Déclaration de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, sur les attentats terroristes contre Charlie-Hebdo et la mobilisation républicaine, Paris le 27 janvier 2015.

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Cela fait 20 jours que deux terroristes français ont pénétré dans les locaux de Charlie Hebdo pour y commettre un massacre.
Depuis ce 7 janvier, notre pays n'est plus tout à fait le même.
Il a d'abord été sidéré par la violence de l'attaque. Par la mort brutale de visages ou de noms connus.
Pour ceux de ma génération, Cabu et Wolinski étaient devenus des compagnons.
Sans les connaître personnellement, ils étaient là, ils faisaient partie de nos vies, ils égayaient nos vies, et pour cela, ils nous étaient chers.
Puis notre pays a fait la démonstration de son attachement viscéral à la République.
Les manifestations spontanées, nombreuses, tranquilles, ont réchauffé nos rues dès le premier soir.
On n'était plus bien sûr de ce que le mot voulait dire. On le trouvait pompeux, abstrait, déconnecté.
Et puis, il s'est rappelé à nous, avec toute la force, toute la puissance de ce qu'il recouvre :
Oui, nous voulons vivre libres !
Oui, nous voulons vivre égaux !
Oui, nous voulons vivre en frères !
Nous nous sommes souvenus que nous formions une seule et même communauté ; que cette communauté avait une histoire qui avait fait la fierté de la France et nous avons pu constater qu'aujourd'hui encore, cette histoire avait quelque chose d'universel.
La plus grande manifestation de chefs d'Etat a eu lieu dans nos rues, le 11 janvier.
Notre pays a donc trouvé la force de réagir, de se lever, et d'envoyer ce message : nous ne sommes pas prêts à abandonner nos valeurs.
Les représentants du peuple français se sont montrés dignes de cet élan, de cette ferveur.
Mais déjà le doute s'installait : notre communauté nationale est-elle unanime ?
La lucidité et l'honnêteté nous obligent à répondre que non.
Il faut avoir conscience de la fracture de la société française.
Cette fracture n'est pas récente, elle ne date pas du 11 janvier. Elle est profonde, ancienne, douloureuse.
J'ai été sur le terrain ces derniers jours. J'ai pu entendre des voix dissonantes, des désaccords nourris, des doutes sincères.
J'ai rencontré ceux qui ne sont pas Charlie.
J'ai rencontré des jeunes pour qui la religion est plus sacrée que la vie.
J'ai rencontré des jeunes qui ne voyaient pas pourquoi distinguer le racisme du blasphème.
J'ai un profond respect pour ces personnes qui ne sont pas Charlie, mais pour ma part, je le suis plus que jamais.
Plus que jamais, je veux œuvrer à cette articulation compliquée mais nécessaire entre le « je » et le « nous ».
Plus que jamais nous avons besoin d'un cadre collectif qui permette l'épanouissement des singularités, les revendications légitimes à l'autonomie et à la reconnaissance.
Je veux, avec vous tous ici présents, porter une grande mobilisation républicaine, prolongeant le mouvement populaire du 11 janvier, pour convaincre tous ceux qui ne sont pas Charlie que notre histoire est grande, et que cette histoire est la leur.
Je veux les convaincre que la République reste notre horizon commun.
Je veux les convaincre que si la République a failli – et elle a parfois failli – alors, il faut réparer, mais pas détruire.
A côté de la réponse régalienne, urgente, nécessaire, efficace, qu'a apportée le Gouvernement, il nous faut aussi apporter une réponse sociale et éducative.
Cette réponse-là sera forcément collective. Je souhaite en donner l'impulsion mais dans ces domaines, dans ce qui touche à l'humain et qui est par définition fragile, mouvant, insaisissable, il convient d'agir avec humilité.
Chacun détient une part de vérité et l'effort de tous est indispensable : Etat, collectivités, associations, simples citoyens.
La réponse ne sera pas univoque mais globale : éducation nationale et populaire, culture, jeunesse, logement, sports, vie associative… nous réussirons dans la coopération et l'articulation de tous ces champs.
Dès le soir des attentats de Charlie Hebdo, j'ai commencé à réunir avec Myriam El Khomri les acteurs associatifs.
Nous continuerons ce travail de concertation et de mobilisation tout au long du mois de février avec comme perspective de livrer début mars, à l'occasion d'un comité interministériel dédié, un plan d'action partagé, qui engagera tous ceux qui auront bien voulu participer à son élaboration.
Quels sont nos objectifs ?
Casser les ghettos et reconstruire le lien à la République.
Nous devrons sans doute revoir la politique de construction et d'attribution des logements.
Il faudra accélérer le retour des services publics dans les quartiers prioritaires et faire en sorte que ces quartiers offrent un cadre de vie digne et même exaltant à leurs habitants.
Les adultes seront amenés à davantage se parler pour former une véritable communauté éducative autour de l'adolescent. Celui-ci ne doit jamais rester livré à lui-même.
Nous viserons un accompagnement personnalisé de chaque jeune, dans ses études puis dans son insertion, avec une variété de solution plus ou moins « encadrante ».
Nous soutiendrons les parents qui en éprouvent le besoin, y compris dans l'apprentissage du français.
Nous lutterons partout contre les discours radicaux, complotistes et racistes, dans les classes, dans les clubs sportifs, dans les structures d'éducation populaire, et bien évidemment sur internet où ils se prolifèrent.
Nous réarmerons les adultes pour faire face à tous ces contre-discours qui sapent notre idéal républicain. Nous serons notamment intransigeants quant au respect de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Voilà quelques-uns des axes saillants de la mobilisation républicaine dont le Premier Ministre m'a confié l'animation, avec Myriam El Khomri, mais qui concerne aussi Thierry Braillard et d'autres ministres du gouvernement.
Encore une fois, c'est un travail collectif.
Cela a quelque chose d'étrange de le dire comme ça, mais je crois que nous avons un combat à mener pour réhabiliter la vie.
J'aimerais que tous mes concitoyens, en priorité les jeunes – mais pas seulement eux, il ne faut pas toujours se tourner vers eux – retrouvent le goût de la vie, c'est-à-dire de la liberté, du rire, de l'amour et de l'amitié, de la fraternité, de la création, du beau.
C'est tout cela qui doit l'emporter sur l'idéologie morbide de ceux qui nous attaquent.
Et aussi, ce qui est peut-être plus difficile à cerner, sur une forme d'indifférence, de relativisme.
Ce début d'année laisse penser que le pire comme le meilleur sont possibles.
Je souhaite à chacun une excellente année 2015, pleine de vie justement, et je nous souhaite collectivement de trouver la force pour faire le choix du meilleur.
Source http://www.patrickkanner.fr, le 29 juillet 2016