Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, en hommage aux victimes du massacre d'Oradour-sur-Glane pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Oradour-sur-Glane le 10 juin 2016.

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Circonstance : Cérémonie du 72ème anniversaire du massacre d’Oradour-sur-Glane, à Oradour-sur-Glane le 10 juin 2016

Texte intégral


Monsieur l'Ambassadeur de la République d'Azerbaïdjan,
Monsieur le préfet,
Monsieur le Consul de la République fédérale allemande,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le Député européen,
Monsieur le président du Conseil Régional d'Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes,
Monsieur le président du Conseil Départemental de la Haute-Vienne,
Monsieur le maire d'Oradour-sur-Glane,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le recteur de l'académie de Limoges,
Monsieur le président de l'association nationale des familles des martyrs,
Monsieur le Délégué militaire départemental, mon colonel,
Cher Roger Hébras,
Mesdames et messieurs les porte-drapeaux,
Mesdames et messieurs,
« Hélas ! En ce dix juin, l'homme ivre de leur sang
Brûla les habitants, Oradour et l'enfant.
On jeta dans mon sein des vivants de passage,
Et des blessés fuyant cette horde sauvage ».
Ces vers sont ceux de Lucette Morliéras, membre de l'Association Nationale des Familles des Martyrs d'Oradour-sur-Glane, qui a perdu sa plus jeune sœur, Andrée, le 10 juin 1944, lors du massacre d'Oradour-sur-Glane.
Le massacre d'Oradour-sur-Glane demeure aujourd'hui dans les mémoires comme un pinacle de l'abjection. 642 femmes et hommes sont morts ce 10 juin 1944. Ils étaient des civils. Ils étaient innocents.
Les auteurs de ces crimes innommables sont connus : les hommes de la 2ème division SS Das Reich.
Après le Débarquement du 6 juin 1944, le crépuscule du régime nazi installé par Adolf Hitler s'annonce. La panique cède à la terreur dans des SS qui savent qu'ils seront bientôt mis face à des crimes que l'humanité n'avait jamais commis.
La 2ème Division SS remonte du Limousin vers la Normandie. C'est le début d'une cavalcade funeste. La marche funèbre s'arrête d'abord à Tulle, le 9 juin, où 99 hommes sont pendus et 149 déportés à Dachau. 101 y perdront la vie.
Le 10 juin 1944, les SS arrivent à Oradour.
Oradour, bourgade paisible, à l'écart de l'histoire.
Oradour, ville agricole et prospère.
Oradour, ville suppliciée.
Sous le fallacieux prétexte d'un contrôle d'identité et de recherche d'une cache d'armes, les SS ordonnent au maire du village de rassembler la population pour que des otages leur soient remis.
Le docteur DESOURTEAUX, maire du village, refuse et s'offre en sacrifice. En vain.
190 hommes et garçons âgés de plus de 14 ans sont arrêtés, parqués dans des granges, puis abattus par le feu des mitrailleuses.
245 femmes et 207 enfants sont rassemblés dans l'église du village, où ils sont brûlés vifs. Les SS, dans leur soif de sang, fouillent la ville à la recherche de survivants, les abattent un à un et mettent le feu à Oradour. La commune n'est bientôt plus que cendres et désolation.
642 martyrs périssent.
La plupart venaient du Limousin. Certains étaient des réfugiés d'Espagne et d'Italie. D'autres encore avaient fui la Moselle et l'Alsace annexées.
Une femme pourtant survit au massacre, Marguerite ROUFFANCHE. Après avoir sauté à travers le vitrail brisé de l'église, elle s'enfuit, éperdue, laissant derrière elle une commune anéantie. Parmi les six rescapés de ce massacre, figure encore Roger Hébras.
Cher Roger Hébras, vous êtes le témoin vivant de l'horreur et de la barbarie. Vous savez ce dont l'homme, dans sa folie destructrice, est capable de commettre. Vous êtes un passeur de mémoire.
Après le temps du massacre est venu celui du recueillement et du souvenir.
Pendant des années, Oradour est restée une ville figée où aucun baptême ou aucun mariage n'était célébré. Les SS étaient partis. La douleur était restée. Puis, en 1953, lors du Procès de Bordeaux, il a fallu faire face à la vérité. Sur le banc des accusés étaient assis 14 Alsaciens, dont un engagé volontaire et 13 hommes qui faisaient partie des 130 000 « Malgré-Nous » enrôlés de force dans la Wehrmacht.
Ils n'avaient pas eu le choix. Leurs familles étaient susceptibles de représailles en cas de désertion.
Il ne faut pas taire la vérité. Elle seule permet la réconciliation. Je sais que le maire d'Oradour et le maire de Strasbourg, dont je salue la présence ici, sont très attachés à cette réconciliation.
Il a fallu des décennies pour que les mémoires s'apaisent, pour que les familles et victimes d'Oradour puissent disposer d'un monument commémoratif. En 1999, le Centre de la Mémoire d'Oradour fut inauguré par le président Jacques Chirac.
Aujourd'hui, soixante-douze années après le massacre, Oradour-sur-Glane est devenu l'un des symboles de la réconciliation allemande, grâce à la poignée de mains symbolique entre le Président de la République Française et le Président de la République Fédérale Allemande, le 4 septembre 2013.
Ce geste fait écho à une autre poignée de mains, celle entre François Mitterrand et Helmut Kohl le 22 septembre 1984, devant l'Ossuaire de Douaumont à Verdun.
Verdun, Oradour, deux noms autrefois symboles des déchirements entre la France et l'Allemagne, qui sont devenus aujourd'hui emblématiques de la paix et de la volonté d'œuvrer pour la réconciliation entre nos deux pays.
Cette paix a été acquise grâce à l'effort de nos pères qui ont su dépasser les haines et les rancœurs pour édifier, ensemble, un projet à l'époque utopique, mais qui désormais est une réalité : le projet européen.
Ainsi que le déclarait le président de la République en septembre 2013 à Oradour, « Deux fois au cours du dernier siècle, notre continent s'est embrasé. (...) Et puis un jour, en s'éveillant du pire (…) des Européens ont jugé qu'il fallait arrêter, une fois pour toutes, la machine infernale. »
Le continent a su se relever de l'horreur la plus profonde, des crimes les plus abjects. Tel est l'esprit d'Oradour, tel est l'esprit de Verdun.
« Ce qui est arrivé à Oradour-sur-Glane nous enseigne aussi autre chose. (…) Jamais plus, même une fois, il ne faut qu'une chose pareille puisse arriver à quelques points que ce soit de la France. »
Ces phrases sont celles du général de Gaulle, qui se rendit dans Oradour désolée le 5 mars 1945. Ces phrases, nous les faisons nôtre.
Le 10 juin 1944, seul un arbre n'avait pas été dévoré par les flammes.
C'était l'arbre de la Liberté, planté par les Révolutionnaires en 1848, pour célébrer l'avènement de la République et du suffrage universel ainsi que l'abolition de l'esclavage. Il n'y a pas, je crois, de plus beau symbole pour continuer d'affirmer aujourd'hui notre aspiration à vivre libre et notre détermination à lutter contre toutes les formes d'oppression.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 15 juin 2016