Interview de Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à Europe 1 le 30 juin 2016, sur la poursuite du dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux sur le projet de loi travail.

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Média : Europe 1

Texte intégral


JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenue Myriam El KHOMRI. Bonjour.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Messieurs MARTINEZ et MAILLY ont donc repoussé vos trois nouveaux amendements, est-ce que vous pouvez leur dire une fois pour toutes, avec tous les Français : y en a marre ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, je crois que…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne pouvez pas le dire de la même manière, mais dites-le autrement…
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne vais pas le dire de la même manière, non, non, mais, moi, je dis les choses très sincèrement, depuis le début, depuis le 17 février, le gouvernement n'a cessé de faire des mouvements, ces mouvements…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire, chercher le compromis…
MYRIAM EL KHOMRI
Ces mouvements, ce n'est pas des reculs, ces mouvements, nous n'avons eu de cesse d'améliorer le texte, d'être ouverts au dialogue, et d'en tirer des conséquences, c'est-à-dire, de mettre en oeuvre des avancées. C'est le sens du compromis qu'on a eu avec les syndicats dits réformistes dès le mois de mars, et puis, par la suite, le compris que nous avons bâti avec des parlementaires, qui a fait qu'on a intégré près de 800 amendements…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et en face…
MYRIAM EL KHOMRI
Donc le gouvernement n'a cessé de montrer des mouvements, et il y avait, il y a des craintes sur la question de l'effacement des branches et du dumping social, et nous y répondons. Et dans une heure, je serai à l'Assemblée nationale en train de présenter les amendements du gouvernement. Et donc…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et pourtant, et pourtant, Myriam El KHOMRI, si vous me laissez vous rappeler une phrase, dite ce matin dans Le Parisien : Philippe MARTINEZ vous prévient, ça va se terminer et se jouer dans la rue.
MYRIAM EL KHOMRI
Mais le gouvernement n'est pas intransigeant, ce n'est pas de l'obstination, c'est de la conviction.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'est pas de la faiblesse non plus ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ce n'est pas de la faiblesse, nous sommes convaincus, et nous le partageons d'ailleurs avec des syndicats tels que la CFTC ou la CFDT, qu'il faut décentraliser la démocratie dans notre pays, la démocratie sociale notamment au sein de l'entreprise.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, si vous permettez, ils ne recherchent plus le retrait de la loi, mais en même temps, un coup de correction, eux, en refusant vos compromis, ils veulent la mort de la loi. Est-ce qu'il y aura une vraie loi Travail ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, cette loi est dans un processus parlementaire, je l'ai défendue pendant 80 heures au Sénat, le projet qui est sorti du Sénat n'est pas celui qui est celui du gouvernement, il y a eu de la surenchère libérale, une fin des 35h, également, un contournement des organisations syndicales. Nous représentons, et moi, j'irai en commission ce matin pour présenter des amendements du gouvernement, l'objectif, nous n'avons cessé de faire des mouvements, c'est ce que je vous explique, donc il n'y a pas d'intransigeance du gouvernement, il y a une volonté de dialogue intacte depuis plusieurs mois, à partir de là, moi, je ne comprends pas, qui comprendrait d'ailleurs que ceux qui ont reproché une intransigeance du gouvernement, se montrent eux-mêmes intransigeants au moment où nous faisons encore de nouvelles avancées.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais ils vous répondent de cette manière. Et en plus, il y a une manifestation prévue le 5, il y en aura probablement une le 22, le jour du vote à l'Assemblée nationale, il y en aura pendant le Tour de France, il y en aura pendant les festivals. Monsieur MARTINEZ vous a dit : ça se passera dans la rue.
MYRIAM EL KHOMRI
Jean-Claude MAILLY, hier, a souligné, en milieu de journée, que les propositions du gouvernement étaient une avancée positive…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, il a même dit : il y a des progrès obtenus qu'il a soulignés. Mais il en veut plus. Il n'arrive plus à se séparer de Philippe MARTINEZ, apparemment, qu'il ne supporte pas, il y a des contradictions, comment il a changé entre le milieu de l'après-midi et la fin de l'après-midi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ah ben ça, moi, je…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous l'avez noté ?
