Texte intégral
Monsieur le Ministre fédéral des affaires étrangères, Cher Frank-Walter,
Monsieur le Ministre des affaires étrangères, Cher Witold,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin,
Mes premiers mots seront pour vous remercier, Monsieur le Ministre fédéral des affaires étrangères, Cher Frank-Walter, pour ton invitation à nous exprimer, avec vous, Cher Witold, devant les chefs de mission diplomatique allemands à travers le monde. C'est une première et c'est un symbole important qu'elle ait lieu à l'occasion du 25ème anniversaire de la réunion fondatrice du «triangle» de Weimar.
La déclaration que nos trois prédécesseurs avaient adoptée lors de leur réunion fondatrice des 28 et 29 août 1991 à Weimar commençait par cette phrase : «L'Europe se trouve à un tournant décisif de son histoire». Phrase intemporelle, diront les pessimistes !...
J'y vois un appel à prendre du recul. J'ai grandement apprécié que notre réunion d'hier se tienne dans ce lieu symbolique de Weimar : il permet de rappeler le chemin parcouru depuis les années 1990 et l'unification du continent dans la paix et la démocratie. Les défis étaient immenses. Ils ont été relevés. Et l'Europe est parvenue à de grandes réalisations. Je crois important de le dire, de le revendiquer, dans le moment que nous traversons, dans lequel trop nombreux sont ceux qui se plaisent à oublier les succès, passés et présents.
C'est cette mémoire, cette conscience de ce que l'Europe a réalisé, qui nous permettra de trouver les bons chemins pour répondre aux crises auxquelles elle est confrontée.
Les dernières années ont vu en effet les crises se multiplier, en Europe et dans son voisinage. Leur succession, leur variété - crise financière, crise économique, crise sécuritaire, crise des réfugiés, crise humanitaire -, constitue une épreuve qui a peu de précédents dans l'histoire de l'Europe contemporaine. Ces crises mettent à rude épreuve les mécanismes européens de concertation et de décision. Elles mobilisent l'action publique, nationale et européenne sur des réponses d'urgence et gênent de ce fait l'indispensable travail de long terme, en faveur de la convergence entre nos pays et de la préparation de l'avenir de notre continent.
Ces crises ont érodé la confiance des citoyens dans l'action européenne. Certaines d'entre elles touchent à des points sensibles de l'organisation de nos sociétés et suscitent des débats virulents, avec toutes les variantes que nos pays ont héritées de l'histoire : comment répondre à l'afflux massif des réfugiés qui fuient la guerre ? Comment concilier sécurité et protection des libertés individuelles ? Comment assurer la sécurité de nos territoires et de nos citoyens ?...
Nos différents États sont chacun confrontés à ces défis, auxquels ils s'efforcent d'apporter des réponses. Je veux, à ce sujet, saluer ici la solidarité exemplaire dont le peuple allemand a fait preuve face à l'afflux massif de réfugiés.
Au fil du temps, je le disais, ces crises ont érodé la confiance des citoyens dans l'action européenne. Elles ont fait naître des doutes, des interrogations.
Ces interrogations, qui préexistaient au 23 juin, ont pris une dimension nouvelle avec la décision du peuple britannique de quitter l'Union européenne. C'est une décision grave.
Mais je ne crois pas que notre analyse de la situation de l'Union européenne doive être surdéterminée par le résultat du référendum britannique. D'abord parce que le résultat de ce vote tient, pour beaucoup, à des facteurs propres au Royaume-Uni. Ensuite, parce que j'ai été frappé de constater que la réaction suscitée par le référendum britannique en Europe ne va pas dans le sens de la «contagion» que certains annonçaient. Au contraire, le Brexit rend, par ricochet, l'Europe plus réelle, plus visible, plus nécessaire. J'en suis convaincu.
Les crises qui se sont succédé au cours des dernières années trouvent leur source hors de l'Union européenne - outre-Atlantique s'agissant de la crise financière et économique, au Proche-Orient en ce qui concerne le risque sécuritaire et l'afflux massif de réfugiés.
Nous partageons le même constat, qui a été mis en évidence lors de l'élaboration de la nouvelle Stratégie européenne de sécurité : l'Union européenne est confrontée à une intensité et une diversité de menaces sans précédent.
