Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France 2 le 2 septembre 2016, sur l'élection présidentielle au Gabon, la construction européenne après le Brexit et sur le Traité transatlantique.

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Média : France 2

Texte intégral


WILLIAM LEYMERGIE
D'abord les 4 vérités, aujourd'hui c'est Jeff WITTENBERG qui reçoit Jean-Marc AYRAULT, le ministre des Affaires étrangères.
JEFF WITTENBERG
En effet ! Bonjour à tous, bonjour à vous Jean-Marc AYRAULT.
JEAN-MARC AYRAULT
Bonjour.
WILLIAM LEYMERGIE
La France, on l'a entendu, exprime son inquiétude face à la situation au Gabon, elle demande retenue et apaisement - on entend les précautions diplomatiques – mais est-ce que c'est suffisant face à une situation qui s'aggrave d'heure en heure ?
JEAN-MARC AYRAULT
La communauté internationale, comme la France, est inquiète, cette nuit le conseil de sécurité a approuvé à l'unanimité au calme, vous savez qu'il y a une contestation du résultat des élections et la seule façon pour vérifier les résultats c'est d'abord qu'il y ait une publication des résultats bureau par bureau, – ce n'est pas fait jusqu'à présent – c'est ce nous demandons avec le conseil de sécurité – et puis en même temps, s'il y a des recours, il faut qu'ils puissent être examinés dans le cadre légal, mais vraiment examinés, et puis nous appelons évidemment au calme parce qu'il y a eu des manifestations, il y a eu une répression, il y a une espèce d'engrenage qui peut être très, très grave avec des morts et des blessés.
JEFF WITTENBERG
Monsieur AYRAULT, le pouvoir gabonais a déjà donné une fin de non-recevoir à cette demande de recomptage ou de publication des résultats bureau par bureau, est-ce qu'il ne serait pas plus simple – puisque vous doutez de la sincérité du résultat – d'organiser de nouvelles élections au Gabon ?
JEAN-MARC AYRAULT
Ecoutez nous n'en sommes pas là puisqu'il y a une Constitution, il y a des lois.
JEFF WITTENBERG
Et est-ce que vous croyez à la sincérité de ce vote, est-ce que vous croyez à la victoire d'Ali BONGO ?
JEAN-MARC AYRAULT
La France ne prend pas partie pour tel out el candidat, la France respecte l'indépendance du Gabon bien entendu, mais on sait qu'il y a une contestation. S'il n'y a pas la possibilité d'examiner par ce qu'on appelle les voies légales, les procédures légales ces recours, alors il y aura un problème extrêmement grave, donc nous souhaitons que la voie constitutionnelle soit respectée ; et puis, en même temps, il faut tout faire pour éviter l'engrenage de la violence avec des morts et des blessés, il y a déjà des destructions, vous savez qu'il y a quand même 14.000 Français qui vivent au Gabon..
JEFF WITTENBERG
Quelles sont les informations dont vous disposez sur leur sort aujourd'hui ?
JEAN-MARC AYRAULT
Je crois qu'ils sont dans une situation qui n'est pas dangereuse pour eux, simplement nous avons recommandé à nos ressortissants de rester à leur domicile, de rester confiner à leur domicile, et, quant à ceux qui ne sont pas encore rentrés au Gabon - la rentrée scolaire a été retardée d'une semaine, elle devait démarrer le 5 – nous leur conseillons d'appeler le ministère des Affaires étrangères où nous avons mis en place une cellule de crise pour répondre à toutes leurs questions.
JEFF WITTENBERG
Est-ce précisément parce que la France a des ressortissants, 14.000 vous le rappeliez sur place, qu'on observe cette prudence ? Est-ce aussi parce qu'il y a des liens étroits depuis des décennies entre la famille BONGO et les présidents français, on se souvient d'Omar BONGO, d'Ali BONGO aujourd'hui...
JEAN-MARC AYRAULT
Non, je pense que...
JEFF WITTENBERG
Est-ce qu'il n'y a pas un malaise tout de même de l'ancienne puissance coloniale ?
JEAN-MARC AYRAULT
Non, non, cette période est derrière nous. Nous, nous souhaitons que l'Afrique réussisse son développement et le fasse dans le respect du droit, des droits de l'homme et qu'elle le fasse aussi dans l'indépendance, donc nous nous sommes des partenaires de l'Afrique mais nous ne voulons en aucun cas nous ingérer ans les affaires antérieures du pays, ce serait irrespectueux pour les Africains – ils ne nous le demandent pas – simplement lorsqu'ils s'expriment ils nous demandent de dire le droit, de rappeler les principes et c'est ce que nous faisons. Je crois que c'est très important qu'on sache quelle est la ligne de la France, elle est claire.
JEFF WITTENBERG
On passe au sujet européen, Jean-Marc AYRAULT vous allez partir dans les prochaines heures pour Bratislava pour préparer le sommet du 16 septembre...
JEAN-MARC AYRAULT
Absolument !
JEFF WITTENBERG
Qui va être un peu le sommet de l'après Brexit, comment l'Europe peut rebondir. Qu'est-ce que vous pensez de cette déclaration de Tony BLAIR, l'ancien Premier ministre britannique, qui disait hier que finalement la Grande Bretagne pourrait au bout du compte rester dans l'U.E, c'est irréaliste ?
JEAN-MARC AYRAULT
