Discours de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, sur la prévention de la délinquance, Paris le 24 avril 1984.

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Circonstance : Lancement de la campagne d'information du conseil national de la prévention de la délinquance

Texte intégral

Madame et Messieurs les ministres,
Monsieur le vice-président,
Mesdames et Messieurs,
Il y a presqu'un an déjà que j'ai installé, ici même, le Conseil National de la prévention de la délinquance et je dois dire que le bilan de son action apparaît déjà impressionnant.
Les conseils communaux de prévention de la délinquance se sont multipliés. Environ 150 aujourd'hui se sont mis au travail sans tarder dans la ligne définie dès l'origine.
La répression de la délinquance ne peut être la seule direction dans laquelle le gouvernement agit, la prévention doit être mise en oeuvre et au niveau le plus opérationnel.
C'est ce que vous avez entrepris de faire dans nos villes, au niveau des habitants et je vous félicite M. BONNEMAISON ainsi que votre équipe pour l'élan et le dynamisme dont vous savez faire preuve.
Le rapport de la Commission des maires, qui nous a conduit à la création de cette structure de prévention, a mis en évidence un phénomène tout à fait intéressant que la manifestation de ce matin devrait permettre de réduire le plus possible.
De très nombreux exemples ont fait en effet apparaître un écart important entre la délinquance constatée et le sentiment d'insécurité éprouvé par les habitants de nos villes.
Il nous faut donc travailler et tout mettre en oeuvre pour réduire cet écart en gardant à l'esprit que des déviations dangereuses, comme l'auto-défense, peuvent toujours naître du sentiment d'insécurité.
L'efficacité de la politique de prévention que nous avons mise en place doit, pour produire tous ses effets, être connue du grand public, Et surtout, la pratique démontre que cette prévention de la délinquance ne peut rester l'apanage des seuls professionnels. Leurs qualités, leur dévouement ne sont pas en cause. Mais que peuvent des hommes et des femmes qui mettent leur dévouement à réinsérer socialement les jeunes quand ils se heurtent à l'hostilité ou à l'indifférence de la société ?
Quel espoir peut avoir un jeune face à des portes fermées ou à des réactions d'égoïsme ?
Le Conseil National devait donc mettre sur pied une politique de communication afin de donner une suite à son action, afin de la faire connaître, afin aussi de susciter une certaine solidarité.
Faire connaître la réalité de la délinquance, de ses causes. Dissiper les idées toutes faites qui provoquent méfiance et rejets.
Susciter la solidarité, dire à tous les Français qu'ils sont, à titre individuel, acteurs de cette lutte contre la délinquance. Que chacun peut apporter à sa mesure temps, savoir, générosité. Que nous ne serons pas trop nombreux à nous mobiliser pour cette cause nationale.
Dans ce domaine aussi, c'est tous ensemble que nous réussirons. La délinquance remet en cause une partie de notre organisation sociale, c'est donc tous ensemble que nous devons prendre en compte ce problème.
La prévention de la délinquance est une oeuvre de longue haleine qui nous concerne tous, responsables nationaux et locaux, responsables économiques et sociaux. Il est donc naturel que les chefs d'entreprise jouent un rôle actif dans ce mouvement de solidarité.
La campagne d'information, dont nous donnons ce matin le coup d'envoi, démontre l'intérêt suscité dans le monde des affaires et de l'entreprise par la prévention de la délinquance.
Qu'un groupement comme celui de la Fédération française des sociétés d'assurances ait voulu associer son nom à la première série de films télévisés que nous allons voir en est une manifestation éloquente. Le lien entre l'assurance et la prévention est évident mais je suis sûr que, comme dans plusieurs pays étrangers, d'autres entreprises se joindront à la prévention de la délinquance.
Par leur geste, elles manifesteront leur volonté de participer activement aux préoccupations des Français et aux grandes causes nationales.
Je ne cacherai pas toutefois que, comme toute "première", cette initiative originale doit s'entourer de garanties pour éviter de porter atteinte à la séparation entre domaine public et intérêts privés.
Première précaution : la cause défendue doit avoir un caractère d'intérêt général, et donc être soutenue par tous les partenaires politiques et sociaux concernés.
Deuxième garantie à prendre : la campagne d'information doit demeurer très distincte de l'activité de l'entreprise qui la parraine.
Enfin, troisième garantie indispensable : l'institution qui lance cette campagne doit garder une totale autonomie tant au cours de l'élaboration que de la conception de la campagne.
Ce n'est que si ces conditions se trouvent réunies que cette expérience, originale aujourd'hui, pourra être suivie d'autres. Nous devons demeurer vigilants dans le respect des garanties que je viens de préciser.
Parmi les thèmes autour desquels pourrait se développer la prévention de la délinquance, je voudrais ce matin en retenir deux.
Au cours de ses travaux, le Conseil National a constaté que le recel constitue tout à la fois une source et un support importants de délinquance. L'encouragement au vol venant de la facilité avec laquelle il est possible d'écouler la marchandise et de l'organisation de filières.
L'acte de voler se trouve ainsi transformé en "bonne affaire" et la complicité passive, et même inconsciente, de beaucoup d'acheteurs fait obstacle à la prévention.
N'est-ce pas là un exemple où expliquer, faire savoir, démontrer les mécanismes, bref communiquer intelligemment s'impose ?
Nous aurons bientôt à nous pencher sur ce problème car le gouvernement, a décidé la création d'un groupe de travail interministériel. Il devra rendre ses conclusions rapidement.
Un autre thème qui rejoint celui du recel et sur lequel le gouvernement est décidé d'agir, est celui de l'éducation civique.
Apprendre les droits et les devoirs de chacun c'est déjà commencer à s'insérer dans la société, respecter l'autre. C'est une tâche de l'éducation, pas seulement de l'école mais aussi des parents, des formateurs.
Après plus de trente ans de semi-oubli, l'éducation nationale va réactiver l'éducation civique à l'école. Il serait utile, je pense, qu'une large campagne d'information accompagne cette mesure.
Notre attitude vis-à-vis des jeunes et des moins jeunes, qui ont des difficultés à s'insérer dans la vie sociale est le gage de la réussite de notre société, de sa capacité à s'adapter, à évoluer.
La montée de la délinquance s'est stabilisée durant l'année 1983, dans certaines régions elle a même tendance à régresser.
Les actions entreprises durant l'été, le renforcement des budgets consacrés à ce domaine, de même que la mise en oeuvre des conseils communaux ont commencé à démontrer leur efficacité.
La participation de tous à cette tâche pourrait nous permettre d'amplifier ce mouvement.
Donner aux jeunes toutes leurs chances, favoriser leur épanouissement, c'est notre devoir. Le devoir de chacune et de chacun d'entre nous.Cette campagne devra faire prendre conscience à chacun de nos concitoyens de cet impératif.