Texte intégral
Monsieur le Président de l'observatoire, Jean-Louis Bianco
Mesdames, Messieurs,
Les 7, 8 et 9 janvier, des Français ont tué d'autres Français au nom de Dieu.
Le 11 janvier, la France s'est relevée, mais elle est en rémission.
La laïcité est un sujet vaste et complexe. En parler une semaine après les attentats qui ont affligé la France rend l'exercice particulièrement difficile.
Mais sans doute aussi, particulièrement nécessaire.
La possibilité de la co-existence pacifique d'individus qui croient et qui ne croient pas, qui sont de confessions diverses, est mise en cause à double titre :
- de manière tragique, spectaculaire, radicale par l'action terroriste ;
- de manière insidieuse, lente, redoutable, par la montée du racisme et de l'antisémitisme.
Il est d'ailleurs probable que le surgissement de la première forme de remise en cause de la laïcité, spectaculaire, se nourrisse, entre autres, de l'érosion des principes républicains par la seconde forme de remise en cause.
Il s'agit d'un poison lent auquel il est urgent d'apporter un antidote, une riposte républicaine.
Cette remise en cause ne se traduit pas nécessairement par une idéologie structurée, une volonté farouche de faire du mal à l'autre, de le rejeter. Il peut s'agir aussi d'une déstructuration de la pensée et du savoir, une perte de confiance dans l'action publique.
Cela nourrit une grande confusion mentale et morale :
Qu'est-ce qui est grave ?
Que vaut la vie ?
Quelle différence entre le racisme et le blasphème ? Entre la satire et l'incitation à la haine raciale ?
Entre le premier et le second degré
Cette confusion est le terreau des idéologies réactionnaires, que le Gouvernement combat : stigmatisation de l'homosexualité, refus de l'égalité des sexes, xénophobie, dénonciation des droits de l'homme
Le Front national est porteur, de père en fille, de cette idéologie depuis longtemps en France, même si les expressions publiques évoluent.
Viennent s'y ajouter depuis quelques années des groupuscules transnationaux islamistes qui agissent dans la prédication comme dans l'exercice de la terreur.
Si je dois dater l'émergence de ces discours sur la scène française, je dirais qu'ils sont conséquents aux émeutes de 2005. A ce moment, un lien a durablement été rompu.
Jusqu'à l'atrocité de la semaine dernière.
L'assassinat de français juifs dans une école ou dans un supermarché casher nous meurtrit.
Les actes de violence commis contre des mosquées nous révoltent.
Mais ces agissements et leurs réponses relèvent d'abord de mes collègues de l'Intérieur et de la Justice.
Ma mission est, bien en amont, de les prévenir.
Je ne crois pas que les jeunes soient moins attachés à la laïcité que leurs aînés. Les adultes d'aujourd'hui sont les jeunes d'hier
En revanche, il est vrai que beaucoup se joue dans la formation intellectuelle et morale des individus au moment de l'adolescence, et je crois même, pour être plus précis, du collège.
Donc oui, la défense de la laïcité intéresse le Ministre de la jeunesse.
Dire que l'intolérance et la radicalisation seraient l'apanage des quartiers relève également d'un fantasme.
Pour autant, il fait peu de doutes que ces quartiers concentrent comme nul autres, les difficultés sociales, urbaines, et que leurs habitants peuvent légitimement ressentir une forme d'abandon de la part de la République.
30 ans de politique de la ville n'auront pas permis de résorber ces fractures. Pour autant, qu'en serait-il sans la politique de la ville ? Les débordements restent somme toute peu nombreux et l'intervention publique a participé à « faire tenir » la société.
Cette République dont la promesse suscite l'espoir et l'action bien trop souvent la déception.
Dans ces conditions, on comprend que les discours de défiance trouvent prises.
Alors oui, la défense de la laïcité intéresse le Ministre de la ville.
Que peut faire le Ministre de la ville et de la jeunesse pour contribuer au respect de laïcité ?
Bien que la laïcité rejoigne les valeurs républicaines plus d'un siècle après l'émergence de celle-ci, elle est j'en ai la conviction intimement liée au triptyque liberté, égalité, fraternité.
La laïcité, c'est l'exigence de neutralité et de tolérance qui autorise la liberté de conscience et d'expression.
Agir pour l'extension de nos libertés, pour leur accomplissement toujours plus total, revient nécessairement à agir dans le sens d'un renforcement de la laïcité.
Or, le principal instrument de la liberté est l'éducation.
