Texte intégral
Q - (sur les objectifs de la réunion)
R - Il s'agit de retrouver l'esprit des fondateurs de l'Europe, qui, au fil du temps, a tendance à être oublié, alors que c'est le sens de la construction européenne qui manque, qui fait défaut aujourd'hui. Peut-être que la construction européenne, à cause de son fonctionnement à 28, maintenant à 27, est lourd et complexe. Quand une décision importante doit être prise, il faut du temps et parfois beaucoup trop de temps pour qu'elle soit prise et quand elle est prise, il faut du temps et parfois beaucoup trop de temps, pour la mettre en oeuvre. Il faut tirer les leçons de cela, qui porte préjudice à l'Europe, mais ce qu'il ne faut pas faire, c'est abandonner l'ambition commune.
C'est important et c'est pour cela que les six pays fondateurs, qui n'ont aucune vocation ni l'intention de jouer un quelconque rôle de gouvernement de l'Europe, ont souhaité se réunir à plusieurs reprises pour réfléchir, conscients de ces difficultés, à comment retrouver le souffle, comment retrouver la dynamique sans perdre l'essentiel. Il y a eu une première réunion à Rome, puis ensuite à Bruxelles, puis aujourd'hui à Berlin. Nous l'avions déjà programmée, il se trouve qu'elle a lieu au moment où le peuple britannique vient de décider de sortir de l'Union européenne, donc cette réunion avait encore plus de sens. On a abordé deux sujets, l'urgence et le respect de l'article 50. Il n'y a aucune raison, pour reprendre l'expression de Jean Asselborn, de «jouer au chat et à la souris». Si certains en ont l'intention, ce ne serait pas digne après avoir pris la décision d'organiser un référendum pour ou contre le maintien dans l'Union européenne.
On a eu le résultat, c'est le Brexit. Et par respect pour les Européens, pour tous les Européens, je pense qu'il faut que le Traité sur l'Union européenne, à travers son article 50, soit activé le plus vite possible. C'est une question de respect et d'intérêt aussi, sinon on laisse pourrir cette situation pendant des mois sous prétexte de problèmes internes à un parti. Maintenant le peuple s'est exprimé et il faut qu'il soit respecté. Nous souhaitons qu'on organise en bon ordre, dans le respect du traité et l'article 50, cette sortie, dans l'intérêt mutuel et en gardant son sang-froid et en évitant de jouer. Il faut vraiment que ce processus de négociation s'engage le plus vite possible et qu'il ne dure pas trop longtemps. Et puis il y a - et c'est l'idée des pays fondateurs - la question de que faire pour relancer l'Union ? Pour cela, je crois qu'il faut revenir aux fondamentaux. Je l'ai redit tout à l'heure, j'étais hier à Luxembourg, à la réunion du conseil affaires générales où les ministres des affaires étrangères ne vont pas, ou très rarement. Nous étions plusieurs et j'ai rappelé tout cela, l'esprit des fondateurs, qu'il ne faut pas l'oublier. Avec le temps, on oublie qu'il y a des pays qui vivaient sous la dictature - l'Espagne, le Portugal et la Grèce - et puis, pendant longtemps, la partie d'Europe centrale et orientale était séparée du reste de l'Europe. Après la chute du mur de Berlin, enfin nous sommes ensemble et qu'est-ce qui nous rassemble ? Une volonté commune, des valeurs communes, une ambition commune. Si on ne retrouve pas cela, alors peu à peu les peuples vont s'éloigner de l'Europe et c'est tout le projet intelligent et audacieux qui a été construit à partir de 1950 et ensuite avec le traité de Rome en 1957, qui risque d'être remis en cause, au détriment des Européens eux-mêmes.
Il y a juste un mot que je voudrais dire à propos du vote britannique : la jeunesse britannique est comme la jeunesse européenne, elle voit aussi où est son avenir. La jeunesse britannique a choisi de voter très majoritairement pour rester dans l'Europe. Je crois que pour nous, c'est un signal très fort. Si on veut rendre l'Europe plus populaire, qu'on l'aime à nouveau davantage, alors il faut aussi davantage répondre aux aspirations de la jeunesse, et notamment dans l'Europe des 27, il y a encore 14 millions de jeunes au chômage. Certains bénéficient certes d'Erasmus, mais tous les autres ? Il faut que l'Europe retrouve un souffle, une espérance. C'est notre responsabilité politique aujourd'hui. On est à un moment historique, ne le sous-estimons pas. C'est avec une certaine gravité que je m'exprime, il faut qu'on soit à la hauteur. Ça a commencé dès le jour des résultats, vendredi hier et puis ça continue aujourd'hui ici après Luxembourg à Berlin et lundi à nouveau avec la rencontre Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi et puis le Conseil européen, où il y aura un moment fort, puisque l'on commencera à 28, avant de poursuivre à 27.
Q - Can I ask you a question? Are you going to miss us or are you glad that we are gone?
R - I was in favor of the remain, but I don't have to answer for the British people. That was for British people to decide and British people did answer. I am not pleased, but this is the reality. I regret that.
Q - But we were an obstacle to many European projects. Are you now happy that it is not the case anymore?
