Texte intégral
* Lutte contre le terrorisme
Q - Le terrorisme, on vient de le voir, a une nouvelle fois frappé la France ; l'état d'urgence devrait, une nouvelle fois, être prolongé. Un terrorisme sans frontières - pour paraphraser François Hollande, on dirait même sans visages, ou en tout cas, multiples. Manuel Valls déclare aujourd'hui : «Nous allons gagner la guerre contre le terrorisme». Alors ce sont des mots, mais il y a les faits. Est-ce que ce n'est pas un peu péremptoire, tout cela ?
R - Nous devons la gagner, cette bataille...
Q - Nous devons, mais est-ce que nous pouvons ?
R - Il faut se donner tous les moyens. Nous nous les donnons, mais il faut les renforcer encore. Cette lutte est nationale - et on n'aura jamais fini pour mobiliser le maximum de nos forces - mais elle est aussi européenne. Lundi je serai au conseil européen des affaires étrangères ; c'est à l'ordre du jour et nous allons, j'espère, avancer sur une mobilisation supplémentaire.
Et puis, cette lutte est internationale. Je serai, les 20 et 21 juillet, à Washington pour la conférence de la coalition anti-Daech, avec de très nombreux pays. J'y serai présent avec Jean-Yves Le Drian. Donc, nous sommes mobilisés.
Q - Ce sera une guerre internationale, donc ?
R - Elle est internationale.
Q - En tout cas, la sécurité devient la priorité des Français - on va y revenir. Donc l'attentat de Nice, le terrorisme, qui s'est invité, vous le disiez, à différentes rencontres internationales. Vous étiez, vous, en Mongolie, donc très loin de la France, quand il y a eu l'attentat de Nice ; vous l'avez appris à ce moment-là, dans ce contexte ?
R - À peu près à mon arrivée, vers 7 heures du matin heure locale - c'est-à-dire en pleine nuit - avant de me rendre au centre de conférences. J'ai été sidéré d'apprendre qu'il y avait eu cet attentat terrible à Nice, qui touchait des Français dans leur diversité - 27 pays étrangers sont également concernés par ce qui s'est passé -, des Français qui venaient là en famille, qui venaient pour la Fête nationale, celle qui rassemble les Français autour des valeurs de la République.
J'ai été très ému, là-bas, au moment où nous avons observé aussi une minute de silence dans cette conférence, d'avoir autour de moi la chancelière allemande, le Premier ministre japonais, le Premier ministre chinois, le Premier ministre russe, le président de la Commission européenne et du Conseil européen, beaucoup de mes homologues ministres des affaires étrangères, qui ont fait preuve d'une grande chaleur humaine, d'une grande solidarité, et qui voulaient montrer leur solidarité avec la France. La France, elle a aussi cette vocation universelle, et à chaque fois qu'elle est touchée, le monde entier se sent touché.
Q - Mais elle est aussi devenue le pays, européen en tout cas, le plus visé par le terrorisme. Pourquoi ?
R - D'abord, nous ne sommes pas les seuls touchés. Quand vous regardez les attentats...
Q - ...En Europe, je veux dire.
R - Nous sommes touchés parce que nous sommes aussi la France : nous défendons des valeurs, nous combattons le terrorisme, nous le combattons en Afrique, nous le combattons au Moyen-Orient, et avec la coalition dont j'ai parlé tout à l'heure. Et puis, en même temps, c'est le modèle de civilisation qui est attaqué en France...
Q - C'est quoi ? Est-ce que c'est y compris la laïcité ?
R - C'est une façon de vivre...
Q - ...Parce que certains disent ça, vous savez, il y a des sociologues, des historiens qui disent que c'est la laïcité qui est un problème.
R - ...Daech veut attaquer le modèle de société que nous défendons. Et ça, nous devons le combattre de toutes nos forces. Je reviens d'une rencontre avec les représentants de tous les Instituts culturels français qui sont dans le monde, et qui représentent le ministère des affaires étrangères. Je leur ai dit : continuez à vous battre pour la culture. Parce que c'est cela dont on ne veut pas, c'est de notre vivre-ensemble.
Il ne faut pas céder au terrorisme et la meilleure façon de ne pas céder au terrorisme, c'est aussi notre cohésion et notre unité ; je dirais, notre exemplarité... Et c'est vrai pour les hommes et femmes politiques aujourd'hui : dans ces circonstances-là, si on veut aider les Français à faire face, il faut que nous, en premier lieu, nous soyons exemplaires.
