Interview de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec Europe 1 le 12 octobre 2016, sur la situation à Alep en Syrie et les relations franco-russes.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenue Jean-Marc AYRAULT. Bonjour. Vous qui avez fait, combien, 20.000, 30.000 kilomètres en 48h, trois jours ?
JEAN-MARC AYRAULT
Presque, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est ça, c'est ça d'être ministre des Affaires étrangères. Vladimir POUTINE ne viendra donc pas à Paris. Vous êtes soulagé ?
JEAN-MARC AYRAULT
Ecoutez, il faut être clair, nous étions favorables à discuter avec Vladimir POUTINE de la situation en Syrie, c'est la proposition qui lui a été faite, il devait venir aussi pour inaugurer une exposition, une église orthodoxe, ça aurait été complètement surréaliste, il fallait…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, mais il dit : je ne viens pas, je viendrai quand François HOLLANDE se sentira à l'aise.
JEAN-MARC AYRAULT
Vladimir POUTINE a refusé de venir parler de la Syrie, c'est ça qu'il faut retenir. Et ça, je le regrette, parce que nous voulons parler de la Syrie avec les Russes, c'est pour ça d'ailleurs que je suis allé à Moscou, que j'ai rencontré mon homologue Sergueï LAVROV, et que nous avons parlé de la Syrie, et nous avons effectivement échangé sur nos divergences. Et il y en a une qui est fondamentale, c'est : nous demandons aux Russes d'arrêter de soutenir le régime de Bachar El-ASSAD et qu'ils bombardent ensemble la population civile d'Alep, c'est le préalable à tout le reste…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais Monsieur le Ministre, vous croyez…
JEAN-MARC AYRAULT
Donc je comprends pourquoi Vladimir POUTINE n'est pas venu, Jean-Pierre ELKABBACH, parce que, en réalité…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il avait peur de parler de la Syrie…
JEAN-MARC AYRAULT
Il a renforcé ses bombardements, il a renforcé ses bombardements sur Alep. Et donc j'imagine que venir à Paris pour parler de la Syrie, ça aurait été très embarrassant pour lui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous aviez prévenu que François HOLLANDE ne verrait pas Vladimir POUTINE pour les mondanités…
JEAN-MARC AYRAULT
Oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le président de la République parle de crime de guerre avant son arrivée, il dit qu'il hésite, François HOLLANDE peut hésiter, mais est-ce que la France peut hésiter ?
JEAN-MARC AYRAULT
Non, mais la France n'hésite pas, la France est la France et joue son rôle. Elle joue son rôle, elle est engagée de toutes ses forces, de toute son énergie contre le terrorisme, et vous savez que la France est victime du terrorisme plus que d'autres encore, et donc elle est engagée dans une coalition pour lutter contre Daesh, pour lutter contre Al-Nosra, qui fait partie d'Al Qaïda, comme elle est engagée en Afrique contre Boko Haram. Donc notre combat est clair…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça veut dire que POUTINE, lui, est complice des terroristes ?
JEAN-MARC AYRAULT
Quand il bombarde Alep, ce n'est pas les terroristes qu'ils bombardent, c'est la population civile. Et donc nous demandons aux Russes, plutôt que de bombarder la population civile d'Alep, plutôt que de soutenir le régime de Bachar El-ASSAD dans une guerre totale contre son propre peuple, unissez-vous avec nous pour combattre le terrorisme, combattre le terrorisme, comme nous le faisons en Irak, sur Mossoul, avec la coalition, pour reprendre Mossoul aux djihadistes, et puis, faisons-le aussi contre les terroristes à Rakka ; ça, ça serait une vraie politique !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous dites qu'il faut une enquête de la cour pénale internationale pour crime de guerre, de Bachar, on le sait, mais est-ce que ça veut dire que la Russie est complice et qu'elle aussi, et POUTINE aussi, méritent la cour pénale internationale ?
