Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Directeur de l'Union européenne,
Monsieur le Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est un plaisir de vous retrouver pour cette nouvelle semaine des ambassadeurs, un peu particulière, la dernière avant la fin du quinquennat, et je veux donc commencer par vous remercier pour le travail réalisé et pour celui que vous allez encore accomplir, - en particulier celles et ceux qui rejoignent notre région -, au service des relations de la France avec les pays de l'Union européenne et avec l'Union européenne elle-même.
Et je veux particulièrement saluer et remercier le directeur de l'Union européenne, Pierre Levy, pour l'action remarquable qu'il a conduite. Il nous quitte mais sans nous abandonner complètement puisque nous le retrouverons à Varsovie.
Et je salue l'arrivée comme nouveau directeur de l'Union européenne, de Philippe Setton qui a toute l'expérience de Bruxelles pour nous aider à tracer notre route dans les temps qui viennent. Et nous en aurons besoin.
Car dans un environnement international particulièrement troublé, dangereux, instable, l'Europe longtemps perçue comme une évidence ne l'est plus. Elle n'est pas confrontée à une simple crise de plus, mais à une crise historique, qui porte sur son contenu, son sens, en tout cas son projet, peut-être son existence même.
Il y a bien sûr le Brexit et le choc considérable qu'il représente parce que c'est la première fois qu'un État membre décide de quitter l'Union, mais aussi parce qu'il agit comme un révélateur.
Révélateur de la coupure entre les peuples et l'Europe car beaucoup des fractures sociales, géographiques, générationnelles, des peurs, - de l'immigration, de la mondialisation - qui se sont exprimées lors de ce référendum, pourraient s'exprimer dans tous les États membres.
Révélateur, - à propos du débat sur l'avenir de l'Union qui s'est ouvert - des divisions entre les États membres sur la nature même du projet européen. Divisions qui, loin de s'atténuer, se cristallisent sur des sujets comme les réfugiés, l'immigration, l'islam, sujets qui mettent en jeu à la fois des conceptions de la société et des questions de solidarité, de souveraineté et de compétences de l'Union européenne. Les attentats, en France, au Danemark, en Belgique, en Allemagne, les failles qu'ils ont révélées dans la coopération européenne, pèsent évidemment fortement.
Ces divisions viennent s'ajouter à celles, préexistantes, liées aux effets de la crise et aux divergences de politique économique entre le Nord et le Sud du continent. Avec à la clef la mise en cause de l'Europe, l'instabilité politique, voire l'in gouvernabilité. Cette contestation économique et sociale de l'Europe n'est pas limitée au Sud du continent et la perte de soutien populaire à la construction européenne est largement liée, dans beaucoup de pays, au sentiment que l'Europe n'a pas répondu à la promesse de prospérité et de protection économique dans la mondialisation.
Ce qui est frappant également, y compris en France, c'est que les procureurs de la construction européenne, pas seulement de ses dysfonctionnements, mais de son histoire, de ses institutions, de ses principes même, n'ont jamais été aussi nombreux y compris parmi les élites intellectuelles.
Il faut donc prendre garde à ce que le choc du Brexit sur un corps déjà lézardé par la crise des réfugiés, la menace terroriste, la peur économique, l'angoisse sociale et la montée des populismes, ne soit le déclencheur d'un effondrement du projet européen.
Je ne crois pas que l'on puisse y répondre et relancer l'Europe en niant les problèmes.
Pour s'y attaquer, il faut les reconnaître.
Nous devons donc accepter d'intégrer une partie de la critique. C'est une des conditions de la relance du projet européen. Prétendre que tout a bien fonctionné, être dans la dénégation des colères, des interrogations et des attentes, n'est pas la meilleure façon de répondre à ce qu'expriment les citoyens et de régler les problèmes tout simplement.
