Texte intégral
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, merci de venir devant nous faire le point sur lactualité récente. Cette réunion, je le précise, est fermée à la presse.
Nous parlerons principalement de la tragédie syrienne. La violence atteint des niveaux inégalés. Un espoir, certes fragile, était né avec laccord russo-américain, mais chacun sait que le cessez-le-feu na pas tenu. Loffensive du régime appuyé par les Russes, à moins que ce ne soit linverse, fait dAlep une ville martyre ; un convoi humanitaire du Croissant rouge a été bombardé. Les « casques blancs » eux-mêmes ne peuvent plus intervenir. Les États-Unis tiennent la Russie et le régime pour responsables de cette escalade et soupçonnent la Russie de double jeu ; la Russie, elle, dénonce la responsabilité de lopposition, qui a refusé laccord du 9 septembre, comme des Américains, qui nauraient pas tenu leurs engagements et ont multiplié les conditions.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré que « le régime de Bachar al-Assad [avait] manifestement fait le choix de lescalade militaire » ; vous avez appelé la Russie et lIran « à se ressaisir et à faire preuve de responsabilité en mettant un coup darrêt à cette stratégie qui conduit à limpasse. Sinon », ajoutiez-vous, « la Russie et lIran seront complices des crimes de guerre commis à Alep ». Les bombardements incendiaires sont en effet des crimes de guerre.
Tout cela est évidemment très inquiétant. Quelle est la stratégie des Russes ? Nont-ils pas utilisé la diplomatie comme un écran de fumée destiné à camoufler une logique uniquement militaire, visant à aider le régime syrien à reconquérir lintégralité de son territoire ? Peut-on redonner vie à laccord russo-américain du 9 septembre dernier, aujourdhui la seule proposition sur la table ?
Vous avez proposé au Conseil de sécurité la mise en place dun mécanisme de suivi du cessez-le-feu qui rassemblerait tous les membres du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS). Ce changement de méthode permettrait peut-être de mieux identifier les responsabilités des uns et des autres, et de réinstaurer un peu de confiance. Où en est-on sur ce point ?
Vous avez également proposé une résolution du Conseil de sécurité sous le chapitre VII, afin de mettre en uvre des sanctions contre lusage des armes chimiques, établi par le mécanisme denquête et dattribution des Nations Unies. Des investigations complémentaires sont en cours : vous nous direz où lon en est.
Quelle appréciation portez-vous sur les dernières initiatives de la Turquie, qui lui ont permis de sécuriser sa frontière ?
Enfin, nous pourrons aborder brièvement la situation en Libye, mais aussi au Gabon, toutes deux très inquiétantes.
M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international. Merci, madame la présidente. Lactualité est en effet particulièrement dramatique. Je reviens de lAssemblée générale des Nations Unies ; le conflit syrien a bien sûr été au cur des débats. La France avait pris linitiative de réunir les pays dits affinitaires ; jai participé à deux réunions du GISS, à la réunion de haut niveau du Conseil de sécurité et à de nombreuses rencontres bilatérales qui ont permis dévoquer cette crise.
Vous avez décrit la tragédie syrienne. Les bombardements sur Alep sintensifient dheure en heure ; « ville martyre », ce nest pas une formule : cela se terminera en charnier, ou en colonnes de réfugiés. Les victimes civiles sont déjà extrêmement nombreuses.
Il y a eu lespoir, très fragile, dun cessez-le-feu. Des négociations entre les deux co-présidents du GISS étaient en cours depuis des mois ; John Kerry, très engagé, nous a tenus au courant au fur et à mesure. Vous connaissez la suite : une soixantaine de soldats syriens ont été tués et cent cinquante blessés par des bombes américaines. À la suite de ce que les Américains ont qualifié derreur malencontreuse, le régime a choisi de reprendre ses attaques contre Alep. Etait-ce un prétexte ? Quant au convoi daide humanitaire du Croissant rouge et de lONU, il a effectivement été bombardé et il semblerait que les Russes aient participé à cette attaque.
Voilà la réalité. Laccord qui a fini par nous être présenté par les Etats-Unis était de toute façon extrêmement fragile. Il ny a plus de cessez-le-feu ; il est pourtant indispensable.
La France na cessé de tout faire pour cela et pour sortir du tête-à-tête russo-américain qui a atteint ses limites. Nous avons en particulier proposé, dès lundi dernier à New York, un mécanisme de surveillance du cessez-le-feu et des conditions de distribution de laide humanitaire qui associerait tous les membres du GISS, et pas seulement les Russes et les Américains. Cette idée a fait son chemin et la majorité des membres du GISS se la sont aujourdhui appropriée. Des réticences demeurent du côté des Russes et des Américains.
À linvitation de John Kerry, les membres du Quint États-Unis, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et France se sont, à lissue de la semaine ministérielle de lAssemblée générale des Nations Unies, retrouvés à Boston. La discussion a été extrêmement franche, notamment sur la négociation russo-américaine. Les Américains ont cru quils pourraient obtenir un cessez-le-feu en contrepartie dune action commune pour lutter contre al-Nosra, devenue Fatah al-Cham, et séparer les groupes de lopposition modérée de cette organisation terroriste. Il nétait pas question, dans cet accord, des conditions dans lesquelles il serait possible de reprendre des négociations politiques à Genève.
La France ne sest pas opposée à cet accord, intervenu le 9 septembre, qui était la seule proposition sur la table pour aboutir à une cessation des hostilités. Mais, malheureusement, la trêve na pas tenu.
