Texte intégral
Q - Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon appelle à faire davantage pour mettre fin au cauchemar en Syrie et notamment à Alep. Le conseil de sécurité des Nations unies est actuellement réuni à New York.
Vous êtes sur place, Jean-Marc Ayrault, Bonsoir.
R - Je suis effectivement totalement mobilisé. Il faut arrêter ce massacre. Aujourd'hui, c'est la colère et la consternation. Les populations civiles sont les premières touchées. Bachar al-Assad veut faire tomber Alep qu'il assiège depuis des mois. La population est privée de toute assistance humanitaire depuis des mois.
Q - Vous parlez de complicité de crimes de guerre, maintenez-vous ce propos ?
R - Bien sûr nous osons le mot. Hier, j'étais à Boston avec John Kerry et mes homologues d'Allemagne, d'Italie et de Grande-Bretagne. Nous avons adopté une déclaration et, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis qui sont membres permanents du conseil de sécurité ont demandé cette réunion d'urgence du conseil pour interpeler en particulier les Russes et les Iraniens qui prêtent leur concours au régime de Bachar al-Assad. Sans leur appui militaire, les avions, mais aussi des troupes au sol, Bachar al-Assad ne peut pas continuer cette guerre. Il veut gagner militairement, mais si les Russes et les Iraniens prennent leurs responsabilités, alors, la trêve pourra avoir lieu, l'aide humanitaire pourra accéder et la négociation politique pourra reprendre. Mais c'est la condition.
Si rien n'est fait, ces deux pays prendront la responsabilité de complicité de crimes de guerre.
Q - Cela veut-il dire que ce soir, la Russie a sa part de responsabilité en tout cas, dans l'échec du cessez-le-feu en Syrie ?
R - Il y a eu une tentative avec la négociation entre John Kerry et Sergueï Lavrov. Nous avons approuvé les conclusions qui étaient, certes modestes, mais qui permettaient d'engager un cessez-le-feu. Puis, il y a eu rupture entre ces deux pays. J'ai participé à de très nombreuses réunions pendant l'Assemblée générale, j'ai vu qu'il y avait un véritable blocage, c'est pourquoi la France a fait la proposition d'associer davantage les autres pays.
Aujourd'hui, on voit les limites de ce tête-à-tête russo-américain. J'ai donc fait cette proposition : la France propose un mécanisme de contrôle du cessez-le-feu pour observer ce qui se passe exactement sur le terrain et pour s'assurer de l'accès de l'aide humanitaire. C'est indispensable, sinon c'est la fuite en avant ; la fuite en avant profite à qui ? D'abord, comme je l'ai dit, les victimes sont les populations civiles, les images sont atroces, mais c'est aussi le terrorisme, c'est-à-dire les groupes comme Daech et al-Nosra qui en profite. Plus la situation s'aggrave, plus la tentation de la radicalisation se développe sur le terrain. Cela entraîne même des gens à venir faire la guerre aux côtés des terroristes. Comme nous combattons les terroristes, nous combattons aussi pour la paix en Syrie, car tout se tient, tout est cohérent. C'est à la fois une nécessité pour le peuple syrien en premier lieu, mais c'est aussi pour notre propre sécurité que nous nous battons. Il faut vaincre le terrorisme, mais ce n'est pas en massacrant comme le fait le régime de Bachar al-Assad avec ses soutiens russes et iraniens que l'on pourra parvenir à rétablir la paix.
Q - Qu'attendez-vous de Moscou ce soir ? Que dites-vous au président russe ?
R - Je dis : on vous tend la main pour négocier et mettre en oeuvre le plus vite possible un cessez-le-feu, mais cela passe par votre désolidarisation du régime de Bachar al-Assad qui, aujourd'hui, bombarde avec votre soutien une ville assiégée, Alep, qui est devenue une ville martyre.
Je l'ai dit il y a quelques jours, Alep ne doit pas être le Guernica du XXIe siècle. C'est cela la réalité aujourd'hui et on ne peut pas être indifférent à cette situation atroce pour les populations.
Il y a donc besoin d'un sursaut, c'est possible je crois, mais pour cela, il faut continuer à se battre, à se mobiliser et à faire savoir que cette situation est inacceptable, qu'elle relève de crimes de guerre, et que ceux qui ne bougeront pas porteront la responsabilité d'en être les complices.
Q - Si le président Poutine ne saisit pas la main tendue, que ferez-vous ?
R - Nous continuerons à proclamer et répéter partout que cette situation ne peut plus durer, qu'elle est inacceptable, qu'elle est inhumaine.
Certains ont déjà commencé à renoncer en baissant les bras, mais la France ne baisse pas les bras. C'est la raison pour laquelle, tous les jours, pendant l'assemblée générale, à chaque fois que j'en ai eu l'opportunité, au nom de la France, j'ai relancé le débat notamment avec les Américains.
Cette réunion de Boston hier, ce n'était pas forcément évident, il y avait de la tension entre les pays les plus proches, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, mais nous avons progressé, nous avons pris cette initiative et nous allons continuer à en prendre d'autres.
Je pense que c'est indispensable pour la communauté internationale.
Q - Estimez-vous que l'on en est à un tournant dans ce conflit, il y a le temps des discussions, le temps des débats, le temps des négociations et, parfois, il y a le temps militaire. Peut-on imaginer une intervention en Syrie ?
R - En 2013, la France avait proposé à la Grande-Bretagne et aux États-Unis d'intervenir après l'usage des armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad. Comme il n'y a pas eu de décision positive de ces deux pays, la France ne pouvait pas, seule, s'engager dans ces frappes aériennes.
Maintenant, nous sommes dans un autre contexte, c'est regrettable mais c'est ainsi. Il faut faire face pour autant et ne pas renoncer. C'est donc la voie diplomatique, c'est la voie politique, mais c'est aussi la voie de la conscience humaine internationale.
J'appelle de mes voeux que tous ceux qui croient à la dignité humaine se mobilisent et ne soient pas indifférents. On s'est mobilisé dans d'autres situations, pour Sarajevo par exemple, alors pourquoi ne pas se mobiliser pour Alep ?
Là, il y a un massacre qui est terrible et on ne peut pas laisser faire.
Vous parlez de la voie de la négociation, il faut un cessez-le-feu pour permettre à l'aide humanitaire d'arriver, avec un mécanisme de contrôle pour être sûrs que les conflits ne reprennent pas, et surtout, il faut négocier. C'est la négociation de la paix qu'il faut faire. C'est le sens des résolutions des Nations unies. Pour l'instant elle est bloquée, mais notre objectif, c'est qu'elle puisse reprendre le plus vite possible à Genève. Il n'y a pas d'autres voies que celle-ci, pas d'autres voies que celle de la négociation pour mettre en place des institutions de transition et pour ensuite remplacer Bachar al-Assad par la voie électorale du peuple syrien. Aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies ; pour cela, il faut commencer par arrêter de massacrer Alep. Je le répète, arrêter de massacrer Alep avec tous ceux qui en sont les complices. Il faut aussi arrêter de fermer les yeux.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2016