MYRIAM EL KHOMRI
Nous l'avons rencontré avec le Premier ministre, il a eu en effet des propos en milieu d'après-midi où il souligne des avancées, moi, je crois que cette question, on a répondu à un problème de fond, ce que nous avons fait, c'est que nous avons réaffirmé le rôle de la branche, sans toucher à notre conception, à notre cohérence, ce que nous défendons depuis plusieurs mois…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, c'est-à-dire que vous avez équilibré, c'est-à-dire que vous avez dit : la branche professionnelle, vous la renforcez, comme d'ailleurs demandait Laurent BERGER, de la CFDT, les branches doivent devenir ou avoir un rôle régulateur…
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait, pour lutter contre le dumping social…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais si vous rééquilibrez, c'était que c'était déséquilibré ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, c'est depuis toujours, nous avons apporté des améliorations, il y a eu des craintes qui se sont exprimées sur le dumping social, et sur le fait que la branche allait disparaître. Nous n'avons jamais opposé un niveau à un autre. Nous recherchons, dans une économie mondialisée, la capacité, justement, quel est le niveau le plus pertinent pour prendre des décisions. S'agissant de l'organisation du travail, nous considérons que c'est au sein de l'entreprise que cela permet d'avoir des adaptations négociées…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
… Essayons d'avancer, le président de la République, Manuel VALLS et vous, vous n'avez cessé de répéter que vous ne toucherez pas à l'article 2, mais à coup de mouvements, comme vous dites ou de compromis ou de recherche de concessions, est-ce que vous ne réduisez pas la portée de l'article 2 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Absolument pas…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites : on n'y touche pas, mais…
MYRIAM EL KHOMRI
Absolument pas…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tout ce qui est autour, on le gratte, et on l'affaiblit…
MYRIAM EL KHOMRI
Le compromis n'est pas antinomique avec cette volonté de cohérence. La cohérence de ce projet de loi, nous la défendons, nous la revendiquons depuis le début. Et nous ne changeons pas cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que ce matin, vous dites que votre bureau, les portes de votre bureau sont ouvertes ? Parce que, est-ce que – vous n'avez pas commencé une négociation – mais est-ce qu'il y aura d'autres rendez-vous ? Est-ce que si monsieur MARTINEZ change d'avis, il peut venir vous voir ou s'il pense qu'il peut vous faire changer d'avis, il peut venir voir Myriam El KHOMRI ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais écoutez, moi, ma porte a toujours été ouverte, et la franchissaient ceux qui voulaient la franchir. Monsieur MARTINEZ est venu il y a quinze jours m'apporter les propositions de la CGT, j'ai regretté la politique de la chaise vide qu'avait mise en oeuvre la CGT depuis le début, et c'est une bonne chose qu'ils soient venus…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous dites : c'est toujours ouvert, c'est ça qui est important, pour la suite…
MYRIAM EL KHOMRI
Mais le texte aujourd'hui, il est à l'Assemblée nationale, la Commission va se réunir aujourd'hui. Hier, nous avons rencontré avec le Premier ministre quatre organisations syndicales, et nous avons fait état justement de ces trois amendements que présente le gouvernement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien. Est-ce que vous affirmez, vous aussi, Myriam El KHOMRI, la loi sera votée et promulguée dans les délais prévus, il faut souhaiter qu'une majorité puisse être trouvée, à défaut, il sera de nouveau recouru à l'article 49.3, est-ce que vous le dites aussi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous le dites ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est ce qu'a indiqué aujourd'hui le président de la République…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans Les Echos…
MYRIAM EL KHOMRI
Moi, j'étais hier devant le groupe socialiste à l'Assemblée nationale, il y a eu en effet des prises de parole de députés socialistes qui sont opposés, dits frondeurs, qui sont opposés à certaines parties du texte. Ils sont minoritaires dans le groupe, ils sont minoritaires, et veulent que la majorité se plie à leur position minoritaire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, qu'est-ce que vous dites aux frondeurs ce matin, aux amis de madame AUBRY ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, mais un compromis, ça ne marche pas comme ça, s'il s'agit de renoncer à l'essence même du texte, moi, je dis très clairement, pour se plier à leur position, eh bien, ce n'est pas un compromis. Ça, c'est une soumission.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et face à la soumission, vous dites : non ?
