Texte intégral
Dans le cadre du débat en vertu de l'article 50-1 de la Constitution, j'ai l'honneur de lire devant vous l'intervention que le Premier ministre prononce actuellement à la tribune de l'Assemblée nationale.
Le choc est historique : pour la première fois depuis le début de la construction européenne, un peuple a décidé de quitter l'Union. On croit toujours les choses acquises, que ce qui a été fait ne peut être défait. Combien de fois avons-nous entendu parler de l'irréversibilité de la construction européenne.
Les Britanniques se sont exprimés. Il faut respecter ce choix démocratique. Il s'impose à nous tous. Dès lors, l'alternative est simple : soit on fait comme toujours, en évitant l'évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc, un électrochoc.
Car l'erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non. C'est de l'avenir de chacun des peuples de l'Union qu'il s'agit. Donc aussi, et avant tout, celui du peuple français. C'est pourquoi le gouvernement a souhaité venir s'exprimer devant vous, en plein accord avec le président de votre assemblée.
Parce que je crois profondément à l'Europe, je refuse que ce grand dessein dérive. Je refuse qu'il chavire et sombre, entraîné par le poids grandissant des populismes. Je refuse que nous cédions au fatalisme, au pessimisme. Je refuse que nous subissions.
Pour cela, chacun doit réinterroger ses certitudes, se remettre en question.
Je sais bien que certains diront que le résultat de ce référendum n'est pas surprenant. Après tout, le Royaume-Uni a toujours eu une relation «particulière» à l'Europe. Un pied dedans, un pied dehors, comme on a coutume de dire. Le vote de jeudi dernier révèle quelque chose de beaucoup plus profond. Ce vote montre le malaise des peuples. Ils doutent de l'Europe. Ils ne comprennent pas ce qu'elle fait ; ne voient pas ce qu'elle leur apporte. Pour eux, l'Europe est envahissante sur l'accessoire et absente sur l'essentiel. Pire, ils ont le sentiment qu'elle impose ses choix et joue contre leurs intérêts. Le slogan des pro-Brexit, «reprendre le pouvoir», dit très clairement les choses. On ne peut pas l'ignorer. L'Europe se fera avec les peuples. Sinon elle se disloquera.
Une fois ce constat posé, que faut-il faire ? Ma conviction, c'est que cette crise, comme toutes les crises, est l'occasion d'une grande transformation. Comme au cours de ces dernières années, chaque fois que l'essentiel est en jeu sur l'Europe, la France se doit de répondre présente. C'était vrai il y a un an, lorsqu'il a fallu sauver la Grèce et convaincre nos partenaires qu'elle devait rester dans la zone euro. Je n'oublie pas que certains voulaient sceller le destin de ce grand pays d'un revers de main. Certains voulaient faire sortir un pays membre, oubliant le principe même de solidarité. La suite des événements leur a donné tort. Même si tout n'est pas réglé, ce pays, aujourd'hui, se porte mieux et en est reconnaissante à la France. Sauver la Grèce, c'était déjà sauver l'Europe.
Il y a un an, la France, par la voix du chef de l'État, était dans son rôle. Elle le sera, une nouvelle fois aujourd'hui. Parce que nous sommes la France, un pays respecté, écouté, attendu ! Parce que nous sommes un pays fondateur ! Parce qu'avec l'Allemagne, conscients de nos responsabilités, nous voulons l'Europe, notre horizon commun. Le président de la République l'a rappelé hier soir avec la chancelière allemande et le président du Conseil italien. Parce que nous savons que c'est l'Union qui nous renforce et la désunion qui nous affaiblit.
Je mets en garde ceux qui croient qu'on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l'Europe ; ceux qui pensent qu'on s'en sortira mieux dans la mondialisation, qu'on traitera mieux la crise migratoire, qu'on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d'appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n'est plus faux. Être européen, aujourd'hui et demain, c'est respecter le choix des peuples. C'est vouloir peser sur le cours des choses.
