Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la construction européenne, la lutte contre le terrorisme et sur la situation en Syrie, à Berlin le 28 août 2016.

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Circonstance : Réunion ministérielle du triangle de Weimar et participation avec Frank-Walter Steinmeier à la conférence des ambassadeurs allemands, à Berlin (Allemagne) le 28 août 2016

Texte intégral


* Union européenne - Lutte contre le terrorisme - Réunion ministérielle Weimar
(...)
Danke Frank-Walter für Deine Einladung. Danke dafür, dass Du uns beiden mit Witold und Dir die Möglichkeit gegeben hast, uns genau 25 Jahren nach dem ersten Treffen im Weimarer Dreieck Rahmen hier in Weimar zu treffen und zu diskutieren. Danke nochmals.
Je crois que cette réunion était très utile et passionnante, très intéressante, comme Frank vient de le dire et Witold vient de le rappeler. C'était intéressant de regarder quelques instants vers le passé, mais sans nous y attarder. C'est vrai que la première réunion, c'était au temps de la chute des régimes totalitaires, c'était au temps de la libération de l'Europe. À l'époque, certains pensaient que c'était la fin de l'Histoire et en concluaient que les menaces, notamment les risques de guerre, devenaient de plus en plus improbables et que nous nous dirigions tranquillement sur un chemin de liberté et de paix.
Aujourd'hui, force est de constater que l'Europe subit de nouvelles menaces dans son voisinage immédiat. D'abord, bien sûr au Moyen-Orient, en Syrie en particulier, mais aussi à l'est, à l'est de l'Ukraine. Il y a la Libye, l'Irak, la menace terroriste, et puis elle fait face à un afflux sans précédent de réfugiés dans l'histoire de l'Europe. Donc cette analyse optimiste est aujourd'hui contredite. Le spectacle des désordres du monde rend encore plus saisissant le chemin qui a été parcouru depuis 25 ans, parce qu'à l'époque, les défis étaient immenses et ces défis, malgré les difficultés, ont été relevés.
L'Europe est aujourd'hui un espace de paix, à l'échelle du monde, un espace de prospérité, sans équivalent. Nous devons en être totalement conscients et cela nous le devons à ceux qui nous ont précédés ici à Weimar, comme à tous ceux qui au cours des 60 dernières années, se sont engagés pour la construction européenne. Je voudrais, en cet instant, avoir une pensée pour Walter Scheel, qui nous a quittés il y a quelques jours et qui, avec Willy Brandt, a tant contribué à cette ouverture à l'Est, cette fameuse Ostpolitik qui a tant permis de faire progresser la situation. Cette situation, nous la devons aussi à ceux qui ont fait le choix de la réconciliation, réconciliation franco-allemande, réconciliation germano-polonaise, réconciliation de toute l'Europe. Nous la devons aussi à ceux qui ont contribué au fil des ans à construire, comme le dit la déclaration du 29 août 1991, donc il y a 25 ans, une nouvelle Europe dans un esprit de solidarité et avec le sentiment d'appartenir à une communauté de destin. Face aux crises auxquelles l'Union européenne doit faire face, c'est cet esprit qui nous permettra de continuer de progresser ensemble. C'est la raison pour laquelle, j'ai la conviction que notre travail aujourd'hui, dans ce format du triangle de Weimar, non seulement est utile, mais nécessaire. Je crois qu'il faut en effet faire vivre l'esprit de Weimar et le faire partager par toute l'Europe et nous sommes déterminés à continuer de nous réunir. Je remercie Witold de nous avoir proposé des réunions, notamment dans le cercle de Visegrad puisque c'est aujourd'hui la Pologne qui le préside. Bien sûr, nous avons nos différences, mais nous partageons une même conviction, c'est que nos pays ont une responsabilité commune pour construire les réponses qu'attendent les Européens.