Face à la reprise des combats, à Boston, nous avons publié une déclaration très ferme demandant que le Conseil de Sécurité agisse. Nous avons, dans la foulée, avec les Etats-Unis et le Royaume Uni, demandé la convocation dune réunion durgence du Conseil de Sécurité qui sest tenue le dimanche. Le principe dune résolution condamnant lusage des armes chimiques, que la France soutient, a été également retenu. Les Américains, tant quils négociaient avec les Russes, ne souhaitaient manifestement pas mettre en avant cet aspect. Cétait là pourtant, je le rappelle, la « ligne rouge » qui ne devait pas être franchie et qui la été en 2013 ce qui avait motivé le projet français de frappes aériennes auquel les Américains et les Britanniques avaient finalement renoncé à sassocier. Cette résolution est nécessaire et aura le mérite de mettre les Russes face à leurs responsabilités, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Le mécanisme conjoint denquête et dattribution, le JIM (Joint Investigative Mechanism), mandaté par le Conseil de sécurité, poursuit son travail jusquau 31 octobre et soumettra un nouveau rapport qui malheureusement confortera le précédent et sera une base solide pour agir.
Il faut maintenir la pression. Le régime a un but : prendre Alep, avec le soutien des forces russes, sans parler des forces iraniennes, du Hezbollah Il y a tout de même de nombreux soldats russes sur le terrain. Nous devons, je le dis sans ambiguïté devant vous, parler avec les Russes. Mais nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas voir quils soutiennent avec dautres, comme les Iraniens lobjectif militaire du régime de Bachar al-Assad : faire tomber Alep et créer une partition de facto du pays, autour dune « Syrie utile » comprenant Damas, Homs, Alep et Lattaquié. Avec ce nouveau rapport de forces, les négociations de paix telles que nous les avions imaginées ne pourraient repartir que sur des bases entièrement différentes. Cest la réalité et je lai dénoncée au Conseil de sécurité.
Il faut pousser les Russes à créer les conditions qui permettront une reprise des négociations à Genève en vue dune solution politique ; aujourdhui, Staffan de Mistura est contraint à linaction. Or, nous navons pas dautre objectif que la reprise des négociations, tant il est clair quil ny aura pas de solution militaire à ce conflit. Il y a aujourdhui plus de 300 000 morts, et plus de dix millions de personnes déplacées. Je me suis rendu au Liban, où jai rencontré quelques-uns de ces réfugiés : ce quils voudraient, cest retourner chez eux. La majorité des réfugiés syriens, il faut le redire, ne sont pas en Europe ! Ils sont surtout à la frontière syrienne : 2,5 millions en Turquie ; un peu moins dun million en Jordanie ; près de 2 millions au Liban. Je nai pas besoin de souligner ici les risques de déstabilisation de ces pays quengendre une telle situation.
Quant à la Turquie, elle sest engagée beaucoup plus nettement dans la lutte contre le terrorisme. Elle est elle-même violemment touchée, y compris par les actes terroristes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), que nous condamnons nous considérons le PKK comme terroriste. Elle est aujourdhui beaucoup plus nettement engagée contre Daech avec la volonté dassurer la protection de sa frontière avec la Syrie, ce qui est légitime. Bien sûr, il faut rester attentif. La Turquie veut éviter à tout prix la jonction de deux cantons kurdes, ce qui à ses yeux risquerait de créer les conditions dun futur Kurdistan syrien. Mais il faut continuer de parler avec la Turquie, et voir comment mieux lassocier. Les Turcs ont assisté, en tout cas, à la réunion du GISS, et le discours quils ont tenu allait plutôt dans la bonne direction.
Lavantage dun suivi beaucoup plus collectif tel que la France le propose permettrait aussi de créer, au sein du GISS, une confiance qui fait actuellement défaut et de mettre chacun de ses membres face à ses responsabilités.
Jévoquerai très rapidement la situation en Irak. Les opérations en vue de la reprise de Mossoul se rapprochent. La France apporte dailleurs un soutien militaire à larmée irakienne, avec une batterie dartillerie, comme Jean-Yves Le Drian la précisé devant vous. Mais, il faut également dessiner une solution pour ladministration de cette ville, une fois libérée, ce qui renvoie à la dimension politique. LIrak a besoin dun gouvernement beaucoup plus inclusif, où les Sunnites et les Kurdes trouvent leur place. Pour Mossoul, il faut donc réfléchir à un tel schéma politique. La France prépare sur ce sujet une réunion à Paris, avec tous les partenaires concernés.
Nous prévoyons également une réunion consacrée à la Libye. Syrte devrait être reprise à Daech, grâce à laction des forces sous lautorité du gouvernement dentente nationale dirigé par Fayez al-Sarraj, que la communauté internationale soutient. Le général Haftar agit contre Daech à Benghazi. Il est aussi intervenu pour prendre le contrôle des champs pétroliers. Il y a là un risque dengrenage menant à une guerre civile. Il faut donc rappeler que le gouvernement dentente nationale doit contrôler lensemble des ressources de la Libye, mais quil doit aussi élargir son assise en négociant avec les représentants de lest pour trouver un compromis.
Sagissant enfin, très brièvement, du Gabon, notre position est celle de la non-ingérence, en relation étroite avec lUnion européenne qui disposait dobservateurs tout au long du processus électoral, mais aussi avec lUnion africaine. Nous avons encouragé ceux qui contestaient les résultats à utiliser les recours juridiques à leur disposition, ce quils ont fait. Désormais, les résultats sont proclamés. Ils ne sont pas parfaits et nous lavons dit. Il faut maintenant trouver une solution qui permette de rassembler le Gabon, qui ne doit pas être déstabilisé. Nous encourageons donc lUnion africaine qui y est prête à aider le Gabon à trouver les voies de lapaisement.
M. François Loncle. Sagissant de la Syrie, jai peu de goût à commenter ce qui sy passe : je ne suis pas certain que nous ayons terminé lanalyse de dix ans derreurs diplomatiques dans ce pays, erreurs que nous payons aujourdhui. Les Américains, quelque peu suivis par la France, ont considéré quil était possible de faire preuve dune certaine bienveillance vis-à-vis dal-Nosra. Je constate quil nen est plus question aujourdhui, et je me réjouis de ce changement de stratégie.
