Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, en réponse à une question sur la lutte contre le terrorisme, à l'Assemblée nationale le 14 juin 2016.

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Circonstance : Questions d'actualité à l'Assemblée nationale, le 14 juin 2016

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* Monsieur le Président Vigier, hier soir, vous l'avez dit, deux policiers, deux courageux serviteurs de la nation ont été lâchement assassinés, victimes du terrorisme islamiste et, comme vous, une nouvelle fois, j'ai naturellement une pensée pour Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider.
Cela suscite émotion - et cette émotion ne doit pas passer -, mais aussi effroi car, en matière d'horreur, un cap a été franchi : c'est le domicile, l'intimité même d'une famille, d'un couple de fonctionnaires de police, qui a été pris pour cible. Toutes nos pensées vont vers les victimes, leurs proches, vers ces enfants qui devront grandir sans leur père et sans leur mère.
Nos pensées, Monsieur le Président, vont aussi - dans de tels moments, il faut le rappeler avec force - vers tous les policiers, tous les gendarmes de France, toutes les forces de l'ordre qui ont, une fois encore, payé le prix - en l'occurrence, celui de leur vie. Oui, nous leur devons la solidarité, et nous devons nous rassembler autour des membres des forces de sécurité. Nos policiers, nos gendarmes s'engagent pour défendre l'ordre républicain, pour nous défendre et pour nous protéger. Nous devons à ces femmes, à ces hommes, une infinie gratitude.
Je n'accepte plus - je le dis avec force dans cet hémicycle - les mises en cause permanentes de ces hommes et de ces femmes qui risquent leur vie pour notre liberté. Nous devons être aux côtés de nos forces de l'ordre, particulièrement sollicitées aujourd'hui, et leur dire notre respect et notre affection.
En deux jours, à Orlando - avec cette terrible attaque terroriste homophobe - et à Magnanville, une même idéologie de mort est passée à l'acte, certes de manière différente, mais avec les mêmes objectifs : tuer, semer la terreur, contester ce que nous sommes et nous empêcher de vivre librement.
Nous nous trouvons face à une menace globale, et il faut bel et bien partir de là, Monsieur le Président Vigier. C'est pourquoi j'avais évoqué la fin d'une forme d'insouciance au sein de nos sociétés. Cette menace globale réclame de notre part de la maîtrise et du sang-froid. Le combat sera de longue haleine. Il se mène aussi bien dans les zones de guerre, en Syrie et en Irak - où, aujourd'hui, l'État islamique recule mais est toujours présent - que sur notre sol. De fait, la radicalisation est un phénomène massif : je veux rappeler que 2.116 de nos ressortissants sont impliqués dans les filières syro-irakiennes et que 180 ont trouvé la mort en Syrie ou en Irak. Dans notre seul pays, 9.500 individus ont été signalés à la plateforme nationale.
C'est donc la société tout entière qui doit se mobiliser, et c'est le sens du plan d'action que j'ai présenté, avec le ministre de l'intérieur, il y a quelques semaines. Notre première arme est le droit pénal, et la légitimité de l'État de droit, qui nous permet de poursuivre, d'incarcérer et de mettre hors d'état de nuire tous ceux qui s'engagent dans ces filières. Mais, Monsieur le Président, il faut refuser toute tentation de recourir aux aventures extrajudiciaires - telles celles expérimentées dans certains pays au cours des années 2000 -, qui ont parfois mené à de véritables impasses. Il faut, en revanche, affecter tous les moyens à l'action répressive, et agir partout contre la radicalisation, y compris en milieu carcéral. Il faut aussi mobiliser les familles, les services publics sociaux et donc, je le répète, toute la société.
Actuellement - il faut être précis -, 295 dossiers judiciaires, relatifs à 1.216 individus, sont ouverts à la direction générale de la sécurité intérieure. Au cours des quinze derniers jours - le ministre de l'intérieur aura l'occasion de le rappeler -, seize personnes soupçonnées d'activité terroriste ont été interpellées et présentées aux magistrats antiterroristes.
Nous avons tiré les leçons des attentats de ces trois dernières années : beaucoup a été fait, qu'il s'agisse des moyens - je pense par exemple à ceux qui ont été affectés au renseignement -, de la législation antiterroriste ou, bien entendu, de la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Tout doit être fait, tous les éléments doivent être examinés avec la plus grande attention, en fonction de ce que nous dira l'enquête - le procureur Molins s'est exprimé il y a un instant. Mais c'est un combat dans la durée ; c'est sans doute l'affaire d'une génération. En outre, vous le savez parfaitement, il n'existe malheureusement pas de risque zéro.
Le terrorisme veut imposer la peur, et notre réponse, c'est bien de résister. Combattre le terrorisme et résister aux peurs et aux violences - à toutes les formes de violence qui s'emparent de notre société. Avec nos forces armées, avec nos forces de sécurité, avec la force de l'État de droit et de la démocratie - c'est en effet ainsi que l'on impose l'autorité -, sans faiblir et avec sang-froid, nous mènerons ce combat.
