Texte intégral
Lettres au Premier ministre et au Président de la République du 11 septembre 2001 :
Monsieur le Premier ministre,
Je vous prie de bien vouloir prendre connaissance du message que je viens d'adresser au Président de la République, m'associant aux déclarations qu'il vient de faire ainsi qu'aux vôtres, suite aux tragiques attentats qui viennent de frapper les Etats-Unis.
Je tiens à vous assurer de mon entière solidarité et de celle du Parti communiste français, dans un moment dont je mesure toute la gravité, et les risques de tension dont elle est porteuse dans les relations internationales.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, en l'assurance de
ma haute considération.
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Monsieur le Président de la République,
Les attentats perpétrés aujourd'hui sur le sol des Etats-Unis suscitent d'abord un sentiment d'épouvante et une extrême indignation. Je souscris sans réserve aux termes des déclarations faites par vous-même et Monsieur le Premier ministre, au nom de la France.
Le Parti communiste, l'ensemble de ses membres et responsables sont pleinement solidaires du peuple américain.
J'espère, et je suis persuadé, que la France contribuera à ce que la communauté internationale puisse faire face à cette situation d'une exceptionnelle gravité avec la fermeté, le sang-froid, et l'esprit de responsabilité qu'elle exige.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en
l'assurance de ma haute considération.
(Source http://www.pcf.fr, le 17 septembre 2001
Déclaration au Conseil national le 13 septembre :
Cher-e-s camarades,
Si j'interviens dès le début des travaux du Conseil national, c'est pour témoigner -mais, je le sais, vous l'avez-vous même ressentie- de l'intense émotion qui bouleverse l'ensemble des communistes après les terribles attentats terroristes commis, mardi, sur le sol des Etats-Unis.
Comme des millions de Françaises et de Français, nous avons été frappés de stupeur et d'indignation par les images qu'ont longuement diffusées les télévisions du monde entier.
De sorte qu'aujourd'hui, et sans aucun doute dans les jours à venir, c'est la peine, le chagrin, et aussi l'inquiétude qui dominent et vont dominer l'actualité nationale et internationale.
Et aussi l'expression de l'indispensable solidarité qui est due au peuple américain que nous devons, toutes et tous, absolument lui manifester dans la terrible épreuve qu'il traverse.
C'est sur cette solidarité, que, pour commencer, je veux m'exprimer brièvement ici.
Nous sommes solidaires, d'abord des victimes, des milliers de femmes et d'hommes ensevelis sous les décombres du Pentagone et des tours new-yorkaises.
Solidaires, aussi, avec les familles des passagers des quatre avions détournés de leur route pour servir de "bombes volantes", et semer la mort et la terreur.
Solidaires, enfin, des sauveteurs, dont beaucoup ont disparu au coeur de la tourmente.
Il s'agit donc, vous l'avez compris, d'exprimer notre solidarité à tout le peuple américain, à l'ensemble des citoyennes et des citoyens de ce grand pays et aux dirigeants qu'ils se sont donnés. Tous sont frappés aujourd'hui, pour la première fois de leur Histoire, au coeur même des symboles les plus forts de leur puissance devant le monde.
Oui, sans retenue, sans réserve d'aucune sorte, la solidarité des communistes français leur est acquise.
Et plus encore: au-delà de la compassion, nous voulons leur dire notre compréhension du sentiment de révolte, de colère qui les anime. Ils se refusent à accepter que l'on puisse infliger une pareille horreur à des milliers d'innocents, de femmes et d'hommes dont le seul crime est de s'être trouvés en ces lieux, au moment ou les assassins ont décidé de frapper.
Il faut que tout soit entrepris afin de démasquer et de punir les auteurs et les instigateurs de ces actes de barbarie.
En aucun cas le terrorisme ne saurait à nos yeux trouver la moindre justification.
Je dis bien: en aucun cas.
Nulle cause ne peut-être servie par le recours à la force brutale et au massacre.
Le terrorisme est toujours une barbarie. Il se fixe l'odieux objectif d'attiser les peurs, les haines qui, au bout du compte, ajoutent toujours de la violence à la violence.
Non seulement, donc, il conduit à des résultats exactement inverses aux buts qu'il prétend poursuivre, mais il est un terrible facteur d'aggravation de toutes les tensions, de tous les conflits, qui appellent au contraire la multiplication des initiatives politiques pour en hâter le règlement.
De ce point de vue, chacun doit réfléchir à ceci, qui me paraît essentiel: une telle opération exigeait sans doute une longue préparation, et de nombreuses complicités. Pourtant, il semble qu'aucun de ceux qui pouvaient éventuellement la déjouer n'en ait été informé. Cela souligne avec une force renouvelée, et une urgence qui ne saurait être ignorée plus longtemps, la responsabilité de tous ceux qui abritent les terroristes, et donc favorisent le développement de leurs activités.
Il faut apprécier positivement la condamnation immédiate de ces attentats, par la communauté internationale, par les Etats, partout dans le monde.
Mais je veux ajouter ceci, qui sera décisif dans les jours et les semaines à venir : il convient de résister à ceux qui en appellent déjà à une guerre de l'Occident contre on ne sait qui ; contre des ennemis supposés, hâtivement désignés, alors même que personne n'est en mesure, au moment ou je m'exprime, de dire encore avec certitude qui sont et où se trouvent les commanditaires des attentats de mardi dernier.
Une piste, certes, est très souvent évoquée. Je veux dire que si elle était finalement avérée, elle ne doit en aucun cas permettre les généralisations dangereuses auxquelles certains procèdent déjà, pour fustiger l'islam dans son ensemble.
Dans la situation exceptionnelle que vit le monde, il ne faut pas laisser la moindre place à ceux qui, s'appuyant sur ces événements tragiques, sont tentés d'en faire un usage honteux au profit de projets politiques partisans.
Nous ne sommes qu'aux premières heures d'un moment particulièrement tragique. Il me semble qu'à ce stade le plus important est ce que je viens de proposer, pour que s'exprime pleinement la solidarité dont le peuple américain a besoin d'être entouré. Et aussi pour que, dès que les circonstances le permettront, les responsables politiques, les états et gouvernements, les citoyennes et citoyens du monde puissent intervenir et agir utilement, afin que soit châtiés les coupables et garanties les conditions permettant que plus jamais ne se reproduise pareille abomination. C'est la préservation des processus qui conditionne la construction d'un monde de paix, de solidarité et de partage qui en dépend. Des processus qui sont au coeur des préoccupations, des propositions, des initiatives de l'ensemble des membres de notre parti.