D'autant que la critique correspond, en partie au moins, à des questions que nous avons soulevées de longue date avec d'autres :
- le besoin d'une Europe qui protège davantage sur le plan économique, industriel, face à la concurrence déloyale et à la dérégulation ;
- la nécessité de la lutte contre le dumping fiscal et social, y compris au sein de l'Union européenne ;
- le besoin de politiques économiques qui soient davantage tournées vers des objectifs de croissance et d'emploi que dictées par l'application mécanique de règles ;
- une Europe qui assume davantage sa sécurité, sa défense, et son rôle international autonome ;
- des politiques européennes qui, d'une façon générale, se concentrent sur quelques grandes priorités, plutôt que de se disperser dans la multiplication des normes inutiles, intrusives et incomprises ;
- une Europe qui respecte les États nations et leur souveraineté, mais qui permette d'agir ensemble dans les domaines où cela est nécessaire, avec des règles et des institutions communes.
Nous devons donc tirer les leçons de cette crise et de la situation où se trouve l'Europe pour changer ce qui doit l'être, mais nous devons aussi défendre le projet européen et ses acquis. Ceux de 70 ans de paix, d'unification économique, de politiques communes, de solidarité entre pays, petits et grands, du Nord et du Sud, de l'Ouest et de l'Est du continent, qui expliquent d'ailleurs la force d'attraction et les vagues d'élargissement successives.
Donc la critique oui, l'abandon, non. Tirer les leçons, pour rééquilibrer, améliorer, renforcer le projet européen oui. Mais le liquider, nous ne l'accepterons pas. Il faut combattre l'illusion que le retour aux frontières nationales donnerait plus de capacités aux États pour répondre aux défis d'aujourd'hui. Et c'est un grave illusion, d'une façon générale, que de penser que les Européens seraient plus forts sans l'Europe.
Sans la construction européenne, l'Europe ne serait livrée qu'à ses dissensions, à une compétition sans règles, aux jeux des alliances et des contre-alliances, à l'intervention des puissances extérieures. Elle sortirait de l'histoire.
La France sera donc garante, avec l'Allemagne, bien sûr, et tous ceux qui partagent cette conviction, de la poursuite du projet européen.
Le premier risque dans la situation présente, c'est que rien ne change, c'est l'attentisme, l'inertie, la paralysie européenne. Et que donc rien ne se passe. Qu'il s'agisse du Brexit où les choses trainent à dessein, ou de l'avenir de l'Union elle-même.
Certains peuvent penser qu'il est préférable d'attendre.
Nous pensons que le surplace, l'immobilisme ne sont pas une réponse.
Il ne s'agit pas de se précipiter, ni de se lancer dans une fuite en avant. Mais la crise européenne ne se règlera pas toute seule. Et si la seule dynamique est celle des populismes, c'est le délitement qui l'emportera. C'est pourquoi le président de la République, dès avant le référendum, a proposé à nos plus proches partenaires à la fois une attitude commune et ferme sur le Brexit et une nouvelle impulsion européenne autour de quelques priorités essentielles.
La question britannique tout d'abord. Elle doit être réglée dans la clarté.
Nous regrettons le choix des Britanniques de quitter l'Union mais nous le respectons, c'est le leur. C'est donc la procédure de sortie prévue par le traité, c'est-à-dire l'article 50, qui doit s'appliquer. Il leur revient de l'activer. Nous devons rester fermes sur l'absence de pré-négociations.
Nous comprenons que les Britanniques aient besoin d'un peu de temps pour se préparer, mais la période d'incertitude est nuisible à l'économie européenne et à l'économie britannique. Donc le plus tôt sera le mieux.
Pour l'avenir, le Royaume-Uni a vocation à devenir un pays tiers vis-à-vis de l'Union européenne. Il n'aura plus de droit de regard sur le fonctionnement de l'Union européenne.
