Texte intégral
Monsieur le Président de l'École Polytechnique, Jacques Biot,
Monsieur le Président de l'Institut de l'Entreprise, Xavier Huillard,
Monsieur le Délégué général, Frédéric Monlouis-Félicité,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de votre invitation et vous dis le plaisir que j'ai d'être parmi vous aujourd'hui car ces rencontres enseignants - entreprises constituent un formidable cadre pour parler d'Europe.
Vous représentez en effet deux des atouts de l'Europe, deux marqueurs de son identité.
L'éducation, la formation car l'Europe, c'est un espace de connaissances et de transmission de savoirs, de valeurs depuis toujours. Et c'est en investissant dans les compétences, aujourd'hui plus que jamais, que l'Europe sera compétitive, et pourra éviter le décrochage et relever les défis de la mondialisation.
Et les entreprises elles-mêmes, qui sont la force économique de l'Europe et qui ne peuvent pas se développer sans ces savoirs et ces compétences.
Vous avez décidé de consacrer vos travaux à l'Europe dans un moment où, comme rarement, c'est son avenir même qui est en jeu.
Après le référendum britannique, l'Europe est à une heure de vrité.
Soit elle laisse les divisions, la tentation du repli qui s'est déjà manifestée à l'occasion de la crise des réfugiés ou même de la crise de la zone euro, l'emporter et alors, ce sera la fin du projet européen.
Soit elle se ressaisit pour continuer à exister dans le monde de demain, mais elle doit pour cela prendre des décisions sur son futur. Ce qu'elle veut être. Ce qui doit changer. Chaque État membre est face à ce choix, en être ou pas. Comme les Européens collectivement.
Le référendum britannique est un choc. Et l'onde n'a pas fini de se répercuter. Parce que c'est la première fois qu'un pays décide de quitter l'Union alors qu'elle s'était jusqu'ici sans cesse élargie, parce que le Royaume-Uni est une grande économie, un partenaire stratégique important et parce que beaucoup des fractures sociales, géographiques, générationnelles, des peurs qui se sont exprimées lors de ce vote, vis-à-vis de l'immigration, de la mondialisation, pourraient se retrouver dans tous les États membres.
Et les forces populistes sont là, partout en Europe, pour tenter d'exploiter ces fractures, ces peurs, et parfois les insuffisances de l'Europe. Il y a donc des leçons à tirer.
L'Europe doit changer si elle veut continuer, si elle ne veut pas perdre les peuples.
Mais nous ne devons pas accepter que le choc du Brexit soit le déclencheur d'une dislocation de l'Union européenne et d'un abandon du projet européen.
Et c'est pourquoi je veux dire aussi devant vous que nous devons plus que jamais défendre le projet européen et ses acquis historiques face à tous les démagogues et tous les extrémistes qui en font le bouc émissaire de toutes les crises. Oui, toutes les crises ont une répercussion en Europe, même celles qui viennent du plus loin.
La crise syrienne, la situation en Méditerranée, au Sahel, la menace terroriste, la crise financière, dont il faut rappeler qu'elle a commencé sur un autre continent, aux États-Unis, le changement climatique, la montée en puissance et la compétition avec la Chine ? Mais tout cela, est-ce la faute de l'Europe ? Est-ce que ces défis disparaîtraient sans elle ? Est-ce que nous n'y serions pas confrontés ? Est-ce que l'on ferait mieux sans elle ? Est-ce que l'on répondrait mieux à ces crises si chaque pays essayait de le faire séparément ?
Se replier sur les frontières nationales, des solutions nationales face à des enjeux globaux, en quoi cela rendrait-il plus forts les Européens ?
Et est-ce que l'on peut tenir pour négligeables les acquis de 70 ans de paix, de progrès démocratique, d'unification du continent ? Est-ce que l'on croit que tout cela aurait été possible sans la construction européenne ?
L'Europe doit être critiquée quand c'est nécessaire et pour avoir souvent répondu trop peu, trop tard aux nouveaux défis. Mais elle doit aussi être fermement défendue comme projet et comme une conquête de civilisation.
Notre devoir est de la défendre. Pour l'améliorer bien sûr. La compléter. Mais la défendre comme la prunelle de nos yeux. C'est l'intérêt de la France, de sa jeunesse, de ses entreprises.
Il n'est tout simplement pas vrai que nous serions plus forts dans la mondialisation avec 28 stratégies différentes, 28 pays se tournant le dos, se confrontant au lieu de coopérer, 28 marchés fragmentés, la fin des politiques communes, de l'espace européen de la recherche qui lie nos universités et nos laboratoires, la fin des fonds structurels et d'investissement, 26 milliards d'euros en France gérés par les Régions sur la période 2014-2020, la fin de la politique agricole, le renoncement à bâtir une Union de l'énergie.