C'est dire que je maintiens le souhait que j'exprimais dès mardi au Président de la République : la situation actuelle exige fermeté, sang-froid et sens des responsabilités.
Voilà, Cher-e-s camarades, ce que je voulais vous dire d'emblée dans cette brève intervention.
Je vous invite, à présent, à observer une minute de silence, à la mémoire des victimes des attentats terroristes de mardi. Et, par ce geste, à exprimer la profonde solidarité des communistes français au peuple américain.
(Source http://www.pcf.fr, le 17 septembre 2001)
Point de presse à la fête de l'Humanité le 15 septembre :
Mesdames et Messieurs,
Merci d'avoir répondu à mon invitation à nous retrouver ici, au cur de la Fête de l'Humanité, pour cette rencontre à laquelle j'ai souhaité associer également les membres du Collège exécutif du Parti communiste.
Nous envisagions, quand nous en avons arrêté le principe il y a quelques jours avec mon ami Patrick LE HYARIC, directeur de l'Humanité, qu'elle soit l'occasion d'un échange très direct entre nous sur les grandes questions d'actualité, les préoccupations des Françaises et des Français en cette rentrée et aussi, naturellement, sur l'enjeu des grandes échéances électorales à venir. Sur la forme, je vous propose de ne rien changer : je suis - et les camarades qui m'entourent également - disponible pour une discussion sans protocole, qui vous permette, je l'espère; d'obtenir les éclairages que vous attendez de la direction du Parti communiste sur la situation actuelle.
Et précisément, sur le fond nous souhaitons en revanche limiter nos interventions à ce qui domine, fort légitimement, l'actualité depuis mardi dernier : les terribles attentats terroristes perpétrés sur le sol des Etats-Unis et leur conséquences.
Vous avez pu remarquer, si vous avez déjà eu l'occasion de parcourir les allées de la fête, que ces événements tragiques y sont très largement évoqués. Et, naturellement, ils sont partout et beaucoup discutés entre les participantes et les participants. Elles et ils seront, cette année, très nombreux. Nous avons même des raisons de penser : beaucoup plus nombreux que les années précédentes. Sans doute parce que le rendez-vous traditionnel qu'organisent l'Humanité et les communistes est, tout à la fois, un incomparable lieu de culture et d'échanges politiques. Dans les circonstances tragiques que vit le peuple américain, et compte tenu de l'exceptionnelle émotion que suscite le malheur qui le frappe, notre manifestation offre un espace à des centaines de milliers de femmes et d'hommes, de jeunes pour se retrouver, pour se parler, pour essayer, ensemble, de comprendre ce qui s'est passé et envisager l'avenir.
Vous avez eu connaissance, bien sûr, des réactions du Parti communiste aux événements de mardi dernier.
A peine nous étaient-ils connus, j'adressais mardi - moins de deux heures après le début des attentats - une courte lettre au Président de la République pour lui dire que la situation exigeait, selon moi, "fermeté, sang-froid et sens des responsabilités". Le lendemain, mercredi, devant le Collège exécutif puis jeudi, devant le Conseil national, j'ai réaffirmé ma conviction qu'il fallait absolument qu'il en soit bien ainsi. Et aujourd'hui, devant vous, je le confirme.
D'autant plus que, quatre jours après le drame, et alors que l'émotion et la colère ne sont peut-être pas encore à leur comble, chacune, chacun s'interroge sur ce qu'il convient d'entreprendre pour que le crime ne demeure pas impuni. Car c'est essentiel : les instigateurs des attentats de mardi doivent être activement recherchés, appréhendés et châtiés.
J'ai dit notre hostilité totale au terrorisme. Elle n'est pas fondée seulement sur l'horreur des gestes commis ; sur les massacres répétés de femmes et d'hommes innocents par lesquels les assassins prétendent venger les malheurs infligés à d'autres, en d'autres endroits du monde.
Au-delà de tout cela, qui provoque la nausée, le terrorisme est un poison mortel pour les valeurs qui nous tiennent à cur : la solidarité, le partage, la paix, au bénéfice de tous les peuples de la planète. Je le répète : il convient d'éradiquer le terrorisme. Cela suppose, d'abord, d'en arracher les germes partout ils sont repérés. C'est la responsabilité de tous les Etats, sans aucune exception, qui accueillent sur leur sol des individus ou des groupes se réclamant du terrorisme, ou le justifiant. Cela exige, inséparablement, le refus de toute généralisation à l'Islam dans son ensemble. Les très sérieux soupçons de culpabilité pesant aujourd'hui sur un homme qui prétend agir au nom de cette confession, n'autorise en aucun cas une telle assimilation.
Ce crime concerne toute la communauté humaine, parce qu'il est la négation même des valeurs d'humanité, de l'idée que d'autres relations sont possibles entre les êtres humains et les nations que celles fondées sur la violence et la haine. Parce qu'il nie toute confiance possible dans la capacité de l'humanité à se frayer des voies démocratiques pour modifier, transformer l'état des choses. C'est vrai, nous avons, par-delà les frontières, ressenti le sentiment d'appartenance à une même communauté, dans sa vulnérabilité, dans la compassion aux souffrances, mais aussi dans le sentiment qu'il se passait un événement d'une portée incalculable. Ce sentiment que plus rien ne serait comme avant, sans aucun doute les américains l'ont ressenti plus que quiconque.
J'ai entendu, comme beaucoup dans l'étreinte de l'émotion, le " Nous sommes tous des Américains ". Mais cette formule ne doit-elle pas devenir aujourd'hui, avec la même force pour les Américains qui ont découvert qu'ils sont dans le même bateau que les autres ; que les désordres du monde ( même ceux à l'origine desquels ils ne sont pas étrangers ) ne les épargnent pas ; Oui, cette formule ne doit-elle pas devenir :
We are all citizens of the world ; Nous sommes tous citoyens du monde
Quelque chose a basculé ce 11 septembre 2001. Avec comme un appel, face à l'horreur dont nous étions les témoins impuissants, à comprendre comment une telle barbarie peut survenir, et un appel, aussi, à changer ce monde, avant qu'il ne soit trop tard.
Alors retentissent des paroles de "guerre", quand il faut, au contraire, des actes qui opposent à la barbarie et à l'engrenage de guerre le besoin de justice et d'un monde de paix. On parle de guerre, et même de "troisième guerre mondiale". Il faut frapper vite et fort, nous dit-on. Mais qui? Et où ?
