Déclaration de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la régénéréscence de la citoyenneté européenne suite au "Brexit" des britanniques, Strasbourg le 24 juin 2016.

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Mesdames et Messieurs,
Nous, Européens, vivons aujourd'hui un séisme majeur dont l'Europe devra se relever.
Un moment qui, par-delà les regrets, les remords, la déploration d'un verdict démocratique et populaire souverain que nous aurions souhaité différent, par-delà même la crainte des jours qui vont venir, ne nous oblige qu'à une seule chose, nous, Européens : regarder devant, construire l'avenir avec optimisme, reprendre le flambeau d'une histoire et d'une volonté qui nous viennent de très loin, de la Renaissance humaniste et des Lumières.
C'est la raison pour laquelle j'ai voulu être à Strasbourg, dans cette école européenne qui est le plus beau symbole de ce que plus d'un demi-siècle de construction européenne a permis, la meilleure illustration des raisons que nous avons d'espérer que l'histoire va continuer.
A l'école, on apprend la citoyenneté, la démocratie. Et celle-ci commence par le respect de la souveraineté populaire, c'est-à-dire du vote.
Le choix des britanniques doit donc être respecté et non jugé. Le rôle des responsables politiques, c'est de comprendre, avec humilité, et de proposer, avec conviction.
Oui, les peuples européens se sont éloignés d'une Europe qui s'est éloignée d'eux. Le Brexit est l'occasion de déciller le regard, d'arrêter de faire comme avant, de s'engager collectivement dans le sursaut auquel le Président de la République nous a appelés.
Comme toute construction humaine, l'Europe est mortelle. Les vents mauvais du repli, de la peur, ont fragilisé son projet au point que nous devons maintenant reprendre ses fondations.
Le moment est historique, notre responsabilité est historique.
Car, oui, le choix du peuple britannique est un évènement considérable à l'échelle de notre génération, une sidération, un choc, mais ne faisons pas comme si c'était une surprise ou un accident de l'histoire qui n'aurait pas de sens : personne, en effet, ne peut s'exonérer de sa part de responsabilité, y compris en tant que citoyen.
Personne, pas même la jeunesse européenne, dont une partie de l'avenir vient de se décider, malgré elle, ou plutôt, sans elle.
C'est à elle, c'est à vous, aujourd'hui, de prendre les choses en main : en allant voter, pour dire ce que vous voulez et ce que vous ne voulez pas ; en vous engageant, pour inventer, proposer, construire et faire ce que vous croyez être juste.
Ce choc, cette sidération peuvent soit nous faire reculer, soit nous paralyser, soit nous faire avancer.
Je suis de celles et de ceux qui pensent que ce choc peut ne pas être mortifère, mais au contraire, salutaire.
Nous avons maintenant le devoir de régénérer un projet, une idée, une volonté politique et démocratique de destin commun à l'échelle d'un continent, l'Union Européenne.
Rien n'est écrit d'avance: c'est nous, les Européens, qui allons écrire cette histoire dont un chapitre nouveau commence aujourd'hui.
Ce sera un combat, un combat d'idées dans la démocratie : un combat de valeurs, de convictions, de courage et de volonté.
Ce combat passera par la jeunesse, par l'éducation, par l'engagement d'une nouvelle génération de responsables politiques, par la construction d'une nouvelle conception de la citoyenneté, plus exigeante, plus collective, et osons le dire, plus politique !
Voici la responsabilité historique de notre génération politique, la responsabilité citoyenne des élus, des enseignants, des élèves, comme de tous les citoyens européens engagés : régénérer l'Europe.
Régénérer l'Europe, c'est refonder son projet démocratique, c'est-à-dire le lien entre les gouvernants et les peuples.
Régénérer l'Europe, c'est dépasser les égoïsmes pour avancer sur les droits sociaux.
Régénérer l'Europe, c'est surtout faire le pari de la culture, de l'éducation, de la recherche.
Car régénérer, c'est reconstituer une partie perdue. Ce que l'Europe a perdu, c'est son sens. Sa relation profonde avec chacune et chacun d'entre nous. Le sentiment altruiste qui la nourrit. Le Président de la République l'a rappelé. L'Europe doit être comprise.
Lui redonner du sens, cela ne se fera que par les peuples. Et cela passe par l'éducation, la culture, et par l'élaboration d'une véritable citoyenneté européenne.
Après tout, ayons un peu de mémoire. Avant d'avoir été un projet politique, l'Europe a d'abord été l'Europe des lettres et des arts, des universités et des savoirs.
L'éducation, la connaissance, la culture, sont au fondement de l'identité européenne. Une identité qui a toujours été ouverte, qui s'est toujours enrichie des différences.
Saurons-nous refonder un vrai compromis européen sur la base de tout ce qui peut nous rassembler, sur la culture et l'éducation, sur ces politiques qui construisent l'avenir et créent de la confiance ?
Ou cèderons-nous aux pentes des peurs qui divisent, qui éloignent, qui exacerbent et opposent les intérêts, les particularismes ?
Voici le choix qui s'impose à nous aujourd'hui. Et si je regrette le résultat du référendum, s'il m'attriste, j'ai, devant moi, quelque chose qui me donne beaucoup d'espoir pour l'avenir.
Nous sommes réunis aujourd'hui à Strasbourg, dans cette école européenne dont le sens même est de transmettre cette identité européenne en partage aux nouvelles générations.
Eh bien, cette salle, cette jeunesse, c'est le symbole de l'Europe qui doit advenir, après les tourments et le désaveu de nos amis britanniques. Nous sommes à un tournant, qui doit être l'occasion d'un nouvel élan.
Cet élan, l'histoire l'a prouvé, viendra d'abord de chacune et de chacun d'entre nous. Car l'Europe ne s'impose pas. Elle ne se décrète pas. C'est l'engagement de chacune et de chacun qui la rend possible, qui la réalise. C'est un choix, conscient et raisonné, qui vient de notre histoire et trace un avenir commun, un destin partagé.
Reconstruisons un projet d'éducation et de citoyenneté européenne fondé sur les valeurs qui nous réunissent. J'ai déjà mobilisé mes collègues européens en ce sens, depuis plusieurs mois, pour rendre possible cette Europe de l'éducation qui renouera avec cet esprit européen, qui, à travers les siècles, a nourri des ambitions qu'il nous appartient aujourd'hui de réaliser.
Comptez sur la France pour être au rendez-vous et à l'initiative, je vous remercie.
Source http://www.najat-vallaud-belkacem.com, le 27 juin 2016