Chacun se rappelle de ces mots de François Mitterrand : «La France est notre patrie, l'Europe notre avenir». Être européen, ce n'est pas trahir la France. C'est au contraire l'aimer et la protéger. Depuis plusieurs jours, le président François Hollande est à l'initiative. Il a d'abord souhaité rencontrer les présidents des deux assemblées, puis les chefs de partis. Il s'est ensuite entretenu avec le président du Conseil européen, du Parlement européen. Il s'est entretenu avec la chancelière allemande, le président du Conseil italien et nombre de ses homologues.
Dès le 24 juin, j'ai participé au Conseil des affaires générales à Luxembourg. J'étais, le lendemain à Berlin, à la réunion des pays fondateurs et, hier, à Prague avec le groupe de Visegrad. Avec le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, Harlem Désir, je multiplie les contacts. J'aurai eu ce soir au téléphone chacun des ministres des affaires étrangères des 27, et je me suis entretenu ce matin avec le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg.
Le chef de l'État sera, aujourd'hui et demain, au Conseil européen. Il y tiendra un discours de fermeté vis-à-vis des Britanniques. Non pas que nous voudrions les punir. Ce serait absurde, irrespectueux envers un grand peuple, car le Royaume-Uni est et restera un grand pays ami à qui nous devons tant. Dans trois jours, nous célébrerons ensemble le centenaire de la bataille de la Somme. Et nous continuerons de coopérer en particulier en matière de défense, de gestion migratoire et sur le plan économique.
Mais l'Europe a besoin de clarté : soit on sort, soit on reste dans l'Union. Je comprends que le Royaume-Uni veuille défendre ses intérêts, mais l'Europe doit aussi se battre pour les siens. Depuis janvier 2013, elle est suspendue à la décision britannique. Nous avons fait preuve de patience et de compréhension. Dorénavant, l'entre-deux, l'ambiguïté ne sont plus possibles, parce que nous avons besoin de stabilité, notamment sur les marchés financiers. Ce n'est pas le parti conservateur britannique qui doit imposer son agenda.
Soyons clairs : comme le Parlement européen l'a demandé ce matin, le Royaume-Uni doit activer le plus tôt possible la clause de retrait de l'Union européenne, prévue dans le Traité de Lisbonne, pour «éviter à chacun une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l'intégrité de l'Union». Il n'y a pas de temps à perdre. Il n'y aura pas de négociations tant que l'article 50 ne sera pas déclenché. Et si les Britanniques veulent garder un accès au marché unique, il faudra alors respecter l'intégralité des règles.
La France tiendra un langage de fermeté. Elle tiendra, aussi, un langage de vérité : il faut inventer une nouvelle Europe. Inventer, c'est-à-dire passer à une nouvelle grande étape. Il y a eu la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, puis, pendant la guerre froide, la consolidation et l'élargissement. Nous avons accueilli de jeunes démocraties : la Grèce, l'Espagne, le Portugal. Après la chute du mur, nous avons oeuvré à la réunification du continent. Les acquis historiques de la construction européenne à laquelle la France a toujours pris une part essentielle sont irremplaçables. Et la France est garante du maintien de ces acquis.
Malgré la paix, malgré les formidables échanges économiques et culturels, malgré la création d'une monnaie unique à laquelle les Français sont attachés, une fracture s'est ouverte. Elle n'a cessé de grandir. Cette fracture a des causes profondes. Ce n'est pas uniquement une question de normes tatillonnes. C'est aussi une question de souveraineté démocratique et d'identité.
D'identité, car les peuples ont l'impression que l'Europe veut diluer ce qu'ils sont et ce que des siècles d'histoire ont façonné. Or, une Europe qui nierait les nations ferait simplement le lit des nationalismes. Ce modèle au-dessus des nations, niant les particularités de chacun, serait un échec, et certains ont laissé croire qu'il était le seul possible.
Question de souveraineté et de démocratie aussi. Nous avons cru pouvoir agrandir à marche forcée ; que les «non» seraient oubliés grâce à «plus d'Europe» ; que les référendums pouvaient être contournés, que le rejet croissant de l'Europe se «soignait» uniquement par de la «pédagogie».
Avouons-le, depuis 2005, nous avons évité les vrais débats. Et nous avons laissé un boulevard aux populismes. Nous avons laissé les populismes proférer leurs mensonges et installer l'idée que «construction européenne» et «souveraineté nationale» étaient incompatibles.