N'ajoutons pas à l'angoisse du moment les peurs d'un monde en guerre. Il est encore temps de refuser une voie qui, loin d'isoler les terroristes, accroîtrait les tensions et les frustrations. Une aventure guerrière justifierait, aux yeux de ces nouveaux obscurantistes, les thèses dangereuses du "choc des civilisations". La réaction doit être à la mesure du défi. Elle doit être sans faiblesse pour les criminels et leurs instigateurs. Elle doit clairement, dans ses objectifs et ses moyens, correspondre à cette indispensable recherche de justice.
Depuis quatre jours, je n'ai cessé de faire appel - comme d'autres - à l'esprit de responsabilité.
N'est-ce pas aussi dans ces moments tragiques que les " politiques ", que la politique, si souvent décriée, peut retrouver ses lettres de noblesse ?
C'est pourquoi, de cette fête où sont rassemblés des centaines de milliers de personnes, à l'unisson des femmes et des hommes dans le monde ; de ce rassemblement politique le plus important de France et d'Europe, je lance un appel au Président de la République Française, au 1er ministre, pour une intervention immédiate de notre pays afin que soit saisi le Conseil de Sécurité de l'ONU. Dans les conditions exceptionnelles que nous vivons, toute réaction ne peut intervenir que dans le respect de l'esprit et de la lettre de la Charte des Nations-Unis.
C'est la logique de responsabilité ; c'est la voie de la politique qui doivent primer sur toute démarche militaire unilatérale.
Surtout, surtout la réponse aux questions soulevées par ce séisme tragique, ne peut en rester là. Elle doit s'accompagner de signaux forts montrant que les aspirations à un monde plus juste, à en finir avec les inégalités et les fractures insupportables, les humiliations, ont été entendues.
Oui, comme jamais, il faut parler le langage de la paix, de la justice, du co-développement, de la priorité des besoins humains sur la logique des marchés. Il faut parler le langage de la paix, en s'engageant pour un règlement, sans tarder, de la tragédie du Proche-Orient, qui gangrène l'ensemble de la vie internationale. Il faut parler paix en tendant la main du dialogue et de la coopération aux Etats et aux peuples qui se revendiquent de l'Islam. Oui, tout à la fois, il faut refuser tout engrenage de guerre, et s'attaquer à tout ce qui génère des idéologies obscurantistes et totalitaires.
Aux désordres et aux humiliations engendrés par les logiques libérales et le capitalisme mondialisé, nous opposons l'appartenance à une communauté humaine, et le besoin d'un monde pacifié, pour travailler à une mondialisation de partage.
Oui, nous changeons d'époque, et pas seulement de siècle. Ce qui vient de se passer à New York et Washington bouleverse notre vision du monde. Il peut en résulter un basculement général dans l'horreur ; ou bien, un formidable engagement de l'humanité dans un sens positif pour la civilisation.
Les kamikazes d'aujourd'hui crient, comme jadis les franquistes "vive la mort". Nous, parce qu'ensemble nous pouvons changer le monde, nous crions "Vive la vie!".
(Source http://www.pcf.fr, le 19 septembre 2001)
S. Paoli - Comment, politiquement, le responsable politique que vous êtes, a-t-il encaissé le choc des attentats qui ont frappé les Etats-Unis ?
- "Très brutalement. Personne ne peut être insensible à un tel choc. Dans les premières heures qui ont suivi les attentats, j'ai immédiatement, dans une lettre au président de la République, confirmé qu'il fallait effectivement que de tels événements, qui bouleversent complètement la donne, soient examinés avec tout le sang-froid nécessaire, le sens des responsabilités, la fermeté. J'avoue que, pour le moment, la position de l'exécutif français, du président de la République et du Premier ministre, confirme cette démarche et j'y souscris. Cela me semble essentiel aujourd'hui, pour la France, pour l'Europe, dans une situation comme celle que nous connaissons."
Vous n'êtes sûrement pas du tout insensible à tout ce qu'on dit qui se passe ici à New York, mais vous êtes le patron du Parti communiste. Et quand vous dites : "Nous sommes, nous les communistes, solidaires, sans retenue, sans réserve d'aucune sorte, avec les Américains", est-ce que cela passe si bien que cela au sein du PC ?
- "On a une expérience assez exceptionnelle qui vient de se produire, avec la fête de L'Humanité, avec des centaines de milliers de personnes. Que cette fête ait pu, de façon majeure, forte, placer au coeur de la démarche des communistes et des gens présents la solidarité avec le peuple américain - pas une solidarité seulement dans les débats, dans la forme, dans les mots - mais il y a une solidarité active y compris - il faut s'imaginer ce que peut représenter - des collectes organisées entre la direction de L'Humanité et le Secours populaire, en faveur du peuple américain. Oui, sans réserve et d'emblée, nous avons réaffirmé cette solidarité totale. Ce qui ne signifie pas que dans les débats, tout le monde soit dans cet esprit sans réserve. Mais en même temps, quand on est dans un pays comme la France, que vous connaissez tellement bien, que la politique est souvent décriée, dans des moments comme ceux-là, c'est redonner des lettres de noblesse à la politique que d'avoir le courage de dire des choses avec cette force. Il fallait dire ce que vous avons dit, c'est-à-dire "solidarité au peuple américain", ce qui ne veut pas dire aujourd'hui que nous soyons dans un alignement aveugle derrière G. Bush, dans une riposte qui pourrait être sans nuance si elle devait l'être ainsi, mais en tout état de cause, il y a cette démarche. Et puis, il y a le rejet total de ce poison mortel qu'est le terrorisme. Là aussi, on ne peut pas dissocier ce rejet-là, en tous les cas, dans l'expression qui est la nôtre, de la solidarité que nous avons exprimée."
Il y a une autre question qui se pose à tout le monde. D'ailleurs ce n'est pas innocent que nous ayons en ligne le secrétaire national du Parti communiste ce matin. Dans six heures maintenant, la bourse de New-York va rouvrir. Mais elle rouvre sur quoi ? Sur quelle vision du monde économique mondiale ? Est-ce qu'il faut changer les choses ? A l'évidence, oui.
