réjouis que ce soit le camp du progrès contre celui du conservatisme. Je tiens donc à féliciter son Président pour cette initiative et à saluer le remarquable travail accompli par le Haut-conseil à l'égalité pour accompagner les signataires de la convention dans sa mise en oeuvre concrète.
Le guide pratique est un précieux outil pour les administrations, les institutions et les pouvoirs publics. Cet ouvrage contribue au travail de pédagogie que nous devons mener pour combattre les représentations sexistes véhiculées par la langue mais aussi par les images qui enferment chaque sexe dans des rôles stéréotypés quand elles ne constituent pas directement une atteinte à la dignité des femmes.
Je pense ici aux travers que l'on observe régulièrement dans la publicité, malgré une vigilant accrue malgré les mises en garde régulièrement adressées à celles et ceux qui pensent que le sexisme fait vendre, ou dont la créativité reste manifestement bridée par le carcan des clichés les plus éculés.
Nul ne contestera qu'il reste encore beaucoup de progrès à faire en la matière. C'est la raison pour laquelle j'ai initié une réflexion sur cette question avec les professionnels du secteur et j'espère que nous pourrons bientôt présenter de nouvelles propositions pour faire aussi reculer le sexisme dans la publicité.
Car comme dans tous les domaines de l'image, elle devrait être un vecteur pour déconstruire les stéréotypes et faire évoluer les représentations de notre société, pas pour en reproduire les blocages.
A cet égard, je veux saluer le remarquable travail de Lionel Auzet et Marc Bati à la tête du festival international « Très court ». Je suis particulièrement heureuse de soutenir la compétition « Paroles de femmes » de ce festival qui, chaque année, contribue à accroître la visibilité des femmes dans le 7ème art et le rayonnement du cinéma au féminin.
La dernière édition du festival de Cannes a d'ailleurs été une nouvelle occasion de déplorer que les réalisatrices soient encore largement sous-représentées dans la compétition officielle. On voit combien pèse encore le poids des traditions et des mauvaises habitudes dans notre société.
Dans le monde de la culture mais pas seulement ; toutes les sphères du quotidien portent l'empreinte des schémas ancestraux de la dénomination masculine.
Nous en avons toutes et tous quelques exemples en tête. Combien de femmes ayant accédé à des postes à responsabilités revendiquent encore délibérément l'usage du masculin pour désigner leur fonction, persuadées qu'en se faisant appeler par la forme masculine de leur titre elles en tireront une plus grande légitimité, un plus grand prestige et un plus grand respect.
Combien sommes-nous - malgré notre volonté de faire vivre une égalité réelle - à tomber encore parfois dans le piège des clichés sexistes tant ils imprègnent notre monde de pensée ? Qui, ici, peut affirmer qu'il ou elle n'a jamais été prise en défaut sur ce terrain sans pour autant inscrire ses propos ou ses actes dans une stratégie délibérée et assumée ?
Le guide du Haut-conseil à l'égalité est donc une balise indispensable pour nous aider à tenir le cap et à montrer la voie. Les pouvoirs publics ont naturellement un devoir d'exemplarité. Comme le CESE, ils ont la responsabilité de contribuer à la diffusion de bonnes pratiques par l'acquisition de bons réflexes. J'espère que beaucoup d'autres institutions publiques se saisiront de cet outil et s'engageront à leur tour en signant cette convention.
À commencer par mon propre ministère qui, plus qu'un autre, doit porter cette exigence. La difficulté, c'est que je partage certaines administrations avec le ministère des Affaires sociales, de la santé et avec le ministère du Travail, mais en vous lisant la liste de mes collègues - Marisol Touraine, Myriam El Khomri, Pascale Boistard et Clotilde Valter - je pense que nous pourrons bientôt figurer parmi les prochains signataires de cette convention, en bloc.
Je ne doute pas de leur volontarisme, que je sais partagé par l'ensemble des membres du gouvernement ; Erika Bareigts vient d'en apporter la preuve. Je saisis donc l'occasion de cette signature officielle pour les inviter à s'inscrire, elles et eux aussi, dans la même démarche que le CESE dont je salue à nouveau l'engagement.
Faire reculer tout ce qui fait obstacle à la visibilité des femmes dans l'espace public est pour moi, vous le savez, une priorité absolue.
Faire évoluer les mentalités pour construire des rapports humains fondés sur le respect et l'égalité est un objectif que nous devrons relever collectivement.
Je remercie chacune et chacun d'entre vous, ici ou ailleurs, de contribuer à mes côtés à porter cette ambition.
En conclusion, une confidence : mes collaboratrices ont tapé le discours sous la forme exigée. C'est un exercice auquel il va falloir que je m'entraîne, et je le ferai !
(Applaudissements)
source http://www.lecese.fr, le 9 juin 2016