L'Europe ne doit sans doute pas essayer de continuer à s'occuper de tout comme elle a pu avoir tendance à le faire parfois dans le passé. Sa tendance technocratique doit être réfrénée. Elle ne remplacera pas les États nations, dans leur diversité, leur histoire, leur culture. Ils sont sa force et davantage de choses peuvent et doivent être traitées à leur niveau. Mais nous ne devons pas la laisser se défaire.
Car chacune des nations n'en sortirait que plus faible et le continent européen qui a façonné l'histoire sortirait de l'histoire.
Et c'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut aller de l'avant et relancer le projet européen.
C'est la volonté de la France avec ses principaux partenaires, l'Allemagne bien sûr, l'Italie, les fondateurs, d'autres qui sont profondément attachés, comme nous, au projet européen. C'est ce que le président de la République a proposé, autour de quelques priorités après le référendum britannique. Car le surplace est interdit dans un monde en mouvement et en accélération permanente.
C'est pourquoi tout d'abord la question britannique doit être réglée dans la clarté. Nous regrettons le choix du Royaume-Uni de quitter l'Union mais nous le respectons. C'est donc la procédure de sortie prévue par le Traité sur l'Union européenne, c'est-à-dire l'article 50, qui doit être activée.
Nous comprenons que le Royaume-Uni ait besoin d'un peu de temps pour se préparer, mais prolonger l'incertitude trop longtemps nuit à l'économie britannique et européenne. Enclencher la procédure le plus vite possible est l'intérêt du Royaume-Uni et relève tout simplement du respect du vote des citoyens. Quant aux futures relations, il est clair que s'il y a accès au marché intérieur, cela ne pourra se faire sans la liberté de circulation.
Mais la question du Brexit n'est pas tout l'agenda européen.
L'essentiel désormais est ce que nous avons à faire à 27 et dans la zone euro pour donner une nouvelle impulsion au projet européen en lui permettant de mieux répondre aux grands défis auxquels l'Europe est confrontée.
Or l'Europe est à la fois confrontée à des questions nouvelles, comme la sécurité, et elle n'a pas été construite autour de cela, et en même temps à des défis économiques et sociaux pour lesquels on pourrait la croire équipée, mais pour lesquels on s'aperçoit que la construction européenne n'est qu'une demi-construction, une maison inachevée.
Nous avons fait l'Union monétaire sans l'Union économique. Et nous sommes confrontés à des déséquilibres structurels, de compétitivité, de niveau de revenu, d'investissement, entre le Nord et le Sud qui s'aggravent malgré la monnaie unique. L'Europe a besoin de stratégie économique, de politique industrielle, de convergence économique et sociale et pas seulement de règles budgétaires et d'un pacte de stabilité.
Nous avons bâti un marché intérieur, sans convergence fiscale et sociale. Et nous sommes confrontés à des distorsions de concurrence et à un dumping social qui ne sont pas acceptables et alimentent là aussi la déception vis-à-vis de l'Europe et même le populisme.
Nous avons bâti un espace de libre circulation, Schengen, sans la protection des frontières extérieures communes. Et cela ne pouvait pas durer.
Donc l'Europe est à la fois lacunaire, parce qu'il lui manque une politique de sécurité et de défense, et seulement semi-construite sur le plan économique et social, parce qu'elle a avancé par petits pas mais qu'elle s'est arrêtée en cours de route. Au total, les citoyens ont le sentiment, qui s'est exprimé dans le référendum britannique, d'une certaine perte de contrôle, ce qui pousse à la tentation de revenir vers des solutions nationales, vers les États nations. Même si c'est une illusion dans beaucoup de domaines, les démagogues l'exploitent.
Il faut reprendre la marche en avant, non pas dans une fuite en avant, mais pour mieux traiter ces problèmes, compléter la maison commune et convaincre les européens qu'avec l'Europe, ils peuvent mieux contrôler leur destin, contrôler leurs frontières, assurer leur sécurité, contrôler, assurer leur destin économique, leur modèle social élevé. Il faut donc avancer sur quelques priorités.
Elles sont pour nous au nombre de trois.
1/ La première priorité, je l'ai déjà mentionnée, c'est la sécurité. L'Europe doit désormais assurer elle-même sa sécurité. Personne ne le fera à sa place. L'Europe est entourée des plus graves crises internationales. La guerre et l'instabilité sont à ses frontières, elle est frappée par le terrorisme. C'est une question de survie du projet européen, en même temps que de crédibilité.
