Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des afaires étrangères et du développement international, avec Europe 1 le 14 juillet 2016, sur le Brexit, la décision de M. Barroso, l'ancien président de la Commission européenne, de rejoindre la banque Goldman Sachs, la question israélo-palestinienne et sur le conflit syrien.

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Média : Europe 1

Texte intégral

* Union européenne - Royaume-Uni - Recrutement de M. Manuel Barroso par Goldman Sachs
(...)
Vous savez que le dossier du Brexit est devant nous. Que va devenir l'Europe ? Il faut faire très attention. Vous avez cité la nomination de Boris Johnson. J'ai eu l'occasion, dans le passé, de le rencontrer ; j'étais maire de Nantes et lui, maire de Londres. Vous avez vu qu'il avait été le leader du Brexit...
Q - C'est une nomination qui vous a surprise, Boris Johnson au ministère des affaires étrangères ?
R - Je ne sais pas si c'est une surprise, mais c'est révélateur de la crise politique britannique issue du vote des Britanniques. Il y a une crise politique, qui touche même le parti travailliste. Maintenant, il ne s'agit pas d'en rester là, il s'agit de se mettre dans les conditions les meilleures, dans l'intérêt des Européens mais aussi des Britanniques, pour que la sortie de l'Union européenne par la Grande-Bretagne se fasse dans des bonnes conditions, mais pas au détriment du projet européen ! Parce que c'est cela, l'enjeu !
Je vais vous dire ce dont nous avons besoin : c'est d'un partenaire avec lequel on puisse négocier et qui soit clair, crédible, fiable. Voilà.
Q - Justement, à propos de tout cela, de clarté, de fiabilité, Theresa May, la nouvelle Première ministre britannique, donc, a déclaré qu'elle ne comptait pas lancer le processus de sortie de l'UE avant la fin de cette année. Elle ne vous a manifestement pas écouté, puisque vous estimez qu'il y a urgence à enclencher la procédure de départ. Hier soir, elle a eu le président Hollande au téléphone, elle lui a dit qu'elle avait besoin de temps. Alors ?
R - Il y a besoin de temps, mais en même temps, on ne peut pas laisser durer cette situation ambiguë, floue! Et je dirais même, dans l'intérêt des Britanniques eux-mêmes. Vous avez vu que la livre sterling s'est effondrée, cela crée beaucoup d'inquiétudes ; il y a des risques sur les marchés financiers, sur les taux d'intérêt ; cela concerne tout le monde. Il y a les risques économiques ; on donne déjà des prévisions de croissance à la baisse. Et puis, il y a un risque de crise politique ! La crise politique est en Grande-Bretagne ; on le voit sous nos yeux. Mais il ne s'agit pas d'affaiblir les Européens ! Donc pour les Européens, il s'agit à la fois de gérer la sortie de la Grande-Bretagne dans les meilleures conditions - et l'accord qu'il y aura plus tard entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne - mais aussi de relancer le projet européen pour que les Européens aient confiance !
Q - Et «la fin de l'année», ce terme évoqué par Theresa May pour lancer la procédure de sortie, c'est trop loin, c'est trop tard. Est-ce que vous lui demandez, ce matin, «je demande de lancer plus rapidement ce processus ?»
R - Il faut d'abord que l'on discute avec les nouveaux membres du gouvernement ! Je connaissais bien mon homologue Philip Hammond, qui est devenu ministre des finances. Il y a maintenant de nouveaux partenaires : Boris Johnson, mais vous avez noté qu'il y avait aussi un ministre du Brexit, David Davis ; celui-là, je ne le connais pas.
Q - J'ai l'impression que vous redoutez de retrouver face à vous le fantasque Boris Johnson.
R - Non, je n'ai pas du tout d'inquiétude à l'égard de Boris Johnson, mais vous savez bien quel est son style, sa méthode. Dans la campagne, il a beaucoup menti, vous savez, aux Britanniques ! Et maintenant, c'est lui qui est au pied du mur ! Et au pied du mur pour défendre son pays, mais au pied du mur aussi pour que cette relation avec l'Europe soit claire. Vous savez, ce qui m'importe aussi, c'est l'unité des 27 ; nous y travaillons. Le président de la République va faire une tournée dans plusieurs pays d'Europe la semaine prochaine...
