Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Je suis très heureux de vous recevoir aujourd'hui à Paris après la visite du président Rohani en janvier dernier. Nous avons fait connaissance à Vienne il y a peu à l'occasion de la réunion du GISS sur la Syrie et nous avions convenu de nous voir à Paris. Je vous remercie d'avoir trouvé une date qui a permis d'avoir une rencontre avec le président de la République, François Hollande, et ensuite cet échange approfondi que nous venons d'avoir. Un échange très utile, riche et sincère, qui nous a permis d'aborder les sujets essentiels sur les plans bilatéral et multilatéral.
À nouveau, je voudrais me féliciter de l'accord du 14 juillet 2015, c'était l'année dernière, mais maintenant on l'appelle de ce beau nom qui comme Français nous touche beaucoup. Cet accord du 14 juillet a permis de trouver une réponse historique sur la question du programme nucléaire iranien. C'est important pour l'Iran mais aussi pour toute la communauté internationale. Et je profite de cette occasion devant vous, Mesdames et Messieurs, pour saluer l'effort personnel que vous avez montré pour la réussite de ces négociations, et ce malgré les réticences, malgré les difficultés qui ont pu être exprimées parfois dans votre propre pays. C'est la grandeur et la noblesse des diplomates et vous y avez mis tout votre talent.
Je crois que cet accord est prometteur pour l'avenir car il montre la voie du dialogue pour régler d'autres problèmes. Il est vrai qu'à ceux qui en doutent parfois, la diplomatie est utile pour régler les conflits et les crises même quand c'est difficile et quand cela demande beaucoup de temps. En ce qui concerne cet accord nous souhaitons qu'il porte ses fruits et que chacun y trouve son compte. Aussi, les engagements doivent être tenus par l'ensemble des parties. Ceux de la France comme de ses partenaires doivent l'être, ce qui est aussi vrai pour l'Iran, et tout cela dans la plus grande transparence.
Pour l'Iran s'ouvre un nouveau chapitre qui a vocation de faire de ce pays, du moins en ce qui concerne la France, un partenaire à part entière notamment sur les questions régionales, et c'est pour cette raison que nous avons échangé sur la question de de la Syrie et du Liban. Nous avons aussi évoqué la situation dramatique au Yémen et nous avons parlé de l'initiative française de paix au Proche Orient. Il en est donc de notre responsabilité commune quant à la résolution de ces conflits souvent dramatiques qui embrasent le Proche et le Moyen-Orient. Conflits qui menacent la sécurité de toute la région mais aussi celle de l'Europe et du reste du monde. Nous l'avons évoqué avec beaucoup de sincérité, cette région a un besoin urgent de paix et l'échange que nous venons d'avoir montre que nous pouvons coopérer ensemble, tout d'abord en dialoguant et en comparant nos analyses et voir ce que nous pouvons faire pour contribuer à restaurer la paix.
Au-delà des enjeux essentiels de paix dans la région, nous souhaitons inscrire nos relations avec votre pays dans le long terme. Le développement de nos relations économiques de ces derniers mois s'inscrit pleinement dans cette voie. Depuis la mise en place de l'accord, il y a eu plusieurs partenariats industriels et commerciaux qui ont abouti et je m'en félicite. Je pense en particulier à la signature, hier à Téhéran, d'un projet de co-entreprise entre le groupe français PSA et Iran Khodro qui prévoit un investissement de 400 millions d'euros sur cinq ans. C'est déjà une concrétisation visible des bénéfices pour l'Iran et pour la France de l'accord de Vienne, et c'est aussi le gage de la volonté des entreprises françaises de réinvestir durablement le marché iranien.
Évidemment, il y a la question des sanctions et elles sont liées à l'accord. La France agit, en étroite coopération avec l'Union européenne, pour que ces sanctions soient effectivement levées car c'est le gage de la confiance. Par sa détermination, la France a permis déjà d'obtenir des résultats et va poursuivre sur cette voie notamment dans un dialogue direct et clair avec nos amis américains.
Monsieur le Ministre,
La France en lien avec ses partenaires européens va continuer à agir dans cet esprit, vous pouvez en être pleinement convaincu. Ainsi les discussions qui ont lieu en Corée du Sud dans le cadre du Groupe action financière (GAFI), et dont l'Assemblée plénière se tiendra vendredi, en sont la preuve. La France maintient sa volonté de travailler dans ce sens et est prête à accompagner l'Iran pour que cette reprise, notamment de nos relations bilatérales, et aussi le retour de l'Iran au sein de la communauté internationale, soit garantis. En tout cas je me réjouis, Monsieur le Ministre, que nos relations bilatérales avancent.
Concrètement, j'évoquerai un point qui est important et sur lequel nous pouvons nous renforcer, c'est le développement des relations culturelles et universitaires. Vous êtes un grand pays par votre histoire et par votre culture et vous avez atteint l'excellence dans beaucoup de domaines notamment celui de la formation de la jeunesse. Nous connaissons l'attente très forte de la jeunesse iranienne, dynamique et nombreuse, et la France souhaiterait recevoir davantage d'étudiants iraniens. Ce serait une manière pour nos sociétés de mieux se connaître, au travers de notre jeunesse, et qui donnerait une impulsion supplémentaire aux relations entre nos deux pays. Merci encore de votre visite et de votre invitation à visiter votre pays.
Q - Qu'en est-il du développement des relations bilatérales et de la levée des sanctions ?