Certaines reflètent des concurrences ou des affrontements géopolitiques classiques ou proviennent de l'affaiblissement des États, de la misère économique et de l'affirmation de groupes armés - aux motivations parfois plus criminelles que politiques - capables de remettre en question l'ordre politique et social à l'échelle régionale, comme on le voit en Afrique.
D'autres trouvent leur origine au sein même des sociétés politiques, comme on l'a vu lors des printemps arabes, et deviennent le terrain de conflits régionaux profitant de l'affaiblissement de l'ordonnancement du monde issu de la guerre froide.
Plusieurs de ces crises, dans le voisinage immédiat de l'Union européenne, ont un impact direct sur nos pays, en matière de sécurité. C'est bien sûr le cas de la menace terroriste que Daech fait peser sur le continent européen. Cette menace est existentielle pour l'Europe. Parce qu'au-delà de sa dimension sécuritaire sans précédent, elle s'attaque aux valeurs fondatrices que nous portons. Parce qu'elle déstabilise les équilibres de nos sociétés.
Cette menace appelle une réponse urgente. Réponse sur le plan militaire. C'est le sens de l'action que nous menons dans le cadre de la coalition contre Daech. Cette organisation nous a déclaré une guerre sans merci, elle doit être combattue sans faiblesse. Les progrès enregistrés par la coalition sur le terrain sont encourageants à cet égard. Mais ce combat doit s'accompagner d'une action résolue sur le plan politique et diplomatique : en Syrie, en Irak, en Libye, partout où le monstre Daech prospère, la réponse que nous devons apporter doit être politique et diplomatique. Nous ne pourrons pas éradiquer Daech autrement qu'en prônant - et c'est ce que nous faisons - une approche inclusive, fondée sur le dialogue, la représentation et le respect de la diversité. C'est la seule façon de traiter efficacement ce mal qui gangrène notre voisinage immédiat et nous menace. Tout en développant nos propres idées des politiques d'inclusion et d'intégration et de lutte contre les phénomènes de radicalisation. Et, sur ce point, notre intérêt est de bénéficier mutuellement de nos expériences respectives.
D'autres crises, - je pense à l'annexion de la Crimée et au conflit dans le Donbass., remettent en cause les fondements même de l'ordre européen d'après-guerre que nous tenions pour acquis. L'intangibilité des frontières est un principe que nous avons toujours respecté et défendu, qui a permis aux hommes d'État qui dirigeaient alors l'Europe de parvenir à unifier notre continent après la chute du mur de Berlin. Nous ne pouvons accepter de le voir remis en cause.
À proximité de l'Europe, le continent africain est, d'un côté, engagé sur la voie de la croissance économique, du renforcement des classes moyennes et de l'innovation et, de l'autre, encore vulnérable du fait de la fragilité de ses sociétés et de ses économies, sous l'effet d'une explosion démographique et de la faiblesse des États, que les groupes terroristes comme Boko Haram, les groupes djihadistes au Sahel ou les Shebab exploitent et aggravent.
Face à ces crises, nous devons, dans un univers complexe, utiliser la boussole de nos intérêts communs et de nos valeurs et principes.
J'emploie à dessein le terme d'intérêts car, dans les situations de crises, lorsqu'il faut prendre des décisions difficiles, c'est bien l'intérêt des États membres qui doit permettre de trouver l'énergie politique. J'ai la conviction que l'intérêt de nos pays est de travailler ensemble et qu'il faut des États forts pour avoir une Europe forte. C'est ainsi que permettrons à nos citoyens de retrouver la confiance dans le projet européen. C'est notre devoir.
C'est d'une réponse concrète dont nous avons besoin au plan européen. Le résultat du référendum britannique a relancé le débat européen. Mais il a aussi mis en évidence la montée de la méfiance à l'égard de l'Europe. Il faut donc, dans la période actuelle, multiplier les échanges, diversifier les initiatives, pour définir nos priorités, notre ambition commune. Nous avons eu l'occasion, Cher Witold, d'échanger en ce sens au mois de juin ; nous avons, avec Frank-Walter, travaillé à des propositions. Nous avons, les uns et les autres, participé à des débats, dans différents formats, dans différentes enceintes. Ces débats doivent se poursuivre. Car c'est bien de cela dont il s'agit, et j'y insiste : comment retrouver la confiance des citoyens dans le projet européen ?
