Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à RTL le 20 septembre 2001, sur la situation après les attentats terroristes aux Etats-Unis, son "soutien sans faille" aux Etats-Unis et sur l'éradication du terrorisme et de ses bases arrières, notamment en Afghanistan.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief J. Chirac était hier aux Etats-Unis. Il a dit que "la coopération militaire peut naturellement se concevoir, mais dans la mesure où nous serons consultés sur les objectifs et les modalités." L. Jospin à Paris a dit également qu'il n'y aurait pas d'engagement français dans un conflit sans consultation du Parlement. Est-ce une prudence justifiée ou est-ce le début d'une fissure dans le front contre le terrorisme ?
- "Si c'est une prudence, c'est bien, si c'est une fissure, ceci serait très grave."
Quel est votre avis ?
- "Je ne sais pas, parce que je crois que nous devons faire preuve d'une solidarité sans faille."
Elle vous semble trop nuancée ?
- "Une solidarité sans faille parce que ce qui est menacé, ce n'était pas seulement l'Amérique pour ce qu'elle représente, la puissance de l'Amérique, mais c'est un ensemble de valeurs que nos démocraties incarnent et qui sont totalement combattues aujourd'hui par ce que j'appelle le nouveau fascisme islamique, qui défigure une des plus grandes religion du monde et qui sert d'alibi à un certain nombre de pouvoirs despotiques, oppresseurs de par le monde. Il faut d'abord le dire : les premières victimes de ce fascisme islamique, c'est l'islam lui-même. Nous avons donc besoin de faire preuve d'une solidarité sans failles avec les Etats-Unis."
Plusieurs personnalités le disent, y compris J. Chirac et L. Jospin. Mais concrètement, c'est là qu'on voit peut-être des différences : qu'est-ce que vous proposez si les Américains nous proposent de nous engager militairement pour bombarder Kaboul ?
- "D'abord, nous n'allons pas bombarder Kaboul en soit. Ce que nous devons faire, bien évidemment, c'est éliminer Ben Laden et libérer l'Afghanistan. On ne va pas occuper l'Afghanistan. Je suis de ceux qui connaissent peut-être assez bien l'Afghanistan. J'y suis allé aux côtés de la résistance Afghane quand les soviétiques y étaient, j'y étais encore aux côtés du commandant Massoud dans la vallée du Panshir, quand celui-ci combattait les Taliban et j'ai essayé de relayer de toutes mes forces le message qu'il nous envoyait en nous disant : "attention, ce n'est pas seulement nous qui sommes concernés. C'est une menace pour le monde que ces bases terroristes arrières qui sont en train de s'installer sous le couvert d'un des plus barbares des régimes que le monde ait connu, le régime des taliban."
Faut-il soutenir les successeurs de Massoud ?
- "Bien sûr. Vous avez en réalité 40.000 taliban, 17 millions d'Afghans. Ce qui est en jeu est la libération de l'Afghanistan, en s'appuyant sur les forces de la coalition de l'ex-commandant Massoud. Celui-ci n'est pas mort pour rien. Il ne verra pas la libération de son pays, l'Afghanistan. Mais je suis sûr que nous sommes capables de libérer l'Afghanistan du régime taliban. Il faut le faire prudemment bien évidemment, parce qu'à côté il y a le Pakistan. Et au Pakistan, il y a une pression des taliban et cela ne servirait à rien de chasser les taliban de Kaboul, si c'est pour les installer à Islamabad."
Concrètement, vous ne craignez pas, comme certains le disent, une sorte de rassemblement, autour des taliban, des musulmans du monde entier, qui pourraient se sentir agressés ?
- "Il ne faut pas se tromper d'adversaire. Ce n'est pas l'islam qui est notre adversaire, ce n'est pas un choc de civilisations. Notre adversaire est ce fascisme islamique combattu aujourd'hui par l'islam lui-même et par tous les régimes arabes ou de religion islamique qui existent dans le monde. C'est cette coalition-là qu'il faut réaliser, avec les Américains, dans une solidarité sans faille. Vous parliez de faille. C'est vrai que la diplomatie française a parfois tendance à un certain nombre de petites habiletés. Et nous avons souvent confondu ce qui est une politique arabe de la France, c'est-à-dire une politique d'amitié avec les peuples arabes, avec une politique - de l'Irak à la Syrie - de soutien à des régimes qui oppressent les peuples arabes, pour de mauvaises raisons diplomatiques et souvent pour de troubles intérêts, parce que nous y voyons des marchés ou des ventes d'armes."
Concrètement, si vous étiez au Gouvernement - vous n'y êtes pas actuellement, et parfois c'est plus facile de faire un certain nombre de déclarations -...
- "Pardon ! Je suis de ceux qui, depuis un certain nombre d'années, disent "attention ! ce qui se passe dans cette partie du monde est dangereux." Je l'ai dit au Gouvernement, je l'ai dit au Chef de l'Etat lorsque le commandant Massoud est venu à Paris, j'ai demandé à ce qu'il soit reçu à l'Elysée ; je l'ai dit à la Commission européenne. La Commission européenne, à l'époque, m'a répondu : "nous devons être neutres." Vous vous rendez compte ?! l'Europe était neutre entre d'un côté le régime fasciste des taliban et le commandant Massoud. Quelle erreur et quel aveuglement !"
Concrètement, qu'est-ce que nous, Français, pouvons faire dans cette coalition ?
- "Accompagner les Américains dans une solidarité sans faille."
S'engager militairement aussi ? Vous le voteriez au Parlement ?
- "En tant que de besoin, oui, ne serait-ce que symboliquement pour marquer notre engagement. Mais, nous ne savons pas combien de temps cela va prendre et l'éradication de ce terrorisme et de ses bases arrières, de ses agents dormants, est une affaire longue et difficile. C'est pour cela qu'à la solidarité facile des mots dans l'émotion, je voudrais ajouter une longue solidarité dans l'action. Et cette solidarité dans l'action, à mon avis, n'a de sens, entre nos nations démocratiques et vis-à-vis des autres peuples du monde, qu'à condition de provoquer ce que j'appelle de mes voeux depuis le chute du Mur de Berlin : un ré-examen complet de notre politique étrangère de sécurité intérieure et extérieure et de défense. Si nous devons faire partie de cette coalition, c'est au nom d'un certain nombre de valeurs aujourd'hui menacées. Et ces valeurs, nous devons les mettre en action et les défendre aussi tous ensemble, dans une alliance démocratique, dans notre politique étrangère. Que vaudraient en réalité ces valeurs si nous les défendions lorsqu'il s'agit d'une attentat sur le sacro-saint sol américain et si nous continuons à nous aveugler sur les morts quotidiens de l'Algérie et du Soudan ?"
Deux questions très brèves. Le budget 2002 présenté par L. Fabius est-il trop optimiste, étant donné les événements ? Il table sur une croissance de 2,5 % en amont.
- "Bien malin qui peut dire ce qui va se passer. Une chose est certaine : nous allons vraisemblablement avoir un coup de frein sur les échanges mondiaux, et cela n'est pas bon pour l'économie. Deuxièmement, peut-être qu'il va y avoir un coup de fouet sur l'énergie américaine. Troisièmement, que doit faire l'Europe et que doit faire la France ? On est en train de se tromper de politique monétaire en Europe. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler et en aucun cas, le budget français n'est un budget fait pour doper l'énergie des Français. C'est plutôt le sentiment d'une distribution de tranquillisants."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 20 septembre 2001)