Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec CNN le 27 septembre 2016, sur la situation en Syrie.

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Média : CNN

Texte intégral

Q - Quelle est la proposition de la France pour essayer de résoudre le problème syrien et pour arrêter que des dizaines de milliers de personnes fuient et qu'il y ait des milliers de morts ?
R - Cinq ans que cette guerre fait rage et elle est atroce. C'est un régime qui assassine son propre peuple, Alep est une ville martyre. Alors, peut-on laisser faire ? Peut-on fermer les yeux ?
La semaine de l'assemblée générale des Nations unies a été l'occasion de multiplier les échanges avec des réunions au conseil de sécurité. Pourtant, nous n'avons pas réussi à mettre en oeuvre un accord de cessez-le-feu qui avait été négocié avec John Kerry et Sergueï Lavrov et nous atteignons les limites de cette méthode. C'est la raison pour laquelle il faut être beaucoup plus ferme et beaucoup plus clair, en particulier vis-à-vis de la Russie et de l'Iran, mais avec la Russie en particulier. En effet, les bombardements d'Alep par le régime ne sont possibles que parce que la Russie y contribue. Nous l'avons dit à Boston avec John Kerry et mes homologues allemand et britannique dans le groupe de Quint, il faut absolument que les Russes prennent leurs responsabilités, car sinon, ils peuvent être complices de crimes de guerre.
Q - Il faut le dire et vous le dites, mais cela n'a pas d'impact ?
R - On a tenté des négociations à Genève pour obtenir un cessez-le-feu qui ne se sont pas concrétisées. Il y a donc un problème de confiance. Lorsque nous nous sommes réunis dans le groupe de soutien à la Syrie, j'ai assisté à cette compétition verbale entre le Russe et l'Américain, les autres étaient spectateurs. Au nom de la France, j'ai fait la proposition de mettre en place un mécanisme de contrôle d'un cessez-le-feu, auquel seraient non seulement associés la Russie et les États-Unis comme c'est actuellement le cas, mais avec aussi avec les pays membres du groupe de soutien qu'ils soient européens ou arabes qui pourraient contrôler la mise en oeuvre du cessez-le-feu, contrôler les conditions d'accès de l'aide humanitaire pour créer des conditions de confiance pour redémarrer les négociations de paix. Il faut être clair, il n'y aura jamais de solution militaire.
Q - Le régime est donc bien plus concerné par les attaques des rebelles modérés que par l'État islamique ou d'autres groupes extrémistes. Comment les convaincre de ne pas survoler ?
R - Il faut convaincre la Russie et l'Iran qui sont partie prenante de la guerre. Il y a sur place un peu plus de 5.000 soldats russes et plusieurs milliers d'Iraniens du Hezbollah.
Le régime a utilisé les armes chimiques. J'ai proposé au nom de la France que le conseil de sécurité, dans le cadre du chapitre VII qui permet des sanctions possibles, condamne l'usage des armes chimiques. Est-ce acceptable d'utiliser de telles armes ? Nous verrons bien ce que la Russie fera. S'il y a un vote au conseil de sécurité, la Russie pourra-t-elle utiliser son droit de veto ? Peut-elle prendre cette responsabilité morale à l'égard de la communauté internationale en fermant les yeux sur l'usage d'armes chimiques ?
C'est un exemple concret de ce que l'on peut faire.
Q - Vous dites à la Russie en fait qu'elle ne peut pas, moralement, s'opposer à une résolution qui condamne l'usage d'armes chimiques. C'est une solution diplomatique, mais cette solution pourra-t-elle arrêter la guerre ?
R - Et quelle serait l'autre solution ? On aurait pu organiser des frappes contre le régime. La France était partisane de le faire en 2013, vous vous en souvenez, après l'usage des armes chimiques par Bachar al-Assad qui était la ligne rouge. Nous étions d'accord avec les Américains et les Britanniques pour dire que si elle était franchie, alors nous organiserions des frappes aériennes sur les forces militaires de Damas. Mais cela n'a pas eu lieu.
Q - Pourquoi, est-ce à cause de Barack Obama ?
R - C'est la décision souveraine des États-Unis et du Royaume-Uni, c'est du passé. Nous sommes maintenant dans un autre contexte, alors que fait-on ? Ferme-t-on les yeux, laissons-nous faire le massacre d'Alep ? J'ai dit que nous ne pouvions pas accepter cela.
Q - So, diplomacy, not more military involvement, not «no fly zones»
R - Pour avoir des «fly zones», il faut se donner les moyens militaires. La question s'est posée en 2013, la position de la France a toujours été claire, elle reste claire mais nous ne pourrons pas agir seuls.
Q - If there are other countries willing to participate in the imposition of the no fly zones in Syria, you would, in essence, support that?
R - Je pense qu'il faut privilégier la voie de la négociation, la voie politique. À condition d'être ferme...
Il faut être plus ferme. Il est vrai que ces dernières semaines, il y a eu une tentative sincère de mon ami et homologue, John Kerry, de négocier avec Sergueï Lavrov, mais on a vu que c'était une impasse. Maintenant, il faut parler d'une même voix, avec beaucoup plus de fermeté. C'est ce que nous avons fait à Boston quand nous nous y sommes retrouvés samedi dernier pour dire à la Russie : «Prenez vos responsabilités, car si vous ne les prenez pas, alors vous serez coupables de complicité de crimes de guerre». Ce n'est pas rien de dire cela.
Q - What do you make of Donald Trump's proposals in terms of foreign policy specifically, since you are the French Minister of Foreign Affairs?
R - Je ne sais pas exactement quelle est la position de politique étrangère de Donald Trump, c'est très confus, je dois vous le dire sincèrement. Bien sûr, en tant que Français et ministre des affaires étrangères de la France, je n'ai pas à dire au peuple américain ce qu'il doit voter. En même temps, je dois vous dire aussi que le nouveau président des États-Unis, il est important pour ce pays bien sûr, mais il est aussi important pour le monde. Nous avons évoqué le dossier syrien et nous sommes des alliés très chers des États-Unis, depuis longtemps.
Je connais un peu Hillary Clinton, c'est une personnalité de qualité. Quand elle était secrétaire d'État, elle a fait un travail formidable et elle était tout à fait à la hauteur de ses responsabilités. M. Donald Trump a eu des mots très durs contre la France, justement lorsque la France souffrait, il a tenu des propos de méfiance à l'égard des Français et ce sont des paroles que je n'oublie pas.
Il a dit aussi que, si les armes étaient en vente libre en France, les choses iraient mieux car les Français auraient pu se protéger. En France aujourd'hui, nous tentons de lutter contre tous les trafics d'armes clandestins qui peuvent exister en France et en Europe afin de ne pas permettre aux groupes terroristes de disposer d'armes pour attaquer les Français ou les Européens.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2016