Vous parlez de « prendre Alep », monsieur le ministre : quoi que lon en pense, lobjectivité commande de dire « reprendre » Alep. Car, dans cette ville, il y a une opposition modérée que lon surestime depuis des années mais il y a essentiellement Daech, dans tous les immeubles, dans toutes les caves
Sagissant du Gabon, le Quai dOrsay, Matignon et lÉlysée ont considéré à juste titre que moins lon se mêle de ce type délections, moins lon donne de leçons, mieux cela vaut. Vous avez raison de vous en remettre, pour régler ces problèmes, aux organisations africaines Union africaine et organisations régionales dont il faut souhaiter la montée en puissance. Malheureusement, de façon absolument incroyable, le parti socialiste ne sen est pas tenu à cette ligne : non seulement il a ouvertement soutenu lun des candidats, mais il a annoncé, trois jours avant la proclamation, un résultat inverse de celui finalement intervenu.
Ce sont donc plutôt des compliments que je vous adresse, monsieur le ministre.
M. Jean-Marc Ayrault. Mais pas au parti socialiste, si jai bien compris. (Sourires.)
M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, je commence par vous remercier de votre honnêteté. Mais lon ne peut que trouver consternantes certaines phrases que vous venez de prononcer : il a fallu « tirer » pour avoir des informations, avez-vous dit ; vous avez dû insister pour savoir ce que les Américains avaient vraiment négocié. Bref, vous faites courageusement le constat que notre pays est tenu à lécart par nos alliés américains.
Je massocie à la remarque de François Loncle : il faut effectivement parler de « reprendre » Alep.
Monsieur le ministre, jémets un vu pieux : jaimerais que le Quai dOrsay fasse preuve du même réalisme politique en Syrie quau Gabon. Depuis six ans, nous entendons annoncer leffondrement du régime syrien ; pourtant, il tient, avec le soutien constant des Russes et des Iraniens. Nest-il donc pas temps de changer de ligne politique, de tenir mieux compte des réalités et de nous montrer plus indépendants ? Si nous sommes en guerre, cest contre le terrorisme, et non contre le gouvernement syrien, quels que soient ses défauts, dont je suis le premier à reconnaître quils sont énormes. Tirons-en les conséquences.
Vous navez pas évoqué la crise ukrainienne, qui a connu cet été de nouveaux développements. Jai suivi avec attention vos déclarations, où jai cru lire un certain agacement sur linertie du gouvernement ukrainien. Nous nous accrochons tous à lespoir des accords de Minsk. Mais, aujourdhui, si lon écoute M. Porochenko, ils sont morts ; le gouvernement ukrainien na pas la moindre intention de les respecter. Je ne dis pas que les responsabilités des Russes ne soient pas lourdes, car ils auraient pu aider à lapaisement. Là aussi, allons-nous continuer à brandir les accords de Minsk, qui étaient bons, mais que ni lune ni lautre des parties nont aujourdhui lintention dappliquer ?
M. Jean Glavany. Lors de lune de vos récentes auditions, je vous avais interrogé, monsieur le ministre, sur la mission confiée aux soldats français qui se trouvent en Libye ; vous aviez refusé de me répondre, me renvoyant au ministre de la défense. Cette réponse mavait paru dautant moins acceptable quil sagissait bien dune question diplomatique, ou plutôt dune question sur la cohérence, ou labsence de cohérence, entre la mission diplomatique et la mission militaire.
Malheureusement, trois de nos soldats sont morts en Libye au début de lété, ce qui a donné loccasion à Fayez al-Sarraj, qui sera à Paris cette semaine, de dire son mécontentement. Il semble en effet je nen sais rien, puisque vous ne maviez pas répondu que ces soldats étaient au service du général Haftar. Ce nest pas exactement la ligne diplomatique que lon croyait discerner, et vous nous avez encore répété que la France et la communauté internationale soutenaient le gouvernement dentente nationale.
Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements à ce sujet ?
M. Pierre Lellouche. Je partage nombre des points de vue qui viennent dêtre exprimés. Je voudrais seulement revenir ici sur notre politique en Syrie.
Il est bien difficile, je le sais, de faire évoluer une diplomatie. Mais nest-il pas temps de reconnaître que nous nous sommes fourvoyés, non pas seulement sous M. Fabius mais aussi sous son prédécesseur, qui était exactement sur la même ligne ? Vous avez dit quil fallait tout faire pour sortir du tête-à-tête russo-américain, et vous nous racontez avoir demandé à John Kerry ce quil a négocié avec les Russes. Jentends le général de Gaulle se retourner dans sa tombe à toute vitesse ! Nous voilà complètement exclus.
Nous avons inventé la Syrie, en 1920. Par deux fois, nous avons rasé Damas. Et maintenant, nous bombardons avec les Américains lesquels vont changer de président au début de mois de novembre, ce qui entraînera une paralysie de plusieurs mois. Dans lintervalle, la guerre continue et nous ne progressons pas vers la paix.
Pendant ce temps, nous continuons à tenir un discours en blanc et noir : le boucher doit partir, il y a les gentils et les méchants. Mais enfin, monsieur le ministre, vous savez comme moi quil ny a pas de gentils dans cette histoire ! Des déclarations comme celle de M. Fabius, « ni Daech ni Bachar », ne font pas une politique.
Nous sommes face à des gens qui envoient des tueurs chez nous. La Syrie est un véritable cratère, où tous les pays de la région versent de largent et des armes. Nous participons sans peser sur rien. Est-ce raisonnable ? Est-ce la bonne politique ? Je ne vous adresse aucun reproche personnel, monsieur le ministre, car cette ligne qui est à mon sens un échec depuis le début a été tenue par des majorités différentes. Aujourdhui, la guerre continue, y compris chez nous, et nous ne sommes même pas dans léquation. Est-il raisonnable de suivre la politique complètement erratique des États-Unis ? Vous avez rappelé vous-même dans quelles conditions Obama a, en 2013, laissé tomber la France dans laffaire des armes chimiques. Est-il raisonnable de continuer de penser que la reprise dAlep par le pouvoir en place à Damas, pour détestable quil soit, est la pire des choses possible, comme si Daech, ou lopposition islamiste, représentaient une solution ? Quand on connaît lépouvantable complexité religieuse et ethnique de ce pays, raisonner en blanc ou noir, en fonction de lobbies divers ou de ce que souhaitent entendre les médias, est une erreur.
