Texte intégral
Merci Mesdames et Messieurs pour votre patience.
J'ai donc terminé mes entretiens avec John Kerry et Susan Rice, qui ont été particulièrement fructueux et qui m'ont permis de constater une vraie convergence de vue. Nous partageons la même indignation. Ce qui se passe à Alep est une épreuve terrible pour les populations civiles qui sont depuis des semaines sous les bombes de Bachar al-Assad, de son régime et de ses alliés.
Le secrétaire général des Nations unies a parlé de crimes de guerre. C'est la réalité, quand on bombarde un système d'alimentation en eau potable, ce n'est pas une cible militaire ou terroriste ; quand on bombarde un hôpital c'est la même chose ; quand on bombarde une école c'est la même chose. Donc il y a une révolte de la conscience humaine qui exige qu'un cessez-le-feu intervienne le plus vite possible.
C'est la proposition qu'a fait la France d'une résolution au conseil de sécurité des Nations unies pour que soit décidé le cessez-le-feu et l'arrêt des bombardements et des survols et que soit organisé immédiatement l'accès de l'aide humanitaire aux populations en danger. J'ai dit la même chose à Sergueï Lavrov à Moscou, j'ai dit mon inquiétude et mon indignation, mais j'ai dit mon espoir aussi que la Russie ne voudra pas être complice de ce drame terrible qui laissera des traces dans l'histoire de l'humanité.
J'ai encore l'espoir qu'une résolution soit votée et qu'elle puisse être mise en oeuvre, c'est tout le combat qu'il reste encore à faire dans les heures qui viennent. La France n'a pas ménagé ses efforts, comme je m'y suis engagé hier à Moscou auprès de Sergueï Lavrov, nous avons écouté le point de vue des autres membres du conseil de sécurité des Nations unies et amendé notre texte, amélioré notre texte, tenu compte des propositions des uns et des autres, mais avec deux lignes de force, deux lignes de force qui elles n'étaient pas négociables : c'est l'arrêt des bombardements et des survols sur Alep, et l'arrêt des massacres, l'arrêt de la destruction de cette ville dont Staffan de Mistura dit que, si on continue, elle sera rasée avant Noël. Nous ne pouvons pas l'accepter, donc cela ce n'est pas négociable. La deuxième chose qui n'est pas négociable, c'est l'arrivée le plus vite possible de l'aide humanitaire et cela sans aucune entrave.
Alors, il faut donc continuer à convaincre, c'est un travail, c'est un engagement, il est sans faille, en tout cas c'est celui de la France, c'est celui que je proclame auprès de tous mes interlocuteurs, qu'ils soient russes, qu'ils soient américains, qu'ils soient tous nos partenaires et en particulier ceux qui siègent au conseil de sécurité des Nations unies. Je me rendrai moi-même à New York pour défendre cette résolution.
Nous partageons aussi un combat qui est le combat contre le terrorisme. Ce combat contre le terrorisme nous le menons et nous allons continuer de le mener contre Daech ; nous le menons et nous continuerons à le mener contre Al-Nosra, contre Daech et Al-Qaida. Nous le menons d'ailleurs à Mossoul - la coalition est en train de préparer l'offensive sur Mossoul - nous allons le mener et continuer à le mener sur Raqqa où sont installées les organisations du terrorisme qui non seulement détruisent cette région du Moyen-Orient, mais qui nous menacent nous en France et en Europe et dans d'autres pays du monde.
Cette bataille nous ne pouvons que la mener ensemble, non seulement avec les Américains mais aussi avec toutes les composantes de la coalition internationale. Et nous devons aussi dire aux Russes : nous avons besoin de travailler avec vous pour combattre le terrorisme. Combattre le terrorisme ce n'est pas combattre le peuple syrien, le peuple syrien souffre depuis plus de 5 ans désormais avec plus de 300.000 morts, dix millions de personnes déplacées, dont beaucoup de réfugiés qui sont venues en Europe ou qui restent au bord de la frontière syrienne avec le secret espoir de retourner dans un pays reconstruit. Donc notre objectif, c'est bien la reconstruction de la Syrie. Une reconstruction d'un État, d'un État démocratique, d'un État non-confessionnel, d'un État qui respecte les communautés, et d'un État qui permette à la population de retrouver un avenir, un destin, et de revenir habiter là où ils ont toujours vécu. Pour cela il faut un processus de paix.