R - Comme je l'ai dit tout à l'heure, la France est très engagée pour la levée effective des sanctions. À chaque rencontre avec notre collègue John Kerry j'évoque ce point précis. Nous avons déjà obtenu des avancées mais il y a encore des progrès à faire et ces progrès sont indispensables, en particulier ceux qui auront pour conséquence de tranquilliser le secteur financier. Les banques ont été échaudées par des expériences passées et elles sont, peut-être, trop frileuses, mais elles veulent des garanties totales avant de s'engager. Je le comprends mais aujourd'hui il y a eu des progrès et je crois qu'il faut le dire aux banques et je crois que tout à l'heure vous aurez une rencontre avec Michel Sapin, le ministre des finances et des comptes publics, pour évoquer ce point. Mais il y a encore des améliorations à apporter. À chaque fois que cela sera nécessaire nous demanderons aux Américains de faire leur part du travail car nous voulons la réussite de l'accord du 14 juillet. Si l'on veut que la confiance revienne il faut que l'accord soit respecté sur tous les plans.
Q - Vous avez évoqué tous les deux la guerre en Syrie et ses conséquences sur le Liban et la région. Nous savons tous qu'entre l'Iran et la France il n'y a pas une vue commune sur ces questions. Avez-vous trouvé lors de vos discussions un certain terrain pour faire progresser la cause de la paix ?
R - Je pense que c'est important que nous ayons eu un échange approfondi sur la région. Sur la Syrie où on peut avancer sur les solutions et les méthodes pour y arriver, nous partageons le même diagnostic et - vous me l'aviez déjà exprimé à Vienne - c'est la nécessité d'une solution politique. Aujourd'hui les conditions ne sont plus réunies et il faut retourner au cessez le feu. Il faut aussi que l'aide humanitaire accède partout, à tout le monde sans discrimination. Aussi, s'il faut chercher une méthode complémentaire à ce qui existe, alors on pourra continuer à discuter ensemble pour voir comment contribuer à recréer les conditions favorables à la reprise des négociations. Mais cela passe par le cessez le feu et par l'aide humanitaire.
Concernant le Liban, je m'y rendrai les 11 et 12 juillet prochains. J'ai proposé à mon collègue iranien de lui faire un retour sur cette visite pour voir ce que nous pourrions imaginer ensemble comme initiative pour sortir ce pays de la crise politique qu'il traverse et qui est préjudiciable à sa sécurité et aux conditions de vie de ses habitants.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé de partenariat dans la région et vous venez de nous expliquer un peu comment vous concevez le dialogue. Est-il possible de faire un partenariat sur des questions comme le Hezbollah qui se bat en Syrie au nom de l'Iran et d'être partenaire de l'Iran qui refuse le départ de Bachar al-Assad ?
Sur le Liban et l'histoire de la présidentielle avec le blocage de ce processus électoral, avez-vous le sentiment que l'Iran ait changé un peu, car l'on dit au Liban que c'est le Hezbollah qui bloque ?
R - Je ne vais pas développer dans le détail tous les points que vous avez évoqués puisque je me rendrai au Liban très prochainement pour connaître la situation sur place, et avec le souci de contribuer à une solution politique. Du moins aider - et ce n'est pas nous qui le ferons à la place des Libanais - à sortir du marasme politique, de cette crise actuelle avec l'absence de président de la République. Nous l'avons constaté ensemble et nous discuterons à nouveau pour voir de quelle façon, compte tenu des liens historiques très forts qui existent entre la France et le Liban, mais aussi du rôle que peut jouer l'Iran, nous pouvons aider. Je reviendrai vers vous pour voir de quelle façon nous pouvons avancer.
Concernant la Syrie, il y a beaucoup d'acteurs dans la région qui sont concernés. Il y a l'Iran, l'Arabie Saoudite et d'autres pays. La France veut parler avec tout le monde. La semaine prochaine nous recevrons le vice-prince héritier saoudien, nous aborderons bien évidemment la question syrienne et je parlerai avec la même franchise dans nos entretiens. Ce que nous voulons c'est sortir de cette crise insupportable pour le peuple syrien qui est en train d'être détruit et qui risque de rester en guerre pendant de nombreuses années. C'est une guerre qui provoque un chaos dans toute la région et qui entraîne des départs massifs de réfugiés supplémentaires. C'est notre intérêt commun de trouver une solution. Il ne faut pas fermer les yeux. J'ai bien noté votre expression, Monsieur le Ministre, que l'on parle aux gens avec lesquels on n'est pas forcément d'accord et, parfois, les points de vue peuvent être extrêmement éloignés.
Mais comme nous avons commencé cette conférence de presse avec l'accord du 14 juillet, si on refait l'histoire on verra que nous sommes partis de loin et que nous avons, quand même, abouti à une solution.
Q - Qu'en est-il de l'avenir des relations bilatérales entre la France et l'Iran ?
R - La France est déterminée à retrouver cet esprit que vous appelé de vos voeux et que permet l'accord. Comme je vous l'ai dit, la France est attachée à cet accord, à tout l'accord, par toutes les parties, l'Iran et les autres pays signataires. Sur la question des sanctions nous allons continuer à discuter. Mais je vais être clair. Il y a une campagne électorale aux États-Unis, et nous savons ce qu'est une campagne électorale, mais la France ne se laisse absolument pas impressionnée par la surenchère des slogans des candidats. Nous regardons les choses avec sérénité, nous pensons à l'accord, à tout l'accord, et nous ferons tout pour qu'il soit à la fois respecté et mis en oeuvre. Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2016