Cest une erreur dont, je le répète, vous ne portez pas seul la responsabilité ; vous héritez dune politique qui a échoué. De grâce, essayons de raisonner calmement. Nous sommes à la veille dune élection en France ; mais je souhaite que cette inflexion ne fasse pas lobjet dune bataille politique. Vos propos sur le tête-à-tête russo-américain mont profondément attristé. Cest une affaire russo-américaine ? Eh bien moi, en vieux gaulliste, je me barre ! Lintérêt de la France nest pas de participer à une opération dans laquelle elle ne pèse rien surtout que léchec est patent : le nombre de réfugiés et de morts ne cesse daugmenter.
M. Alain Marsaud. Merci de votre intervention, monsieur le ministre. Peut-être sommes-nous à la veille dune évolution positive de notre politique étrangère !
Je voudrais pour ma part vous interroger sur deux pays qui font partie de ma circonscription.
Au Gabon, la France a observé, avez-vous dit, une certaine neutralité dans ce processus électoral qui était bien compliqué puisque lon se rend compte que tous les camps ont triché Mais jai eu limpression, en écoutant des déclarations du parti socialiste, mais aussi en voyant laction de certains de nos diplomates sur place, que certains soutenaient vraiment un camp contre lautre, en loccurrence celui de M. Ping. Je ne porte pour ma part aucun jugement : jai tenté de conserver la plus stricte neutralité, dans lintérêt de nos compatriotes sur place qui, même sils ont pu donner limpression de soutenir le clan Bongo, ont surtout fait en sorte de ne sengager dans aucun camp. Le fait que des diplomates importants aient fait connaître leur soutien à M. Ping aurait pu mettre en danger nos compatriotes. Jai dû échanger un millier de messages WhatsApp avec eux durant cette crise : cest vous dire si les inquiétudes étaient grandes.
La situation semble se calmer. Soyons gaullistes : reconnaissons les États tels quils sont, et ne cherchons pas à influer malgré eux sur leur destin. Jespère aussi que M. Bongo tissera de nouvelles relations avec la France, alors que les critiques qui lui étaient adressées au cours des derniers mois avaient distendu nos liens.
Encore une fois, je ne prends pas parti : seuls me concernent les intérêts de nos compatriotes.
Jaimerais également vous parler de lîle Maurice. Une grève de la faim sera entreprise dans les jours qui viennent par des membres de la communauté française : ils ont fait de mauvais placements dans un fonds public, ou semi-public, et estiment avoir été spoliés par le gouvernement mauricien. Je considère pour ma part que la situation est complexe, et quil faut éviter tout manichéisme. Un nouvel ambassadeur doit arriver dans les jours qui viennent : il lui reviendra de gérer ce problème, dont jai toutefois promis de vous prévenir.
M. Jacques Myard. Sur laffaire de lutilisation des gaz chimiques, notamment du sarin, de grâce, soyons prudents ! Le rapport rendu public par lONU en septembre 2013 naccuse pas. Il ny a pas de preuves. Et je connais beaucoup dexperts, et non des moindres, qui nient que ce soit le régime qui a utilisé du gaz à la Ghouta. Quant au rapport de lONU de 2015, que jai lu avec attention, il indique que le régime est responsable dans certains cas, les rebelles dans un autre. Personnellement, je ne mettrais pas ma main à couper que, à la Ghouta, cest le régime qui était en cause.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que vous ne saviez pas ce que contient laccord russo-américain. Sans vouloir vous donner de leçons, quand on est diplomate, mieux vaut appliquer la formule de Cocteau : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons den être lorganisateur. » Vous avez des relations cordiales avec les Américains, ce qui signifie que vous parlez franchement avec eux : soit ; mais leffet est désastreux sur la scène internationale, où nous avons lair de nêtre au courant de rien.
En ce qui concerne Alep, sil est vrai que lest de la ville est bombardé, avec sa population civile, en revanche ce sont des intégristes islamistes pur jus qui affrontent la coalition de Damas et des Russes ! Que lon ne nous raconte pas dhistoires : ce ne sont pas des modérés. Ceux-ci nexistent pas et nont jamais existé ! Des experts nous lont confirmé. À ce sujet, je rejoins mes collègues : il y a un moment où il faut tirer les conclusions des choix que nous avons faits. Même Le Monde le dit : quand al-Nosra prétend avoir quitté Al-Qaïda, cest du pipeau ! Vous avez en face de vous des intégristes islamistes forcenés, même sils sont parfois pris dans des heurts avec lÉtat islamique. Cest ce quils sont tous, sans exception !
Jai dailleurs été très surpris de ce qui sest passé avec les Kurdes : alors que ceux-ci, eux, ne sont pas tous intégristes, les Turcs, pour les empêcher de prendre le contrôle de la frontière, ont demandé aux Américains de ne pas les soutenir ; et ils les ont fait reculer. Cest un micmac effroyable !
Tout nest donc pas blanc ou noir. Pourtant, nous avons visiblement continué de mener une politique manichéenne qui nous mène droit dans le mur je vous le dis comme je le pense ! Il est temps de réfléchir à nouveau à lensemble du conflit et de mesurer que nos intérêts ne nous portent peut-être pas dun côté plutôt que de lautre.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Avant de vous donner la parole, monsieur le ministre, jaimerais ajouter quelques mots sur la Syrie, mais dans une autre tonalité que celle que nous venons dentendre.
En ce qui concerne lutilisation du gaz, on se souvient que Jean-Yves Le Drian était venu, avec le chef détat-major des armées, nous montrer doù venaient les frappes chimiques en 2013.
