Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche à Radio Classique le 26 septembre 2016, sur le système universitaire français.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Bienvenue. Vous êtes chargé des universités dans le gouvernement de Manuel VALLS, François HOLLANDE va d'ailleurs parler des universités jeudi, si ma mémoire est bonne, est-ce que vous considérez que c'est la semaine où jamais pour lui, comme l'écrit par exemple Le Figaro ce matin ?
THIERRY MANDON
Toutes les semaines ce sont des semaines où jamais…
GUILLAUME DURAND
Non, mais là il y a un discours par jour, et, semble-t-il, il s'organise en sous-main.
THIERRY MANDON
Je ne sais pas s'il s'organise, mais il y a en effet une présence, en termes de discours, qui est assez forte cette semaine, mais je pense que ça continuera.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que ça veut dire qu'il pourrait prendre une décision à caractère présidentiel avant, justement, les primaires à droite ?
THIERRY MANDON
Je n'en sais rien.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous le souhaitez ?
THIERRY MANDON
Ce n'est pas ce qu'il a dit, il a dit décembre, et moi je pense que la France a besoin d'un président qui préside, elle n'a pas besoin pour l'instant d'un président en campagne.
GUILLAUME DURAND
Mais il est en campagne, de facto.
THIERRY MANDON
Il préside. Tant qu'il n'est pas candidat, il est président, le jour où il descend dans l'arène ce n'est plus le même sport, donc je pense qu'il a raison d'attendre.
GUILLAUME DURAND
Thierry MANDON, nous allons parler évidemment d'université, parce que ça pose des tas de problèmes, non seulement pour la France dans un contexte international, mais aussi parce que le fonctionnement de l'école, en général, l'université en particulier, est un problème à la fois social et conditionne aussi beaucoup, peut-être, ce qu'on peut appeler disons l'incohérence mémorielle d'un certain nombre de gens qui pratiquent le terrorisme dans tous les pays européens. Je reviens au contexte politique, est-ce qu'il faut vraiment, quand on est « Hollandais » aujourd'hui, tuer le MACRON ?
THIERRY MANDON
Moi, je pense que quand on est « Hollandais » au gouvernement, quand on est au gouvernement, on bosse, on ne s'occupe pas de la scène politique. Quand on est dans l'entourage du président il est logique qu'on ait un peu de peine après un départ comme celui d'Emmanuel MACRON, voilà, mais enfin il faut savoir dépasser, la vie politique elle est faite de ce genre de lâchages et il faut dépasser tout ça.
GUILLAUME DURAND
Vous avez l'air fataliste quand vous me parlez de ça ce matin, vous savez que c'est un vrai problème politique, parce qu'il n'y a pas d'espace pour les deux.
THIERRY MANDON
Ça, alors là, les configurations dans lesquelles il n'y en ait qu'un, en l'occurrence le président, qu'il soit candidat, existent, ou qu'ils soient candidats tous les deux, existent. La vie politique française a ceci, en ce moment, d'extraordinaire, vous la connaissez depuis un petit moment, moi aussi, que tout est possible. C'est la première fois où rien n'est écrit, tous les scénarii sont possibles. Elle est en fait en voie de recomposition profonde, et sur le fond, et aussi sur les profils…
GUILLAUME DURAND
Mais c'est la thèse de MACRON.
THIERRY MANDON
Non, c'est la thèse de…
GUILLAUME DURAND
Quand il dit que… de gaullistes, les grands partis politiques, c'est quand même une manière de…
THIERRY MANDON
Les grands partis sont évidemment complètement perturbés, ce n'est pas seulement en France, c'est dans tous les partis. Vous regardez, les Anglais la semaine dernière, aux Etats-Unis, en Allemagne, partout. Les scènes politiques des pays occidentaux, et je pourrais même dire les scènes héritées de la Seconde Guerre mondiale, avec des espaces très structurés, souvent bipolaires, tout ça est en train de voler en morceaux, parce qu'il y a de la mondialisation, parce que les questions sociales se posent de manière radicalement différente, donc il y a une recomposition partout.
GUILLAUME DURAND
CAMBADELIS qui promet plus de 500.000 membres du Parti socialiste, c'est une bérézina complète, et je dis ça, c'est un peu pareil pour les Républicains, ils ont prévu aussi d'atteindre le chiffre des 500.000, ils en sont très très loin.