Q - On va y revenir, parce qu'il y a des choses à dire effectivement là-dessus. Mais à propos de la laïcité, face aux fondamentalismes religieux, est-ce que la laïcité est un rempart, ou au contraire une cible pour ces gens-là ?
R - La laïcité, c'est le coeur même du modèle français de vivre-ensemble. Nous ne sommes pas...
Q - C'est ça qui est attaqué ?
R - ...Nous ne sommes les ennemis d'aucune religion. En France, qu'on soit chrétien, qu'on soit musulman, qu'on soit juif, on a la liberté de croire et de pratiquer son culte. Ce sont nos lois de 1905. C'est une force formidable ! Mais il y a des gens qui ne veulent pas de cela. Ce sont des minorités mais, ces minorités, nous devons les combattre. Défendre notre modèle, c'est la chance de tous, du vivre-ensemble. Et j'ai vu d'ailleurs à Nice des images extrêmement poignantes. On voit bien que cette diversité française, culturelle, religieuse, d'origines, c'est la France. Et c'est cela qui est attaqué.
Q - En tout cas, face au terrorisme, on voit bien que chacun aussi gère sa propre sécurité : l'Italie a renforcé ses contrôles aux frontières, on avait fait la même chose avec la Belgique, et vice-versa. Est-ce que, sous l'effet, sous la pression des attentats, la liberté de circulation dans l'espace Schengen peut être remise en cause ?
R - Il faut renforcer Schengen, c'est-à-dire protéger les frontières de l'Europe. En six mois, il y a eu une accélération de la prise de conscience de ce qu'il fallait faire. Il y a par exemple le PNR, ce contrôle de tous ceux qui prennent l'avion : on sait qui réserve quoi et où il va : ça c'est fait. Enfin, il y a aussi les gardes-frontières, les garde-côtes : c'est décidé, c'est fait.
Tout cela permet à l'Europe d'avancer à ses propres... aux frontières communes de l'Europe mais, en même temps, chaque nation a ses responsabilités. Nous avons renforcé nos propres contrôles, ce qui a permis d'éviter que certaines personnes indésirables rentrent en France.
Q - Mais la liberté de circulation au sein de l'Europe, de l'espace Schengen, n'est pas remise en cause ?
R - Elle n'est pas remise en cause. Simplement, une Europe qui protège doit s'en donner les moyens. Il est vrai que depuis quelques mois il y a eu des avancées considérables et il faut continuer dans ce sens. Ce sera d'ailleurs un des sujets de la réunion à laquelle je participe demain à Bruxelles.
Q - A propos de moyens, le gouvernement lance un appel aux Français patriotes pour qu'ils rejoignent la réserve opérationnelle, qui viendrait en support, en appui aux gendarmes...
R - Oui, de la gendarmerie et de la police.
Q - ...qui sont mobilisés sur le terrain. Est-ce que c'est le tournant patriotique du quinquennat ?
R - Il n'y a pas de tournant patriotique du quinquennat. Au coeur du quinquennat de François Hollande, il y a la France, les valeurs de la France. C'est cela être patriote : c'est défendre tous les jours ces valeurs et les faire vivre concrètement. Liberté, égalité, fraternité, ce n'est pas qu'un slogan ; c'est cela l'action politique de tous les jours.
Donc, il n'y a pas de tournant - pourquoi il y aurait un tournant ? Cela veut dire qu'on aurait oublié le patriotisme ? Le patriotisme est au coeur de notre politique. On peut être européen, internationaliste - c'est mon cas -, et en même temps profondément patriote. Dans l'engagement - je pense à celui des hommes et femmes politiques qui nous gouvernent aujourd'hui, c'est-à-dire l'équipe dont je fais partie - nous avons cela chevillé au corps : comment défendre la nation française de toutes nos forces. (...).
* Turquie
(...)
Q - L'autre actualité, c'est la tentative de renversement d'Erdogan en Turquie qui s'est soldée par un échec, mais avec 265 morts, 1.500 blessés, des milliers de militaires et de juges arrêtés, destitués. Cela se passe aux portes de l'Europe. D'abord, la Turquie est une destination touristique avec dix mille Français qui vivent en Turquie. Quels les conseils que vous leur donnez ?
R - D'abord, ce que je leur donne comme conseil, c'est d'aller sur le site du ministère des affaires étrangères - Conseil aux voyageurs - et, dans la mesure du possible, de s'inscrire sur le site «Ariane» ; ils recevront ainsi en direct des informations personnalisées sur leur téléphone portable. C'est valable pour tout le monde. Il y a dix mille Français qui vivent là-bas.