- "Bien sûr. Nous vivons un drame. Des heures tragiques se prolongent au plan humain. On ne peut pas vraiment se détacher des images que nous voyons et d'un peuple qui pleure. Nous devons pleurer avec lui en toute responsabilité. Mais en même temps, est-ce que dans la situation que nous connaissons, ne convient-il pas de regarder ce que sont les désordres du monde ? Regardez comment, d'une situation de drame, on peut peut-être déboucher avec une alternative gravissime possible sur l'horreur comme sur un espoir nouveau d'un monde de partage, d'un monde où il n'y ait pas l'idée de confrontation de civilisations, comme je l'ai entendu parfois ces dernières heures. Il faut que les forces de progrès, les forces d'humanité, pour être encore plus large, mettent en mouvement ce qui est nécessaire pour apporter une réponse de mondialisation, de partage, plutôt qu'une réponse de mondialisation qui se poursuive dans les inégalités à travers le monde et les frustrations."
La difficulté pour vous est que cette question est transcourants, elle n'est pas spécifique à la gauche, et encore même moins au Parti communiste. Tous les responsables politiques, aujourd'hui, doivent se poser la question de ce qu'est l'économie du monde et comment il faut peut-être différemment la distribuer ?
- "Complètement, mais ce n'est pas dramatique que ces choses se posent comme cela. Beaucoup ont souligné comme un paradoxe la position du Parti communiste par rapport à cette solidarité nécessaire. Il me semble que face aux questions auxquelles le monde aujourd'hui est confronté, il faut des réponses qui ne reviennent en rien sur le constat de ce qu'est le monde tel qu'il est, avec ses inégalités criantes et, incontestablement, les dirigeants américains ne sont étrangers à un certain nombre d'éléments qui participent de ces inégalités dans le monde. Mais, en même temps, il faut qu'on apporte des réponses universelles aux questions posées, pas des réponses de camps, pas des réponses du monde occidental face au reste de la planète, mais des réponses qui permettent des constructions. Là, il ne s'agit pas d'être naïf sur la réalité des choses. Dans la toute prochaine période, il va falloir être extrêmement vigilant. J'apprécie la position des ministres français, notamment de H. Védrine hier, qui a confirmé combien il fallait qu'on imagine des solutions qui, certes permettent de punir et châtier les responsables, mais en même temps, prennent en considération le caractère universel des choses. Personnellement, j'ai saisi, hier, à la fête de L'Humanité le président de la République et le Premier ministre pour qu'on voit comment le Conseil de sécurité de l'Onu peut, dans ce domaine, participer de la réflexion. J. Chirac arrivant aux Etats-Unis, va rencontrer le secrétaire général de l'Onu. Il y a des choses, effectivement, qui doivent être imaginées en la matière. En tous les cas, je m'inscris dans cette disponibilité des forces de progrès pour qu'on apporte des réponses positives aujourd'hui dans une situation de drame. Beaucoup m'ont interrogé lors de la fête de L'Humanité, sans aucune astuce, sur la situation politique française. Il y a des questions sur les échéances à venir, qui sont tellement dérisoires par rapport à ce que nous sommes en train de vivre aujourd'hui. Nous sommes dans un bousculement terrible. Il faut l'assimiler comme tel."
Etes-vous inquiet ou rassuré par l'attitude et le comportement de l'exécutif américain, à commencer d'ailleurs par le président des Etats-Unis qui dit : "N'attendez pas qu'on aille vite ; cette affaire-là est très complexe, nous irons lentement, nous prendrons notre temps ?
- "Prendre son temps, à mon avis, c'est participer d'une réponse beaucoup plus équilibrée aux choses, et il s'agit effectivement que s'associent des réponses visant à éradiquer le terrorisme, en même temps que des réponses qui donnent à la politique le primat dans une situation aussi difficile que celle-là."
Et comment percevez-vous les alliances ? Le paysage politique français se trouve lui aussi très bousculé par tout ce qui vient de se passer ?
- "Oui, bien sûr."
Comment vivez-vous cela ?
- "On n'est plus comme avant. Comment ? Il y a des réponses à apporter, immédiates, qui sont de responsabilité, qui écartent un certain nombre de thèses définitives, souverainistes. Autant d'éléments qui sont à mon avis, à prendre en compte et qui vont bousculer la vision des choses. Autour de l'exécutif, aujourd'hui, il y a nécessité de pousser les choses dans le bon sens. Elles vont comme cela, en tous les cas, depuis quelques jours, concernant l'exécutif. Est-ce que cela bipolarise davantage ? Je ne sais pas. En tous les cas, il me semble important de ne pas se précipiter dans des considérations politiciennes franco-françaises, mais d'essayer d'apporter des réponses responsables. Les Français nous regardent beaucoup. Ceux qui veulent avoir telle ou telle posture dans les élections présidentielles doivent réfléchir à ce qu'ils font en ce moment, parce que c'est dans une attitude de responsabilités qu'on saura si les hommes et les femmes, même ceux qui n'accéderont pas forcement à l'unique poste qu'est celui du président de la République, ont un sens des responsabilités et ont un sens du rôle de la France et de l'Europe dans le monde."
J'entends les questions que vous vous posez, les interrogations que vous avez sur le découpage politique français. Comment vous sentez-vous aujourd'hui vis-à-vis de J. Chirac ? Derrière J. Chirac ou pas vraiment avec lui ?
- "Je me sens derrière la France lorsqu'elle est dans une démarche pour qu'on ne tombe pas dans un engrenage guerrier, qui en fait apporte plus aux obscurantistes et à ceux qui sont à l'origine des attentats, qu'à une logique différente tournée vers la paix. Je n'ai pas de réticence du tout quand le président de la République française, qui n'est pas de mon bord, quand le Premier ministre qui prend des positions semblables, me semblent aller dans l'intérêt de la France. Dans les moments tragiques de notre histoire contemporaine ou même de notre histoire tout court, c'est souvent dans des attitudes transversales qu'on s'est retrouvé face à des questions aussi douloureuses, difficiles et c'est dans cet esprit que je m'inscris."
Cela me renvoie à la phrase que vous avez prononcée l'autre jour : "we are all citizens of the world." C'est peut-être la nouvelle donne, une conscience planétaire
- "Oui, nous sommes tous citoyens du monde. J'ai été sensible à ceux qui se retrouvaient tous américains, dans les premières heures d'émotion et j'ai ressenti moi-même cette émotion. Mais aujourd'hui, les Américains sont dans le monde, ils sont citoyens du monde, nous sommes donc tous citoyens du monde. C'est une réponse des citoyens du monde qu'il faut apporter plus qu'une réponse unilatérale, américaine, même si c'est eux qui ont subi le drame que nous connaissons. "
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 17 septembre 2001)
Monsieur le Premier ministre,
Je vous prie de bien vouloir prendre connaissance du message que je viens d'adresser au Président de la République, m'associant aux déclarations qu'il vient de faire ainsi qu'aux vôtres, suite aux tragiques attentats qui viennent de frapper les Etats-Unis.
