Déclaration de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, sur la lutte contre les discriminations dans l'emploi, Paris le 19 mai 2016.

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C'est la première fois qu'un tel travail est mené depuis l'accord national interprofessionnel de 2006.
Je tiens à saluer ce travail et tous ceux qui y ont contribué.
Il était primordial de remettre sur le métier la question des discriminations qui est enjeu politique, moral et économique majeur.
Mesdames, Messieurs,
L'expérience de l'injustice la plus dure, la plus humiliante, est sans doute celle qui consiste à se voir fermer les portes en raison de sa couleur de peau ou de la consonance de son nom.
Cette expérience est celle de milliers de nos concitoyens, dans différentes situations de la vie sociale.
Pour un pays qui a fait de l'égalité sa valeur cardinale, cet état de fait devrait être un état de choc.
C'est un drame pour chacune des personnes concernées, c'est aussi une faillite collective, une remise en cause fondamentale de qu'est notre récit national.
A double titre, nous ne pouvons l'accepter.
Les préjugés qui sous-tendent ces discriminations doivent être combattus dès le plus jeune âge.
C'est le rôle de tous les adultes que de porter cette ambition éducative. A l'école et hors l'école.
Pour ce qui concerne mon Ministère, nous mettons en place tout un système de normalisation et de formation des acteurs de la jeunesse, de l'éducation populaire, du sport, des associations qui interviennent dans les quartiers afin que le discours républicain soit partout présent.
Il s'agit de ne laisser aucun interstice à ceux qui considèrent l'altérité comme une menace.
Le combat est donc culturel mais il doit aussi se traduire par le refus systématique des pratiques discriminatoires.
De ce point de vue, ce qui se passe sur le marché du travail et dans les entreprises est essentiel.
Le travail occupe une place centrale dans nos vies, et ceux qui en sont exclus sont marginalisés.
Or, comme le souligne votre rapport, le travail est le premier lieu de la discrimination.
Nous pouvons imaginer toutes les politiques de développement économique et d'emploi possibles, si un certain nombre de nos concitoyens – pour beaucoup résidant dans ce que l'on appelle les quartiers – sont mis à l'écart d'office, nous serons collectivement en échec.
En échec par rapport à l'emploi, en échec par rapport à l'objectif de casser les ghettos, et en échec par rapport à la cohésion nationale.
Le rapport que vous nous remettez aujourd'hui esquisse plusieurs solutions pour éviter cela.
Il est le fruit d'un travail collégial, rigoureux, approfondi. Et pour cette raison, il est un rapport utile, en prise avec la réalité des processus de discrimination et avec la vie des entreprises.
Je ne vais pas égrener les nombreuses mesures dont vous faites la proposition, je veux aller à l'essentiel.
Vous proposez d'abandonner la systématisation du CV anonyme.
Cette proposition n'allait pas de soi tant le CV anonyme revêt une charge symbolique forte.
Pourtant, je crois que vous avez raison de faire cette proposition.
D'une part, parce que je préfère des politiques qui marchent à des politiques qui brillent.
Depuis 2006 la loi le prévoit sans que jamais les décrets permettant son application effective aient été publiés. C'est que ceux qui ont légiféré en 2006 ne devaient pas être complètement convaincus par leur mesure.
Votre rapport privilégie d'autres modes opératoires, j'y reviendrai dans un instant.
Peut-être sont-ils moins flamboyants, moins médiatiques ?
J'ai la faiblesse de croire qu'ils sont plus efficaces et c'est finalement tout ce qu'on leur demande.
D'autre part, j'ai un doute même sur le présupposé philosophique du CV anonyme : il s'agit « d'invisibiliser » la différence, notamment d'origines. Mais cette différence est là, elle est constitutive de notre société et elle a vocation à l'être de plus en plus dans une France ouverte sur le monde.
Dès lors, l'enjeu me paraît moins de vouloir cacher, dissimuler que de faire accepter, de normaliser, voire de valoriser la diversité des parcours et des origines.
Il me paraît donc à la fois plus efficace et plus approprié de mener, comme vous le suggérez, de grandes campagnes de « testing » pour déceler les points de blocage et d'exiger des entreprises qu'elles y remédient.
Un autre point structurant de votre rapport réside dans la proposition de rendre possible les actions de groupe en matière de discriminations au travail.
Là encore, je trouve cette proposition tout à fait pertinente.
Aujourd'hui, la discrimination se vit au singulier.
Ce sont des individus qui se heurtent à des refus, à des mépris, sans qu'ils puissent faire le lien avec d'autres refus, d'autres mépris que subissent d'autres personnes pour des raisons analogues.
C'est très dur à vivre psychologiquement et c'est très dur à combattre socialement.
Il faut insuffler du collectif dans la lutte contre l'injustice, en l'occurrence contre la discrimination.
Alors oui, demain, il est important que les syndicats qui représentent la parole collective des salariés, puissent faire des recours en justice et protéger ainsi l'ensemble des salariés, au-delà de situations individuelles.
Enfin, je crois que vous avez raison de mettre en avant une série de mesures de sensibilisation et de communication, car, comme je l'évoquais précédemment à propos de l'éducation pour les enfants et les adolescents, nous sommes confrontés à un problème de représentation, à un problème culturel, auquel il faut répondre sur le même terrain, celui des mentalités.
Donc je partage votre intérêt pour la désignation d'un référent égalité dans les grandes entreprises, les études d'objectivation des coûts de la discrimination ou l'opportunité d'une grande campagne nationale de lutte contre les discriminations.
A partir de ce rapport, nous devons agir sans tarder.
Le Gouvernement demandera aux partenaires sociaux de mettre ce rapport rapidement à l'agenda social.
Par ailleurs, nous allons inscrire les amendements idoines dans les projets de loi portés à l'été par François Rebsamen et à l'automne par Christiane Taubira, mais ils en parleront mieux que moi.
Je leur cède donc la parole.
Source http://www.patrickkanner.fr, le 27 juillet 2016