Nous devons reprendre la main. Retrouver les sources de l'adhésion au projet européen. Et surtout réinventer les causes de l'adhésion. En répondant à ces questions : Pourquoi sommes-nous Européens ? Quel est notre projet collectif ? Quel intérêt avons-nous à être ensemble ? Pour défendre quelles valeurs ?
L'Europe, c'est une culture. C'est une histoire commune. C'est la démocratie. C'est le continent de la conquête des libertés. Ce sont des valeurs partagées : l'égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne. C'est l'aspiration à l'universalité, la défense de la nature et de la planète, un certain modèle de vivre ensemble et de cohésion sociale. Cette identité n'est pas monolithique. Chacun de nos pays a ses propres caractéristiques. Seule une Union peut les protéger face à la concurrence de pays continents.
L'Europe, c'est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin. Elle doit aussi démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c'est le sens des initiatives que la France entend porter.
D'abord, en mettant les enjeux de sécurité au coeur de l'Union. La menace terroriste, la crise migratoire mettent l'espace Schengen à l'épreuve. Nous devons en reprendre le contrôle.
Dans un monde dangereux, si l'Europe ne protège pas, elle n'est rien. Grâce à la France, beaucoup a déjà été fait : PNR européen - enfin, encadrement de la circulation des armes. Il faut aller plus loin et vraiment maîtriser nos frontières extérieures. Pas en sortant de Schengen, mais en agissant pour que les règles régissant cet espace soient appliquées fermement et pleinement. Oui, l'Europe a des frontières. Une frontière, ce n'est pas seulement une réalité matérielle, géographique. C'est aussi une réalité symbolique, qui nous définit, qui dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, qui dit où l'Europe commence et où elle s'arrête. L'Europe n'est pas un ensemble indéfini.
L'Europe doit également assumer un effort de défense digne de ce nom et être capable d'intervenir à l'extérieur. Et ce d'autant plus que les États-Unis se désengagent de plus en plus. Il ne faut plus hésiter.
C'est d'abord cela que la France entend porter auprès de ses partenaires. L'Europe de demain doit être protectrice.
Et puis l'Europe doit mieux s'imposer, en protégeant l'intérêt des Européens. Cessons la naïveté. Les États tiers, comme la Chine, l'Inde ou les États-Unis défendent bec et ongles leurs intérêts partout dans le monde. Et nous, nous ne le ferions pas ? Changeons d'état d'esprit ! Dans tous les domaines : économique, industriel, financier, commercial, agricole avec notamment la filière laitière, mais aussi culturel, environnemental et social. L'Europe ne doit plus être perçue comme le cheval de Troie de la mondialisation. Elle doit protéger ses intérêts, ses travailleurs, ses entreprises. Je pense notamment au secteur de l'acier, qui représente des milliers d'emplois en France.
Nous devons faire preuve de la même fermeté par la négociation du Tafta. Il faut dire les choses : ce texte, qui ne fait droit à aucune de nos demandes, que ce soit sur l'accès aux marchés publics ou sur les indications géographiques, n'est pas acceptable. Nous ne pouvons pas ouvrir plus grand les portes de notre marché aux entreprises américaines alors qu'elles continuent à barrer l'accès aux nôtres.
L'Europe, c'est 8% de la population mondiale. Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte avec l'Afrique, ce continent d'avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s'affirmer comme la puissance qu'elle est. En s'en donnant tous les moyens.
L'Europe, le président de la République l'a dit en des termes très forts dès vendredi, doit être une puissance qui décide souverainement de son destin. Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l'emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies et la transition énergétique. Le plan Juncker est d'ores et déjà un succès. Rien qu'en France, il a permis de financer 14,5 milliards d'euros de projets.
Il faut encore poursuivre l'harmonisation fiscale et sociale - par le haut ! - pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties. Certains disent que c'est impossible... Mais enfin ! Ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun de droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l'intérieur. Avec la mise en place d'un salaire minimum, avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs. Cette fraude, c'est s'asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l'Europe resterait impuissante ? Non. Si on ne le fait pas, c'est un des piliers du traité de Rome - la libre circulation des travailleurs - qui sera balayé. C'est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission l'a proposé. À nous de l'adopter.
Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès mon discours de politique générale, en avril 2014, j'avais demandé une BCE plus active. Beaucoup a été fait, le plus souvent à notre initiative : la zone euro est plus puissante et résistante qu'en 2008. Mais il doit y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C'est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.
Il faut donc réinventer l'Europe. Il faut aussi une nouvelle manière de faire l'Europe. En donnant le sentiment d'intervenir partout, tout le temps, l'Europe s'est affaiblie. L'Europe doit être offensive là où son efficacité est utile. Mais elle doit savoir s'effacer quand les compétences doivent rester au niveau national, voire régional. Le président Juncker en est convaincu mais cette nouvelle philosophie est loin d'avoir pénétré tous les esprits à Bruxelles.
Il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L'Europe, ce n'est pas la fin des États. Non, c'est l'exercice en commun des souverainetés nationales lorsque c'est plus efficace, lorsque les peuples le choisissent. C'est, comme l'avait déjà dit Jacques Delors, une fédération d'États-nations.
Un exemple : si la France s'est battue pour une mise en oeuvre rapide des gardes-frontières, c'est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de nos frontières doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.
Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l'ont montré les négociations en un temps record du plan Juncker. Et s'il faut mener à quelques-uns ce que les 27 ne sont pas prêts à faire, et bien faisons-le. Sortons des dogmes. L'Europe, ce n'est pas l'uniformité. Il y a des différences.
Enfin le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité. C'est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d'Europe, les populistes n'ont aucune difficulté à raconter n'importe quoi, à tromper. C'est grave pour l'Europe et c'est fatal pour la démocratie.
L'Europe, ce ne peut pas être simplement les États qui rendent des comptes sur la gestion de leurs budgets. Il faut bien sûr des règles ; la France les respecte. Mais attention à cette image d'une Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l'austérité budgétaire. C'est cela que nos concitoyens rejettent. Et ils ne comprendraient pas que le seul message de la Commission dans les prochains jours soit de sanctionner l'Espagne et le Portugal.
La nation, c'est aussi sa représentation nationale. Elle doit avoir son mot à dire. Je souhaite donc que les instances européennes rendent beaucoup plus compte de leur action devant les parlementaires nationaux, que les commissaires viennent davantage devant vous. Je sais que le président Larcher souhaite que le Sénat se saisisse pleinement des instruments de contrôle que l'Europe met à votre disposition. Le gouvernement souhaite bien évidemment associer au maximum le Parlement à ces questions et se tient à disposition du Sénat.
Il faut un changement de culture : les affaires européennes sont des affaires intérieures.
Beaucoup de propositions sont sur la table. Certains suggèrent une convention, une commission, un travail avec des sages. Certains n'ont que le mot de référendum à la bouche. Bien sûr qu'il faut donner la parole au peuple - il l'aura dans quelques mois. Mais soyons clairs : un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d'un problème, encore moins un moyen détourné de régler des problèmes de politique interne. On a vu au Royaume-Uni ce que cela donne de jouer aux apprentis sorciers...
Je veux être encore plus clair : par le referendum, le Front national ne poursuit au fond qu'un seul objectif, qui est désormais dévoilé : faire sortir la France de l'Union européenne et donc de l'Histoire. Quelle étrange ambition pour notre pays. Et quelle vision dévoyée du patriotisme.
Notre rôle de responsables politiques n'est pas de suivre mais d'éclairer, de montrer le chemin. La question qui se pose à la France n'est pas de sortir de l'Europe mais de refonder le projet européen. L'élection présidentielle sera aussi l'occasion de trancher ces débats.
Dans ce moment, il faut inventer également des solutions nouvelles pour une co-construction avec les peuples autour de projets et de propositions. Je pense à l'exemple de la COP21 qui a été enrichissant, sur le plan de la méthode. Ce succès, c'est la preuve que nous sommes plus forts à 28 que si la France avait négocié seule.
Il faut savoir associer les citoyens de manière régulière. Les parlements européens et nationaux ont bien sûr leur rôle à jouer. Vous allez ainsi avoir à vous prononcer sur le Traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada : la France a insisté pour que les parlements nationaux soient consultés au même titre que le Parlement européen.