M. Jacques Myard. Non, madame ! On nous a manipulés !
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Par ailleurs, le Premier ministre dalors avait réuni à Matignon lensemble des responsables des groupes politiques de lAssemblée nationale et du Sénat, ainsi que les présidents des commissions concernées, pour leur montrer les mêmes images, intégrant des calculs extrêmement précis dangles balistiques. Je parle de 2013 : depuis, la chose est peut-être plus partagée. Reste que les barils de TNT sont largués par des hélicoptères, alors que les rebelles ne possèdent ni avions ni hélicoptères.
M. Jacques Myard. Oui, mais concernant la Ghouta, ce nest pas vrai ! Nous avons été manipulés !
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Vous navez pas la parole. Je vous ai écouté avec patience et je vous demande de me rendre la pareille.
Selon M. Lellouche, il faut « se barrer ». Je ne sache pas que le général de Gaulle avait lhabitude de prendre la fuite dans les situations difficiles. Quoi quil en soit, je trouve plutôt honorable que notre diplomatie essaye autre chose que ce qui a échoué du fait de linitiative avortée des Russes et des Américains. On ne peut en tout cas pas reprocher à la France de baisser les bras. Puisque notre pays est resté un interlocuteur de tous les protagonistes de la région, y compris lIran, pourquoi ne tenterait-il pas au moins de formuler des propositions dans cette tragédie qui nous désole tous ? Sur ce dernier point, je nai aucun doute quant à la sincérité des sentiments que vous avez exprimés les uns et les autres.
Quant au Gabon, la décision de la Cour constitutionnelle était prévisible. Jai même été étonnée que le principal candidat de lopposition accepte cette solution. Mais je reconnais volontiers que, dans une situation aussi délicate, sagissant dun pays qui compte 11 000 ou 12 000 ressortissants français, mieux vaut sen tenir à des procédures légales et se garder de prendre parti. Vous avez donc bien fait, monsieur le ministre. Néanmoins, ne soyons pas dupes.
M. Bongo sest-il engagé à garantir la sécurité de ses opposants ? Il y a lieu de nourrir quelques craintes à ce sujet.
En Libye, enfin, avez-vous le sentiment que le gouvernement Sarraj fait tout pour être inclusif ? Il donne limpression dêtre quelque peu « bunkerisé ».
M. Pierre Lellouche. Merci de me redonner la parole pour clarifier mon propos, madame la présidente. Je ne voudrais pas être caricaturé. En 1995, lorsque Jacques Chirac a été élu à la présidence de la République, il a eu ce mot à propos de la Bosnie, où nous perdions des soldats sans trop savoir pourquoi : « on tire ou on se tire ». Autrement dit, le moment était venu de choisir une stratégie. Je nai rien voulu dire dautre. Je ne parle pas de quitter la région, à laquelle nous sommes mariés par lhistoire et la géographie. Je rappelle simplement que nous faisons partie dune drôle de coalition dont le patron ne nous tient pas informés et nous exclut, et dont on ne sait pas où elle va. Voilà pourquoi je considère que, à un moment donné, nous devons reprendre nos billes et voir comment procéder différemment.
M. le ministre. Je vous rappelle dabord, monsieur Lellouche, que nous ne sommes pas belligérants en Syrie.
M. Pierre Lellouche. On bombarde, tout de même !
M. le ministre. Attendez un peu. Cessez de semer la confusion dans les esprits : nous ne sommes pas belligérants ; nous navons pas de soldats au sol. Qui a des troupes au sol en Syrie ? Bachar al-Assad ; les Russes, ce que Lavrov na pas nié lorsque je lai interrogé au GISS ; les Iraniens ; le Hezbollah. Alors qui est belligérant en Syrie ? Il faut tout de même que vous disiez la vérité !
Quant à al-Nosra, monsieur Loncle, vous feignez de croire que je découvre que cest un groupe terroriste. Mais jai toujours défendu cette position, y compris devant cette commission !
M. François Loncle. Je parlais de votre prédécesseur.
M. le ministre. Cest moi que vous interrogez, je vous réponds donc en mon nom. Pour moi, il ny a aucune ambiguïté.
Vous feignez de vous indigner de ce que les Américains nous tiendraient à lécart. Nous faisons partie du GISS, avec une vingtaine dautres pays. Dès la réunion des affinitaires du lundi, au début de la semaine ministérielle de lAssemblée générale, les Américains nous ont donné un premier papier sur ce quils avaient négocié avec les Russes et nous avons eu une discussion franche avec eux. Les Américains ont fait le pari quils parviendraient à mettre en place une cessation des hostilités en négociant avec les Russes et que ce cessez-le-feu réenclencherait la négociation politique. Ce nest malheureusement pas arrivé. En interne, je constate dailleurs que ladministration américaine a exprimé des réserves sur cet accord.
Par ailleurs, Américains et Russes reconnaissent comme nous quil ny a pas que des djihadistes sur le terrain, que lopposition ne se réduit pas aux djihadistes. Sinon, pourquoi les Russes auraient-ils voulu distinguer al-Nosra des autres groupes ? Nous-mêmes, nous avons toujours demandé à Riad Hijab, président du Haut Comité des négociations (HCN) représentant lopposition modérée, de faire le nécessaire sur le terrain pour que les uns et les autres se séparent. Tous admettent donc que le problème vient de Daech et dal-Nosra, ainsi que des petits groupes qui leur sont associés et qui font partie de la mouvance Al-Qaïda. Cest clair, et nous devons les combattre.
Sen aller ? Cela na pas de sens, monsieur Lellouche, puisque nous ny sommes pas ! En revanche, nous combattons le terrorisme sur ce point, je pense que nous pouvons tomber daccord. Nous faisons partie de la coalition internationale contre le terrorisme, contre Daech, qui est notre ennemi en Syrie comme en Irak. Nous nous battons contre Daech parce que cette organisation déstabilise toute une région, mais aussi parce quelle nous attaque chez nous. Notre devoir est donc de rester dans la coalition. Dailleurs, si le porte-avions Charles-de-Gaulle est sur place, cest pour intensifier nos frappes contre Daech, avec des Rafale qui ont des capacités de frappe supérieures aux Mirage. Il faut continuer ce combat.
