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Dans le domaine de l'action sociale, lorsque l'on se met au service des autres, des plus fragiles, on pense souvent que l'on agit d'abord avec son cur. Mais à mon sens ce n'est pas parce qu'on agit avec son cur qu'il faut s'interdire de faire appel à la raison, pour démontrer et faire la preuve que ce que l'on fait est utile et efficace rentable diraient certains.
Je dois dire que la rentabilité n'est pas au départ dans mon vocabulaire, moi qui suis à l'origine médecin de la fonction publique hospitalière. Mais il m'est apparu, depuis mon arrivée à mon poste de Secrétaire d'Etat en charge de la lutte contre l'exclusion, que l'on avait trop souvent tendance à considérer que l'action sociale était d'abord un coût, une charge pour la collectivité, sans qu'on puisse réellement en mesurer l'apport, l'utilité, l'impact.
Malgré les mécanismes de protection sociale et de redistribution qui ont été mis en place au fil des années, et que nous avons renforcé dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale (revalorisation du RSA, des prestations familiales, augmentation des plafonds de la CMU-C et de l'ACS ), nous peinons encore à faire la preuve que notre société non seulement protège les plus fragiles, mais offre également des possibilités de rebondir et de s'en sortir. En un mot : que la pauvreté n'est pas une fatalité ! C'est un véritable défi que nous avons à relever, face à la défiance d'une partie de nos citoyens à l'égard de notre modèle social. L'accompagnement des personnes est de ce point de vue une des clés du problème : car au-delà des réponses techniques et financières, c'est en apportant des réponses humaines que les personnes en difficulté pourront se sentir soutenues et reprendre confiance en elles, se remobiliser et mobiliser les ressources de leur environnement. C'est notamment le cas de la Garantie Jeunes qui permet à de nombreux jeunes de reprendre confiance en eux. Cette approche de l'accompagnement nécessite cependant de changer le logiciel de l'action sociale, en considérant qu'il faut d'abord adapter l'environnement aux individus et non l'inverse, afin que chacun puisse y trouver sa place, et se saisir des opportunités qui existent autour de lui (pour se déplacer, se former, se soigner ). C'est l'idée du développement social qui est au cur du plan d'action en faveur du travail social que j'ai présenté avec Marisol Touraine en octobre dernier en Conseil des Ministres, et que nous mettons en uvre actuellement avec la DGCS.
Sur cette question de l'accompagnement, je crois que les idées et initiatives ne manquent pas : « le logement d'abord », « l'emploi d'abord », l'accompagnement global pour les personnes en situation d'exclusion, ou encore l'emploi accompagné dans le domaine du handicap.
Autant de dispositifs qui montrent que nous sommes capables de nous réinventer en permanence, d'innover et de rechercher des solutions, y compris en nous inspirant de ce qui se passe au-delà de nos frontières. Mais ce qui nous manque souvent, c'est d'arriver à faire la preuve que ces dispositifs, parfois couteux, sont pleinement utiles et efficaces, voire même rentables.
C'est précisément pour cette raison que j'ai souhaité créer une « Fondation pour l'Investissement Social », afin de démonter qu'il existe des approches utiles et efficaces pour faire reculer la précarité et l'exclusion sociale. Pour montrer également qu'il est possible de construire un modèle de société « inclusif », qui allie développement économique et développement social. C'est cette logique de développement social qui est à l'origine de la création de cette fondation, à laquelle sont associés des représentants des pouvoirs publics, mais aussi des entreprises, des associations et des citoyens : c'est l'idée qu'un environnement inclusif est nécessairement fondé sur un partenariat fort entre le secteur public et le secteur privé.
C'est pour cette raison que j'ai souhaité confier la présidence de cette Fondation à une dirigeante d'entreprise, Mme Isabelle KOCHER, nouvelle directrice générale du groupe Engie et seule femme patronne du Cac40 (c'est suffisamment rare pour que cela mérite d'être souligné) ! Car je suis profondément convaincue que le partenariat avec le secteur privé peut aller au-delà d'un simple partage de compétences, le public s'occupant des uvres sociales, par définition couteuses, et le privé étant uniquement centré sur la recherche du profit et la rentabilité. Je crois au contraire qu'ensemble, nous pouvons démontrer que certaines actions, lorsqu'elles sont construites pour répondre de façon globale aux besoins sociaux, peuvent être facteurs de développement économique et social.
Encore faut-il en faire la preuve, et démontrer qu'un euro investi dans le développement social n'est pas un euro perdu. La question de l'investissement social ne se réduit pas pour autant à une question financière.
Même si la question des financements des projets doit être posée, il y a une question préalable que nous devons nous poser avant toute chose : c'est celle de l'utilité des projets qui sont financés, et de leur cohérence par rapport aux politiques publiques qui sont menées au service des personnes les plus fragiles.
Pour cela, les critères de sélection des projets et les méthodes d'évaluation et de valorisation de l'impact des projets ne doit pas être laissée au hasard. Nous devons en effet nous appuyer sur des méthodes robustes, et des publications scientifiques indépendantes afin de disposer de preuves solides et incontestables. C'est à cette seule condition que nous serons crédibles sur ce sujet.
C'est pourquoi j'ai souhaité installer au cur de cette fondation un Conseil scientifique composé de chercheurs renommés. Ce Conseil scientifique sera chargé de sélectionner de façon très rigoureuse les projets qui seront présentés, afin de s'assurer qu'ils pourront constituer des objets de recherche utiles, et de valider les méthodes d'évaluation et leurs résultats. Il sera composé d'un groupe pluridisciplinaire de chercheurs renommés, afin de permettre une évaluation globale des impacts sociaux (sur les individus concernés bien sûr, mais également sur l'environnement social et économique des personnes, dans une logique de développement social).
Cette Fondation sera lancée très prochainement autour d'un projet concret, et en présence des acteurs et personnes concernées. Car les politiques d'investissement social doivent être mises en uvre et évaluées avec les personnes concernées, c'est la condition de leur pertinence et de leur crédibilité. A titre d'exemple, c'est en échangeant avec des personnes en situation de précarité que l'on se rend compte que la dématérialisation des démarches n'est pas toujours synonyme de simplicité pour des personnes qui n'ont ni adresse e-mail, ni ordinateur.
Car ces débats n'auront d'intérêt que s'ils permettent de répondre à la seule question qui compte réellement aujourd'hui pour ces personnes : reprendre confiance dans l'avenir et dans notre pacte social, qui est fondé sur des valeurs républicaines d'égalité des chances et des opportunités. Une égalité qui n'a de sens et de valeur que si elle est réelle et tangible.
Pour conclure, je veux redire ici que l'investissement social est une notion essentielle, qui permet de démontrer que l'action sociale est moderne et innovante, à condition d'en faire la preuve au travers de travaux de recherche et d'évaluation, et de publications scientifiques.
J'espère que ce séminaire sera l'occasion d'avancer dans cette direction.
Je vous remercie.
Source http://social-sante.gouv.fr, le 17 juin 2016