Chacun, nous contribuerons à ce que le Sommet informel du 16 septembre à Bratislava propose une direction pour les prochains mois, qui réponde aux préoccupations des citoyens européens - la sécurité, la défense, la croissance, la jeunesse - et qui prépare l'avenir. Cela passe par la définition de priorités claires. Cela passe également par une meilleure mise en oeuvre des décisions prises au niveau européen : l'Union européenne a su prendre des décisions de crise ; elle doit s'organiser, avec les États membres, qui détiennent souvent les moyens, pour une «mise en oeuvre de crise». Je pense ici en particulier à la mise en place d'un corps de garde-côtes et de garde-frontières européens : nous l'avons porté sur les fonts baptismaux en tout juste six mois. C'est remarquable et peu souvent souligné. Il nous revient à présent de mettre en oeuvre ces nouvelles capacités données à l'Agence Frontex. C'est ainsi que nous reprendrons efficacement le contrôle de notre frontière extérieure commune.
Au-delà, nous devons accroître la contribution de l'Union européenne à la sécurité de notre continent et de nos citoyens.
Le triangle de Weimar est une force de proposition dans ce domaine. Plusieurs avancées importantes trouvent leur origine, au cours des dix dernières années, dans des initiatives de nos trois pays.
Pour répondre aux défis de sécurité, nous devons franchir une nouvelle étape. C'est le constat que nous avons fait dans la Stratégie globale européenne. Nous devons en tirer toute les conséquences, pour établir une Union de sécurité et de défense. Je propose que nos trois pays y travaillent aux cours des prochains mois.
Au sein de l'Union européenne, en lien avec Federica Mogherini, nos pays apportent déjà des contributions. Chacun avec sa propre sensibilité, sa géographie et ses héritages historiques. C'est aussi cette diversité qui fait notre force.
C'est en effet une force pour l'Europe que l'Allemagne assume aujourd'hui la présidence de l'OSCE, et je félicite Frank-Walter de la manière dont il s'acquitte d'une tâche délicate, celle de faiseur de consensus dans un ensemble dont les membres s'entendent de moins en moins afin de faire en sorte qu'au dialogue de sourds succède le dialogue direct selon l'expression de Kurt Körber. Dans ce contexte, je salue les propositions que vient de faire Frank-Walter dans le domaine du contrôle des armements conventionnels. Je me réjouis de pouvoir travailler avec toi et avec les autres collègues intéressés à la mise en oeuvre de cette initiative. Merci de cette initiative, Frank.
C'est en effet une force pour l'Europe que la Pologne ait accueilli le sommet de l'OTAN à Varsovie au mois de juillet dernier. J'ai pu me rendre compte par moi-même de la force politique et symbolique de ce sommet, à ce moment et en ce lieu. L'Alliance a montré sa force, elle a montré sa détermination et sa solidarité pour traduire en actes, de façon concrète et responsable, l'engagement de défense collective qui est sa raison d'être. Nous avons montré qu'une approche faite de fermeté, mais aussi de dialogue, y compris sur nos points de désaccord, était la plus productive dans nos relations avec la Russie. En effet, nous devons entretenir avec la Russie une relation de partenaires exigeants : c'est une grande nation, qui veut jouer un grand rôle. C'est légitime. Mais elle ne peut agir indépendamment des cadres qu'elle a elle-même contribué à donner à l'ordre international. C'est cette relation de partenariat exigeant que nous pouvons développer avec elle.
C'est en effet une force pour l'Europe que l'Allemagne, la Pologne et la France apportent leur contribution aux opérations européennes de gestion des crises et à la lutte contre le terrorisme en Afrique et en Méditerranée.