De nouvelles relations de partenariat seront établies, cela est souhaité et nécessaire. Mais nous, Européens, devons penser cette relation future en fonction de nos intérêts, notamment dans les domaines les plus sensibles de la coopération sécuritaire, des migrations et aussi de l'économie, en particulier la régulation du système financier et bancaire et la localisation des activités.
Nous devons veiller à l'équilibre entre accès au marché et obligations, et à ce qu'un État tiers n'obtienne pas plus qu'un État membre. A à ce qu'il ne soit pas plus intéressant d'être dehors que dedans. Ce qui serait le début d'un détricotage dangereux. Il y a un enjeu de cohésion des Européens.
Mais la question du Brexit n'est pas tout l'agenda européen. L'essentiel est désormais de travailler à 27 sur l'avenir de l'Union elle-même en comblant ses lacunes, en améliorant son fonctionnement et en la projetant dans l'avenir.
Il faut convaincre les européens que grâce à l'Europe, ils peuvent mieux contrôler leur destin, leurs frontières, leur sécurité, leur avenir économique, leur modèle de société. Il faut donc avancer sur quelques priorités.
C'est l'agenda que le président de la République a proposé et présenté lors des rencontres et visites préalables à Bratislava. Cet été, en Irlande et au Portugal. À Ventotene, avec la chancelière et le président du Conseil italien. Il y a quelques jours en réunissant les sociaux-démocrates à Paris, notamment les Premiers ministres d'Autriche, du Portugal, de Grèce, de Slovaquie. Cette semaine dans ses échanges avec le président Tusk ou la semaine prochaine à Athènes avec les pays du pourtour méditerranéen. Et ce, en lien constant avec la chancelière d'Allemagne, qu'il verra une nouvelle fois lors des rencontres franco-allemandes ce vendredi à Évian.
1/ La première priorité, c'est la sécurité. Il n'y a pas d'espace politique viable dans la durée s'il n'est capable de se protéger lui-même. L'Europe est entourée des plus graves crises internationales. La guerre et l'instabilité sont à ses frontières, elle est frappée par le terrorisme. L'Europe doit désormais assurer sa sécurité. Personne ne le fera à sa place. C'est un enjeu de crédibilité majeur pour les citoyens.
Cela passe d'abord par la protection réelle des frontières extérieures de l'Union. Celle-ci est aussi une condition du droit d'asile et de l'acceptation de migrations contrôlées. En tout état de cause, la question du terrorisme pose un impératif : les frontières doivent être respectées donc protégées. Avant la fin de l'année, devra être mis en place le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, sur lequel nous avons trouvé un accord. Nous devons également nous doter du système ETIAS de contrôle systématique des entrées et des sorties de l'Union européenne.
Il faut continuer à renforcer la coopération européenne dans la lutte contre le terrorisme, les échanges d'information et l'utilisation systématique et coordonnée des fichiers, la mise en oeuvre du PNR européen, la lutte contre la radicalisation, la responsabilisation des opérateurs internet, le plan d'action contre les trafics d'armes, la lutte contre le financement du terrorisme.
En matière de défense, une étape décisive doit être franchie avec ceux des pays qui sont prêts à aller de l'avant.
Une prise de conscience s'est opérée chez plusieurs de nos partenaires. L'Europe n'existera pas comme acteur global sans des avancées de l'Europe de la défense.
Celle-ci doit donc progresser dans le domaine des capacités et des opérations extérieures, avec des mécanismes de financement, un état-major et une force de projection rapide. Cela doit également être lié à un partenariat avec l'Afrique et la Méditerranée.
2/ La deuxième priorité, c'est la préparation de l'avenir en matière économique et donc le soutien à l'investissement, la croissance et l'emploi. L'Europe doit être une puissance d'innovation et d'investissement dans les secteurs d'avenir.
Avec le plan Juncker en faveur des investissements stratégiques, nous avons remis la question de l'investissement au coeur des priorités européennes. Nous avons déjà atteint plus du tiers de l'objectif (115,7 milliards d'euros). La France en est un des premiers bénéficiaires avec déjà plus de 14 milliards, en particulier dans les domaines du très haut débit, de la rénovation énergétique et de l'industrie.
