Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à LCI le 31 août 2016, sur la démission du ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

FRANÇOIS-XAVIER MENAGE
C'est l'heure du rendez-vous avec Audrey CRESPO-MARA, l'interview de « LCI Matin », et ce matin, vous recevez Jean-Marie LE GUEN, le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement.
AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour à tous. Bonjour Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour.
AUDREY CRESPO-MARA
Après la démission d'Emmanuel MACRON, vous êtes soulagé, déçu ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je suis un peu triste, d'abord, parce que c'était un ministre tout à fait agréable, avec qui je m'entendais très bien, et voilà, c'est dommage, de mon point de vue, au moment où je vous parle, il y avait une équipe, eh bien peut-être qu'un membre brillant de cette équipe s'en va. Moi je pense que, je comprends que l'on veuille faire changer la gauche, en tout cas c'est aussi mon engagement, comme c'est un engagement au niveau du gouvernement mais c'est aussi un engagement au niveau du débat des idées. Je pense qu'il faut plutôt rester, me semble-t-il, que c'est au coeur de cette gauche qu'il faut faire évoluer, que nous devons travailler.
AUDREY CRESPO-MARA
Lui, avait besoin de liberté, en tout cas. Vous aviez des relations personnelles avec lui ? Vous l'avez eu au téléphone, vous l'avez vu depuis sa démission ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je ne l'ai pas appelé, parce que je pense que la journée a été suffisamment agitée comme cela, et que nous aurons sans doute des conversations. J'anime, vous le savez, le Pôle des réformateurs, qui sont ces parlementaires socialistes qui veulent que la gauche évolue, qui sont à la fois légitimistes vis-à-vis du président de la République, et vis-à-vis du Premier ministre et qui en même temps sont exigeants sur l'évolution de la gauche. Nous sommes dans un moment très différent de l'action politique. Vous savez, je crois que c'est les années que nous vivons aujourd'hui, sont des années de rupture par rapport à toute la période, y compris depuis l'après guerre.
AUDREY CRESPO-MARA
De recomposition politique, et il y participe.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà, et nous sommes à la fois... Et sa démission, et la manière dont il s'exprime, témoignent d'une certaine forme supplémentaire de décomposition politique, c'est-à-dire que les choses sont en train de se décomposer, les structures qui existaient avant, finalement...
AUDREY CRESPO-MARA
Mais c'est regrettable ou finalement c'est souhaitable ?
JEAN-MARIE LE GUEN
C'est un fait. La période politique est faite de telle façon, on voit bien la distance qu'il y a aujourd'hui entre un certain... nos électeurs, les Français, et puis les représentants politiques de façon traditionnelle. L'offre politique ne correspond plus, ni véritablement aux enjeux de l'heure, ni finalement aux attentes, pas toujours très bien exprimées de nos compatriotes. Et donc il y a une transformation qui est en train de se faire. Et d'un certain point de vue, le choix d'Emmanuel MACRON correspond à cette période de décomposition. Moi je pense qu'il faut que nous saisissions la période des élections présidentielles pour aller vers cette recomposition. Cette recomposition ça...
AUDREY CRESPO-MARA
Elle passe forcément par les partis politiques, parce qu'Emmanuel MACRON s'inscrit en dehors des partis.
JEAN-MARIE LE GUEN
Je ne sais pas si elle passe par les partis...
AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce que c'est possible de s'inscrire en dehors ?
