Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, sur le centenaire de la Bataille de la Somme, à Rancourt le 30 juin 2016.

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Circonstance : Cérémonies internationales du centenaire de la Bataille de la Somme-Cérémonie en hommage aux armées françaises, à Rancourt (Somme) le 30 juin 2016

Texte intégral


Messieurs les ambassadeurs d'Allemagne et d'Angleterre,
Monsieur le préfet,
Monsieur le Président du Conseil Départemental,
Monsieur le maire de Rancourt,
Monsieur le maire de Bouchavesnes-Bergen,
Monsieur l'officier général de la Zone de Défense du Nord, mon général,
Monsieur le Président de la Mission du Centenaire, mon Général,
Mesdames et messieurs,
Aujourd'hui et dans les prochains jours, le territoire de la Somme sera plongé dans son histoire. Une histoire écrite en 1916, dans la souffrance et le sang.
De Thiepval à Beaumont-Hamel, de Villers-Bretonneux à Péronne, de Rancourt à Fricourt, la Somme dispose sur son territoire d'un patrimoine exceptionnel, où les nécropoles sont nombreuses, qui fait de ce département une terre sacrée du souvenir.
Il y a presque un mois jour pour jour, Français et Allemands étaient rassemblés à l'ossuaire de Douaumont, pour commémorer le centenaire de la bataille de Verdun. Nous sommes aujourd'hui dans la Somme, pour commémorer une autre grande bataille de l'année 1916. Cet enchaînement mémoriel est le fruit de l'histoire, car, nous avons parfois tendance à l'oublier, ces deux batailles sont étroitement liées.
Verdun était une bataille que les généraux allemands ont imposée aux Français et aux Anglais. Car la véritable bataille, pour le maréchal Joffre, celle qui devait « forcer la décision », était celle de la Somme. Après l'attaque allemande à Verdun, le sort des deux batailles est lié. Attaquer sur la Somme, c'est aussi soulager l'étau de Verdun.
Des forces considérables sont massées du côté allié, sous le commandement des généraux Fayolle et Micheler et des généraux britanniques Rawlinson, Gough et Allenby. Dans le plan imaginé par les Alliés, les troupes françaises occupent le sud du dispositif et, face à elles, se dresse la IIème armée allemande du général von Below.
Le large front s'étend entre Serre (dans le Pas-de-Calais) et Maricourt, au sud, sur la rive droite de la Somme. La préparation d'artillerie est brève mais massive : près de 1,6 million d'obus tombent sur les lignes allemandes pendant une semaine.
Forts de ce bilan, les Alliés pensent avoir anéanti toute résistance. Ils chargent le 1er juillet 1916. Ils croyaient trouver des ennemis prêts à se rendre, ils trouvent des adversaires déterminés. La tragédie est prête à commencer : au soir du 1er juillet 1916, force est d'admettre que ce jour fut le plus meurtrier de l'histoire de l'armée britannique.
L'offensive se poursuit jusqu'à la fin de l'année, toujours avec la même violence. Les pertes sont énormes : plus d'un million dans les deux camps.
La triste comptabilité des faits nous enseigne que 400 000 Britanniques sont tués et blessés, auxquels il faut ajouter 400 000 Allemands et 200 000 Français. Il faut se rendre à l'évidence, la Somme tue et blesse davantage que Verdun.
La bataille de la Somme demeure aujourd'hui, dans la mémoire britannique, l'emblème de la Première Guerre mondiale. L'emblème de la violence industrielle et de la mort de masse.
Il est vrai qu'en France, la bataille de Verdun a souvent occulté la bataille de la Somme dans la mémoire nationale.
Pourtant, les pertes françaises engagées dans la Somme sont tout aussi considérables.
Nous sommes ici à Rancourt, en un lieu qui rappelle toute l'importance jouée par les forces françaises dans la bataille. Rancourt est devenu le haut lieu du souvenir de la participation française à la bataille de la Somme.
En effet, la prise de Rancourt, le 25 septembre 1916 par le 32ème corps d'armée française, permet la rupture du lien majeur de communication allemande constitué par la route Bapaume-Péronne.
L'ouverture des cérémonies du centenaire ici, à Rancourt, est un geste fort, qui témoigne de l'attachement du gouvernement à rappeler l'importance du sacrifice consenti par la France dans la bataille.
Cet engagement est une triple obligation.
Une obligation morale envers les Français qui ont fait le sacrifice suprême, ici, dans la vallée de la Somme, et qui doivent restant vivants dans nos mémoires.
Une obligation envers les Sud-Africains, Australiens, Britanniques, Canadiens, Indiens, Irlandais, Néo-Zélandais, qui sont venus mourir dans la Somme.
Une obligation envers les Allemands qui sont morts au combat face aux troupes des Alliés.
Rancourt a cette singularité d'être le seul site en France à compter sur son territoire trois cimetières militaires : un cimetière français, un cimetière britannique, un cimetière allemand.
Rancourt nous rappelle que la mémoire de la bataille de la Somme est une mémoire partagée : celle des ennemis d'hier et celle des alliés d'aujourd'hui.
La cérémonie au cimetière allemand de Fricourt, prévue demain, rappellera encore une évidence parfois oubliée.
Mesdames et messieurs, la Somme fut le champ de batailles de centaines de milliers d'hommes, anglais, allemands, français, et de tant d'autres, qui affrontèrent, durant des mois, le choc des obus, la terreur de la mort, la désolation des deuils.
Elle fut le champ de bataille de centaines de milliers d'anonymes. Elle fut le champ de bataille de grands écrivains : Wilfred Owen pour l'Angleterre, Erich Maria Remarque et Ernest Jünger pour l'Allemagne, Blaise Cendrars ou Georges Duhamel pour la France.
Engagé comme chirurgien volontaire, Georges Duhamel décrivit la répulsion de ces spectacles macabres mais trop familiers. « Rangés côte à côte », écrivait-il, « sur le sol rugueux, les blessés formaient une mosaïque de souffrance teinte aux couleurs de la guerre, fange et sang, empuantie des odeurs de la guerre, sueur et pourriture, bruissante des cris, des lamentations, des hoquets qui sont la voix même et la musique de la guerre. »
Puissions-nous nous rappeler de ces paroles. Elles nous disent la démence de la guerre. Elles nous apprennent encore, plus que jamais, la nécessité de maintenir pour longtemps, sur notre continent, les sentiments de paix et de fraternité, afin que l'Europe ne connaisse plus jamais, pour tous les peuples qui la composent, de 1er juillet 1916.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 7 juillet 2016