Je tiens à vous assurer de mon entière solidarité et de celle du Parti communiste français, dans un moment dont je mesure toute la gravité, et les risques de tension dont elle est porteuse dans les relations internationales.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, en l'assurance de
ma haute considération.
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Monsieur le Président de la République,
Les attentats perpétrés aujourd'hui sur le sol des Etats-Unis suscitent d'abord un sentiment d'épouvante et une extrême indignation. Je souscris sans réserve aux termes des déclarations faites par vous-même et Monsieur le Premier ministre, au nom de la France.
Le Parti communiste, l'ensemble de ses membres et responsables sont pleinement solidaires du peuple américain.
J'espère, et je suis persuadé, que la France contribuera à ce que la communauté internationale puisse faire face à cette situation d'une exceptionnelle gravité avec la fermeté, le sang-froid, et l'esprit de responsabilité qu'elle exige.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en
l'assurance de ma haute considération.
(Source http://www.pcf.fr, le 17 septembre 2001
Déclaration au Conseil national le 13 septembre :
Cher-e-s camarades,
Si j'interviens dès le début des travaux du Conseil national, c'est pour témoigner -mais, je le sais, vous l'avez-vous même ressentie- de l'intense émotion qui bouleverse l'ensemble des communistes après les terribles attentats terroristes commis, mardi, sur le sol des Etats-Unis.
Comme des millions de Françaises et de Français, nous avons été frappés de stupeur et d'indignation par les images qu'ont longuement diffusées les télévisions du monde entier.
De sorte qu'aujourd'hui, et sans aucun doute dans les jours à venir, c'est la peine, le chagrin, et aussi l'inquiétude qui dominent et vont dominer l'actualité nationale et internationale.
Et aussi l'expression de l'indispensable solidarité qui est due au peuple américain que nous devons, toutes et tous, absolument lui manifester dans la terrible épreuve qu'il traverse.
C'est sur cette solidarité, que, pour commencer, je veux m'exprimer brièvement ici.
Nous sommes solidaires, d'abord des victimes, des milliers de femmes et d'hommes ensevelis sous les décombres du Pentagone et des tours new-yorkaises.
Solidaires, aussi, avec les familles des passagers des quatre avions détournés de leur route pour servir de "bombes volantes", et semer la mort et la terreur.
Solidaires, enfin, des sauveteurs, dont beaucoup ont disparu au coeur de la tourmente.
Il s'agit donc, vous l'avez compris, d'exprimer notre solidarité à tout le peuple américain, à l'ensemble des citoyennes et des citoyens de ce grand pays et aux dirigeants qu'ils se sont donnés. Tous sont frappés aujourd'hui, pour la première fois de leur Histoire, au coeur même des symboles les plus forts de leur puissance devant le monde.
Oui, sans retenue, sans réserve d'aucune sorte, la solidarité des communistes français leur est acquise.
Et plus encore: au-delà de la compassion, nous voulons leur dire notre compréhension du sentiment de révolte, de colère qui les anime. Ils se refusent à accepter que l'on puisse infliger une pareille horreur à des milliers d'innocents, de femmes et d'hommes dont le seul crime est de s'être trouvés en ces lieux, au moment ou les assassins ont décidé de frapper.
Il faut que tout soit entrepris afin de démasquer et de punir les auteurs et les instigateurs de ces actes de barbarie.
En aucun cas le terrorisme ne saurait à nos yeux trouver la moindre justification.
Je dis bien: en aucun cas.
Nulle cause ne peut-être servie par le recours à la force brutale et au massacre.
Le terrorisme est toujours une barbarie. Il se fixe l'odieux objectif d'attiser les peurs, les haines qui, au bout du compte, ajoutent toujours de la violence à la violence.
Non seulement, donc, il conduit à des résultats exactement inverses aux buts qu'il prétend poursuivre, mais il est un terrible facteur d'aggravation de toutes les tensions, de tous les conflits, qui appellent au contraire la multiplication des initiatives politiques pour en hâter le règlement.
De ce point de vue, chacun doit réfléchir à ceci, qui me paraît essentiel: une telle opération exigeait sans doute une longue préparation, et de nombreuses complicités. Pourtant, il semble qu'aucun de ceux qui pouvaient éventuellement la déjouer n'en ait été informé. Cela souligne avec une force renouvelée, et une urgence qui ne saurait être ignorée plus longtemps, la responsabilité de tous ceux qui abritent les terroristes, et donc favorisent le développement de leurs activités.
Il faut apprécier positivement la condamnation immédiate de ces attentats, par la communauté internationale, par les Etats, partout dans le monde.
Mais je veux ajouter ceci, qui sera décisif dans les jours et les semaines à venir : il convient de résister à ceux qui en appellent déjà à une guerre de l'Occident contre on ne sait qui ; contre des ennemis supposés, hâtivement désignés, alors même que personne n'est en mesure, au moment ou je m'exprime, de dire encore avec certitude qui sont et où se trouvent les commanditaires des attentats de mardi dernier.
Une piste, certes, est très souvent évoquée. Je veux dire que si elle était finalement avérée, elle ne doit en aucun cas permettre les généralisations dangereuses auxquelles certains procèdent déjà, pour fustiger l'islam dans son ensemble.
Dans la situation exceptionnelle que vit le monde, il ne faut pas laisser la moindre place à ceux qui, s'appuyant sur ces événements tragiques, sont tentés d'en faire un usage honteux au profit de projets politiques partisans.
Nous ne sommes qu'aux premières heures d'un moment particulièrement tragique. Il me semble qu'à ce stade le plus important est ce que je viens de proposer, pour que s'exprime pleinement la solidarité dont le peuple américain a besoin d'être entouré. Et aussi pour que, dès que les circonstances le permettront, les responsables politiques, les états et gouvernements, les citoyennes et citoyens du monde puissent intervenir et agir utilement, afin que soit châtiés les coupables et garanties les conditions permettant que plus jamais ne se reproduise pareille abomination. C'est la préservation des processus qui conditionne la construction d'un monde de paix, de solidarité et de partage qui en dépend. Des processus qui sont au coeur des préoccupations, des propositions, des initiatives de l'ensemble des membres de notre parti.
