Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations franco-birmanes, à Rangoon le 18 juin 2016.

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Circonstance : Déplacement en Birmanie, du 16 au 19 juin 2016

Texte intégral


Mesdames, Messieurs,
Bonsoir,
Merci d'être là et d'avoir répondu à cette invitation.
Je voudrais dire le plaisir que j'ai de vous rencontrer. Chaque déplacement à l'étranger est évidemment pour moi l'occasion de saluer autant que possible la communauté française et c'est ce que je fais ce soir bien volontiers. Je suis venu en Birmanie dans une période que l'on peut qualifier d'historique. C'est important que la France soit au côté de ce pays qui est engagé dans une transition démocratique dont nous souhaitons la réussite.
Nous avons pendant tant d'années soutenu ceux qui se battaient pour la liberté. La France a toujours été fidèle au rendez-vous et c'est vrai qu'il est important d'être là maintenant que le pays se reconstruit. Cette parenthèse de plus de 50 ans d'une dictature militaire paranoïaque a bouleversé gravement le pays. Elle a d'abord limité la liberté, pénalisé beaucoup de gens. Certains sont morts en prison, d'autres y ont passé une longue partie de leur vie. C'est vrai que cette période a aussi été une fermeture pour la Birmanie. Un retard considérable a été pris qui pénalise le pays aujourd'hui dans sa reconstruction. Il faut en être conscient. Il faudra du temps pour que tout cela marche dans la bonne direction. Il faut donc être attentif, respectueux et patient. Non pas patient par rapport aux exigences, mais patient quant à la méthode.
C'est le message que Aung San Suu Kyi m'a fait passer hier. J'ai beaucoup de respect, comme vous tous et toutes ici, comme beaucoup de Français et beaucoup d'hommes et de femmes à travers le monde, pour le combat qui a été le sien, empreint d'un grand courage et d'une grande dignité.
Comme beaucoup d'autres, je l'ai constaté encore ce matin en rencontrant le chef du gouvernement de Rangoun, qui a passé 15 ans de sa vie en prison pour avoir protesté comme étudiant, soutenu le mouvement de libération, soutenu Madame Aung San Suu Kyi. Il est là aujourd'hui comme un des leaders de cette nouvelle génération, là pour exercer des nouvelles responsabilités. Aung San Suu Kyi, est restée 15 ans en résidence surveillée et pourtant elle a tenu bon comme beaucoup d'autres, parce que ce sont des patriotes qui aiment leur pays. Ils veulent lui rendre au fond ce qu'il leur a donné, même si beaucoup de choses ont été difficiles pour eux.
Donc il est important que la France soit là. Je voulais vous donner ce message ce soir, vous dire que nous avons la responsabilité de soutenir et d'accompagner cette reconstruction. Je dis bien reconstruction parce que construire une démocratie, c'est difficile et exigeant, dans un pays qui est souvent divisé. Divisé en différentes ethnies, divisé aussi à cause de conflits armés. J'ai rencontré plusieurs ONG, ONG françaises, ONG birmanes qui m'ont effectivement décrit une situation difficile. C'est aussi la reconstruction d'un pays qui non seulement doit se réconcilier, mais aussi doit se reconstruire tout simplement sur le plan économique, sur le plan de ses infrastructures, sur le plan de son administration.
Comment la France est-elle présente ? Elle est présente politiquement, elle est présente moralement, mais elle est aussi présente pour soutenir concrètement ce pays. Je viens d'annoncer que l'Agence française pour le développement allait apporter un concours supplémentaire qui ira jusqu'à 200 millions d'euros qui viendront s'ajouter aux aides de l'Union européenne qui sont significatives, et qui viendront s'ajouter à l'aide humanitaire et d'urgence. Il y a beaucoup de projets. Nous avons identifié des priorités et nous l'avons fait avec les entreprises qui sont présentes, soit ici en Birmanie, ou qui m'accompagnent dans les différentes rencontres que nous avons eues.
Priorité pour l'énergie, parce que ce pays a des ressources, mais faut-il encore quelqu'un pour les exploiter et les distribuer à toute la population qui en a bien besoin. Quand l'électricité s'arrête plusieurs fois par jour, c'est pénalisant, et je crois que cette situation n'est pas durable. Elle n'est pas durable non plus sur le plan économique. Donc c'est la priorité que nous voulons accompagner par notre soutien public, mais aussi grâce au concours de nos entreprises et aux bureaux d'études qui sont bien sûr disponibles et engagés. Je les en remercie.
