Déclaration de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche, sur l'enseignement supérieur et les innovations pédagogiques dans les Grandes écoles, Paris le 12 mai 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, c'est un grand plaisir d'être avec vous ce matin.
Le sondage TNS Sofres présenté par Madame la Présidente illustre, sans surprise, la bonne image des Grandes écoles et confirme la qualité de l'enseignement et de l'innovation pédagogique qui y sont prodigués. C'est un des points forts des Grandes écoles, qui est pour les universités une source de stimulation importante. Les débouchés professionnels des Grandes écoles sont excellents.
Il démontre également l'immense confusion existant autour des questions d'orientation, tant pour les Grandes écoles que pour les universités. L'orientation, personne ne comprend rien. L'orientation devra être le chantier majeur des prochaines années. De ce point de vue, de l'innovation de rupture est nécessaire. Il existe énormément d'actions visant à rendre lisible l'orientation, mais ce sont des actions et non une stratégie. Il faut une stratégie d'orientation qui inclut les questions d'organisation, de lisibilité, de simplification, de personnalisation des parcours, de préparation à l'information des familles et des futurs étudiants et d'information précoce de l'intérêt des études supérieures…
C'est un chantier gigantesque qui appelle des réformes très profondes. Les questions d'orientation doivent être, en Première et en Terminale, quasiment une matière à part entière, avec un professeur qui disposerait de temps pour gérer le devenir des lycéens de sa classe, avec des outils adéquats. Des réflexions sont actuellement en cours à la DGESCO et la DGSIP sur le rôle que pourraient jouer les établissements avant l'orientation du lycéen dans l'enseignement supérieur. Cette politique devra intégrer l'ensemble du spectre de l'offre de l'enseignement supérieur, universités et Grandes écoles.
Le sondage révèle également que le coût est perçu comme la principale différence entre Grandes écoles et universités. Observons que ce débat est le même dans tous les pays développés. Les universités demandent régulièrement que les frais d'inscription, qui représentent 2 % seulement de leurs ressources propres, soient augmentés. Le Président Obama, lorsqu'on lui demande quels sont ses regrets sur ses deux mandats présidentiels, cite son incapacité à élargir l'accès au collège et la proposition de Bernie Sanders est de rendre gratuit pendant plusieurs années l'accès aux Grandes écoles. C'est également un sujet en Grande-Bretagne et en Allemagne. La question du coût et la perception de la cherté des Grandes écoles sont un enjeu majeur. Vous connaissez mieux que quiconque la structure de financement des établissements, la baisse des ressources de la Taxe d'Apprentissage.
Nous apprécions beaucoup la priorité donnée dans ce colloque à l'accompagnement social et à l'élargissement de l'accès à l'enseignement supérieur. L'Etat via la Stratégie Nationale de l'Enseignement Supérieur (STRANES) à laquelle vous avez largement contribué, se fixe comme objectif d'élargir d'ici 10 ans à 60 % d'une classe d'âge le nombre de diplômés du supérieur. Ces questions me semblent être matricielles.
J'avais insisté, il y a un an, sur le fait que la Nation devait se donner les moyens de ses objectifs. Pour accomplir un effort significatif de scolarisation des jeunes générations dans l'enseignement supérieur, il faut accompagner budgétairement ces décisions. Il peut y avoir des sources de financements complémentaires qu'il faut développer, particulièrement pour les Universités, mais de toute façon la nation devra accompagner. J'ai en ce sens beaucoup apprécié le rapport de Jean Pisani-Ferry, qui aborde cette question en insistant sur cette nécessité et en établissant un comparatif international.
Votre participation aux COMUE est très féconde sur l'avenir de l'enseignement supérieur. Elle apporte une diversité d'expériences, avec des modèles relativement intégrés voire presque fusionnels comme dans l'Ouest de la France. Il y a des coopérations très profondes, y compris sur l'innovation pédagogique et numérique ou la création d'entreprises. Nous tenterons de réunir fin octobre 2016 les 25 COMUE de France pour présenter leurs premiers résultats concrets sur la formation et sur la recherche. Il serait bon que vous soyez associés à ce travail également en tant que CGE, afin d'exposer l'intérêt que vous avez trouvé au développement de ces outils.
