Texte intégral
Enfin, quarante après la fin de la guerre d'Algérie, la France, ce matin, rend hommage aux harkis. Ce n'est que Justice. Ceux qui avaient cru aux promesses de notre pays vont être honorés par la nation. Cet hommage, je l'ai souhaité. De même que j'ai souhaité que la vérité soit faite sur cette période douloureuse de l'histoire de France. En novembre dernier, depuis le camp de harkis de Fuveau, j'avais écrit, en ce sens, au Président de la République et au Premier Ministre. Je demandais à Jacques Chirac de reconnaître la responsabilité de l'Etat français dans l'abandon criminel des harkis et de dire que nous avions une dette à l'égard des victimes et de leurs enfants. Je demandais à Lionel Jospin de permettre à toute commission qui se constituerait d'enquêter sur les évènements qui avaient suivi le cessez-le-feu du 19 mars 1962.
Aujourd'hui, le Président de la République rend un hommage national aux harkis dans la cour des Invalides, et le premier Ministre a ouvert les archives de l'après-19 mars 1962. Il est de ces blessures de l'histoire de France qu'il faut savoir regarder en face. Et la volonté affichée par la V° république d'occulter ces pages sombres apparaissait comme un refus d'assumer la période sanglante des dernières semaines de l'Algérie française : les massacres d'européens à Oran, le sort tragique des harkis dans le bled algérien. Les harkis furent abandonnés. Lâchement, volontairement abandonnés par les autorités françaises, signataires d'ordres infâmes qui, aujourd'hui, enverraient leurs auteurs devant un tribunal international. Une directive du ministre d'état aux affaires algériennes exigeait en effet : " au sujet des supplétifs, vous voudrez bien faire rechercher tant dans l'armée que dans l'administration les promoteurs et les complices -oui, ils osaient dire complices !- des ces entreprises de rapatriement et faire prendre les sanctions appropriés. Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général seront renvoyés en Algérie. " Des dizaines de milliers d'algériens qui avaient fait confiance à la France furent alors désarmés par nos troupes et livrés à leurs bourreaux ; victimes des pires tortures et trainés de douar en douar, condamnés à la mort lente dans les djebels de la tourmente.
Sur les 200 000 " Français de souche nord africaine " (comme on les qualifiait, à l'époque) engagés aux cotés des unités régulières de l'armée française, seulement 40 000 d'entr'eux purent rentrer en France avec leurs familles, et souvent grâce à des initiatives personnelles d'officiers français qui avaient enfreint les ordres de l'Etat français. Ces rescapés -Français de seconde zone- furent parqués avec femmes et enfants, dans des baraquements sordides ou des camps grillagés de barbelés. Certains y sont encore. Jeune adolescent, j'ai été marqué par ces récits et ces images et ceci a peut-être décidé de mon engagement, depuis quarante ans, aux cotés de ces hommes auxquels la France a tourné le dos. A l'hommage mérité rendu aux harkis dans la cour des Invalides, j'associerai, pour ma part, les milliers d'européens disparus en Algérie, en juin et juillet 1962, dans les semaines qui précédèrent et suivirent l'indépendance. Car c'est à partir du 19 mars 1962 que le pire a vraiment commencé. Le cessez-le-feu n'a pas fait cesser le sang.
Et cet hommage rendu aujourd'hui par le Président de la Répubique interdit désormais de considérer le 19 mars 1962 comme la date officielle de la fin de la guerre d'Algérie et d'en faire une date de paix.
Alain MADELIN
(Source http://demlib.com, le 25 septembre 2001)