Cela passe notamment par une protection renforcée des frontières extérieures de l'Union. Avant la fin de l'année, devra être mis en place un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, sur lequel nous avons trouvé un accord. Nous devons aussi nous doter d'un véritable ESTA européen pour vérifier de manière systématique les entrées et sorties de l'Union européenne.
Il nous faut aussi, c'est tout le travail engagé par Bernard Cazeneuve et son homologue allemand, continuer à renforcer la coopération européenne dans la lutte contre le terrorisme, avec les échanges d'information, l'utilisation systématique et coordonnée des fichiers Europol, SIS, ECRIS, la mise en oeuvre du PNR européen, la lutte contre la radicalisation, la responsabilisation des opérateurs Internet, le plan d'action contre les trafics d'armes, la lutte contre le financement du terrorisme.
En matière de défense, il est temps de franchir une étape décisive pour qu'existe enfin une Europe de la défense, à la fois dans le domaine des capacités, c'est-à-dire des équipements, des programmes industriels, et pour les opérations extérieures, avec des mécanismes de financement, un état-major et une force de projection rapide. C'est indispensable pour projeter de la stabilité, la paix et parce qu'il n'y a plus de parapluie extérieur. Cela doit également être lié à un partenariat avec l'Afrique et la Méditerranée.
2/ La deuxième priorité, c'est la préparation de l'avenir en matière économique, et donc l'investissement, la croissance et l'emploi. L'Europe doit être une puissance d'innovation et d'investissement dans les secteurs d'avenir.
Avec le plan Juncker en faveur des investissements stratégiques, nous avons remis la question de l'investissement au coeur du projet européen. 315 milliards d'euros d'investissement sur trois ans, et nous avons déjà atteint plus du tiers de l'objectif (115,7 milliards d'euros). La France en est un des premiers bénéficiaires. Plus de 14 milliards d'euros ont déjà été alloués à des projets français, en particulier dans les domaines du très haut débit, de la rénovation énergétique, de l'industrie.
Mais il faut aller plus loin. Et développer plus encore les investissements publics et privés dans les domaines d'avenir, le numérique, la transition énergétique, la recherche. Cela passe au minimum par un doublement du plan Juncker.
L'Europe est une terre d'excellence, elle a des atouts, mais si elle ne fait pas un effort d'investissement supplémentaire dans les compétences, les savoir, les savoir-faire, le capital humain, elle risque le décrochage. Ce dont nous avons besoin à travers la deuxième génération du plan Juncker, c'est l'équivalent de ce que nous avons fait en France avec le PIA, le plan d'investissement d'avenir, qui soutient beaucoup de projets dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Dans le même temps, nous devons continuer à renforcer la zone euro, y soutenir la convergence, la croissance, en renforcer la gouvernance, la doter d'un budget, d'un contrôle parlementaire également. Il nous faut aussi favoriser la convergence fiscale et sociale en son sein, poursuivre la lutte contre l'évasion fiscale, créer un socle européen de droits sociaux et renforcer les règles sur le détachement des travailleurs.
3/ La troisième priorité sur laquelle je voudrais insister, c'est la jeunesse, avec le développement des programmes qui lui permettront d'accéder à des emplois, des formations, des mobilités ou de découvrir les cultures européennes.
Car la bataille pour les valeurs et la définition d'un projet européen pour le XXIe siècle se gagnera avec la jeunesse européenne. Le programme Erasmus est l'une des plus belles réussites des politiques européennes. Nous devons l'élargir, le démocratiser, permettre à tous les jeunes, quel que soit leur statut, de vivre une expérience européenne de formation, de découverte qui sera aussi une expérience de citoyenneté européenne.
Nous devons encourager la création d'un Erasmus de l'apprentissage, pour lequel nous avons lancé un projet-pilote avec quinze grandes entreprises françaises et allemandes, avec Loïc Armand, le MEDEF, la CFDT, l'OFAJ mais aussi l'étendre aux lycéens, collégiens et stagiaires. Tous les jeunes doivent pouvoir en bénéficier.
L'Europe doit se concentrer sur ces priorités essentielles.
Son fonctionnement doit également être simplifié. Certaines de ses règles sont incompréhensibles, ses procédures sont souvent trop lentes. La zone euro devrait avoir un président permanent. Les citoyens devraient être beaucoup plus associés. Les parlements nationaux et le Parlement européen en particulier.
Mesdames et Messieurs,
La survie de l'Europe est en jeu. Elle dépend des réponses qui pourront être apportées à de grandes questions auxquelles l'Europe était mal ou pas préparée ou auxquelles elle a mal répondu.
Ensemble nous devons convaincre que l'Europe est une force.
Nous ne nous résignerons jamais à voir cet idéal défait par le repli sur soi et les égoïsmes nationaux.
Merci à vous d'être des bâtisseurs et des transmetteurs d'Europe.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2016