Cette complémentarité de nos actions doit se poursuivre et se renforcer, devant l'urgence des crises aux portes de l'Europe. Je pense ici évidemment au drame syrien, à la situation inacceptable à Alep, pour lequel notre détermination reste entière, à l'utilisation avérée d'armes chimiques par le régime de Damas et par Daech, qui ne doit pas rester sans conséquences. Je l'ai dit, il est indispensable de continuer à promouvoir, en dépit des difficultés, une solution politique. Cette solution est possible, même si elle parait aujourd'hui hors d'atteinte. Elle requiert autant de fermeté sur les principes - je pense ici au respect du droit humanitaire et au tabou des armes chimiques - que de créativité sur le processus qui nous permettra de sortir de l'impasse.
Je voudrais également dire un mot sur un autre sujet sur lequel la France s'est beaucoup impliquée, et qui, je le sais, vous tient à coeur : le Processus de paix au Proche-Orient. C'est une crise ancienne, trop ancienne, et sans la résolution de laquelle le Moyen-Orient ne pourra trouver une stabilité durable. Nous partageons ce constat et nous partageons aussi la volonté de tout mettre en oeuvre pour aider nos amis israéliens et palestiniens à sortir de l'impasse. Je sais pouvoir compter sur le soutien de nos partenaires pour y parvenir et je me félicite de cette convergence.
Je reviens à l'Afrique, notre grand voisin, qui - nous l'avons déjà dit - cherche sa voie. Car nos destins sont liés : nous ne réussirons pas si l'Afrique échoue. Nous ne réussirons pas si nous laissons s'installer l'idée que l'espoir est hors du continent africain ou que la migration, économique ou climatique, est une fatalité. En matière politique comme en matière économique, l'initiative doit revenir aux Africains. Ce ne sont pas l'Europe ou l'Asie qui imposeront leurs modèles ou dicteront leurs conditions. Mais il est évident que les Africains, sans appui extérieur, ne parviendront pas à relever les défis énormes qui se présentent à eux - la démographie, l'urbanisation, le développement pour ne citer que ceux-là. C'est pourquoi je milite pour que l'Europe soit plus attentive à l'Afrique et soit plus présente à ses côtés, pour l'aider à développer ses capacités économiques, technologiques mais aussi sécuritaires - car il n'y a pas développement sans sécurité. C'est ainsi que nous parviendrons, ensemble, à offrir une perspective à la jeunesse africaine, à l'accompagner dans le développement du continent.
Cher Frank-Walter, Cher Witold,
Mesdames et messieurs les Ambassadeurs,
Le monde et ses crises ont besoin d'une Europe engagée, qui ne concentre pas toute son énergie à régler ses problèmes internes. Et les citoyens européens aspirent à des orientations claires pour la mise en oeuvre de l'idée européenne, à laquelle ils restent fondamentalement attachés.
Face aux menaces, face aux évolutions du monde qui mettent parfois au défi notre modèle européen, notre responsabilité est de construire une Europe qui protège ses citoyens. Une Europe qui les protège en son sein en se donnant les moyens d'assurer sa sécurité et de maîtriser ses frontières. Une Europe qui les protège à l'extérieur en apportant de vraies réponses aux désordres d'un monde perturbé. Une Europe qui protège ses travailleurs, une Europe qui protège un mode de vie et d'organisation sociale et culturelle, tout en restant ouverte sur le monde, et une Europe qui prépare l'avenir, en restant à la pointe de l'innovation, de la recherche, du développement durable et de l'indispensable transition énergétique. C'est l'Europe que nous souhaitons.
Pour regagner la confiance - ce mot est tellement important - de ses citoyens, l'Europe doit retrouver confiance en elle-même. Cela passe par une relance du projet européen fondée sur des priorités claires, tournées vers la prospérité à travers le continent ; par un renforcement de la sécurité européenne - en particulier en matière de défense où nos trois pays ont un rôle de premier plan à jouer ; et par un engagement plus affirmé de l'Europe sur la scène internationale, dans la fidélité à ses valeurs de liberté, de démocratie et d'État de droit.
Cela doit nous mobiliser et ce sont ces mêmes idées que j'entends présenter cette semaine aux ambassadrices et ambassadeurs français, car ils sont également réunis cette semaine à Paris. Afin que nous travaillions ensemble à une meilleure Europe et que nous soyons, dans un monde dangereux, toujours plus unis les uns aux autres. Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2016