JEAN-MARC AYRAULT
Non, on n'en est pas encore à la cour pénale internationale, mais le secrétaire général des Nations Unies, en parlant des bombardements sur Alep, qui visent les populations civiles, qui visent des hôpitaux, qui visent des écoles, et qui font des victimes en nombre considérable, il a parlé de crime de guerre, donc il y aura des enquêtes, bien entendu, comme il y a des enquêtes dont le deuxième rapport va sortir le 21 octobre, la semaine prochaine, sur l'utilisation des armes chimiques, donc nous, nous souhaitons que le Conseil de sécurité soit saisi de tous ces drames et de toutes ces attaques…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On voit surtout – pardon, si vous permettez – on voit plutôt l'impuissance des Nations Unies, de l'Europe, de l'Amérique, alors que la France, là, elle avait une occasion formidable…
JEAN-MARC AYRAULT
Jean-Pierre ELKABBACH…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais dites, le président de la République dit : la Russie, c'est un partenaire, ce n'est pas un adversaire…
JEAN-MARC AYRAULT
Eh bien, c'est moi qui le dis depuis longtemps, depuis le début, je suis allé à Moscou…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous aussi, mais vous le traitez comme un ennemi…
JEAN-MARC AYRAULT
Mais je ne le traite pas comme un ennemi, pour l'instant, la Russie est alliée à Bachar El-ASSAD, qui bombarde, et ils bombardent ensemble, Alep et la population d'Alep, la population civile, on dit qu'ils bombardent des terroristes, mais enfin, il y a 250.000 habitants, des femmes, des enfants, vous voyez les images tous les jours, et je n'invente pas ces images, ce ne sont pas des images de propagande. Vous dites que la France est isolée, mais qui a pris l'initiative après l'échec de la tentative de cessez-le-feu entre Russes et Américains à Alep ? C'est la France. La France, seule, d'ailleurs. Je suis allé à Moscou, je suis allé à Washington, ensuite, devant le Conseil de sécurité, j'ai défendu une résolution, qui avait pour objectif l'arrêt des bombardements, l'accès de l'aide humanitaire, qui est fondamentale et qui manque à cette population…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il a mis son veto, et il a été assez seul, même la Chine a voté avec vous…
JEAN-MARC AYRAULT
Vous savez ce qui s'est passé… voilà, vous avez raison de le rappeler, donc la France n'est pas isolée, contrairement à ce que vous venez de dire. La France agit…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors je n'ai pas dit que la France est isolée, j'ai dit que l'Europe n'agit pas…
JEAN-MARC AYRAULT
La France agit, et au même moment, où nous étions au Conseil de sécurité, la Russie d'ailleurs n'a fait que deux voix contre la résolution française, c'est-à-dire la sienne et le Venezuela, vous connaissez le régime du Venezuela, il y en a certains qui le défendent en France…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La population meurt de faim…
JEAN-MARC AYRAULT
Voilà, donc la Russie s'est trouvée dans une situation d'isolement. Et donc, nous, nous souhaitons que la Russie prenne conscience qu'il y a, là, un drame qu'il faut arrêter, et donc nous poursuivons notre volonté de mobilisation, et y compris pour dire à la Russie : enfin, acceptez d'en discuter !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais dans un climat de guerre, avec qui il faut négocier, et peut-être chercher la paix, avec ceux qui sont proches ou avec ceux qui sont loin ?
JEAN-MARC AYRAULT
Mais il faut parler avec tout le monde, nous, nous parlons, comme je le fais, avec la Russie, comme je le fais avec l'Iran, mais il y a des réalités, et quand il y a une réalité comme celle que nous voyons, et que je vois en politique française, un certain nombre de leaders de droite, d'extrême droite ou d'extrême gauche, condamner la position de la France…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
J'y arrivais, c'est très bien, et Marine LE PEN, qui vous fait une leçon au nom du général de GAULLE !
JEAN-MARC AYRAULT
Marine LE PEN, leçon de diplomatie, voilà, je trouve ça complètement ridicule. Et alors, quand elle a besoin d'argent pour financer ses campagnes, elle va solliciter les banques russes. Donc je comprends…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes sûr ? Vous êtes sûr ?
JEAN-MARC AYRAULT
Je comprends, eh bien, oui, bien sûr…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes sûr de ça ? Oui ?