THIERRY MANDON
Oui, alors, c'est deux situations différentes. Je ne crois pas que quand on est au gouvernement, quand on est un parti qui gouverne, on puisse multiplier par 3 ou 4 sont nombres d'adhérents, ça, ça n'existe pas.
GUILLAUME DURAND
C'est ce que CAMBADELIS avait déclaré.
THIERRY MANDON
C'est un souhait, en tout cas ce n'est pas ce qui est en train de passer, et ce n'est pas possible que ça se passe parce que, encore une fois, un parti de gouvernement il a du mal à augmenter ses troupes, ses effectifs, surtout dans les périodes difficiles que l'on connaît.
GUILLAUME DURAND
Les questions sont extrêmement importantes. Est-ce que vous êtes – c'est presque une question cérémonieuse – pour la sélection à l'université ?
THIERRY MANDON
Pas dans les discours, dans les actes. Il se trouve qu'au mois de mai dernier, avec la ministre Najat VALLAUD-BELKACEM, nous avons signé un décret, qui est paru au Journal Officiel, qui a rendu 1300 masters 2, la deuxième année de master, sélectifs. On l'a fait. Ça fait 14 ans que les universités le faisaient de manière clandestine, elles étaient condamnées parce qu'elles le faisaient, parce que ce n'était pas légal, et ça fait 14 ans que tout le monde, y compris ceux qui donnent des leçons de sélection, qui professent la sélection, mais qui détournent la tête…
GUILLAUME DURAND
A droite, en gros, on accuse la gauche de gouvernement aujourd'hui, d'avoir mis un terme à la sélection à l'université et à empêcher toute forme de redoublement dans l'école.
THIERRY MANDON
En tout cas, nous l'avons fait, moi je ne vous parle pas d'école, je vous parle d'université, nous l'avons fait, c'est fait, c'est du droit… et nous l'avons fait…
GUILLAUME DURAND
Il paraît que le master devait être… enfin, on devait accéder au master 25 % d'une classe d'âge, ça paraît quand même extrêmement…
THIERRY MANDON
Non, mais ça c'est des objectifs…
GUILLAUME DURAND
C'est complètement contradictoire.
THIERRY MANDON
Vous savez, aujourd'hui, c'est moins que ça…
GUILLAUME DURAND
18.
THIERRY MANDON
Oui, c'est ça, c'est 18, c'est moins que ça, mais c'est tout à fait atteignable, et c'est ce que tous les grands pays cherchent à faire, c'est-à-dire élever le niveau de qualification de leurs jeunes. Mais il ne faut pas le faire n'importe comment. D'abord, quand on a mis les masters 2 sélectifs, je reviens sur ce que je vous disais, on a dit ce n'est pas une bonne solution, le master c'est un bloc. Donc, il y a des masters génériques, dans lesquels, quand on a une licence, si la licence est de qualité, on doit rentrer, et il y a des masters spécifiques, avec des cursus particuliers, peut-être un peu plus de recherche qu'ailleurs, dans lesquels il est possible de recruter à l'entrée de ces masters 1, et non pas 2, c'est ce que nous essayons de faire par la négociation aujourd'hui.
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que vous n'avez pas le sentiment que justement c'est ce qui explique le succès des grandes écoles et le départ de beaucoup de bacheliers à l'étranger, parce qu'ils vont dans les systèmes ultra-sélectifs qui leur permettront d'accéder, en Angleterre ou ailleurs, à des boulots sérieusement. Parce que là on leur demande, par exemple mention très bien au Bac, et puis il n'y a pas de discussion.
THIERRY MANDON
Vous savez que le système universitaire français, contrairement à l'image qu'on en a, est un système très attractif, et quand on est fait…
GUILLAUME DURAND
Et alors pourquoi on est dans tous les tréfonds des classements ?
THIERRY MANDON
On n'est pas du tout dans les tréfonds.