* Monsieur le Président Le Roux, nous avons déjà eu l'occasion de le dire ici même, dans cet hémicycle, dans le respect des uns et des autres : nous faisons face à un défi considérable. Il est considérable non seulement parce que nous menons la guerre au terrorisme en Syrie et en Irak par l'action des coalitions auxquelles nous participons, mais aussi parce que nous faisons face à un ennemi intérieur, dont l'existence s'est révélée sans doute essentiellement au cours de l'année 2012.
C'est pour cela que, au nom même de notre idéal démocratique, de la protection de nos libertés, nous nous sommes dotés des moyens d'agir : deux lois antiterroristes, une loi qui vient d'être promulguée pour mieux lutter contre le terrorisme et le crime organisé, deux lois sur le renseignement, des moyens supplémentaires pour nos forces de sécurité, nos forces armées et bien sûr pour le renseignement. Nous savons en effet que le suivi d'un nombre aussi important d'individus - je vous ai donné les chiffres à l'instant - nécessite des emplois, des moyens considérables, techniques, qualifiés. Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian et moi-même nous y employons depuis quatre ans s'agissant de nos services de renseignement. Il faut donc poursuivre cet effort avec la plus grande détermination.
Les éléments de l'enquête demeurent bien sûr parcellaires et je demande que nous respections le rythme décidé par le procureur de la République. Nous savons d'ores et déjà que le meurtrier était lié aux filières djihadistes. Interpellé en mai 2011, il a été incarcéré et condamné en 2013 pour participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, sans avoir d'ailleurs lui-même quitté le territoire national. Depuis août 2015, il avait fait à nouveau l'objet d'une judiciarisation.
Seule l'enquête judiciaire - je le répète : il faut laisser à la justice le temps de mener ce travail avec méthode et sans pression - pourra établir comment et quand l'assassin a conçu son projet, avec quel degré de planification, de complicité ou de soutien il a pu agir et, le cas échéant, avec quelle méthode de dissimulation il est parvenu à en cacher l'existence. La multiplication des appels au meurtre déversés par les organes de propagande des groupes terroristes, messages qui touchent une partie de notre jeunesse, la diffusion des messages racistes et antisémites, de haine de la France, de la démocratie et de notre mode de vie nous obligent, puisque nous avons été touchés comme l'ont été il y a quelques jours les États-Unis, puisque nous avons été touchés en 2015, à mobiliser non seulement toutes nos forces de sécurité, mais aussi la société.
Monsieur le Président, je suis inquiet, comme vous, non seulement face à cette menace et à ses actes, mais aussi face à ce qui se passe parfois dans la société française, face aux actes de violence. Et rien ne peut être banalisé, surtout dans ces moments-là. La seule réponse possible, ce sont donc les moyens que nous mettons au service des forces de sécurité et de la justice, ce sont les moyens que nous mettons au service de l'autorité au nom même de la République et de l'État, mais toujours dans le respect de nos libertés fondamentales. Puisque le terrorisme entend s'en prendre à ces libertés fondamentales, les armes pour lutter contre le terrorisme sont la liberté, la démocratie et l'État de droit. Sur ce point aussi, vous pouvez compter sur ma détermination.
* Monsieur le Député, toutes les questions sont légitimes. À l'enfant, aux familles, aux collègues et camarades de ces deux fonctionnaires de police, nous devons bien sûr toute la vérité. Nous la devons en permanence à la nation tout entière, qui fait preuve de force et de courage face à ce qu'elle subit. Mais, Monsieur le Député, je vous le dis très franchement : je n'ai envie d'aucune polémique !
Bien sûr, c'est le rôle du Parlement que d'évoquer ce sujet et vous-même avez mené, avec Patrick Mennucci, un travail fort intéressant sur les filières djihadistes. Une commission d'enquête parlementaire sur les attentats du 13 novembre dernier est par ailleurs en cours. Le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux et moi-même nous posons en permanence toute une série de questions afin de comprendre les faits, aidés en cela par le regard acéré, professionnel, de la justice et du procureur Molins.
(...) Je vous le dis très clairement : nous sommes prêts à examiner toutes les propositions, mais pas celles qui mettent en cause l'État de droit. Moi, je ne veux ni de la peine de mort, ni de Guantánamo, ni de la vente des armes, car je sais ce que peut donner ce modèle.
Le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme, c'est la démocratie, c'est l'État de droit, c'est la détermination, c'est le sang-froid. Et quand on lutte contre le terrorisme, Monsieur le Député, quand on est en guerre, on ne dévie pas d'une ligne : on va jusqu'au bout et on combat le terrorisme, droit dans les yeux, parce que c'est ça qu'on attend d'une démocratie !
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 2016