Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France Info le 1er août 2016, sur le siège d'Alep en Syrie.

Prononcé le 1er août 2016

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Média : France Info

Texte intégral

...La solution militaire se traduit aujourd'hui par un nombre de victimes civiles qui ne cesse de croître. Aujourd'hui c'est le siège d'Alep, avec le risque d'une catastrophe humanitaire.
Q - Êtes-vous très inquiet concernant le siège d'Alep ?
R - Oui, je suis très inquiet. Il est clair que la négociation, sous l'égide de Staffan de Mistura, l'envoyé spécial des Nations unies, ne peut pas reprendre s'il y a autant de drames humains qui se poursuivent, en particulier à Alep. Si les Russes, qui ont les moyens de faire pression sur le régime de Damas et qui coprésident avec les Américains le groupe de soutien à la Syrie - c'est pour cela que je leur ai écrit à tous les deux -, veulent vraiment que le processus de paix reprenne, il faut qu'ils prennent leurs responsabilités sur Alep et qu'ils ne se contentent pas de demi-mesures, parce que les couloirs humanitaires sont un peu un piège pour ces pauvres habitants d'Alep qui, ensuite, sortent et restent ensuite bloqués à la frontière turque.
On est à nouveau devant une catastrophe humanitaire majeure qui bloque aussi le retour du processus politique, maintenant suspendu. Il faut que la réunion de Genève puisse avoir lieu. Et vous voyez le retard pris : le 1er août, c'était la date où les institutions de transition devaient être mises en place, on en est loin mais il ne faut pas pour autant perdre cet objectif.
Cet objectif est indispensable et, pour cela, il faut créer des conditions. Les conditions sont d'abord le signe que les parties autour de la table sont de bonne volonté et qu'il soit fait suffisamment pression sur le régime de Bachar al-Assad pour que, évidemment, les avions arrêtent de tirer et que les barils d'explosifs arrêtent de tomber sur Alep. C'est indispensable, sinon il n'y aura pas de confiance. Et l'opposition modérée est prête à revenir à la table des négociations, c'est confirmé, avec des propositions concrètes qui sont réalistes et pragmatiques. Il s'agit de rentrer dans un processus politique, un processus de paix. Ce n'est pas tout ou rien, mais ce n'est pas possible si on continue d'être sous les bombes. Sous les bombes, ce sont des centaines de milliers de personnes qui seront à nouveau obligées de fuir. C'est donc davantage de réfugiés encore que ceux qui sont déjà agglutinés en Turquie, au Liban, en Jordanie, ou qui ont fui vers l'Europe.
Q - Y a-t-il une réelle volonté de Washington et de Moscou d'aboutir ?
R - Ce que j'ai dit aux deux - et c'est aussi le sens de ma lettre, c'est pour cela que je l'ai rendue publique -, c'est qu'ils négocient et qu'ils fassent le maximum pour recréer les conditions d'un processus de paix. Mais on ne peut pas en même temps, pour y arriver, fermer les yeux sur Alep où sont encore 200 à 300.000 personnes dans des conditions épouvantables. Donc, on ne va pas avoir un accord politique en disant : «ça y est, le processus de paix est reparti, et on a fermé les yeux sur une situation dramatique sur le plan humanitaire.».
Je crois d'ailleurs que, si c'était comme cela, non seulement ce serait moralement et politiquement inacceptable, mais ce serait en plus inefficace, puisque l'opposition modérée trouverait là un prétexte pour ne pas venir à la table des négociations, alors qu'il faut vraiment que le processus de paix reprenne par la négociation. Je l'appelle de mes voeux. C'est un cri d'alarme que je lance. Je le dis aussi bien aux Américains qu'aux Russes : «vous avez les moyens, et en particulier les Russes puisqu'ils ont des moyens de pression sur le régime de Damas, pour qu'un signe fort soit donné et que, concrètement, sur le terrain, la situation à Alep s'améliore».
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2016