Mais il faut aller plus loin. Et développer plus encore les investissements publics et privés dans le numérique, la transition énergétique, la recherche. Cela passe au minimum par un doublement du plan Juncker et peut-être par la création d'autres instruments.
L'Europe est une terre d'excellence, mais si elle ne fait pas un effort d'investissement supplémentaire dans les compétences, les savoir, le capital humain, elle risque le décrochage. Ce dont nous avons besoin à travers la deuxième génération du plan Juncker, c'est l'équivalent de ce que nous avons fait en France avec le PIA, qui soutient beaucoup de projets dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Dans le même temps, nous devons continuer à renforcer la zone euro, y soutenir la convergence économique, en renforcer la gouvernance, la doter d'un président stable, d'un budget, d'un contrôle parlementaire. Nous devons conserver cette ambition, même si cela ne sera pas facile car le mauvais fonctionnement du coeur de l'Europe est préjudiciable à l'Europe entière.
3/ La troisième priorité que le président de la République a voulu placer au coeur de la nouvelle impulsion, c'est la jeunesse, avec le développement des mobilités, des formations, de l'accès à l'emploi et la citoyenneté européenne.
Le programme Erasmus est l'une des plus belles réussites des politiques européennes. Nous devons l'élargir, le démocratiser, permettre à tous les jeunes, quel que soit leur statut, de vivre une expérience européenne de formation, de découverte qui sera aussi une expérience de citoyenneté européenne et permettre en particulier la création d'un Erasmus des apprentis.
L'Europe doit donc se concentrer sur ces priorités essentielles.
Nous devons bien calibrer le niveau d'ambition du sommet de Bratislava. Nous devons être à la hauteur des enjeux même si nous savons que ce ne sera qu'une étape.
Ce sommet doit donc donner une impulsion politique avec des priorités bien identifiées, assorties d'un agenda précis et de mandats confiés aux Institutions européennes, en veillant à tirer pleinement partie des Conseils européens d'octobre et de décembre. Avec en ligne de mire et comme point d'aboutissement le 60ème anniversaire du traité de Rome en mars 2017.
Le discours sur l'état de l'Union que prononcera le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 14 septembre sera important pour étalonner notre niveau d'ambition.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Encore ne s'agit-il là que de quelques-uns des défis auxquels vous serez confrontés. Car ces grandes questions, si elles vont surplomber l'agenda, ne vont pas nous éviter d'avoir à répondre à une multitude d'autres sujets que l'actualité impose :
- les nouvelles tensions migratoires à la frontière gréco-bulgare ou en Serbie et peut-être de nouveau dans les îles grecques ;
- nos relations avec la Turquie, après le coup d'État du 15 juillet, et la question de la libéralisation des visas ;
- la question des sanctions contre la Russie ;
- la ratification de l'Accord de Paris qui doit s'accélérer et la traduction législative du paquet énergie-climat ;
- les textes sur le marché unique du numérique et la question du droit d'auteur ;
- la révision de la directive relative au détachement des travailleurs ;
- les enjeux commerciaux, les relations avec la Chine et la modernisation de nos instruments de défense commerciale ;
- la révision à mi-parcours du cadre financier 2014-2020, pour ne citer que ceux-là.
Notre échange permettra d'y revenir et de compléter cette liste.
Mesdames et Messieurs,
L'Europe doit répondre à des défis pour lesquels elle était mal ou pas préparée ou auxquels elle a mal répondu. C'est ce à quoi il faut s'atteler.
Le rôle et l'intérêt de la France, c'est de convaincre que l'Europe est une force, c'est de refuser de voir cet idéal défait, c'est de ne céder à aucun fatalisme. Telle est notre responsabilité et ce à quoi il nous revient de travailler ensemble.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2016