La position française nest pas faible. Elle consiste à dire que, si Russes et Américains sont légitimes, en tant que coprésidents du GISS, à rechercher un accord qui permette une cessation des hostilités, sa mise en uvre nécessite un suivi collectif seul de nature à créer la confiance qui rendrait cette trêve durable. Et la France est parvenue à convaincre la plupart des membres du GISS. La France joue donc pleinement son rôle.
De tous ces éléments, je conclus que la France nest pas absente et quelle a permis de recentrer le débat sur les bonnes questions.
Vous dites quil ne faut pas penser en blanc et noir. Mais il nen est pas question. Quant à la prise dAlep, ne jouons pas sur les mots : sil faut dire « reprise » pour vous donner satisfaction, soit ! Toujours est-il quil y a, à Alep-Est, 250 000 personnes sous les bombes, et pas nimporte quelles bombes : des bombes de plus en plus sophistiquées qui, à lévidence, ne sont pas seulement syriennes ! Si le régime était seul, avec son armée, il ne pourrait pas lemporter ; mais il est appuyé par les Russes et par les Iraniens. Cest une réalité ! Il faut que la communauté internationale dénonce ce qui est en train de se passer, comme pour les armes chimiques.
Sur ce dernier point, je veux bien que lon cherche toujours des excuses, mais là, monsieur Myard, vous êtes allé trop loin !
M. Jacques Myard. Non !
M. le ministre. Si ! Le rapport du JIM, qui date de septembre 2016, attribue très clairement au régime la responsabilité de lutilisation du chlore dans deux situations
M. Jacques Myard. Pas à la Ghouta !
M. le ministre. , tandis que Daech est jugé responsable dun autre cas de recours à larme chimique.
Quant à la Ghouta, je vous rappelle que le régime, qui niait détenir des armes chimiques, a signé en 2013, après la Ghouta, la convention sur linterdiction des armes chimiques et sest engagé à démanteler son arsenal. Cest un fait ! En utilisant à nouveau des armes chimiques après 2013, le régime a donc contourné les engagements quil avait souscrits. Je veux bien que lon fasse preuve de complaisance, mais je ne vois pas où vous voulez en venir !
M. Jacques Myard. Le rapport de lONU ne dit pas cela !
M. le ministre. Le dernier ?
M. Jacques Myard. Celui de septembre 2013 !
M. le ministre. Je vous donne rendez-vous le 31 octobre, quand nous aurons le complément de rapport : vous verrez quil confirmera lutilisation par le régime darmes chimiques.
M. Jacques Myard. Sur la Ghouta, il y a beaucoup dinterrogations.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Ne jouez pas sur les mots, mon cher collègue. Jai personnellement reçu les auteurs du rapport de lONU avant que celui-ci ne soit rédigé. Je me souviens de ce quils mont dit comme si cétait hier. Et jai lu le rapport, comme vous. Évidemment, il sagit de lONU, avec sa façon de sexprimer ; mais les choses étaient très claires.
M. le ministre. En ce qui concerne la Libye, monsieur Glavany, je nai rien à cacher ; le ministre de la défense est venu devant votre commission et il a répondu à vos questions. Un accident dhélicoptère a causé la mort de plusieurs militaires français. Nous ne sommes associés à aucun titre, ni de près ni de loin, aux opérations militaires qui viennent dêtre entreprises par le général Haftar pour prendre le contrôle du pétrole. Les critiques contre la France après ce tragique accident dhélicoptère doivent être comprises dans le cadre du jeu intérieur libyen.
Sur ce point non plus, il ne doit y avoir aucune ambiguïté : non seulement nous avons réaffirmé à lONU notre soutien au gouvernement de M. al-Sarraj, mais nous avons invité celui-ci à Paris, où il se trouve aujourdhui ; il sera reçu tout à lheure par le Président de la République, par Jean-Yves Le Drian, puis par moi-même, après lentretien avec le Président. Mais nous lui dirons quil doit faire sa part du travail pour tenir compte de la diversité libyenne, notamment de lest. Ce qui compte, cest lunité de la Libye.
Il y a aujourdhui un chaos terrible dans ce pays. Faisons très attention : même si Daech recule, la partie est loin dêtre gagnée, dautant que Daech se disperse, ce qui inquiète les pays alentour. Cest pour résoudre ce problème que la France a pris linitiative de réunir tous les pays de la région. En outre, cest par la Méditerranée centrale que passent un nombre considérable de migrants pour venir en Europe, dans des conditions épouvantables : la situation libyenne contribue à cette remontée. Il nous faut prendre cette situation très au sérieux. La Libye paraît peut-être lointaine aux Français, alors même quelle est toute proche des frontières européennes ; nous avons tout intérêt à traiter ces questions. Et, la France prend là encore ses responsabilités.
Quant à lUkraine, il nest pas question dabandonner, monsieur Mariani. Je me suis rendu à Kiev avec M. Steinmeier ; nous sommes aussi allés près de la ligne de contact, lieu de conflits meurtriers en 2014. Nous avons réaffirmé notre position : les accords de Minsk, tous les accords de Minsk ! Ce qui suppose de renforcer la sécurité. Juste avant notre arrivée, un accord de désengagement des trois pôles les plus confrontés à des violations du cessez-le-feu était en négociation ; il devait être signé le 21 septembre. Cétait à, nos yeux, bon signe, lamorce dautres accords portant sur dautres zones. Or la signature a bien eu lieu et, la veille de notre arrivée, les séparatistes ont déclaré quils appliqueraient un cessez-le-feu unilatéral. Nous nous sommes appuyés sur ces éléments positifs du point de vue de la sécurité et nous ferons tout pour que la situation saméliore.
Par ailleurs, jai systématiquement lié ces progrès en matière de sécurité à la nécessité davancer sur le volet politique. Nous avons donc demandé à M. Porochenko, au Premier ministre et aux partis de la Rada de faire leur part de réformes réforme électorale, statut spécial du Donbass. Après notre visite, la presse ukrainienne nous a, à moi en particulier, reproché ces paroles. Mais ceux-là même qui me critiquent ont signé les accords de Minsk, qui prévoient un statut spécial pour le Donbass ! Nous allons donc poursuivre sur cette voie.