Pourquoi il est important de travailler ensemble ? Nos pays sont déjà engagés par exemple en Syrie, en Irak, dans le cadre de la coalition contre l'État islamique et je profite de cet instant pour remercier l'Allemagne et la Pologne qui, lorsque la France a été attaquée sur son territoire à plusieurs reprises par des attentats et qu'elle a invoqué l'article 42-7 des traités européens, ont répondu tout de suite présents. Mais la réponse contre le terrorisme n'est pas que militaire, elle est politique, elle est diplomatique. Nous appelons de nos voeux, et nous l'avons partagé lors de cette réunion, à la reprise des négociations de paix à Genève dans le cadre fixé par les résolutions du Conseil de sécurité, mais il y a un préalable, c'est le cessez-le-feu et il y a un autre préalable, c'est l'accès de l'aide humanitaire et en particulier nous sommes particulièrement inquiets de la situation à Alep. Toute mesure permettant l'allègement des souffrances des populations doit être encouragée, sans réserve, pour qu'on n'oublie pas l'objectif, celui d'une véritable cessation des hostilités, durable et en même temps une solution politique pour garantir la paix dans cette région.
Nous savons que l'Europe doit faire face à de nombreux défis. Nos pays peuvent apporter des contributions décisives pour construire des réponses concrètes et en particulier en matière de sécurité et de défense - nous avons longuement abordé cette question. Et puis, nous avons aussi à mettre en oeuvre des politiques au niveau européen, pour rendre nos économiques plus fortes, pour qu'elles soient plus innovantes, pour qu'elles soient plus compétitives, mais aussi qu'elles parlent à la jeunesse. Et ce sont ces jeunes, qui eux aussi se sont réunis en format Weimar, que nous allons rencontrer tout à l'heure, avec lesquels nous allons parler et écouter leurs propositions. En tout cas nous aurons, dans les prochaines semaines, beaucoup d'occasions de nous voir, de parler de l'avenir de l'Europe. Pour nous l'Europe doit être solidaire, l'Europe doit être une Europe qui protège ses citoyens à l'intérieur de ses frontières, mais aussi une Europe qui les protège à l'extérieur de ses frontières, une Europe qui prépare l'avenir, une Europe qui investit, une Europe qui est capable de se saisir des grandes questions du monde et une Europe qui justement donne à la jeunesse toute sa place pour retrouver la confiance des citoyens. Je crois que la réunion d'aujourd'hui est une contribution pour retrouver la confiance des citoyens dans l'avenir de l'Union européenne.
Q - (Question aux trois ministres, sur le rôle que peut jouer la Pologne dans le triangle de Weimar).
R - J'avais moi-même évoqué la proposition de Witold de de nous inviter avec les pays du groupe de Visegrad. Frank-Walter et moi-même les avons rencontrés il y a quelques semaines. Nous voulons vraiment que toute l'Europe se rassemble, au-delà de sa diversité et de son histoire. Et au fond, ce qui a été utile lorsque le triangle de Weimar a été créé, va continuer à être utile dans un contexte nouveau. La Pologne est un des grands pays de l'Europe, avec son histoire, sa situation géographique. Elle est donc appelée à jouer un rôle spécifique, particulier et nous avons tous besoin de la Pologne et je suis heureux que Frank-Walter ait pris cette initiative, qui est une initiative la fois symbolique mais qui n'est pas tournée vers le passé, qui est tournée vers l'avenir.
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Q - (Sur le prochain sommet du triangle de Weimar et sur le contenu des discussions sur les réfugiés et sur les questions de défense et de sécurité en Europe).
R - Nous avons évoqué la protection des citoyens européens. C'est notre responsabilité d'y répondre concrètement. Nous avons fait des progrès considérables ces derniers mois. C'est vrai que l'une des critiques souvent à l'égard de l'Europe, c'est qu'elle se réunit souvent, qu'elle décide parfois et que quand elle décide, elle met du temps à mettre en oeuvre ses décisions. Mais récemment, nous avons fait un bond en avant considérable puisqu'il a été décidé la mise en place de garde-côtes et de gardes-frontières, le renforcement de Frontex et donc cela va dans la bonne direction. Il faut accentuer cela. L'Europe doit protéger ses frontières.