C'est dire que je maintiens le souhait que j'exprimais dès mardi au Président de la République : la situation actuelle exige fermeté, sang-froid et sens des responsabilités.
Voilà, Cher-e-s camarades, ce que je voulais vous dire d'emblée dans cette brève intervention.
Je vous invite, à présent, à observer une minute de silence, à la mémoire des victimes des attentats terroristes de mardi. Et, par ce geste, à exprimer la profonde solidarité des communistes français au peuple américain.
(Source http://www.pcf.fr, le 17 septembre 2001)
Point de presse à la fête de l'Humanité le 15 septembre :
Mesdames et Messieurs,
Merci d'avoir répondu à mon invitation à nous retrouver ici, au cur de la Fête de l'Humanité, pour cette rencontre à laquelle j'ai souhaité associer également les membres du Collège exécutif du Parti communiste.
Nous envisagions, quand nous en avons arrêté le principe il y a quelques jours avec mon ami Patrick LE HYARIC, directeur de l'Humanité, qu'elle soit l'occasion d'un échange très direct entre nous sur les grandes questions d'actualité, les préoccupations des Françaises et des Français en cette rentrée et aussi, naturellement, sur l'enjeu des grandes échéances électorales à venir. Sur la forme, je vous propose de ne rien changer : je suis - et les camarades qui m'entourent également - disponible pour une discussion sans protocole, qui vous permette, je l'espère; d'obtenir les éclairages que vous attendez de la direction du Parti communiste sur la situation actuelle.
Et précisément, sur le fond nous souhaitons en revanche limiter nos interventions à ce qui domine, fort légitimement, l'actualité depuis mardi dernier : les terribles attentats terroristes perpétrés sur le sol des Etats-Unis et leur conséquences.
Vous avez pu remarquer, si vous avez déjà eu l'occasion de parcourir les allées de la fête, que ces événements tragiques y sont très largement évoqués. Et, naturellement, ils sont partout et beaucoup discutés entre les participantes et les participants. Elles et ils seront, cette année, très nombreux. Nous avons même des raisons de penser : beaucoup plus nombreux que les années précédentes. Sans doute parce que le rendez-vous traditionnel qu'organisent l'Humanité et les communistes est, tout à la fois, un incomparable lieu de culture et d'échanges politiques. Dans les circonstances tragiques que vit le peuple américain, et compte tenu de l'exceptionnelle émotion que suscite le malheur qui le frappe, notre manifestation offre un espace à des centaines de milliers de femmes et d'hommes, de jeunes pour se retrouver, pour se parler, pour essayer, ensemble, de comprendre ce qui s'est passé et envisager l'avenir.
Vous avez eu connaissance, bien sûr, des réactions du Parti communiste aux événements de mardi dernier.
A peine nous étaient-ils connus, j'adressais mardi - moins de deux heures après le début des attentats - une courte lettre au Président de la République pour lui dire que la situation exigeait, selon moi, "fermeté, sang-froid et sens des responsabilités". Le lendemain, mercredi, devant le Collège exécutif puis jeudi, devant le Conseil national, j'ai réaffirmé ma conviction qu'il fallait absolument qu'il en soit bien ainsi. Et aujourd'hui, devant vous, je le confirme.
D'autant plus que, quatre jours après le drame, et alors que l'émotion et la colère ne sont peut-être pas encore à leur comble, chacune, chacun s'interroge sur ce qu'il convient d'entreprendre pour que le crime ne demeure pas impuni. Car c'est essentiel : les instigateurs des attentats de mardi doivent être activement recherchés, appréhendés et châtiés.
J'ai dit notre hostilité totale au terrorisme. Elle n'est pas fondée seulement sur l'horreur des gestes commis ; sur les massacres répétés de femmes et d'hommes innocents par lesquels les assassins prétendent venger les malheurs infligés à d'autres, en d'autres endroits du monde.
Au-delà de tout cela, qui provoque la nausée, le terrorisme est un poison mortel pour les valeurs qui nous tiennent à cur : la solidarité, le partage, la paix, au bénéfice de tous les peuples de la planète. Je le répète : il convient d'éradiquer le terrorisme. Cela suppose, d'abord, d'en arracher les germes partout ils sont repérés. C'est la responsabilité de tous les Etats, sans aucune exception, qui accueillent sur leur sol des individus ou des groupes se réclamant du terrorisme, ou le justifiant. Cela exige, inséparablement, le refus de toute généralisation à l'Islam dans son ensemble. Les très sérieux soupçons de culpabilité pesant aujourd'hui sur un homme qui prétend agir au nom de cette confession, n'autorise en aucun cas une telle assimilation.
Ce crime concerne toute la communauté humaine, parce qu'il est la négation même des valeurs d'humanité, de l'idée que d'autres relations sont possibles entre les êtres humains et les nations que celles fondées sur la violence et la haine. Parce qu'il nie toute confiance possible dans la capacité de l'humanité à se frayer des voies démocratiques pour modifier, transformer l'état des choses. C'est vrai, nous avons, par-delà les frontières, ressenti le sentiment d'appartenance à une même communauté, dans sa vulnérabilité, dans la compassion aux souffrances, mais aussi dans le sentiment qu'il se passait un événement d'une portée incalculable. Ce sentiment que plus rien ne serait comme avant, sans aucun doute les américains l'ont ressenti plus que quiconque.
J'ai entendu, comme beaucoup dans l'étreinte de l'émotion, le " Nous sommes tous des Américains ". Mais cette formule ne doit-elle pas devenir aujourd'hui, avec la même force pour les Américains qui ont découvert qu'ils sont dans le même bateau que les autres ; que les désordres du monde ( même ceux à l'origine desquels ils ne sont pas étrangers ) ne les épargnent pas ; Oui, cette formule ne doit-elle pas devenir :
We are all citizens of the world ; Nous sommes tous citoyens du monde
Quelque chose a basculé ce 11 septembre 2001. Avec comme un appel, face à l'horreur dont nous étions les témoins impuissants, à comprendre comment une telle barbarie peut survenir, et un appel, aussi, à changer ce monde, avant qu'il ne soit trop tard.
Alors retentissent des paroles de "guerre", quand il faut, au contraire, des actes qui opposent à la barbarie et à l'engrenage de guerre le besoin de justice et d'un monde de paix. On parle de guerre, et même de "troisième guerre mondiale". Il faut frapper vite et fort, nous dit-on. Mais qui? Et où ?