L'éducation nationale bien sûr. Tout de suite, on se tourne vers l'école quand on pense « laïcité ».
Mais il existe d'autres façons d'apprendre et d'autres lieux, d'autres contextes, pour le faire.
Aussi, parallèlement à ce que le gouvernement investit pour l'éducation nationale, il m'incombe de valoriser et de développer l'éducation populaire.
La réforme des rythmes scolaires est, de ce point de vue, une formidable opportunité.
La sensibilisation des animateurs de ces temps hors l'école aux enjeux de la laïcité me paraît essentielle.
L'éducation populaire peut aussi prendre en charge, en partie, l'éducation des jeunes à l'usage d'internet.
Parce qu'ils sont nés dedans, on suppose un peu vite que l'univers numérique n'a aucun secret pour les jeunes.
Il faut savoir de quoi on parle.
Oui, ils savent naviguer, télécharger des applications, utiliser un certain nombre de logiciels.
Mais cela ne permet pas de comprendre et d'analyser un message, écrit ou vidéo.
Cela ne permet pas de hiérarchiser des informations, d'appréhender leur légitimité.
Cela ne permet pas de se protéger des intrusions, et des manipulations.
Donc il y a bien tout un champ de compétences à acquérir pour être autonome dans le monde numérique. L'éducation populaire peut y pourvoir.
L'éducation, elle se fait aussi dans des expériences civiques, des expériences d'engagement, comme le service civique. La montée en charge rapide de ce dispositif est un plus pour les promoteurs de la laïcité.
La laïcité est aussi une question d'égalité.
Les discriminations, les stigmatisations sont autant de coups portés à l'idée que toutes les confessions et les opinions ont leur place.
Que ce soit vis-à-vis des jeunes ou des habitants des quartiers de la politique de la ville, je me battrai avec détermination contre les discriminations à l'emploi, au logement, aux services et aux politiques publiques.
Je veux aussi que chacun ait la possibilité de pratiquer sa religion dans des conditions décentes.
Ce n'est manifestement pas le cas aujourd'hui pour nos concitoyens de confession musulmane, dont beaucoup sont contraints à pratiquer dans des lieux indignes, clandestinement.
Je souhaite que la rénovation urbaine prenne en compte cette dimension.
La poursuite de l'égalité nous amène par ailleurs à casser les logiques de relégation et de ghettoïsation qui confortent les tentatives communautaires.
Là encore, la politique de la ville, par ses objectifs de mixité, dans l'habitat et dans les commerces, peut apporter une partie de la solution.
Il y a, à côté de l'égalité dans sa tradition républicaine, une aspiration plus récente qui a aussi à voir avec la justice et qui m'apparaît légitime : c'est la demande de reconnaissance.
L'égalité ne peut se traduire par l'occultation des différences et des singularités.
Elle ne peut non plus être le faux-nez d'une « catho-laïcité ».
Je suis favorable, même si cela dépasse mes prérogatives ministérielles, à une réflexion sur la nature des jours fériés, sur la représentation de la diversité d'origine du peuple français dans les médias et les institutions publiques.
Enfin, la laïcité, dans l'exigence de tolérance qu'elle contient, implique que nous nous sentions liés les uns aux autres, que nous partagions une commune appartenance : c'est le sentiment de fraternité.
J'en ai peu parlé jusqu'à présent, mais j'ai la conviction que le sport est un vecteur privilégié de l'expérience concrète de la fraternité.
Tant dans la pratique sportive que dans la cohésion et la ferveur qui se dégagent au moment des grandes compétitions sportives.
Ainsi, réussir l'Euro 2016 de football, permettre à la nation entière de se retrouver dans un moment populaire, festif, joyeux, par-delà les origines et les croyances, serait un succès pour la laïcité.
La question aujourd'hui est posée d'un service civique qui concernerait toute une génération.
Je ne veux pas répondre d'ores et déjà à cette question mais il est clair que l'ouverture à l'altérité qu'impliquerait un tel dispositif est une des dimensions de la décision qui sera prise.
Monsieur le Président Jean-Louis Bianco,
Mesdames, Messieurs,
Nous avons été attaqués ; notre pays a été meurtri mais il s'est relevé.
Dans le prolongement des manifestations qui ont eu lieu la semaine dernière et particulièrement dimanche, il faut porter la riposte. Une riposte républicaine.
La laïcité fait évidemment partie de cette riposte.
Soyez convaincus que j'en serai l'un des farouches acteurs.
Source http://www.patrickkanner.fr, le 29 juillet 2016