Donc, la résolution que nous présentons, c'est l'étape pour l'urgence : cessez-le-feu, arrêt des bombardements, aide aux populations civiles mais aussi créer les conditions de la reprise du processus de paix et de la négociation. Il n'y a pas d'autre voie. Il n'y aura pas de victoire militaire en Syrie. Sinon, c'est accepter une partition ou une balkanisation de la Syrie, et, au fond, laisser pour longtemps des espaces considérables pour les djihadistes et les terroristes de continuer leur action, ce qui détruira cette région et qui nous menacera encore pendant longtemps. Voilà l'enjeu, voilà la raison de la mobilisation de la France, voilà la raison de ces déplacement qui se sont faits dans l'urgence ; parce qu'il y a urgence.
Q - Monsieur le Ministre vous avez parlé d'un «moment de vérité» demain. Qu'entendez-vous par là ?
R - C'est très clair et très simple : chacun est face à ses responsabilités et face à sa conscience. Peut-on laisser continuer à détruire Alep et sa population ? La question est claire et la réponse est claire. Chacun devra, au moment du vote de cette résolution, décider de ce qui lui paraît essentiel et en fonction des valeurs qu'il défend qui sont celles de la communauté internationale. Nous sommes évidemment membres les uns et les autres de l'ONU qui a pour base une charte, donc des textes, des orientations, des principes, des lois internationales, et c'est cela qui doit nous animer avant tout le reste.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous toujours l'espoir que la résolution française soit mise en oeuvre ? Pourquoi vous reste-t-il cet espoir, sachant que la Russie a déjà donné son véto à d'autres résolutions du CSNU - et Moscou a également annoncé qu'elle opposerait son véto à votre projet de résolution ?
R - On verra, je le répète encore, chacun sera face à sa conscience et à ses responsabilités - et face à la conscience mondiale. Je ne peux pas préjuger du vote, mais la France agit en toute indépendance avec ses valeurs, avec les combats auxquels elle croit. La France ne renonce pas et ne renoncera jamais quelles que soient les difficultés, quels que soient les obstacles. Je sais qu'il y en a eu et qu'il y en aura encore. Mais nous devons les surmonter.
En tout cas, je n'imaginerais pas que parce que c'est difficile, on ne ferait rien et qu'on serait déjà résignés à ne rien faire. Je vois que chaque jour qui passe, des gouvernements qui s'étaient tenus assez loin de la question syrienne sont en train de déclarer qu'on ne peut pas en rester là. Car l'indignation des peuples, qui voient passer en boucle ces images de destruction est tellement forte qu'aujourd'hui, une prise de conscience est en marche, et j'espère que ceux qui aujourd'hui résistent cherchent des arguties et non des arguments, se rendent compte que s'ils ne prennent pas leurs responsabilités, c'est une tâche qui restera.
Q - Monsieur le Ministre, s'il-vous-plaît. There is some talk within the US administration about taking measures, further measures, against Russia and the Syrian regime for what you and Secretary Kerry have called war crimes in an order to get more leverage. Is France prepared to work with the US about further measures against Russia and the regime whether it be military measures on the ground or perhaps additional sanctions on those responsible?
R - Cette question m'a été posée à Moscou comme à Washington. Nous en avons dbattu. Aujourd'hui, il y a une étape, c'est le conseil de sécurité. Puis il y a une priorité : protéger les populations d'Alep, sauver leurs vies, sauver cette ville et ce pays de la destruction. Puis il y a une autre priorité, c'est le combat contre le terrorisme. À chaque étape, nous verrons quelle est la suivante, quelles initiatives nous devons prendre. Mais pour l'heure, nous sommes dans une bataille politique, une bataille de conscience et celle du conseil de sécurité des Nations unies.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2016