Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, en hommage aux combattants français et roumains de la Première Guerre mondiale, à Bucarest le 30 août 2016.

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Circonstance : Cérémonie mémorielle au monument des soldats français morts durant la Première Guerre mondiale, à Bucarest (Roumanie) le 30 août 2016

Texte intégral


Monsieur le Ministre,
Monsieur l'ambassadeur,
Mon colonel,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Alors que nous commémorons le centenaire de l'entrée en guerre de la Roumanie aux côtés de l'Entente, le 28 août 1916, c'est avec émotion que je prends la parole ici.
L'amitié qui unit nos deux pays est ancienne ; elle s'est écrite dans les tourments de l'Histoire : la mémoire du premier conflit mondial nous le rappelle. Car les liens qui nous rassemblent trouvent leur origine dans les épreuves affrontées ensemble, de 1916 à 1919. Et le lieu où nous nous recueillons aujourd'hui symbolise avec gravité la fraternité d'armes forgée entre nos deux nations, lors des combats de la Première Guerre mondiale.
Durant les commémorations du centenaire de la Grande Guerre, il importe qu'aucune mémoire ne soit oubliée. C'était donc mon devoir de ministre de la Défense de venir honorer aujourd'hui le souvenir des soldats, français et roumains, qui combattirent ensemble sur ce sol. Mais j'ai également présent à l'esprit les souffrances endurées par la population civile roumaine durant ces années de guerre.
Un nom incarne avec force cette mémoire commune à nos deux pays: celui du général Henri Berthelot, le chef de la mission militaire envoyée en Roumanie en octobre 1916. Cette mission fut la plus importante de celles envoyées par la France à l'étranger, pendant la Grande Guerre.
Officier général aux convictions républicaines fermement enracinées, il est malheureusement encore méconnu en France aujourd'hui. Mais je sais qu'il a en Roumanie la stature d'un véritable héros national, celle d'un « enfant du pays ». Pour lui qui eut l'honneur de devenir citoyen roumain, la Roumanie est véritablement devenue une seconde patrie. Il gagna d'ailleurs auprès des paysans roumains le surnom de « Papa Berthelot », preuve de l'affection que le peuple roumain lui portait.
Je veux ici rappeler l'engagement qui fut le sien, et celui des hommes qui ont servi avec lui aux côtés des soldats roumains, il y a 100 ans.
Parti de France, c'est un officier général chevronné, aux qualités militaires et humaines appréciées qui parvient en Roumanie en octobre 1916. Il est accompagné des spécialistes indispensables à l'aide dont l'armée roumaine a besoin.
Envoyé par le général Joffre, qui a placé sa confiance en lui, sa mission est aussi claire dans ses objectifs que délicate dans sa mise en œuvre : conseiller la réorganisation de l'armée roumaine, durement éprouvée par les revers de l'été et de l'automne 1916, qui s'achèvent par la chute de Bucarest en décembre de la même année. Les chiffres terribles des premiers mois de guerre en témoignent : en 140 jours de combat, depuis la fin du mois d'août, l'armée roumaine compte 50 000 morts, 80 000 blessés et 110 000 prisonniers, sur un total de 840 0000 hommes sous les drapeaux au déclenchement de l'offensive. En dehors des divisons de montagne, l'armée roumaine est totalement disloquée.
En ce premier hiver de la présence militaire française sur le sol roumain, alors que s'élève dans le ciel les traditionnelles colinde de Noël, et tandis que les hommes du service français de santé se battent avec abnégation contre le typhus qui fait des ravages dans la population civile comme dans l'armée, le général Berthelot sait qu'il a engagé une véritable course contre la montre, pour venir à bout d'une tâche colossale : moderniser l'armée roumaine, dans sa structure comme dans ses méthodes, afin de doter la Roumanie d'un outil militaire capable non seulement de résister à la pression des empire centraux et de sauvegarder ainsi son indépendance nationale, mais encore de participer à la victoire sur le front d'Orient.
En proposant un véritable plan stratégique, que les autorités roumaines acceptent, Berthelot et son état-major mettent ainsi en œuvre une coopération de défense avant l'heure qui fonctionne à plein régime dès le printemps 1917.
Il ne s'agit d'ailleurs pas uniquement de mener à bien la formation des troupes, mais également de relever le défi logistique que représente la livraison de matériel moderne, dans tous les domaines : transmissions, infanterie et artillerie, mais aussi marine et aviation, où pilotes roumains et français combattront au sein des mêmes escadrilles.
L'été 1917 marque ainsi la renaissance de l'armée roumaine. En témoigne cette lettre de reconnaissance écrite au général Berthelot par le général Cantacuzène, qui commande la 1ère brigade des grenadiers : « Soyez sûr que quand nous crierons « Vive la Roumanie ! » jamais plus nous n'oublierons de crier aussi : Vive la France ! ».
L'offensive est finalement déclenchée le 24 juillet 1917. Le 26, les divisions roumaines parviennent à percer le front austro-allemand sur plusieurs dizaines de kilomètres. Cet élan victorieux est malheureusement interrompu par l'arrêt de l'offensive conjointe de l'allié russe qui connaît depuis des mois des troubles révolutionnaires. Les forces allemandes déclenchent alors une contre-offensive qui vient se briser sur la détermination des 4500 hommes de la 9e division roumaine, appuyée par l'artillerie que coordonne un officier français, le commandant Dupouy. Ce sont les glorieux combats de Marasesti, inscrits à jamais dans la mémoire nationale roumaine. Ils furent à l'époque salués par toute la presse alliée. Et la ville de Marasesti sera d'ailleurs décorée de la croix de guerre, par le Président de la République, en 1921.
Les victoires de l'été 1917 témoignent également de la réussite de la mission française. Comme l'a si bien montré son biographe Michel Roussin, ancien ministre français que je remercie de sa présence parmi nous aujourd'hui, Bertelot doit ce résultat autant à ses qualités de stratège que de diplomate. Elles lui ont permis de conseiller au mieux l'état-major roumain, et d'abord le roi Ferdinand lui-même, avec lequel il a tissé des liens d'estime et de confiance personnelle, aidée en cela par l'amitié pour la France de son épouse, la reine Marie.
Mais fin 1917, après la signature de l'armistice de Brest-Litovsk alors que la Russie se retire du conflit, les armées roumaines doivent signer une suspension d'armes. La mission française ne quitte pourtant que provisoirement le territoire roumain. Avec le retour de la Roumanie dans la guerre en novembre 1918, Berthelot, qui commande désormais l'armée du Danube, peut finalement entrer dans Bucarest libérée, à la suite du roi Ferdinand.
Les liens entre la France et la Roumanie sont anciens et singuliers. Ils ont traversé les tourments et les épreuves du siècle passé. En inaugurant ce monument en 1922, en présence du maréchal Foch, le général Berthelot y voyait à la fois un symbole et une promesse. Alors que l'Europe traverse aujourd'hui une crise majeure, notre présence à tous aujourd'hui est le symbole de la force de l'amitié franco-roumaine, de l'attachement de la France et de son gouvernement à la Roumanie. Qu'elle soit également la promesse de maintenir vivant l'idéal européen dont nous sommes les garants.
Vive la Roumanie ! Vive la France ! Vive l'amitié franco-roumaine !
Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 septembre 2016