JEAN-MARIE LE GUEN
... politiques de façon traditionnelle, je ne crois pas qu'on puisse exister en dehors de la gauche et de la droite. Moi, personnellement, je crois que la gauche doit se rassembler, mais pour se dépasser, c'est-à-dire que, aujourd'hui, ce qui est en cause, par bien des aspects, c'est ce que l'on appelle la République. On voit bien qu'il y a un risque d'extrême droite, et parfois de droite très dure, indépendamment de l'Extrême droite. Lorsque j'entends monsieur WAUQUIEZ, je me dis qu'il n'y a pas de grande différence avec ce que propose madame LE PEN et que cela remet fondamentalement en cause, à la fois notre modèle social, à la fois notre façon de vivre ensemble, et que c'est une vraie menace pour la République. Et puis, de l'autre côté, évidemment, il y a aussi un certain nombre de défis, une extrême gauche qui a parfois de la tentation de la violence, qui est tout à fait inacceptable, une certaine forme, évidemment, de présence d'un islam politique qui met en danger les valeurs de la République aussi dans certains territoires de la République, et donc face à ça, il faut un rassemblement du camp républicain, contre le bloc réactionnaire, et donc il y a une nouvelle donne à structurer et je crois que c'est à la gauche de faire ce travail, ce n'est pas une nouvelle offre politique qui existerait entre le ni gauche, ni droite, ça je n'y crois pas.
AUDREY CRESPO-MARA
Ce qu'on reproche à Emmanuel MACRON, ce que certains reprochent, c'est son côté individualiste, il y a des phrases qui lui ont été reprochées, la dernière étant : « Je ne suis pas socialiste ». Il y a aussi des images qui lui ont été reprochées, les Unes de Paris Match avec sa femme, par exemple. Qu'est-ce qui vous a le plus choqué ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, moi je ne veux pas rentrer dans ce type de commentaire...
AUDREY CRESPO-MARA
Mais, est-ce que ça vous a choqué ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a eu je crois plusieurs fois des communications maladroites...
AUDREY CRESPO-MARA
Lesquelles ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oh, je ne crois pas que ça soit très...
AUDREY CRESPO-MARA
Eh bien si, c'est intéressant ce matin.
JEAN-MARIE LE GUEN
... très utile d'aller au Puy-du-Fou et voir monsieur de VILLIERS pour expliquer qu'on n'est pas, à ce moment-là socialiste. Je comprends très bien que monsieur MACRON, qui n'a pas sa carte au Parti socialiste, ce dise qu'il n'est pas socialiste, et qu'il se voit dans un cadre plus large, ça ne me choque pas, mais choisir le moment d'aller au Puy-du-Fou, à côté de monsieur de VILLIERS n'est pas forcément le plus opportun, par exemple, mais encore une fois, je ne suis pas là pour critiquer Emmanuel MACRON. Je m'interroge, et plus exactement je suis un peu en désaccord avec lui, lorsqu'il croit qu'on peut créer du neuf, sans avoir des éléments de l'ancien. Je pense qu'il ne faut plus maintenir l'ancien, mais qu'il faut aussi créer du neuf avec de l'ancien. C'est parce que l'on sera capable de transformer la gauche, ce qui est en marche, si j'ose dire, ce qui est en train de se faire, ce n'est pas en se créant indépendamment off-shore, comme on dit, c'est-à-dire en dehors de l'offre politique traditionnelle. Il y a des gens qui ont une culture...
AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce qu'il manque de loyauté ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je ne dirais pas cela, mais peut-être que ce n'est pas une valeur qu'il surjoue, qu'il surreprésente. Je crois effectivement que la loyauté, la cohérence politique, sont des éléments importants dans le repère de l'offre politique actuelle.
AUDREY CRESPO-MARA
François HOLLANDE, en avril dernier, quand Emmanuel MACRON lançait son mouvement, François HOLLANDE disait : « Il sait ce qu'il me doit ». Que lui doit-il vraiment ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ça, écoutez, c'est des considérations qui les regardent tous les deux, je veux dire...
AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous n'avez aucun avis là-dessus ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, moi, personnellement, je n'aime pas les ... Bon, après, on essaie de discuter la cohérence.
AUDREY CRESPO-MARA
Donc il ne doit rien à François HOLLANDE.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je ne crois pas que ce soit en ces termes que ça se pose, honnêtement. On n'est pas dans des rapports de suggestion. Bon, en même temps, il y a besoin de constance dans les rapports humains et il y a besoin de cohérence dans l'action politique.