R - Le Royaume-Uni va devenir un pays tiers, par son choix, le choix du vote du peuple. Je ne suis pas sûr que ceux qui ont poussé à ce résultat avaient un programme de rechange à proposer au peuple britannique. Ce que je constate, c'est qu'aujourd'hui, aussi bien M. Farage que peut-être M. Johnson, ne disent rien au peuple britannique. C'est leur problème, mais c'est aussi le problème du peuple britannique.
Dans l'intérêt du peuple britannique après le vote de Brexit, et dans l'intérêt des peuples européens, cette période d'attente ne doit pas se poursuivre longtemps, parce que là, on aura des problèmes très graves, des problèmes financiers, des problèmes économiques, vous le verrez et des problèmes politiques. Le Royaume-Uni a lui-même à faire face à des interrogations. Je pense à l'Ecosse, je pense à l'Irlande du Nord, donc il faut être responsable dans ces circonstances On ne fait pas de la tactique. Là il faut qu'on soit à la hauteur de l'Histoire.
Q - il s'agit de mettre la pression aux Britanniques ?
R - Mais c'est un message politique de responsabilité que nous adressons. On s'adresse d'abord au Premier ministre actuel et à son parti. Moi je fais la différence entre le vote populaire, le vote des citoyens : le peuple britannique a voté, nous n'avons fait aucune ingérence et nous n'avions pas à le faire, nous n'avions pas à dire ce qu'ils devaient faire. On a simplement exprimé notre souhait. On a aussi, au niveau européen, fait en sorte qu'il y ait un accord le 19 février, donc on n'a pas compliqué la tâche des dirigeants britanniques, mais le peuple a parlé.
Mais maintenant, il ne s'agit plus de faire traîner les choses, car il ne s'agit plus de l'expression du peuple mais du vote des adhérents d'une formation politique. Alors, je respecte beaucoup les formations politiques, mais il ne faut pas mélanger le vote populaire avec le vote interne à une organisation. Là maintenant, c'est une question d'intérêt général, d'intérêt majeur, donc il faut vraiment que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Do you want to maintain free trade? Do you want business to be as easy with the United Kingdom as it is?
R - Pour répondre à toutes ces questions : il ne faut pas laisser le flou. Si on laisse le flou, c'est une grande période d'incertitude qui va commencer et qui aura des conséquences au détriment des citoyens britanniques, des travailleurs britanniques, des entreprises britanniques, de la finance britannique, mais qui aura aussi des conséquences sur l'Europe. Donc il faut après la décision de se séparer, le faire intelligemment et de façon responsable. C'est un divorce, il faut le traiter avec respect, responsabilité, mais en assumant la décision qui a été prise. Donc c'est ce qui doit être fait maintenant et sans tarder.
Q - (inaudible)
R - Moi je suis pour la sérénité et le calme, c'est le rôle des dirigeants. Il ne faut surtout pas se laisser aller à des invectives, mais simplement, il faut être clair. Si on veut que les citoyens comprennent, il faut qu'on leur dise très clairement ce qui doit être fait à nos yeux, et là nous sommes à un moment où des décisions importantes doivent être prises. Ça n'empêche pas le sang-froid, le sang-froid est même indispensable.
Q - il n'y a pas eu d'initiative franco-allemande ce matin ?
R - Non, ce matin, c'était la réunion des Six. Mais le travail que j'ai fait avec Frank-Walter Steinmeier, nous l'avons adressé à nos collègues pour qu'ils en prennent connaissance, mais ce n'était pas le sujet de cette réunion. Avec Frank-Walter Steinmeier, nous avons travaillé à une contribution que, lui comme moi, nous avons adressée ensemble au président de la République François Hollande et à la chancelière Angela Merkel pour montrer qu'il y a des possibilités de faire des propositions communes, qui peuvent être aussi reprises, si le débat a lieu, par l'ensemble des pays européens et l'unité des 27, parce qu'il faut bien mettre sur la table un certain nombre de propositions. C'est une contribution. Là je considère qu'on était dans notre rôle. Ce n'est pas nous qui décidons, mais c'est nous qui pouvons proposer.
Q - Sans modifier les traités ?
R - Mais, il n'y a pas besoin de modifier les traités pour faire beaucoup de choses. Je vais prendre un exemple : Schengen. Il faut parachever Schengen, qui n'est pas allé jusqu'au bout de sa propre logique, donc il faut faire le travail.
Est-ce qu'il faut changer de traité ? Alors il y en a qui, parce qu'ils sont dans le désarroi, parce qu'ils ne savent pas quoi proposer, disent «traité, traité», d'autres disent «constituante, constituante», d'autres qui disent «référendum, référendum». C'est plutôt des messages d'impuissance, parce que ce qu'il faut, c'est proposer des choses concrètes, des choses acceptables, des choses faisables, et acceptables par les 27, nous ne sommes pas seuls à décider. Ce n'est pas une pétition de principe. Ce n'est pas une déclaration en l'air qu'on fait. C'est comment redonner le sens au projet européen, comment redonner de la confiance et en même temps, en faisant des propositions concrètes, utiles à tous les citoyens européens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2016