Et puis, c'est aussi la priorité pour la santé. Monsieur l'Ambassadeur, vous me disiez quand vous m'avez donné quelques explications - j'avais lu beaucoup de notes, beaucoup d'articles, de dossiers, mais votre expérience, même si elle est récente ici, vous a conduit à vous y intéresser de près -, vous me disiez qu'après la Seconde Guerre mondiale, la Birmanie était avec les Philippines le deuxième pays qui avait le meilleur avenir en Asie du sud-est. Nous avons connu une dictature aux Philippines et une dictature en Birmanie. Voilà le résultat : des pays qui ont un retard considérable. Lorsque j'étais Premier ministre, je m'étais rendu aux Philippines. Il n'y avait pas eu une visite officielle de ce niveau depuis l'indépendance. Et pourtant, c'est un pays de 100 millions d'habitants. Ce pays, bien sûr, a encore un chemin considérable à faire, mais c'est un pays qui lui aussi redémarre. Même si c'est difficile. C'est la même chose pour la Birmanie. Nous devons être présents.
Alors nous le sommes et nous allons continuer à l'être pour soutenir justement tous ces projets. J'évoquais la santé. Ce pays avait le meilleur équipement et le meilleur service de santé après la Seconde Guerre mondiale dans la région et, ceux-ci sont dans un état de délabrement considérable. Les ONG françaises que j'ai rencontrées ce matin m'ont décrit cette situation dans beaucoup de régions. Donc c'est une autre priorité, comme l'autre priorité que sont l'éducation et la formation.
Je ne dis pas que nous allons tout faire, mais pourquoi la formation ? Un pays qui a fermé ses universités parce qu'il avait peur de ses étudiants ou qui les a construites à la campagne loin du monde, c'est un pays aujourd'hui qui manque d'expertise, qui manque de cadres pour pouvoir mettre en oeuvre les projets qui sont ici. Nous devons l'accompagner à la fois sur le plan du gouvernement mais aussi sur le plan des collectivités locales. La Ville de Paris est représentée par Mme Blatmann, qui a participé à plusieurs rencontres. Paris veut s'associer aux efforts de la Ville de Rangoon et c'est très bien. Mais c'est aussi de l'expertise et de la formation, c'est aussi du soutien à des projets, même à des petits projets.
Et puis c'est aussi le soutien à tous les projets en matière d'aménagement et de développement urbain. Le chef du gouvernement et ses ministres que nous avons rencontrés pour Rangoon nous ont décrit la situation : une ville qui a une belle histoire, un patrimoine, mais qui est aujourd'hui en difficulté. Mme Aung San Suu Kyi nous a dit à quel point elle apportait une attention particulière envers Rangoon. C'est en quelque sorte l'occasion de démontrer que l'avenir peut être meilleur sans détruire l'histoire, sans détruire le patrimoine comme nous l'avons fait dans nos propres villes en France, mais en inscrivant aussi le futur de cette ville dans la modernité, dans l'innovation, en traitant les problèmes concrets de la population : l'eau, l'assainissement, les transports, l'environnement, la sécurité, l'école, la santé. Tout cela c'est en marche. En tout cas, cela démarre. Nous devons être toujours présents et surtout toujours faire passer ce message et je le ferai passer à mon retour en France. Car parfois il y a de l'impatience. Vous le savez bien quand on gouverne il y a toujours de l'impatience. On pense que tout peut être réglé en quelques mois et en quelques années.
Je crois qu'il faudra expliquer que bien sûr il y a des problèmes, je pense notamment aux minorités. Il y a des problèmes encore sur le plan des libertés, tout est à faire, tout est à construire. Mais en même temps, il faut du temps et il faut respecter le rythme d'un pays qui sort du silence, au point que, même quand on est un employé, on n'ose pas poser la question à son chef, que l'on a l'habitude de se taire et qu'on se méfie d'une réprimande. C'est comme cela que ce pays a fonctionné pendant des années et des années. Donc avant qu'il retrouve l'initiative, l'esprit de conquête, il faudra du temps. Donc il faut respecter ce temps. Ce n'est pas pour en perdre, mais c'est pour en gagner et permettre au pays d'en gagner.