GUILLAUME DURAND
Shanghai et les autres…
THIERRY MANDON
Classement Shanghai, oui, vous avez raison, mais alors pourquoi ? Parce qu'en France on a un problème, qui est vrai partout, c'est qu'on a 71 universités, plus un très grand nombre de grandes écoles, on est complètement atomisé. On n'a que des petites structures, qui n'arrivent pas à se fédérer pour travailler ensemble, et c'est pour ça qu'on…
GUILLAUME DURAND
Même Normale Sup, qui est quand même la quintessence en France, ça arrive au-delà de la 50e place, c'est-à-dire à des années lumières de Harvard, de Cambridge, d'Oxford, de UCL à Londres…
THIERRY MANDON
Harvard, ils sont malins, Harvard, j'y étais il y a 15 jours. Harvard, c'est une marque Harvard, qui regroupe une dizaine d'unités particulières, sauf que dans le classement de Shanghai ce n'est pas les unités particulières qui existent, c'est la marque Harvard, mais il y a une école de droit, il y a une école de management, il y a plusieurs écoles, dans Harvard. Et en France, c'est ce qu'on essaye de faire, mais pour l'instant on n'est pas capable de fédérer les gens, tout en gardant leur identité.
GUILLAUME DURAND
Je vais essayer de vous croire, mais vous savez qu'à gauche il y a toujours eu, quand même, une sorte de pédagogisme qui voulait que finalement l'université – autrement il n'y aurait pas eu l'année dernière la révolte d'un certain nombre d'intellectuels contre la réforme des collèges, qui en ont par-dessus la tête que…
THIERRY MANDON
Non, mais vous mélangez université et collège.
GUILLAUME DURAND
Non, je ne mélange pas, mais c'est une réflexion, en général, de la société sur l'éducation.
THIERRY MANDON
Eh bien, pour ce qui est des universités de l'enseignement supérieur, le pays a deux nécessités absolues. Premièrement, élever le nombre de ceux qui rentrent à l'université, comme le font tous les pays développés aujourd'hui, aux Etats-Unis la campagne se joue sur la gratuité d'accès à l'enseignement supérieur, après l'équivalent du baccalauréat, au collège, premièrement.
GUILLAUME DURAND
Je peux vous poser une question là-dessus ?
THIERRY MANDON
Oui.
GUILLAUME DURAND
… validité d'un examen dans ces cas-là ?
THIERRY MANDON
Mais l'examen c'est le Bac, c'est pour ça qu'il faut que le Bac soit de qualité.
GUILLAUME DURAND
Oui, mais il y a 92 % de reçus.
THIERRY MANDON
Eh bien le Bac doit être un examen de qualité…
GUILLAUME DURAND
Ce n'est pas un examen, il y a plus de… au baccalauréat qu'au permis de conduire.
THIERRY MANDON
De qualité, parce qu'il y a différents Bacs, il y a le Bac professionnel, il y a le Bac technologique, c'est pour ça qu'il y a 92 %, ce n'est pas le Bac général qui fait 92 % de réussite, c'est l'ensemble des Bacs, et d'ailleurs il faut une orientation bien organisée, à partir du moment où vous avez un Bac, pour vous permettre de réussir. Mais tous les pays développés ont intérêt à monter leur niveau de… donc, premièrement, démocratiser, et deuxièmement, mettre de l'exigence, de la qualité. Il faut une certification qualité de l'enseignement supérieur dans toutes les formations. Il faut être beaucoup plus exigeant qu'on ne l'est encore, et les universités essayent, de ce point de vue là, de faire des innovations tout à fait intéressantes, les présidents d'université, je pourrais vous citer plein d'exemples, il faut mettre tout ça sous tension de la qualité. Et mon sentiment c'est que, pour y arriver, il faut faire une chose qu'on n'a jamais faite en France, on a l'enseignement supérieur d'un côté, on a la recherche de l'autre, c'est deux univers qui cohabitent, ils doivent être beaucoup plus imbriqués qu'ils ne sont, c'est le grand chantier que je mène d'ici la fin de l'année.
GUILLAUME DURAND
Deux questions. Je prends par référence à l'entretien qui a été donné par le patron de Sciences Po, qui dit à la fois on est université d'élites, mais en même temps il faut que la diversité rentre à Sciences Po. Alors, du coup, qu'est-ce que devient l'examen à la JUPPE, à la CHEVENEMENT ou à la Bruno LE MAIRE, ou à la Thierry MANDON ? Parce que finalement, si on dit qu'il faut augmenter les gens qui sortent des quartiers bourgeois classiques et qui bénéficient d'un héritage culturel, c'est contre la nature même d'un examen, qui doit être anonyme et qui ne doit pas intégrer ce genre de considération.