Q - Est-ce qu'il faut les rapatrier ?
R - ... recommander d'être prudents lors de leurs sorties. Pour les touristes, ceux qui avaient des projets de voyages, il faut qu'ils s'adressent au ministère des affaires étrangères ou, d'abord, à leur organisateur de voyage, leur agence de voyage, ou la compagnie aérienne, pour vérifier l'endroit où ils vont, si toutes les conditions de sécurité...
Q - Pas question de les rapatrier les Français qui vivent là-bas ?
R - Non, ce n'est pas à l'ordre du jour. Par contre, nous avons supprimé trois cérémonies du 14 juillet en Turquie parce que nous avions des informations concordantes qui menaçaient ces manifestations populaires. Donc, nous avons pris des précautions. Cela ne veut pas dire pour autant que nos ambassades et nos consulats ne sont pas présents, ils sont présents et joignables en permanence.
Q - Est-ce que ce coup d'état renforce le président Erdogan ?
R - Il fallait condamner ce coup d'état, c'est la moindre des choses. C'est un putsch, un putsch militaire. On ne peut pas condamner la «Grèce des colonels» et se féliciter d'un coup d'état militaire. D'ailleurs, je ne sais pas si vous l'avez observé, mais un des actes des putschistes, c'est de tirer sur le Parlement, de bombarder le parlement. En Turquie, il y a des élections, un gouvernement démocratique. Toutes les forces politiques ont condamné et vous avez vu l'élan populaire pour défendre la démocratie.
Pour l'avenir, ce que j'ai dit à mon homologue, ministre des affaires étrangères turc, c'est que nous voulons que l'État de droit fonctionne pleinement en Turquie. Ce n'est pas un chèque en blanc à M. Erdogan. Les Européens sauront le rappeler lundi prochain, encore une fois, à Bruxelles. Nous allons en parler et rappeler que la Turquie doit se conformer aussi aux règles démocratiques européennes, que la justice...
Q - On en est loin... Regardez les droits de l'Homme, les purges, regardez les journalistes...
R - Il ne faut pas faire des purges. Il faut que l'État de droit fonctionne. Ceux qui ont porté atteinte à l'État, à la démocratie turque, doivent pouvoir être poursuivis dans le cadre de l'État de droit. Donc, ce n'est pas l'arbitraire qui doit l'emporter, c'est la démocratie qui doit sortir renforcée. C'est le message que j'ai adressé à mon homologue que j'ai eu hier au téléphone.
Q - Et à la Turquie et aux dirigeants...
R - C'est le message que toutes les démocraties du monde ont adressé à la Turquie et c'est ce qu'elles vont continuer à faire.
Q - Est-ce que pour vous Recep Erdogan, qui se présente comme un islamo-conservateur, est un démocrate ?
R - C'est à la Turquie de faire la preuve que la démocratie est son intérêt.
Q - Erdogan, est-ce que c'est un démocrate à vos yeux ?
R - Nous ne cesserons de répéter l'exigence démocratique qui s'applique à tous, et notamment à la Turquie qui, je le rappelle...
Q - Est-il le meilleur ambassadeur...
R - Je ne vais pas être juge, il a été élu. J'ai le droit d'avoir des désaccords avec lui - ceux que je viens d'exprimer - mais, en même temps, la Turquie, qui est un grand pays, un pays qui a une situation stratégique - je rappelle que c'est un pays qui est membre de l'OTAN -, le premier pays frontalier de la Syrie, qui accueille deux millions et demi de réfugiés sur son territoire. Et donc, c'est un allié aussi qui était présent au Sommet de l'OTAN à Varsovie.
Q - Cela reste un allié fiable, la Turquie, dans la lutte contre le terrorisme ?
R - C'est une exigence permanente que nous avons.
Q - Est-ce que cela reste un allié fiable ?
R - La semaine prochaine, à Washington, à la réunion à laquelle je vais participer, il y aura mon homologue turc qui sera présent et son collègue de la défense, avec Jean-Yves Le Drian et nous poserons clairement des questions. Comment faire pour combattre encore plus Daech en Syrie ?
Q - Mais sur le fond est-ce que cela reste un allié fiable ?
R - Il y a des questions qui se posent et nous les poserons. Il y a une part de fiabilité, il y a une part de suspicion aussi, pour être sincère.