JEAN-MARC AYRAULT
Bien sûr. Et donc je comprends très bien qu'elle soit complaisante. Mais là, il ne s'agit pas ni de complaisance ni d'arrogance, il s'agit d'avoir un seul objectif, c'est l'arrêt des bombardements à Alep sur la population.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et donc le convaincre, Vladimir POUTINE, le fil n'est pas rompu puisque, en principe, aujourd'hui, d'après ce que j'ai entendu, vont se téléphoner François HOLLANDE, Angela MERKEL, Vladimir POUTINE pour parler, à la fois de l'Ukraine, et aussi de la Syrie.
JEAN-MARC AYRAULT
Ecoutez, il faut continuer à se parler, vous savez, il y a un contentieux qui existe depuis déjà un bon moment, qui est celui de l'Ukraine, et avec des séparatistes soutenus par les Russes. Nous, nous souhaitons sortir de ce guêpier, et nous avons, avec la France, pris l'initiative, et l'Allemagne, de négociation dans le cadre de ce qu'on appelle le Format Normandie, moi, j'ai participé à plusieurs réunions…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
A quatre ?
JEAN-MARC AYRAULT
Y compris à Kiev, avec mon homologue allemand, et donc l'hypothèse, c'est effectivement d'organiser un sommet des chefs d'Etat à Berlin, mais cette réunion n'aura lieu que s'il y a des volontés d'avancer…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous pensez que ça peut avoir lieu, il était prévu le 19 octobre à Berlin… ?
JEAN-MARC AYRAULT
Ce n'est pas impossible, ça va dépendre de la volonté, de la bonne volonté des uns et des autres…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça peut avoir lieu. Ça veut dire que la rencontre…
JEAN-MARC AYRAULT
Ça veut dire quoi ? C'est-à-dire des résultats sur le terrain, l'arrêt des… pour un cessez-le-feu en Ukraine, à l'est, dans le Donbass, et puis, en même temps, les réformes qui doivent être faites par l'Ukraine elle-même…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La rencontre avec POUTINE, à quelles conditions elle peut avoir lieu ? Parce que, est-ce qu'elle est annulée ou reportée ?
JEAN-MARC AYRAULT
Mais là, en ce qui concerne la réunion à Paris, c'est POUTINE qui l'a reportée, et donc ça veut dire qu'il peut y avoir d'autres réunions…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Reportée !
JEAN-MARC AYRAULT
Et quant à la réunion à Berlin, elle n'est pas définitivement actée, elle est liée aux résultats concrets qui seront faits sur le dossier ukrainien. Vous savez qu'il y a des sanctions de l'Europe pour la Russie…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais bien sûr, on le sait…
JEAN-MARC AYRAULT
A cause de l'Ukraine…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dont tout le monde souffre…
JEAN-MARC AYRAULT
Nous, nous souhaitons la lever de ses sanctions, la Russie le souhaite aussi, mais c'est lié aux résultats dans la mise en oeuvre des accords de Minsk, qui sont des accords de paix…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et après, il y aura l'évolution politique à trouver pour la Syrie. Je peux vous poser très vite quelques questions, est-ce que vous confirmez que les Américains liquident un à un les chefs de Daesh avec des frappes de drones ?
JEAN-MARC AYRAULT
Ils le font, nous sommes avec eux dans une coalition, nous luttons contre Daesh et contre Al-Nosra.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous le confirmez. La France participe à ces exécutions ciblées ?
JEAN-MARC AYRAULT
Mais ce sont des frappes qui sont ciblées, vous savez que le porte-avions Charles de Gaulle est aussi sur zone, et pour…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous le confirmez…
JEAN-MARC AYRAULT
Nous intervenons contre Daesh en Irak et en Syrie dans le cadre d'une coalition, en même temps, attention, nous ne faisons pas n'importe quoi, il y a des populations civiles, on ne vise pas n'importe où…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'il faut respecter. Est-ce que vous confirmez que la bataille de Mossoul est une question de jours peut-être même d'heures ?