Certains dentre vous ont parlé de manichéisme ; pourtant, nous parlons avec les Russes, notamment sur ce dossier ukrainien, et nous le faisons de manière constructive. Nous leur disons que léventuelle levée progressive des sanctions sera liée à lavancement de la mise en uvre des accords de Minsk. Nous avons dailleurs travaillé à préparer un sommet du « format Normandie » ; cétait le sens de notre visite. Il apparaît au fil des jours que ce sommet réunissant les présidents et la chancelière pourrait avoir lieu assez rapidement. Tout cela va dans le bon sens. Il ne faut pas dire que les accords de Minsk sont morts. Je pense profondément ce que jai déclaré à Kiev et qui na pas fait plaisir à tout le monde : il nexiste pas de plan B. Simplement, il faut persévérer ; cest la seule stratégie payante. Je ne désespère pas que nous y arrivions, mais cela suppose de demander à chacun, objectivement, de prendre sa part. À cet égard, nous tenons le même langage aux Russes et aux Ukrainiens.
M. François Asensi. Je massocie à la plupart des observations formulées par mes collègues, à quelques nuances près.
En ce qui concerne Alep, comment un quartier de 250 000 habitants, défendu par les rebelles dont certains sont modérés, soit , parvient-il à résister à lincroyable puissance de feu des avions russes, au Hezbollah, aux Iraniens, à larmée régulière de Bachar al-Assad ? Je ne suis pas Joukov ; mais comment les rebelles se procurent-ils des armes ? Car il faut en recevoir quotidiennement pour opposer une telle résistance. Qui les leur fournit ? Me garantissez-vous, monsieur le ministre, quil ny a pas darmes françaises de leur côté ?
M. le ministre. Nous ne fournissons pas darmes. Que les uns et les autres en fournissent par ailleurs, cest possible. Mais ne sous-estimez pas la situation des habitants de lest dAlep, qui vivent souvent sous terre. Jai rencontré au Quai dOrsay une délégation de bénévoles qui uvrent sur place au côté des remarquables Casques blancs que la France voudrait associer au mécanisme de contrôle quelle a proposé dans le cadre du GISS et qui jouent en quelque sorte le rôle délus municipaux, soccupant au quotidien déducation, de santé, etc., dans des conditions absolument invraisemblables. Ces gens représentent des Syriens restés chez eux et qui rêvent non dune Syrie djihadiste, intégriste, mais dun pays libre, celui dont le Conseil de sécurité a tracé les contours dans sa résolution : une Syrie unitaire, non confessionnelle, qui protège ses minorités et installe des institutions démocratiques. Cest le vu de nombreux Syriens. On le constate aussi en discutant avec les réfugiés. Les personnes dont je parle nous ont donc expliqué comment ils vivent, ou plutôt survivent, privés daide humanitaire depuis plusieurs mois et à lextrême limite des ressources alimentaires. Je lai dit, nous ne laisserons pas faire le Guernica du XXIe siècle. Cest une formule. Mais jai lu le communiqué du parti communiste français qui dénonce la situation humanitaire à Alep : que dit-il dautre ? Nous ne sommes pas en désaccord sur tout.
Jentends dire quil ny a pas dopposition modérée. Mais la logique guerrière alimente la radicalisation, ce qui est dramatique. Acculé, on est prêt à accepter nimporte quoi, nimporte qui. Tel est le risque inhérent à cette situation. Selon toutes les informations dont nous disposons, qui ont fait lobjet de recoupements. Ce nétait pas al-Nosra qui dominait lest dAlep il y a quelques mois ; mais à force dattaques, de destructions, de tueries, les plus armés gagnent du terrain. Voilà qui nous éloigne de notre objectif. Cest pour cela quil est temps de se ressaisir. La situation est dramatique du point de vue humanitaire comme du point de vue politique.
Chacun doit prendre ses responsabilités. On sait que les Russes soutiennent Bachar al-Assad. Mais, quand nous en discutons avec eux, ils se montrent conscients du fait que ce nest pas tenable à long terme et quil faut trouver une solution par la voie de la négociation. Ils veulent créer le rapport de forces dont jai parlé tout à lheure, mais il nest pas dans leur intérêt que lon senfonce dans la spirale de la guerre. Si cest loption « Syrie utile » qui lemporte, la guerre continuera, la guerre terroriste se poursuivra, dans la région mais pas seulement : elle nous touchera plus encore quauparavant et elle touchera dautres pays, dont la Russie elle-même. Il nest donc pas bon pour les Russes que ce foyer de guerre perdure.
Nous pouvons y réfléchir ensemble, avec eux. Cest la position que jai toujours défendue. Elle nest pas manichéenne. Nous avons besoin des Russes ; ce ne sont pas nos ennemis, ce sont nos partenaires. Mais il est de notre devoir de dénoncer une telle situation à moins de fermer les yeux, y compris sur les armes chimiques, ce que je ne peux pas accepter.
M. Thierry Mariani. En ce qui concerne la Russie et lUkraine, je suis entièrement daccord avec vous, monsieur le ministre : vos déclarations à Kiev étaient plutôt courageuses, et vous avez été un peu égratigné par la presse locale. Mais vous avez dû entendre aussi les réactions ultérieures de la majorité à la Rada je ne parle pas de M. Porochenko , laquelle na pas la moindre intention dappliquer les trois conditions qui sajoutent au cessez-le-feu au sein des accords de Minsk : amnistie, loi électorale, autonomie. Voilà pourquoi, à mon avis, la mise en uvre des accords de Minsk ne va pas progresser ; voilà pourquoi je crains que nous ne devions constater ici même, dans un an ou deux, que rien na changé. On demande à deux partenaires de respecter certaines obligations, mais lun est exposé à des sanctions, tandis que lautre, loin de subir le même sort, est sous assistance économique européenne !