AUDREY CRESPO-MARA
Il a été cohérent, parce que depuis quelques mois, on voit bien qu'il essaie d'amener une alternance politique à François HOLLANDE, donc finalement ce n'est que la suite logique, son émancipation est terminée, disons.
JEAN-MARIE LE GUEN
Je ne crois pas qu'il ait voulu amener, jusqu'à présent, une alternance, je ne sais même pas d'ailleurs si aujourd'hui il dit qu'il est en alternance à François HOLLANDE.
AUDREY CRESPO-MARA
La création d'un mouvement politique, quand on est dans un gouvernement, c'est bien le début d'une alternance.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, mais c'était parfaitement légitime, dans la mesure où il n'était pas au Parti socialiste, il y a d'autres formations politiques qui sont représentées au gouvernement, l'UDE, les Radicaux, etc. Donc qu'il veuille créer lui-même une formation, n'était pas en soi choquant. Je crois que ce qui était plus problématique, c'est cette stratégie, encore une fois, de vouloir exister indépendamment des racines culturelles de ce qui existe. On est profondément de gauche ou on est de droite, ce qui ne veut pas dire que l'on ne peut pas travailler avec des gens du camp d'en face. Personnellement, je pense qu'il faut être très clair, moi je suis pour le rassemblement du camp républicain, et face à l'extrême droite, au deuxième tour de l'élection présidentielle, il n'y aura qu'un seul candidat du camp républicain. Il faut déjà anticiper cela.
AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce que vous pensez qu'Emmanuel MACRON va se présenter à l'élection présidentielle ? Est-ce que vous y voyez un début de candidature ?
JEAN-MARIE LE GUEN
En tout cas, je pense qu'il y a évidemment derrière une certaine forme d'ambition et d'intention. Après, est-ce qu'elle pourra se réaliser, j'ai d'ailleurs quelques doutes, mais...
AUDREY CRESPO-MARA
Parce qu'il est en dehors des partis, vous l'avez expliqué. Au-delà de ça...
JEAN-MARIE LE GUEN
Bien sûr, je pense qu'il y a un impact, je pense qu'évidemment il va exprimer l'idée qu'il faut changer cette offre politique dont vous parliez précédemment...
AUDREY CRESPO-MARA
Et ça a une résonance chez les Français, évidemment.
JEAN-MARIE LE GUEN
Une certaine résonance sur les Français.
AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce qu'il fait le poids, Emmanuel MACRON ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oh écoutez...
AUDREY CRESPO-MARA
Dans l'optique d'une candidature.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non mais on voit bien votre question et les commentaires qui peuvent exister autour de ça, c'est que nous sommes dans une période particulièrement difficile. Emmanuel MACRON s'est illustré je crois d'une façon assez forte, en donnant de la visibilité à une certaine forme de nouvelle économie, une approche plus libérée de l'économie contre la rente, etc.
AUDREY CRESPO-MARA
Quel bilan a-t-il ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Tout cela est positif.
AUDREY CRESPO-MARA
Il a un bon bilan, selon vous, quel est-il ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, oui, il a un bon bilan, évidemment, qui est celui de l'action du gouvernement d'ailleurs.
AUDREY CRESPO-MARA
Au-delà des autocars, est-ce qu'il a un bilan vraiment positif ?
JEAN-MARIE LE GUEN
D'abord, il a un bilan qui est celui du gouvernement, et donc ce qu'il a fait, il l'a fait avec le gouvernement, donc il n'y a pas de bilan individuel de chaque ministre, sur tel ou tel point technique peut-être, mais il est évidemment trop tôt pour en parler. Par contre, ce que je crois, c'est que, encore une fois, on ne peut pas ne pas exister aussi dans un travail collectif, c'est peut-être ce qui me démarque de la démarche qui est la sienne aujourd'hui aussi.