JEAN-MARC AYRAULT
Oui, mais je ne vous donnerai ni le jour ni l'heure, c'est un secret défense, et donc je ne vous le livrerai pas. Ce n'est pas dans mes habitudes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais ça ne va plus tarder. Votre collègue, ministre des Affaires étrangères de Londres, Boris JOHNSON, encourage des manifestations devant l'Ambassade de Russie à Londres, vous le demandez aussi, vous ?
JEAN-MARC AYRAULT
Mais est-ce que c'est le rôle du ministre des Affaires étrangères d'organiser des manifestations ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'était la réponse à monsieur JOHNSON. Et puis, j'ai envie de dire que François HOLLANDE, Barack OBAMA et Angela MERKEL parlent de POUTINE comme s'ils avaient l'éternité devant eux, on peut se demander où ils seront l'an prochain, quand les Russes disent que : POUTINE restera au Kremlin jusqu'en 2024, hein, Julie ? Vous regardez avec des yeux comme ça, 2024 ! Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, ce matin, à propos de Notre-Dame-des-Landes, vous découvrez un zadiste de plus, François HOLLANDE confie, qui est président de la République, il confie que l'aéroport ne verra pas le jour.
JEAN-MARC AYRAULT
Ah bon, eh bien, écoutez, moi, je n'ai pas vu ce livre, vous avez eu l'opportunité de le faire, en tout cas, en ce qui me concerne, lorsqu'il m'a parlé de Notre-Dame-des-Landes, il ne m'a jamais dit qu'il était contre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc Manuel VALLS, lui, promet l'évacuation cet automne, de qui êtes-vous le plus près ?
JEAN-MARC AYRAULT
Moi, je vais vous donner, livrer un scoop, Jean-Pierre ELKABBACH…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Allez-y.
JEAN-MARC AYRAULT
Je suis pour Notre-Dame-des-Landes depuis longtemps, et comme il y avait un blocage juridique, il y a eu des recours, ils ont tous été levés, nous arrivons à la fin des recours, et puis, le président de la République lui-même, sentant qu'il y avait, là, un désaccord, a organisé un référendum…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a des contradictions…
JEAN-MARC AYRAULT
Et qu'est-ce qu'a donné ce référendum ? Le oui l'a emporté largement. Donc si on donne la parole au peuple, et quand il a répondu, c'est pour la respecter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On se réveille ce matin avec 660 pages de confessions d'un côté, et un long entretien dans L'OBS, le même jour, deux interventions, vous ne croyez pas que ça se cannibalise ça ? Qu'est-ce que c'est, cette…
JEAN-MARC AYRAULT
Je ne sais pas, moi, je ne suis pas chargé de cette communication, et comme je n'ai rien lu de tout ce que vous évoquez, je ne ferai pas davantage de commentaires…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ma dernière remarque, François HOLLANDE confie qu'il n'a pas peur de perdre dans ce livre, dont on lit les extraits dans Le Parisien…
JEAN-MARC AYRAULT
Oui, alors ça, quand on est un homme politique et qu'on se présente à une élection, on y va pour gagner, mais on sait aussi qu'on peut perdre, mais il faut y aller, quand on y va pour gagner…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous voulez dire, et vous confirmez qu'il se présentera, et d'autre part, il dit…
JEAN-MARC AYRAULT
Ça, il a dit qu'il le dirait en décembre. Attendons décembre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais là, apparemment, il le dit…
JEAN-MARC AYRAULT
Nous ne sommes qu'en octobre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il pose la question : est-ce qu'il y a quelqu'un à gauche qui peut mieux faire, réponse de Jean-Marc AYRAULT ?
JEAN-MARC AYRAULT
Eh bien écoutez, on verra, l'avenir nous le dira, si François HOLLANDE est candidat, il le dira en décembre, et ensuite…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais vous pensez qu'il y a quelqu'un qui peut être mieux placé que lui ?
JEAN-MARC AYRAULT
Mais écoutez, je suis venu vous parler de la Syrie, je suis venu vous parler de sujets…, je n'ai pas envie de tomber dans tous ces commentaires qui commentent des commentaires.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Jean-Marc AYRAULT d'être venu ce matin en direct sur Europe 1
source : Service d'information du Gouvernement, le 17 octobre 2016