THIERRY MANDON
D'abord, Sciences Po c'est une grande école, ce n'est pas une université…
GUILLAUME DURAND
Je sais.
THIERRY MANDON
Ils ont une sélection. A partir du moment où une école a une sélection, elle définit elle-même les critères de cette sélection. Si elle considère…
GUILLAUME DURAND
Donc ce n'est plus l'examen.
THIERRY MANDON
Bien sûr, elle définit elle-même les critères. Si elle considère que la diversité de sa composition sociale est un objectif, et moi je me réjouis qu'une école comme Sciences Po le considère, alors elle fait les critères qui lui permettent d'obtenir…
GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire qu'on obtient des notes à l'écrit et on se fait taper à l'oral parce que, par exemple si on vient des quartiers de l'Ouest de Paris c'est cuit.
THIERRY MANDON
Dans une école sélective, ce qui compte c'est les critères de sélection, qui soient publics, qui soient connus…
GUILLAUME DURAND
Mais ce n'est pas dit…
THIERRY MANDON
Le fait qu'ils veuillent de la diversité… et pourquoi ils veulent de la diversité ? Ils ont bien raison…
GUILLAUME DURAND
Je n'ai pas dit que j'étais contre !
THIERRY MANDON
Non, non, mais je réponds…
GUILLAUME DURAND
J'ai dit qu'il y a un soupçon d'hypocrisie dans toute cette affaire-là.
THIERRY MANDON
Non, mais c'est très important. Pourquoi ils veulent de la diversité sociale ? Parce que les leaders, les managers de demain, qu'ils soient publics, dans les administrations, ou qu'ils soient privés, dans les entreprises, ils auront besoin de composer avec la diversité, parce que dans une économie mondialisée, ce n'est pas vrai que des classes dirigeantes, homogènes socialement, sont à même de faire face aux défis qui…
GUILLAUME DURAND
Donc il y a une pratique plus ou moins clandestine.
THIERRY MANDON
Eh bien il faut qu'ils aillent plus loin dans leurs principes de sélection, mais encore une fois, qu'une grande école sélectionne, à plus forte raison si elle veut de diversité sociale, personnellement ça ne me choque pas.
GUILLAUME DURAND
Dernière question avec Thierry MANDON, mais pardonnez-moi, je vais vous demander de répondre très rapidement. Vous êtes chargé de l'université au gouvernement, est-ce que ce n'est pas une absurdité, à l'époque de l'algorithme, de parler des Harkis et des Gaulois ?
THIERRY MANDON
Ce n'est pas la même chose !
GUILLAUME DURAND
Non, mais enfin bon !
THIERRY MANDON
Ce n'est pas la même chose, il y a deux faits historiques…
GUILLAUME DURAND
Moi qui étais prof d'Histoire, je reconnais cette nécessité, mais aujourd'hui, dans une campagne électorale, est-ce qu'on ne ferait pas mieux de parler de ce qui se passe dans le monde d'aujourd'hui que de ce qui s'est passé…
THIERRY MANDON
Moi, je crois, quand on a un rapport à l'Histoire, quand on ferme des blessures, ce qui est le cas du débat sur les Harkis, c'est une bonne chose. Quand on crée des blessures, des plaies même, béantes, avec cette histoire de tous les Français, celui qui a la nationalité française a forcément pour ancêtres les Gaulois, c'est très maladroit.
GUILLAUME DURAND
Ou les tirailleurs Sénégalais.
THIERRY MANDON
Et donc, il y a un usage de l'Histoire, il y a un bon usage de l'Histoire, qui panse des blessures, et il y a un mauvais usage de l'Histoire, qui est utilisé pour diviser, et excusez-moi de vous dire que dans cette affaire, le président a raison, et Nicolas SARKOZY n'est pas digne du président de la République qu'il a été.
GUILLAUME DURAND
Thierry MANDON était notre invité ce matin, il est chargé de l'université dans le gouvernement de Manuel VALLS. Bonne journée à vous. Le discours sur les universités aura lieu jeudi, par François HOLLANDE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2016