Les étudiants qui entrent dans l'enseignement supérieur en attendent avant tout qu'il leur permette une bonne insertion professionnelle. Il est cependant difficile d'y voir clair sur le travail à quinze ans. De premiers éléments de réflexion semblent conforter ce qui paraît être aujourd'hui acquis sur la baisse des emplois moyennement qualifiés (20 % entre 1995 et 2010), l'augmentation des emplois qualifiés (20 % sur la même période), et la progression des emplois faiblement qualifiés (8 %). Nous organiserons, d'ici à la fin du mois de juin, une conférence internationale, avec celles et ceux des sciences humaines et sociales et des sciences économiques qui réfléchissent à l'évolution de l'emploi dans les pays développés au cours des 15 années à venir. Nous y associerons entre autres des chercheurs indiens. Nous devons réellement nous doter d'un outil d'analyse très fin sur ce sujet.
Je vous remercie toutes et tous pour le travail que vous effectuez dans ces lieux d'où naîtra l‘enseignement supérieur de demain. Les COMUE ont l'avantage d'être encadrées par un certain nombre de règles, mais de pouvoir évoluer en fonction des décisions de celles et ceux qui les composent. Elles ont donné lieu à des promesses fantastiques. J'ai été passionné par le travail mené à Cergy entre une Grande école, l'ESSEC, et l'université autour de la révolution pédagogique et numérique qui se prépare. Je suis certain qu'il existe beaucoup d'autres expériences aussi fortes que celle-ci en France dans la mutation profonde du paysage de l'enseignement supérieur.
Je suis un farouche défenseur de l'autonomie des établissements qui doit être consolidée, Simon Bonnafous à la DGESIP est en train de travailler à la mutation de son organisation en organisme de pilotage d'acteurs autonomes, il s'agit là d'une révolution culturelle. Il faut être pragmatique. Je refuserai par exemple désormais de participer au moindre débat sur le sujet de la sélection. Je n'ai pas de problème avec la sélection. Quel serait l'intérêt de précipiter des cohortes plus nombreuses d'étudiants vers certaines formations ?
Je vous remercie.
* Echanges avec la salle
JUSTIN VERNAECKT
Bonjour à tous, cette journée est consacrée à l'enseignement supérieur et à la recherche. Vous êtes tous des acteurs de ce domaine. A ce titre, alors qu'habituellement les téléphones portables sont interdits dans cet amphithéâtre, nous vous recommandons à l'inverse, aujourd'hui, de tweeter, via le hashtag #colloqueCGE afin de participer pleinement aux débats.
Monsieur le Ministre. Je vous propose de prendre quelques questions.
PHILIPPE JAMET, Directeur général de l'Institut Mines-Telecom
Je pense personnellement que l'idée du référent est une mauvaise idée, car elle a pour effet de factoriser les responsabilités sur certains, et de réduire la responsabilité collective du système. Cette idée n'est pas suffisante de mon point de vue.
J'aurais souhaité trois éléments complémentaires sur la sélection.
Comment découpler l'orientation de la sélection ? Les étudiants ont le droit de choisir leur établissement, tout comme les établissements ont le droit de choisir leurs étudiants.
Ne faudrait-il pas aller plus en amont que la Première et la Terminale, à l'instar de l'Allemagne, qui n'envoie plus que 35 % des étudiants en enseignement supérieur en formation initiale ?
Pourquoi découpler l'orientation de la formation tout au long de la vie ? Le choix que font les étudiants à une certaine étape de leur vie ne doit pas être perçu comme totalement crucial.
THIERRY MANDON
Le référent n'est certes pas la panacée. Néanmoins, pour les milieux sociaux qui ne connaissent pas le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche, la présence, dans l'établissement, d'un référent qui puisse coacher individuellement les jeunes dans la préparation de leur parcours dans l'enseignement supérieur, me semble pertinente.