N'ajoutons pas à l'angoisse du moment les peurs d'un monde en guerre. Il est encore temps de refuser une voie qui, loin d'isoler les terroristes, accroîtrait les tensions et les frustrations. Une aventure guerrière justifierait, aux yeux de ces nouveaux obscurantistes, les thèses dangereuses du "choc des civilisations". La réaction doit être à la mesure du défi. Elle doit être sans faiblesse pour les criminels et leurs instigateurs. Elle doit clairement, dans ses objectifs et ses moyens, correspondre à cette indispensable recherche de justice.
Depuis quatre jours, je n'ai cessé de faire appel - comme d'autres - à l'esprit de responsabilité.
N'est-ce pas aussi dans ces moments tragiques que les " politiques ", que la politique, si souvent décriée, peut retrouver ses lettres de noblesse ?
C'est pourquoi, de cette fête où sont rassemblés des centaines de milliers de personnes, à l'unisson des femmes et des hommes dans le monde ; de ce rassemblement politique le plus important de France et d'Europe, je lance un appel au Président de la République Française, au 1er ministre, pour une intervention immédiate de notre pays afin que soit saisi le Conseil de Sécurité de l'ONU. Dans les conditions exceptionnelles que nous vivons, toute réaction ne peut intervenir que dans le respect de l'esprit et de la lettre de la Charte des Nations-Unis.
C'est la logique de responsabilité ; c'est la voie de la politique qui doivent primer sur toute démarche militaire unilatérale.
Surtout, surtout la réponse aux questions soulevées par ce séisme tragique, ne peut en rester là. Elle doit s'accompagner de signaux forts montrant que les aspirations à un monde plus juste, à en finir avec les inégalités et les fractures insupportables, les humiliations, ont été entendues.
Oui, comme jamais, il faut parler le langage de la paix, de la justice, du co-développement, de la priorité des besoins humains sur la logique des marchés. Il faut parler le langage de la paix, en s'engageant pour un règlement, sans tarder, de la tragédie du Proche-Orient, qui gangrène l'ensemble de la vie internationale. Il faut parler paix en tendant la main du dialogue et de la coopération aux Etats et aux peuples qui se revendiquent de l'Islam. Oui, tout à la fois, il faut refuser tout engrenage de guerre, et s'attaquer à tout ce qui génère des idéologies obscurantistes et totalitaires.
Aux désordres et aux humiliations engendrés par les logiques libérales et le capitalisme mondialisé, nous opposons l'appartenance à une communauté humaine, et le besoin d'un monde pacifié, pour travailler à une mondialisation de partage.
Oui, nous changeons d'époque, et pas seulement de siècle. Ce qui vient de se passer à New York et Washington bouleverse notre vision du monde. Il peut en résulter un basculement général dans l'horreur ; ou bien, un formidable engagement de l'humanité dans un sens positif pour la civilisation.
Les kamikazes d'aujourd'hui crient, comme jadis les franquistes "vive la mort". Nous, parce qu'ensemble nous pouvons changer le monde, nous crions "Vive la vie!".
(Source http://www.pcf.fr, le 19 septembre 2001)
S. Paoli - Comment, politiquement, le responsable politique que vous êtes, a-t-il encaissé le choc des attentats qui ont frappé les Etats-Unis ?
- "Très brutalement. Personne ne peut être insensible à un tel choc. Dans les premières heures qui ont suivi les attentats, j'ai immédiatement, dans une lettre au président de la République, confirmé qu'il fallait effectivement que de tels événements, qui bouleversent complètement la donne, soient examinés avec tout le sang-froid nécessaire, le sens des responsabilités, la fermeté. J'avoue que, pour le moment, la position de l'exécutif français, du président de la République et du Premier ministre, confirme cette démarche et j'y souscris. Cela me semble essentiel aujourd'hui, pour la France, pour l'Europe, dans une situation comme celle que nous connaissons."
Vous n'êtes sûrement pas du tout insensible à tout ce qu'on dit qui se passe ici à New York, mais vous êtes le patron du Parti communiste. Et quand vous dites : "Nous sommes, nous les communistes, solidaires, sans retenue, sans réserve d'aucune sorte, avec les Américains", est-ce que cela passe si bien que cela au sein du PC ?
- "On a une expérience assez exceptionnelle qui vient de se produire, avec la fête de L'Humanité, avec des centaines de milliers de personnes. Que cette fête ait pu, de façon majeure, forte, placer au coeur de la démarche des communistes et des gens présents la solidarité avec le peuple américain - pas une solidarité seulement dans les débats, dans la forme, dans les mots - mais il y a une solidarité active y compris - il faut s'imaginer ce que peut représenter - des collectes organisées entre la direction de L'Humanité et le Secours populaire, en faveur du peuple américain. Oui, sans réserve et d'emblée, nous avons réaffirmé cette solidarité totale. Ce qui ne signifie pas que dans les débats, tout le monde soit dans cet esprit sans réserve. Mais en même temps, quand on est dans un pays comme la France, que vous connaissez tellement bien, que la politique est souvent décriée, dans des moments comme ceux-là, c'est redonner des lettres de noblesse à la politique que d'avoir le courage de dire des choses avec cette force. Il fallait dire ce que vous avons dit, c'est-à-dire "solidarité au peuple américain", ce qui ne veut pas dire aujourd'hui que nous soyons dans un alignement aveugle derrière G. Bush, dans une riposte qui pourrait être sans nuance si elle devait l'être ainsi, mais en tout état de cause, il y a cette démarche. Et puis, il y a le rejet total de ce poison mortel qu'est le terrorisme. Là aussi, on ne peut pas dissocier ce rejet-là, en tous les cas, dans l'expression qui est la nôtre, de la solidarité que nous avons exprimée."
Il y a une autre question qui se pose à tout le monde. D'ailleurs ce n'est pas innocent que nous ayons en ligne le secrétaire national du Parti communiste ce matin. Dans six heures maintenant, la bourse de New-York va rouvrir. Mais elle rouvre sur quoi ? Sur quelle vision du monde économique mondiale ? Est-ce qu'il faut changer les choses ? A l'évidence, oui.