Oh ! Je ne sais pas, on a même dit qu'il souhaitait un deuxième vote - si les électeurs ont mal voté, on va leur demander de revoter - non je pense qu'il faut être sérieux, le peuple britannique s'est prononcé, il a souhaité le Brexit - ce n'est pas ce que nous souhaitions avec les Européens – mais c'est une décision qui a été prise, elle doit être respectée.
JEFF WITTENBERG
Et c'est irrémédiable, vous le redites aujourd'hui ?
JEAN-MARC AYRAULT
Ce que nous avons à construire c'est une relation nouvelle entre la Grande Bretagne et l'Union européenne, tout ça passe par une négociation très claire - il faudrait qu'elle démarre vite – et j'ai le sentiment que c'est la difficulté car le gouvernement britannique n'est pas si préparé qu'on l'imaginait et en tout cas donne l'impression d'être parfois divisé, je serai à Londres la semaine prochaine pour parler de la Syrie mais j'aurai l'occasion d'un entretien bilatéral avec Boris JOHNSON, j'aborderai cette question.
JEFF WITTENBERG
Il y a les relations avec la Grande Bretagne, il y a les relations avec les Etats Unis, la France et l'Allemagne ne semblent pas d'accord, Angela MERKEL et François HOLLANDE vont se rencontrer aujourd'hui à Evian sur l'accord Tafta - la France ne le veut plus cet accord de libre échange – l'Allemagne semble y croire encore, qui va l'emporter dans ce bras-de-fer ?
JEAN-MARC AYRAULT
Non mais il n'y a pas de bras-de-fer entre la France et l'Allemagne....
JEFF WITTEMBERG
Apparemment si !
JEAN-MARC AYRAULT
Vous savez aussi bien dans la société allemande que dans la société française on s'inquiète des conditions dans lesquelles cette négociation a lieu entre l'Europe d'une part...
JEFF WITTENBERG
Oui, mais la France n'en veut plus de ce traité et l'Allemagne…
JEAN-MARC AYRAULT
Non, la France ne dit pas ça, la France dit qu'aujourd'hui, telles que les négociations ont été conduites, le compte n'y est pas, il est déséquilibré - il y a un bon accord qui a été négocié et qui a été signé c'est celui entre l'Europe et le Canada, faisons référence à cette expérience-là, elle est bonne - mais aujourd'hui avec les Etats-Unis le compte n'y est pas, donc le président de la République a dit que ceux qui pensaient qu'on allait dans la précipitation signer un accord avant l'élection américaine se trompaient, donc la négociation va se poursuivre dans la clarté, parce que, s'il n' y a pas d'équilibre, s'il n'y a pas de respect je dirais des normes européennes, s'il n'y a pas de respect de l'exception culturelle, s'il n'y a pas le respect des marchés publics, s'il n'y a pas une réciprocité, alors il ne peut pas y avoir d'accord. Mais je pense que, contrairement à ce que vous pensez, ce n'est pas sur ce point qu'il y a désaccord avec l'Allemagne...
JEFF WITTENBERG
C'est sur quel point alors ?
JEAN-MARC AYRAULT
Eh bien c'est l'impression qui est donnée que la France serait contre des accords de libre échange, la France n'est pas contre, la France simplement met des conditions et je pense que sur ce terrain-là nous pouvons nous entendre avec les Allemands.
JEFF WITTENBERG
Jean-Marc AYRAULT, vous êtes le chef de la diplomatie française, mais tout le monde saitque vous êtes aussi un ami, un proche de François HOLLANDE, comment va-t-il après cette semaine difficile, est-ce qu'il se sent trahi avec méthode – comme on a pu le lire – par le départ d'Emmanuel MACRON ?
JEAN-MARC AYRAULT
Je n'ai pas eu cette impression-là, je pense que s'il y a quelque chose que je retiens comme ministre des Affaires étrangères, donc je vois François HOLLANDE en permanence, c'est qu'il est concentré sur sa mission de président de la République...
JEFF WITTENBERG
Mais peut-être qu'il n'est pas déçu ou qu'il n'est pas ému...
JEAN-MARC AYRAULT
Non, non, mais...
JEFF WITTENBERG
Par ce que s'est passé quand même avec Emmanuel MACRON ?
JEAN-MARC AYRAULT
Non, mais la vie politique est difficile, la vie politique est dure, mais quand on est à un poste – et c'est mon cas – on se consacre à sa mission, là j'ai réuni cette semaine les ambassadeurs qui représentent la France dans le monde et le président de la République il fait quoi ? Il va à Evian aujourd'hui pour parler avec la Chancelière allemande devant les responsables économiques, ensuite il va au G20, ensuite il va à Athènes pour une réunion de l'Europe du Sud, ensuite il sera à l'assemblée générale des Nations unies...
JEFF WITTENMBERG
Et ensuite il se présente à l'élection présidentielle dans le contexte que l'on connait.
JEAN-MARC AYRAULT
Sur ce point vous savez bien que... alors si vous voulez j'attends avec une certaine impatience sa décision, mais il a dit lui-même qu'il se prononcerait au mois de décembre et respectons son rythme et en même temps saluons le fait qu'il se consacre entièrement à sa mission, c'est-à-dire de servir la France et je pense qu'il y a de quoi faire.
JEFF WITTENBERG
On vous a entendu alors, merci beaucoup Jean-Marc AYRAULT, très bonne journée. C'est à vous William !
WILLIAM LEYMERGIE
Merci messieurs.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2016