L'urgence, aujourd'hui, c'est de créer les conditions les meilleures pour négocier, dans le cadre de l'article 50, la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne - mais c'est aussi de préparer l'avenir. C'est notre responsabilité commune de savoir nous en saisir.
(Interventions des parlementaires)
Merci pour vos fortes interventions. J'en retiens, quelles que soient les nuances ou les divergences, votre attachement à l'Europe, votre volonté légitime d'être associés au projet européen et à sa redéfinition.
Il n'appartient pas au gouvernement de trancher entre une commission sénatoriale ou une commission commune aux deux assemblées sur le suivi du Brexit ; en revanche, le gouvernement souhaite une plus grande association du Parlement.
Mais il faut aussi souligner que ce dernier n'exerce pas toujours les prérogatives qu'il détient ? Le carton jaune, Monsieur le Sénateur ? Le Parlement peut déjà se saisir des projets de directive qui lui paraîtraient contraires au principe de subsidiarité et dire ce qu'il en pense.
L'Europe est souvent prise en bouc-émissaire. Monsieur le Sénateur, ce n'est pas l'Europe qui impose des réformes. Si la France réforme par exemple son droit du travail, c'est qu'elle le veut. À chacun d'assumer ses responsabilités. Attention à ne pas alimenter l'euroscepticisme.
Plus l'incertitude s'installera, plus les conséquences du Brexit seront lourdes et plus l'euroscepticisme augmentera. Pour l'heure, la question la plus urgente est : comment gérons-nous cette crise ? Les conséquences financières apparaissent, les conséquences économiques suivront. Certains évoquent déjà des effets d'aubaine... Les 27 doivent rester unis pour ne pas laisser l'incertitude s'installer après le résultat du référendum.
Le vote - ceux qui l'ont organisé pour un problème interne à une formation politique en portent la lourde responsabilité - doit être respecté par les Britanniques mais aussi par les Européens. Plus tôt l'article 50 du Traité aura été mis en oeuvre, mieux ce sera. Ce n'est pas une punition, Monsieur le Sénateur, mais le respect du choix des électeurs britanniques. Après la sortie de l'Union européenne, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers mais un pays tiers avec lequel on construit des relations.
Les partisans du Brexit n'avaient rien prévu, rien anticipé. Le responsable d'un parti nationaliste et populiste dont nous avons le pendant en France, Nigel Farage, a avoué au lendemain du Brexit qu'il avait menti en assurant que la participation du Royaume-Uni à l'Union européenne servirait à financer les hôpitaux. Oui, certains ont menti mais le résultat est là. Il doit être respecté.
Quel avenir pour l'Europe dans un monde où la mondialisation menace nos modes de vie, notre jeunesse, notre culture ? Dans le même temps, de grandes puissances s'affirment : la Chine, l'Inde et l'Afrique demain. Qui peut assurer sécurité et protection de leur mode de vie à nos peuples sinon l'Union européenne ? Revenons à l'esprit des pères fondateurs pour retrouver la force du projet européen. Cela ne s'improvise pas, cela ne tient pas en quelques slogans. Il faut travailler.
J'ai rencontré hier les ministres des affaires étrangères des pays du groupe de Visegrad. Mon homologue slovaque, dont le pays va assurer dans quelques jours la présidence de l'Union européenne, parlait avec gravité, car il sent le poids qui pèse sur ses épaules. Malgré nos divergences, nous nous souvenons tous l'appel de Schuman. Nous savons tous que la création de la CECA, de la CED, la conférence de Messine, le Traité de Rome furent de grands événements historiques, qui ont ramené la paix sur le continent. C'est l'Europe aussi qui a accueilli l'Espagne sortant du franquisme, le Portugal revenu de Salazar et la Grèce après la dictature des colonels.
Après la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande, les pays d'Europe de l'Est, qui ont si longtemps vécu sous le joug soviétique, nous ont rejoints. Nous devons continuer à construire l'Europe avec eux, même si certains adoptent des positions critiquables. Car ils voient en l'Europe une chance de paix et de démocratie.
Nous le devons aussi à nous-mêmes, et à notre jeunesse.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er juillet 2016