M. le ministre. Lorsque nous avons échangé avec les groupes parlementaires à la Rada, une majorité sest clairement dégagée en faveur du respect des accords de Minsk. Toutefois, lorsque jai dit quil nexistait pas de plan B, un parti de lopposition sest récrié ; mais son plan B, cétait la guerre contre les Russes ! Nous ne voulons pas entrer dans cette logique. Elle nest toutefois défendue que par une minorité.
Quant au Gabon, on ne peut pas dire que notre ambassade nait pas fait preuve de neutralité : elle a parlé à tout le monde. Les autorités françaises ont aussi parlé à toutes les parties pour les appeler à la retenue, afin déviter lengrenage de la violence, et au respect de la loi constitutionnelle, encourageant ainsi la voie des recours. Et nous avons bien fait. Nous avons aussi recommandé à Ali Bongo, avant quil ne soit proclamé élu, de ne pas entrer dans une logique répressive. Cest également ce quont dit lUnion africaine et lUnion européenne. Cétait utile. Nous avions et nous avons toujours quelque 14 000 ressortissants à protéger, dont beaucoup de binationaux. Certains ayant été arrêtés, nous sommes informés de leur sort et avons demandé à exercer la protection consulaire ; cela na pas toujours été simple, mais nous avons fait progresser les choses. Nous allons rester sur cette ligne.
Cela dit, comme lont soutenu plusieurs dentre vous, il faut encourager lUnion africaine à contribuer à trouver les voies de lapaisement par le dialogue politique. Ce nest pas facile. LUnion africaine joue son rôle et la France est en contact avec elle à tous les niveaux. Elle est consciente de la fragilité de la situation.
Nous allons poursuivre sur cette ligne, car il ny en a pas dautre. Nous restons vigilants sagissant de la sécurité de nos ressortissants. Je vous ai entendu à la radio, monsieur Marsaud ; vous lavez parfaitement rappelé, comme cétait votre devoir de parlementaire.
En ce qui concerne lîle Maurice, je nai pas aujourdhui les éléments nécessaires pour vous répondre, mais je me tiens à votre disposition.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. M. Bongo a-t-il finalement reçu une délégation de pays voisins ?
M. le ministre. Non. Après avoir envisagé que cette délégation se rende au Gabon avant lexamen des recours par la Cour constitutionnelle, le président Déby a convenu quil valait mieux attendre. Cest maintenant que lUnion africaine va sans doute intervenir. Mais ce nest pas simple : il faut que les pays se mettent daccord ; il faut aussi que M. Bongo accepte. Il a aujourdhui prononcé un discours ouvrant la voie au dialogue. Nous ne pouvons que ly encourager. Le Maroc a été sollicité pour jouer un rôle de médiation et dapaisement ; nous verrons ce quil en ressortira.
M. Jean Glavany. Jaimerais revenir un instant sur la Syrie.
Vous savez, jimagine, que cest le Hezbollah qui combat le plus férocement al-Nosra, dans le sud-ouest de la Syrie, sur le Golan. Et Israël nest pas neutre, privilégiant al-Nosra dont il recueille les soldats dans ses hôpitaux : les ennemis de ses ennemis sont ses amis ! Voilà qui complique encore le tableau.
Nous ne sommes pas belligérants, dites-vous, monsieur le ministre. Cest une question centrale, qui motive en grande partie lincompréhension de plusieurs parlementaires de notre commission, à droite comme à gauche je songe notamment à François Loncle. Nous ne sommes pas en guerre avec le régime dAssad, ni avec les Russes ; mais nous sommes en guerre avec Daech : cest le discours officiel du Gouvernement français. Nous combattons le terrorisme djihadiste, notamment en faisant intervenir des pilotes de nos armées. Je ne donnerai pas ici un cours de logistique militaire, mais, aujourdhui, lon ne bombarde plus aveuglément comme pendant la Seconde Guerre mondiale : des forces spéciales guident les tirs sur le terrain. Des militaires français sont donc engagés sur place. Cest toute la subtilité, ou la difficulté, de la terminologie guerrière. Dès lors, les parlementaires dont je parle sétonnent de la ligne « ni Assad ni Daech », théoriquement tout à fait défendable, mais démentie par le fait que nous faisons la guerre au second, et non au premier. Les mots recouvrent ici une position diplomatique qui doit être éclaircie.
M. le ministre. Vous avez tout à fait raison, et si lon ne précise pas les choses ainsi, des malentendus risquent de sinstaller. Les approches peuvent différer, mais il doit exister une convergence lorsquil sagit de lutter contre Daech du moins je lespère ! Il est important de le réaffirmer.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Le 31 décembre dernier, avec Jean-Yves Le Drian, jai rendu visite à nos soldats sur le Charles-de-Gaulle, et nous avons rencontré les pilotes de la base dAbou Dabi. Ces derniers nous ont expliqué ce quils faisaient, aussi bien en Irak quen Syrie, et comment. Les tirs sont très précis, soumis à des vérifications auxquelles les Américains ne procèdent dailleurs peut-être pas. On nous a montré des images, fait des démonstrations, présenté le tableau de toutes les interventions effectuées. Cest vrai, nous bombardons les positions de Daech en Syrie et en Irak, et cest tout.
M. le ministre. Vous avez raison de le rappeler, madame la présidente. On entend dire que la France serait soumise ; mais, même membres de la coalition, nous avons notre autonomie, y compris opérationnelle. Il ny a pas un tir qui ne soit décidé par nous.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Et le souci dépargner les populations civiles est étonnant, du moins pour qui nest pas familier de la chose militaire. Nous avons constaté que lon peut bombarder un bâtiment de Daech sans toucher les habitations situées dans les rues qui le bordent ! Et si ce nest pas possible, on ne bombarde pas. Voilà les précautions que prend la France et que dautres, sans doute, ne prennent pas.
M. Jean Glavany. Ce sont des hommes au sol qui y veillent, très courageusement !
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 17 octobre 2016