AUDREY CRESPO-MARA
Et je vous demandais : est-ce qu'il fait le poids ? Est-ce que selon vous tout le monde reconnait qu'il est brillant ? Est-ce qu'il a évidemment un avenir politique ?
JEAN-MARIE LE GUEN
La période politique actuelle, elle demande des hommes politiques très complets, où on n'est pas simplement dans l'innovation et dans l'économie, il y a aussi évidemment, face au terrorisme, face à ce qu'on appelle la dimension régalienne de l'action politique, c'est-à-dire une dimension où l'Etat pèse sur vous, et vous pesez sur l'Etat, bien sûr, pour réagir, et c'est cette relation-là, elle reste pour l'instant une question, s'agissant d'Emmanuel MACRON.
AUDREY CRESPO-MARA
Emmanuel MACRON est remplacé par Michel SAPIN à la tête d'un grand ministère de l'Economie et des Finances, ça veut dire qu'il ne servait à rien, Michel SAPIN peut tout faire tout seul ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, c'est une organisation classique, d'ailleurs il n'y a pas forcément...
AUDREY CRESPO-MARA
Qui dit un peu ça en creux, quand même.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, pas du tout...
AUDREY CRESPO-MARA
Ah bon ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je ne crois pas, simplement... Non, vous savez, c'est classique, il y a eu un ministère de l'Economie et des Finances, là, dans une période, qui est une période de réformes, il fallait sans doute être... c'était plus efficace d'avoir deux ministres, ministre de l'Economie et ministre des Finances, chacun sur un front. On est à quelques mois des élections présidentielles, ce n'est pas aberrant d'avoir un seul ministre de l'Economie et des Finances.
AUDREY CRESPO-MARA
En tout cas, François HOLLANDE est lâché à sa droite et sur sa gauche aussi, c'est un coup dur pour lui, il n'a plus d'ailes. C'est un avion sans ailes.
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui oui, encore qu'il y a des ailes qui sont vraiment très petites. Je ne crois pas. Oui, je comprends que l'on ait cette analyse, je ne la partage pas. Je veux dire par là, je ne crois pas que la gauche...
AUDREY CRESPO-MARA
Par exemple, trois anciens ministres qui sont candidats à l'élection présidentielle : MONTEBOURG, HAMON, DUFLOT, MACRON plus tard.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais il y a un échec, oui mais bon, il y a un échec de cette génération de la gauche, vous parliez de HAMON, de DUFLOT etc. qui n'ont pas su prendre les responsabilités au niveau de l'Etat, c'est-à-dire, la gauche elle est là, elle doit gouverner dans un moment difficile.
AUDREY CRESPO-MARA
Oui qui ont été déçus et qui ne se reconnaissent pas dans la ... gouvernementale.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, un ministre n'est pas déçu, ou on reste chez soi, on se bat, on n'est pas dans la déception et dans l'admiration. On est dans le combat. Donc, si vous voulez, il y a des gens qui se sont marginalisés, oui.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous faites le lien, vous, entre les députés et le gouvernement, vous prenez le pouls de la majorité pour François HOLLANDE et Manuel VALLS. A quel pouls, va-t-il, cher docteur ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, je crois que très largement les parlementaires sentent bien que la situation est difficile, à la fois pour le pays et pour la gauche, mais que très majoritairement ils sont dans la solidarité avec le Premier ministre et avec le président de la République. Voilà.
AUDREY CRESPO-MARA
Une majorité en lambeaux, quand même.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, une majorité relative. Il y a une vingtaine de parlementaires sur 270 qui nous font défaut maintenant depuis plusieurs mois, ce sont malheureusement des gens qui ne sont pas dans la solidarité, je le regrette, on n'a plus qu'une majorité relative, non pas une majorité absolue, mais une majorité relative, ça permet de gouverner.
AUDREY CRESPO-MARA
Merci beaucoup, Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Merci à vous.
AUDREY CRESPO-MARA
Merci d'avoir été notre invité.Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 septembre 2016