- "Bien sûr. Nous vivons un drame. Des heures tragiques se prolongent au plan humain. On ne peut pas vraiment se détacher des images que nous voyons et d'un peuple qui pleure. Nous devons pleurer avec lui en toute responsabilité. Mais en même temps, est-ce que dans la situation que nous connaissons, ne convient-il pas de regarder ce que sont les désordres du monde ? Regardez comment, d'une situation de drame, on peut peut-être déboucher avec une alternative gravissime possible sur l'horreur comme sur un espoir nouveau d'un monde de partage, d'un monde où il n'y ait pas l'idée de confrontation de civilisations, comme je l'ai entendu parfois ces dernières heures. Il faut que les forces de progrès, les forces d'humanité, pour être encore plus large, mettent en mouvement ce qui est nécessaire pour apporter une réponse de mondialisation, de partage, plutôt qu'une réponse de mondialisation qui se poursuive dans les inégalités à travers le monde et les frustrations."
La difficulté pour vous est que cette question est transcourants, elle n'est pas spécifique à la gauche, et encore même moins au Parti communiste. Tous les responsables politiques, aujourd'hui, doivent se poser la question de ce qu'est l'économie du monde et comment il faut peut-être différemment la distribuer ?
- "Complètement, mais ce n'est pas dramatique que ces choses se posent comme cela. Beaucoup ont souligné comme un paradoxe la position du Parti communiste par rapport à cette solidarité nécessaire. Il me semble que face aux questions auxquelles le monde aujourd'hui est confronté, il faut des réponses qui ne reviennent en rien sur le constat de ce qu'est le monde tel qu'il est, avec ses inégalités criantes et, incontestablement, les dirigeants américains ne sont étrangers à un certain nombre d'éléments qui participent de ces inégalités dans le monde. Mais, en même temps, il faut qu'on apporte des réponses universelles aux questions posées, pas des réponses de camps, pas des réponses du monde occidental face au reste de la planète, mais des réponses qui permettent des constructions. Là, il ne s'agit pas d'être naïf sur la réalité des choses. Dans la toute prochaine période, il va falloir être extrêmement vigilant. J'apprécie la position des ministres français, notamment de H. Védrine hier, qui a confirmé combien il fallait qu'on imagine des solutions qui, certes permettent de punir et châtier les responsables, mais en même temps, prennent en considération le caractère universel des choses. Personnellement, j'ai saisi, hier, à la fête de L'Humanité le président de la République et le Premier ministre pour qu'on voit comment le Conseil de sécurité de l'Onu peut, dans ce domaine, participer de la réflexion. J. Chirac arrivant aux Etats-Unis, va rencontrer le secrétaire général de l'Onu. Il y a des choses, effectivement, qui doivent être imaginées en la matière. En tous les cas, je m'inscris dans cette disponibilité des forces de progrès pour qu'on apporte des réponses positives aujourd'hui dans une situation de drame. Beaucoup m'ont interrogé lors de la fête de L'Humanité, sans aucune astuce, sur la situation politique française. Il y a des questions sur les échéances à venir, qui sont tellement dérisoires par rapport à ce que nous sommes en train de vivre aujourd'hui. Nous sommes dans un bousculement terrible. Il faut l'assimiler comme tel."
Etes-vous inquiet ou rassuré par l'attitude et le comportement de l'exécutif américain, à commencer d'ailleurs par le président des Etats-Unis qui dit : "N'attendez pas qu'on aille vite ; cette affaire-là est très complexe, nous irons lentement, nous prendrons notre temps ?
- "Prendre son temps, à mon avis, c'est participer d'une réponse beaucoup plus équilibrée aux choses, et il s'agit effectivement que s'associent des réponses visant à éradiquer le terrorisme, en même temps que des réponses qui donnent à la politique le primat dans une situation aussi difficile que celle-là."
Et comment percevez-vous les alliances ? Le paysage politique français se trouve lui aussi très bousculé par tout ce qui vient de se passer ?
- "Oui, bien sûr."
Comment vivez-vous cela ?
- "On n'est plus comme avant. Comment ? Il y a des réponses à apporter, immédiates, qui sont de responsabilité, qui écartent un certain nombre de thèses définitives, souverainistes. Autant d'éléments qui sont à mon avis, à prendre en compte et qui vont bousculer la vision des choses. Autour de l'exécutif, aujourd'hui, il y a nécessité de pousser les choses dans le bon sens. Elles vont comme cela, en tous les cas, depuis quelques jours, concernant l'exécutif. Est-ce que cela bipolarise davantage ? Je ne sais pas. En tous les cas, il me semble important de ne pas se précipiter dans des considérations politiciennes franco-françaises, mais d'essayer d'apporter des réponses responsables. Les Français nous regardent beaucoup. Ceux qui veulent avoir telle ou telle posture dans les élections présidentielles doivent réfléchir à ce qu'ils font en ce moment, parce que c'est dans une attitude de responsabilités qu'on saura si les hommes et les femmes, même ceux qui n'accéderont pas forcement à l'unique poste qu'est celui du président de la République, ont un sens des responsabilités et ont un sens du rôle de la France et de l'Europe dans le monde."
J'entends les questions que vous vous posez, les interrogations que vous avez sur le découpage politique français. Comment vous sentez-vous aujourd'hui vis-à-vis de J. Chirac ? Derrière J. Chirac ou pas vraiment avec lui ?
- "Je me sens derrière la France lorsqu'elle est dans une démarche pour qu'on ne tombe pas dans un engrenage guerrier, qui en fait apporte plus aux obscurantistes et à ceux qui sont à l'origine des attentats, qu'à une logique différente tournée vers la paix. Je n'ai pas de réticence du tout quand le président de la République française, qui n'est pas de mon bord, quand le Premier ministre qui prend des positions semblables, me semblent aller dans l'intérêt de la France. Dans les moments tragiques de notre histoire contemporaine ou même de notre histoire tout court, c'est souvent dans des attitudes transversales qu'on s'est retrouvé face à des questions aussi douloureuses, difficiles et c'est dans cet esprit que je m'inscris."
Cela me renvoie à la phrase que vous avez prononcée l'autre jour : "we are all citizens of the world." C'est peut-être la nouvelle donne, une conscience planétaire
- "Oui, nous sommes tous citoyens du monde. J'ai été sensible à ceux qui se retrouvaient tous américains, dans les premières heures d'émotion et j'ai ressenti moi-même cette émotion. Mais aujourd'hui, les Américains sont dans le monde, ils sont citoyens du monde, nous sommes donc tous citoyens du monde. C'est une réponse des citoyens du monde qu'il faut apporter plus qu'une réponse unilatérale, américaine, même si c'est eux qui ont subi le drame que nous connaissons. "
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 17 septembre 2001)