MYRIAM EL KHOMRI
Moi, j'aborde les choses dans un état d'esprit positif, je propose trois amendements…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais d'accord, on l'a entendu, on l'a compris, mais qu'est-ce que vous dites aux frondeurs qui ne seront jamais satisfaits, qu'est-ce que vous leur dites ce matin ?
MYRIAM EL KHOMRI
Eh bien, maintenant, c'est à eux de prendre leur responsabilité, nous avons fait trois propositions d'amendements, qui répondent justement à des craintes qu'ils avaient exprimées…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, on a compris…
MYRIAM EL KHOMRI
Notamment sur la question de la réhabilitation de la branche professionnelle…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce que vous leur demandez ce matin ?
MYRIAM EL KHOMRI
Eh bien, maintenant, d'avancer aussi…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire, de voter le moment venu, sinon, est-ce que…
MYRIAM EL KHOMRI
Un compromis, c'est chacun fait un pas. Le gouvernement n'a eu de cesse de faire du mouvement, le mouvement, il est du côté du gouvernement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, on l'a compris.
MYRIAM EL KHOMRI
Donc à partir de là, c'est à eux de se positionner.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que le 49.3, qui est un instrument de la Constitution, et tout le monde le répète, vous préféreriez ne pas avoir à vous en servir, mais si la dissuasion ne marche pas, vous, le Premier ministre, le président de la République, vous dites que vous n'excluez pas de l'appliquer, c'est clair, parce que cette loi, elle doit passer, c'est ça ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, je vous l'ai dit, moi, je suis dans un état d'esprit positif, et j'espère qu'il sera partagé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et alors, et Pierre GATTAZ, là, il est en colère en ce moment, il dit primauté à l'accord d'entreprise, pas question de renforcer la branche, d'ailleurs, vous allez le recevoir dans la matinée…
MYRIAM EL KHOMRI
Dans l'après-midi…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans l'après-midi. Et il dit : le patronat refuse d'appliquer le compte pénibilité, enfin, il y a six volets, qui entre en vigueur demain, 1er juillet, or, c'est la loi. Qu'est-ce que vous faites si les chefs d'entreprise ne respectent pas la loi, et si monsieur GATTAZ se met hors la loi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais, moi, j'appelle Pierre GATTAZ à une plus grande sagesse et à la raison, le président de la plus grande organisation patronale ne peut pas s'exonérer de l'application de la loi, il ne peut pas demander, lorsqu'il y a des blocages, notamment de l'économie ou des blocages d'entreprises, que l'ordre public, que la loi soient appliqués, et lui-même appeler à ce que cette loi ne soit pas appliquée. Sur le fond, la pénibilité est un sujet essentiel, c'est une mesure de justice sociale, il y a une différence de sept ans d'espérance de vie entre un cadre et un ouvrier, donc sur le fond, il est essentiel d'appliquer le compte pénibilité…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il applique la loi, c'est ce que vous dites à Pierre GATTAZ…
MYRIAM EL KHOMRI
Mais bien évidemment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je voudrais vous poser une question, il y a quelques jours, en catimini, à la SNCF, la CGT a refusé de s'opposer à l'accord d'entreprise déjà signé par la CFDT et l'UNSA, elle a arrêté la grève des cheminots qui a coûté 300 millions à la SNCF. La CGT vient donc d'accepter un accord d'entreprise, un accord d'entreprise, prévu par la loi El Khomri ; est-ce que c'est cohérent ?
MYRIAM EL KHOMRI
Eh bien, en tout cas, j'ai cru entendre un jour Philippe M ARTINEZ dire : c'est les salariés qui savent ce qui est bon ou pas pour eux. Eh bien, c'est exactement la philosophie qui est portée, notamment dans l'article 2 dans le projet de loi Travail…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc ils ont désavoué Philippe MARTINEZ, c'est ça…
THOMAS SOTTO
Merci…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bonne journée…
MYRIAM EL KHOMRI
Merci…
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Myriam El KHOMRI d'être venue ce matin sur Europe 1. Demain, c'est Eric WOERTH qui sera votre invité à 08h20
source : Service d'information du Gouvernement, le 1er juillet 2016