Q - Ces évènements interviennent en tout cas au moment où venait de reprendre des négociations sur la future adhésion de la Turquie à l'UE, un autre round comme on dit. Est-ce qu'il faut suspendre ces discussions ?
R - Les discussions ont lieu, qui portent sur l'État de droit qui doit être en place à tous les niveaux de l'État turc et c'est loin d'être le cas. Quand il y a ce qu'on appelle un nouveau chapitre, c'est pour pousser la Turquie à se mettre en conformité avec les standards européens que nous nous pratiquons. C'est cela, ce n'est pas autre chose.
Quant à l'adhésion, elle n'est pas à l'ordre du jour , mais mettre la Turquie en conformité avec la réglementation et la législation qui va dans le sens des droits de l'Homme, en particulier, et de l'État de droit, cela va plutôt dans le bon sens. En tout cas, c'est ce que nous sommes en train de faire avec la Turquie.
Q - Avec les évènements qui viennent d'avoir lieu, c'est encore moins à l'ordre du jour ?
R - Ce qui est à l'ordre du jour, c'est comment fait-on pour lutter contre Daech au Moyen-Orient ? En particulier, comment fait-on aussi pour recréer les conditions de la paix en Syrie par la voix de la négociation ? C'est pour cela que je serai aussi à Londres - mardi, il y a une réunion sur la Syrie. Comment fait-on aussi avec La Russie ? Ce sera aussi une des questions dont on débattra la semaine prochaine pour renforcer la coalition contre Daech. Il y a énormément de questions très difficiles sur la table.
Q - Et de ce point de vue, la Turquie reste fiable ?
R - En tout cas, c'est un allié potentiel, elle fait partie de l'OTAN sinon elle ne serait plus membre de cette organisation de solidarité et de défense. (...).
* Royaume-Uni
(...)
Q - Pour terminer, l'image de votre nouvel homologue britannique, Boris Johnson, l'ancien maire de Londres qui a eu des prises de position parfois étonnantes, vous l'aviez d'ailleurs traité de «menteur» ...
R - Je ne l'ai pas traité de menteur. J'ai dit qu'il avait beaucoup menti pendant la campagne du Brexit, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Q - D'accord, ce n'est pas loin...
R - Soyons nuancés s'il vous plait !
Q - Est-ce que ce sera facile de... ?
R - J'ai parlé avec lui hier ; nous avons eu un échange téléphonique. J'ai rappelé que la France est un allié de la Grande-Bretagne, que nous allions continuer nos relations bilatérales, notamment en matière de défense. Par contre, il faut organiser dans des bonnes conditions la sortie de l'Union européenne de la Grande-Bretagne ; nous en avons parlé avec beaucoup de franchise.
Q - À ce propos, il faudra vraiment qu'elle sorte le plus vite possible ? Deux ans, c'est long ?
R - Je crois qu'il ne faut pas trop tarder parce que plus on tarde, plus l'incertitude s'installe avec des conséquences financières, des conséquences sur la croissance, des conséquences politiques. Il faut donc à la fois bien gérer la sortie de la Grande-Bretagne, voir quel type de relations nous allons désormais avoir et puis, en même temps, renforcer l'Union européenne parce que vous voyez bien qu'on en a besoin encore plus qu'hier.
Q - À ce propos, la France veut encourager les financiers londoniens qui voudraient quitter Londres, la City à venir vers Paris, quitte à créer un statut fiscal particulier. Vous êtes chargé du développement international et de l'attractivité de la France, est-ce que c'est la diplomatie de l'argent ?
R - Non, je crois qu'il ne faut laisser aucune ambiguïté : nous ne cherchons pas à débaucher telle ou telle entreprise qui est aujourd'hui en Grande-Bretagne. Ce que nous voulons, c'est une clarté dans la relation entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne ; c'est cela qui sera au coeur de la négociation. Plus tôt, elle commencera, mieux cela sera à la fois pour nous, les Français et les Européens, mais aussi pour les Britanniques. Il y a une vision de l'Histoire qu'il faut avoir, évitons donc les petites polémiques. Je sais que ce n'est pas facile, je sais que c'est difficile mais en tout cas ma position est très claire.
Q - Vous savez - c'est Manuel Valls qui dit cela - qu'il faut faire venir les financiers de Londres ?
R - Non, il a évoqué une amélioration de notre fiscalité concernant l'accueil des investissements étrangers en France, en allant notamment dans la zone euro vers une harmonisation. Cela va tout à fait dans le bon sens.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2016