J'ai affirmé que je ne participerai plus jamais à un débat sur la sélection. Le rôle d'accueillir tout jeune qui souhaite accéder à l'enseignement supérieur est assigné à l'université, financée à 91 % par la Nation, c'est-à-dire par la solidarité nationale. Dans certains lieux, les questions de sélection se posent. Il convient d'être pragmatique : des politiques d'orientation doivent permettre de dissuader des étudiants d'aller dans le mur à coup sûr.
Il est vrai qu'il doit être possible d'agir dès la Quatrième ou la Troisième.
Il serait également utile d'intéresser plus les entreprises à la formation universitaire. Je crois néanmoins au rôle décisif du premier diplôme dans l'accès au marché de l'emploi, tant pour la rémunération que pour la carrière dans l'entreprise. Si la formation tout au long de la vie est absolument utile et essentielle, nous n'en avons, à mon sens, pas fini avec le rôle important du premier diplôme. Nous ferons tout pour que les étudiants français aient un premier diplôme qui leur permette de débuter correctement leur carrière.
ISABELLE BARTH, Directrice de l'École de Management de Strasbourg
Il est important de faire entrer le monde professionnel dans l'institution. Il est problématique que les professeurs ne sortent jamais de leurs lycées, privant ainsi les étudiants d'une ouverture sur le métier et la carrière. Comment parvenir à cette mixité, qui permette que l'orientation ne se limite pas à APB et que les étudiants effectuent un choix éclairé.
THIERRY MANDON
Nous constatons des évolutions sur le terrain. Le pilotage du changement est cependant difficile. Si vous structurez une fonction « Orientation » en Première et Terminale, voire plus tôt, cela induira une obligation d'ouverture vers l'extérieur pour ceux qui l'assureront. Telle est ma suggestion de stratégie de changement.
FRANÇOIS LUREAU, Président d'Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF)
Nous présentons le métier d'ingénieurs dans les collèges et lycées.
Les entreprises n'ont guère besoin de docteurs. En outre, elles n'ont pas besoin seulement d'ingénieurs, mais aussi de salariés d'un niveau licence, par exemple. Comment renforcer ces deux spectres de formation ?
THIERRY MANDON
Je partage votre point de vue sur la nécessité de renforcer le niveau bac+3 professionnalisant.
Nous avons mené un travail très pragmatique pour identifier les raisons pour lesquelles les docteurs suscitent moins d'intérêt que les ingénieurs auprès des entreprises.
La marque de fabrique du docteur repose sur le fait qu'il connaît l'état de son art dans le monde entier. Cette ressource est rarissime. Il s'agit d'une opportunité formidable.
Les docteurs ont un esprit critique particulièrement développé, ce qui peut représenter des difficultés d'intégration : il faut renforcer la capacité intellectuelle de tolérer cet esprit critique dans les entreprises.
JUSTIN VERNAECKT
Une question nous arrive de Twitter : « Pourquoi est-il plus difficile de faire de bons choix d'orientation lorsqu'on est dans un lycée français de l'étranger ? »
THIERRY MANDON
Je suppose que les raisons sont sociologiques. Jean Pisani-Ferry serait plus à même de vous répondre.
JEAN-PHILIPPE AMMEUX, Directeur de l'IESEG et président de la FESIC
Les Etablissements d'Enseignement Supérieur d'Intérêt Général répondent aux missions de service public. Ils sont non lucratifs. De nouveaux apparaîtront prochainement.
Quelles sont vos attentes par rapport à ces établissements ? Ils représentent un tiers secteur, ni public ni privé lucratif. Ils sont parfois très développés dans des domaines comme la santé ou la culture. Ils sont un secteur « témoin », avec des résultats exceptionnels pour un coût dérisoire. Comment passer de ce rôle à celui de secteur « stratégique » ?
THIERRY MANDON
Vous avez vous-même suggéré quelques réponses.
Pour passer au rôle de secteur « stratégique », il faut identifier les raisons du bon fonctionnement de ces établissements. Le système doit être bonifié (qualité, efficacité, coût, etc.).
JUSTIN VERNAECKT
Monsieur le Ministre, merci.
Source http://www.cge.asso.fr, le 4 août 2016