Article de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 29 octobre 2001, sur le projet de loi de programmation militaire 2003 - 2008, intitulé "Défendre l'armée, aujourd'hui pour demain".

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

La condamnation des attentats commis aux Etats-Unis est déterminante et unanime. Il apparaît évident que le devoir de la France est d'être exemplaire dans la lutte contre le terrorisme international. La Police, la gendarmerie et l'armée ont donc des responsabilités essentielles.

Pour ce qui concerne nos forces armées, la question que nous nous posons tous est de savoir si aujourd'hui et demain la France a ou disposera des moyens militaires pour défendre ses intérêts et assumer ses devoirs internationaux ? Nos armées sont-elles contraintes, à l'heure actuelle, à intervenir de manière ponctuelle et limitée, ou s'agit-il d'un choix politique délibéré ?
Certes, nous ne participons pas aux frappes aériennes mais, sans entrer dans les détails, rappelons que deux bâtiments français coopèrent au dispositif naval de l'opération " liberté immuable ", que de nombreux moyens techniques, maritimes, aériens et terrestres participent activement au recueil du "renseignement" et l'on comprendra aisément les raisons pour lesquelles nos militaires restent discrets sur le sujet.
Nous le savons une équipe française aux ordres d'un officier général, est intégrée à l'Etat-major du commandement central américain basé à Tampa en Floride et responsable de la préparation et de la conduite des opérations militaires en Afghanistan.
Sans disposer, à l'instar des Etats-Unis, de la gamme complète des attributs de la puissance militaire - l'absence de permanence à la mer de notre groupe aéronaval est, à cet égard, éloquente - la France n'en a pas moins des atouts évidents pour faire respecter ses valeurs et ses intérêts dans le monde.
La professionnalisation de notre outil de défense en premier lieu, voulue et décidée par le Président de la République en 1996, nous permet de disposer dès aujourd'hui d'une armée, certes plus ramassée en effectif, mais plus disponible, plus réactive, mieux entraînée et donc, plus efficace.
L'armée de terre n'atteindra son format prévu en engagés volontaires qu'à la fin de l'année 2002. Pourtant, elle est d'ores et déjà en mesure de déployer en quelques semaines sur un théâtre d'opération extérieur, une division de vingt mille hommes sans pour autant réduire le niveau de son engagement dans les Balkans, de son déploiement en Afrique et ailleurs dans le monde, de son implication dans le renforcement du plan " Vigipirate " ou dans le dispositif de sécurité organisé autour de la mise en place de l'Euro sur le territoire français.
De même, nos forces aériennes sont capables de projeter cinquante avions de combat, avec tout l'environnement nécessaire à leur engagement opérationnel, en un mois. Ce même délai permettrait de déployer, dans l'Océan Indien par exemple, une capacité maritime d'évaluation autonome de situation et un groupe amphibie qui, en quelques semaines, pourraient être renforcés par un groupe naval de guerre des mines et, par notre groupe aéronaval qui sera disponible à partir du mois de décembre.
La modestie apparente, et sans doute temporaire, de notre implication dans la riposte militaire en Afghanistan relève donc d'autres contraintes que de supposée faiblesse actuelle de nos moyens. Celle-ci ne correspond pas à la réalité et les Français ne doivent pas s'en émouvoir.
En revanche, l'avenir de notre outil de défense peut, et doit, légitimement inquiéter nos compatriotes.
Le projet de loi de programmation militaire, couvrant la période 2003-2008, adopté le 31 juillet dernier en Conseil des ministres n'est pas satisfaisant. Il l'est d'autant moins que le budget de nos armées pour 2002 qui sera présenté ces prochains jours à l'Assemblée nationale hypothèque gravement notre capacité de défense.
Certes le projet de titre III, qui regroupe les crédits de rémunération, d'entraînement et de fonctionnement, peut être considéré comme à peu près satisfaisant.
Il comprend quelques mesures catégorielles d'un niveau modeste. Le taux d'activité des forces augmente, sans toutefois rejoindre le niveau de celui des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne.
Mais deux défis sérieux restent à relever : le sous-effectif en personnel civil et la revalorisation de la condition militaire.
Surtout, le niveau du budget d'équipement (titre V) compromet assurément l'avenir de notre armée.
Les crédits de paiement sont en retrait de plus de 7 MdF par rapport à la revue des programmes de 1998 et de plus de 11 MdF par rapport au niveau initial fixé par la loi de programmation 1997-2002.
Le retard cumulé pendant l'exécution de cette loi de programmation porte sur 16 % des crédits, soit une année budgétaire. Certes le ministère de la Défense prétend avoir réalisé dans la même période une économie de 60 milliards de francs. Mais dans les unités, on ne s'y trompe pas. Le retard est patent pour tous les programmes et le taux élevé d'indisponibilité des équipements traduit à la fois son vieillissement et l'insuffisance des crédits d'entretien.
Le projet de loi de finances pour 2002 est également catastrophique dans le domaine des autorisations de programme puisqu'il reporte sur 2003 plus de 8 milliards de francs de charge.
En résumé, le projet de budget d'équipement des armées ne mettra pas demain, nos militaires, en mesure de remplir leur mission. Il constitue une nouvelle encoche sérieuse par rapport aux engagements pris par le gouvernement à la revue des programmes de 1998. Il reporte sur la future loi de programmation des commandes qui relèvent de la loi actuelle. Il décrédibilise la future loi de programmation en s'écartant fortement du niveau de ressources prévu pour 2003 (8 MdF d'écart). Il traduit aux yeux de nos partenaires et de l'opinion publique française le peu de priorité accordé par ce gouvernement à la défense. Il accroît le décalage consenti depuis quatre ans avec notre partenaire britannique qui consacre 15 MdF de plus par an à l'équipement des armées.
Les Français s'inquiètent à tort de la capacité de leurs armées à répondre aux défis qui leur sont lancés aujourd'hui. En dépit des capacités qui leur font défaut, nos forces ont les moyens de participer à un niveau élevé à la lutte engagée contre le terrorisme. Mais les choix faits par le gouvernement dans le projet de loi de budget pour 2002 font peser une grave hypothèque sur l'avenir. Au minimum, on peut s'interroger sur la sincérité de ceux qui ont proposé pour la future loi de programmation militaire un niveau de ressources financières pourtant modeste, mais qu'ils n'ont en aucun cas l'intention de respecter.
Nous ne pouvons pas accepter le double langage du Gouvernement. Le niveau de ressources consacré aux armées sera le reflet de l'ambition que nous avons pour la France. La force d'une Nation ne se juge pas seulement à ses performances économiques et sociales, mais aussi à sa capacité à défendre ses intérêts, sa place dans le monde et de peser sur le cours des événements quand surgit la menace.
(source http://www.rpr.asso.fr, le 5 novembre 2001)