Et puis il y a la question de la sécurité plus globalement : quelle stratégie dans un contexte nouveau que j'ai eu l'occasion de développer, de nouvelles menaces ? Nous avons eu un sommet de l'OTAN à Varsovie qui a été réussi et qui a montré que nous étions capables d'être solidaires les uns vis-à-vis des autres pour assurer notre sécurité et; en même temps, nous n'avons pas fait preuve d'agressivité, notamment vis-à-vis de la Russie : il y a eu le souhait d'avoir une relation transparente. Frank-Walter Steinmeier a fait récemment des propositions que je salue et qui sont maintenant sur la table : comment mieux contrôler les armes conventionnelles en Europe ? Ces questions sont devant nous.
Et puis, il y a une nouvelle donne mondiale, notamment l'évolution de la position américaine, je dis ça indépendamment du résultat des élections américaines. C'est vrai que l'Europe doit mieux se protéger. Sur la table, il y a aussi les propositions qui ont été, dans leurs principes, adoptées par le Conseil européen et qui ont été le fruit d'un travail auquel nous avons contribué et qui ont été présentées par la Haute représentante, Mme Federica Mogherini. Nous avons là de quoi avancer et nous avons abordé tout cela aujourd'hui, avec beaucoup plus de convergences qu'on aurait pu le penser. D'où la nécessité de continuer à travailler ensemble, pas exclusivement dans le cadre du cercle de Weimar, mais c'est un espace et nous utilisons tous les cadres possibles pour faire avancer l'Europe et permettre aux citoyens européens de retrouver la confiance dans l'Europe.
Cela c'est essentiel, car si on ne retrouve pas cette confiance, alors effectivement les partis eurosceptiques, ceux qui exploitent les peurs, vont continuer de progresser. C'est notre responsabilité, pas simplement de porter des jugements moraux, mais d'apporter des réponses, d'apporter des solutions. Concernant le cercle de Weimar, la France, c'est son tour, a proposé des dates au cours du mois de novembre pour qu'une réunion ait lieu au niveau des chefs d'État et de gouvernement, mais pas simplement pour fêter un anniversaire, mais pour relancer ce qui nous apparaît nécessaire et indispensable.
* Syrie - Russie - Réunion ministérielle Weimar
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Q - Une question sur la Syrie. Dans un entretien au Monde, vous avez poussé la Russie vers une résolution condamnant les armes chimiques. Comment pourrez-vous compter sur une coopération russe étant donné le soutien militaire que Moscou donne au régime d'Assad ? (...)
R - Le rapport du mécanisme d'enquête et d'attribution (JIM) qui vient d'être rendu public sur l'utilisation d'armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad mais aussi par Daech, ne peut pas être mis dans un tiroir. Il doit conduire à une prise de position solennelle. La France travaille avec tous ses partenaires pour qu'une résolution du Conseil de sécurité soit clairement une condamnation de l'usage des armes chimiques. Donc, effectivement cela s'adresse à tout le monde, cela s'adresse aussi bien sûr à la Russie et en prenant la Russie au mot - puisqu'il y a encore quelques jours j'ai eu un long entretien avec notre collègue Sergueï Lavrov - et nous avons constaté qu'il n'y avait pas, pour sortir de ce conflit syrien, d'autres solutions que la solution politique, la solution de la négociation.
Pour cela, il faut donner des signes concrets et ce n'est pas simplement une affirmation mais aussi un engagement. Cela passe par la clarté et par le refus de toute ambiguïté. Aujourd'hui, je vois mal quelles pourraient être les raisons, les arguments invoqués pour ne pas condamner l'utilisation d'armes chimiques. Je vois mal aussi quels seraient les arguments pour permettre que le processus des négociations reprenne au plus vite à Genève sans que cela ne passe par un cessez-le-feu effectif permettant l'accès humanitaire aux villes assiégées et en particulier à Alep. C'est une question de cohérence. Donc c'est pour cela que nous profitons de chaque occasion pour réaffirmer que, pour nous, la solution est politique et diplomatique, mais il faut s'en donner les moyens.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2016