Q - Il commence mardi, dans cinq pays.
R - Absolument. Moi-même, je n'ai pas cessé, depuis des mois, et notamment depuis le vote des Britanniques, d'échanger avec mes homologues ; je vais continuer à le faire. Je pense qu'il est important que l'on traite la question du Brexit, la sortie de l'Union européenne, et je le répète encore, comment on peut relancer l'Europe pour que les Européens aient confiance. Vous savez qu'il y a une crise de confiance et ce n'est pas rien. Quand je vois combien l'Europe a apporté, si je pense à l'Espagne, je pense au Portugal, je pense à la Grèce, qui était sous des dictatures. C'est la liberté que leur a apportée l'Europe. Si vous regardez aussi la Pologne, les Pays Baltes, la République tchèque, la Slovaquie qui étaient sous la dictature du système soviétique. Aujourd'hui, l'Europe, qui a été en quelque sorte leur libération, eh bien c'est aussi leur avenir ! Que fait-on pour que l'Europe se consolide ? Moi-même, j'ai fait des propositions, avec mon homologue allemand. Il faut que l'on relance, et la France fera des propositions.
Q - Toujours en Europe, émoi après la décision du président de la Commission Barroso de rejoindre la banque d'affaires américaine Goldman Sachs. Comme Harlem Désir, le secrétaire d'État aux affaires européennes, est-ce que vous appelez M. Barroso à renoncer à ce poste ?
R - Il devrait le faire, oui, c'est une question de morale, d'éthique et qui contribue à renforcer ce populisme, cet euroscepticisme qui est très néfaste pour l'avenir de l'Europe. On a besoin d'Europe, je viens de le dire, c'est le sens de notre histoire et M. Barroso était président de la Commission pendant dix ans, il a eu donc affaire à tous les dossiers, notamment les dossiers qui concernent la Grande-Bretagne et l'Europe. Maintenant, il va se retrouver dans une banque qui va peut-être jouer un rôle dans les négociations ! Je trouve cela profondément choquant et le mieux, c'est que M. Barroso fasse autre chose ! (...).
*Proche et Moyen-Orient - Israël - Territoires palestiniens - Syrie
(...)
Q - Vous revenez d'un voyage officiel de deux jours au Liban, je le disais. Vous suivez de très près par ailleurs le conflit israélo-palestinien. Début juin, une réunion a eu lieu à Paris à l'initiative de la France pour tenter de relancer ce processus de paix, mais en l'absence des deux principales parties ; vous confirmez que votre objectif est maintenant d'organiser une autre réunion mais cette fois avec Palestiniens et Israéliens à la table ?
R - D'ici à la fin de l'année, oui, c'est une conférence internationale. On travaille beaucoup pour créer les conditions de reprise du dialogue ?
Q - Concrètement, comment comptez-vous y arriver, parce que ce n'est pas facile, ça ?
R - C'est très difficile ! Nous avons, après cette réunion du 3 juin, lancé toute une série de groupes de travail thématiques et plusieurs pays, même ceux qui n'y ont pas participé, se sont portés volontaires.
Au moment de l'assemblée générale des Nations unies, en septembre, il y aura un nouveau rendez-vous à l'initiative de la France. Et puis, je vais multiplier les contacts bilatéraux. Tout à l'heure, je rencontre John Kerry qui est invité du 14 juillet par la France ; nous allons avoir quelques échanges. Nous allons aussi parler de la Syrie, puisque vous savez qu'il se rend à Moscou dans quelques heures, et de ce que l'on fait pour relancer le processus de paix en Syrie.
Et la Syrie, cela impacte toute la région. J'étais au Liban ; ce pays est déstabilisé par la guerre en Syrie qui est un drame. Vous avez aujourd'hui le siège d'Alep. Il faut que cela s'arrête, il faut que les négociations reprennent. Il y a énormément de questions sur la table, beaucoup qui sont en relation les unes aux autres. En tout cas, puisque vous avez parlé de l'avenir du peuple palestinien, on ne peut pas en rester là parce que le désespoir s'installe et le désespoir conduit à la violence. Il faut absolument redonner une perspective d'État à ce peuple. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2016