Je suis devant vous, vous Mesdames et Messieurs qui travaillez ici dans l'ambassade, dans ses services, dans tous les services qui dépendent du ministère des affaires étrangères, notamment les opérateurs. Je voudrais vous saluer et vous remercier pour ce que vous faites. J'ai eu d'ailleurs aujourd'hui des témoignages de Français qui s'installent ici et qui veulent développer des projets et qui ont reconnu la qualité des services, de l'accueil et de la disponibilité. Monsieur l'Ambassadeur, je vous demande de bien vouloir transmettre à toutes vos équipes, à chacune et à chacun, salariés de l'État, fonctionnaires de l'État ou recrutés locaux, mes encouragements et mes remerciements. Et puis il y a tous les autres, les entreprises, les ONG, tous ceux qui sont représentés ici aussi. Les grandes entreprises qui sont là depuis longtemps, des plus petites, des plus modestes qui vont trouver leur place. Il y a eu pendant longtemps, ici seulement le groupe Total, et aujourd'hui tous les grands groupes sont présents et aussi des entreprises moyennes. Il faut continuer, vous avez raison d'être là et c'est maintenant qu'il faut être là. C'est, je crois, comme cela que la France sera reconnue et appréciée ou plutôt continuera d'être reconnue, appréciée et aimée. Nous sommes au rendez-vous. Vous êtes au rendez-vous.
Il nous appartient de vous aider dans votre vie quotidienne. Je suis allé ce matin à l'école Joseph Kessel et j'ai assisté au passage de témoin symbolique d'une école qui était une école du groupe Total - qui a créé cet établissement il y a 20 ans, et je l'en remercie - et qui a été transféré à l'association des parents d'élèves. C'est elle qui prend le relais. Puis, cette association va signer un accord avec l'agence de l'enseignement du français à l'étranger, l'AEFE, qui est un opérateur du ministère des affaires étrangères, avec l'objectif de trouver un terrain pour construire une école plus grande et avec la perspective de la transformer en lycée. C'est très important à la fois pour les personnes et les familles qui vivent ici. C'est vrai pour les entreprises qui vont développer leurs activités, mais aussi vrai pour l'attractivité du pays. Je l'ai dit et expliqué à tous mes interlocuteurs.
Et puis, il y a l'institut culturel, Institut français de Birmanie que l'on appelle encore souvent l'Alliance française. Même le président de la République m'en a parlé. Il l'a connaît, avec son épouse il venait souvent y voir des expositions. Dans quelques mois, va être organisé un grand festival qui va occuper l'espace public à Rangoon et qui sera un moment extrêmement important et je voudrais vous féliciter pour avoir organisé tout cela. Tout à l'heure, j'étais à l'Institut français. Il a lui aussi un problème de locaux et un problème de terrain, mais nous allons tenter de régler cela avec les autorités. Nous avons déjà commencé à en discuter. Je voudrais remercier l'Institut français, le féliciter pour son inventivité, parfois avec des moyens modestes, sa qualité, sa disponibilité. Ma femme, qui était professeur de français, a assisté à un cours et elle m'a invité à la retrouver. Les élèves ont lu un conte en français, dans une langue difficile, et j'ai été très impressionné, très ému de voir que l'envie d'apprendre la langue française était si forte en Birmanie. Il y a une passion pour la France. Il y a une sensibilité pour la France, pour sa culture, pour son histoire, et c'est à travers la langue que ces jeunes hommes ou femmes veulent découvrir notre pays. Je trouve cela formidable. Je voudrais vraiment remercier toutes celles et tous ceux qui font fonctionner l'Institut français, tous ceux qui enseignent, qui accueillent, qui apportent leur soutien aux projets culturels, pas seulement des projets culturels français mais aussi des projets des artistes locaux, c'est très important que la France, même loin, continue d'avoir la main tendue et de représenter une porte ouverte sur le monde. C'était le symbole, je crois, le plus émouvant de cette journée.
Merci à ceux qui le font vivre, merci à vous, Mesdames et Messieurs. Vous êtes loin de la France. Certains ont choisi de s'installer ici, mais vous avez aussi le coeur toujours tourné vers notre pays, vers la France. Parce que même si on en est loin, on revient à l'essentiel et l'on n'oublie pas ce que nous sommes. Nos valeurs, ici aussi, nous voulons les faire vivre et les partager.
Merci pour tout cela. Vive la Birmanie, vive l'amitié franco-birmane et vive la France.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 2016