Texte intégral
Merci d'avoir pris l'initiative de ce débat, que vous m'aviez annoncé lors de ma dernière venue devant votre commission, vous savez que je suis à l'entière disposition du Sénat.
L'Europe et le Levant, avec le trait d'union de la Méditerranée, ont un destin commun. C'est pourquoi la crise au Levant nous affecte tous. L'onde de choc de la crise en Syrie se propage chez ses pays voisins, la Jordanie, l'Irak, le Liban, la Turquie, mais aussi au coeur de l'Europe, nous posant, à nous Européens, deux défis majeurs, sécuritaire et migratoire. N'oublions pas pour autant la persistance du conflit israélo-palestinien, qui demeure crucial.
La crise au Levant est née de la réaction à l'aspiration des peuples à l'émancipation, qu'ont révélée les printemps arabes. Cette vague de rejet des régimes autoritaires est venue de l'intérieur, reflétant de profonds bouleversements politiques, économiques et sociologiques accentués par la mondialisation. La Syrie de Bachar al-Assad n'y a pas échappé. Le régime dominé par la minorité alaouite a lancé une répression sauvage contre sa population.
Avec l'appui des Russes et de l'Iran, le gouvernement syrien a mis à feu et à sang son pays, quasiment détruit après cinq ans de guerre civile, ravivant les lignes de faille entre sunnites et chiites qui ne datent pas d'aujourd'hui.
La Syrie est devenue le réceptacle de toutes ces tensions. Les pays arabes, l'Iran, la Turquie, la Russie se sont progressivement impliqués dans ce conflit, qui a rebattu les cartes du pouvoir dans la région, notamment la dimension kurde. Daech menace ses voisins, l'Europe mais aussi la Libye et l'Afrique, avec Boko Haram. Al-Qaïda a également repris des couleurs, à l'image de sa branche syrienne, Jabhat al-Nosra, aujourd'hui Jabhat Fatah al-Cham. Nous appelons l'opposition modérée à se distinguer clairement de ce groupe dont nous condamnons les activités avec la plus grande fermeté.
Non, Monsieur le Sénateur, les forces rebelles ne sont pas à 80% des djihadistes. Sur les 10.000 combattants présents à Alep, nos services de renseignement estiment à 200 ou 300 le nombre de membres du Fatah al-Cham. Nous pouvons recouper ces informations. Avec les Russes, nous estimons la part totale de djihadistes au maximum à 10% des combattants.
La guerre en Syrie est aussi une crise humanitaire sans précédent, avec plus de 5 millions de réfugiés, plus de 6 millions de déplacés à l'intérieur de la Syrie ; ce sont au total plus de 13 millions de personnes qui ont besoin d'une aide humanitaire. Un chiffre terrible. Les migrants sont accueillis dans les pays voisins, fragilisés : au Liban bien sûr, où ils représentent près de 25% de la population, mais aussi en Jordanie et en Turquie. En Europe également, car l'Europe a un devoir de solidarité. Dans une période de doutes et de difficultés économiques, cet afflux met à l'épreuve nos sociétés et nos systèmes politiques.
Face à cette crise multiforme, la France agit ; militairement d'abord, car Daech nous a déclaré la guerre. La France s'est engagée pleinement dans la coalition internationale. À la demande des autorités irakiennes, l'opération Chammal a été lancée le 3 septembre 2014 en Irak. Depuis lors, la France n'a cessé d'intensifier ses efforts et les a étendus, le 7 septembre 2015, à la lutte contre Daech en Syrie.
Le 22 juillet dernier, le président de la République a annoncé le renforcement de notre soutien en perspective de la bataille de Mossoul. Nos pilotes, nos instructeurs participent à la formation des forces de sécurité irakiennes. Le groupement tactique d'artillerie soutient les forces irakiennes engagées dans la reprise de Mossoul, ainsi que les marins et pilotes des Rafale du groupe aéronaval autour du porte-avions Charles de Gaulle, déjà déployé en 2015 et à nouveau sur zone depuis le 29 septembre dernier.
La libération de Mossoul sera une étape importante mais nous devons préparer la paix. Nous nous y attèlerons dès la semaine prochaine en réunissant les parties à Paris, notamment mon homologue irakien, sous la présidence du président de la République. Ne répétons pas les erreurs commises en Irak : le futur gouvernement syrien devra être inclusif.
La France lutte aussi contre le financement du terrorisme, dans notre pays mais aussi dans le monde. En témoigne la résolution 2199 du conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons pris toutes dispositions pour nous-mêmes et appelons nos partenaires à se mobiliser.
Tous ces efforts portent leurs fruits : Daech a perdu 55% de son territoire en Irak et 25% de son territoire en Syrie. Il faut continuer : Raqqa doit être reprise.
Pour autant, la solution est et ne peut être que politique. C'est en ce sens que la France ne cesse d'agir également par sa diplomatie, qui suit une ligne cohérente et constante, nullement inspirée par l'idéologie, mais par la conviction que seule une transition politique pourra assurer une paix durable. Or on ne négocie pas sous les bombes : les bombardements sur Alep doivent cesser.
La Russie était isolée dans son refus de notre projet de résolution, seul le Venezuela la suivait. Peut-on imaginer qu'une Syrie divisée offre une perspective de paix ? Non et j'aurais aimé vous entendre à la tribune refuser la reconquête d'une «Syrie utile». On ne peut pas trouver une solution avec Bachar al-Assad qui fait fuir 65% de sa population et massacre ses derniers opposants.
La France agit, je l'ai dit, en toute indépendance et notre action implique que nous parlions à tout le monde. Nous parlons avec la Russie ! Nous n'avons jamais cessé de le faire. Mais nous voulons continuer à parler de la Syrie avec elle. Je me suis rendu à Moscou, j'ai rencontré mon homologue Sergueï Lavrov, nous nous rencontrerons à Berlin demain soir en format Normandie pour débattre de l'Ukraine. Cela n'empêche pas de dire ce qui doit l'être, en particulier sur l'entêtement à soutenir Bachar al-Assad envers et contre tout.
Quant à la visite du président Poutine à Paris, nous voulions évoquer la crise syrienne, non participer à des mondanités, exposition de tableaux ou inauguration d'église. C'est le président Poutine qui a annulé cette visite.
La France agit aussi au Liban, victime des forces contraires qui déchirent le Proche-Orient. Par ses contacts avec toutes les parties, la France est prête à faciliter l'élection d'un nouveau président, dont dépend l'indispensable déblocage de l'impasse institutionnelle actuelle.
La France apporte son appui aux pays voisins de la Syrie. Elle participe pleinement à l'effort collectif de l'Union européenne qui s'est engagée le 4 février dernier à débloquer trois milliards d'euros supplémentaires. La France lutte dans l'urgence mais aussi pour des solutions durables : déploiement de garde-côtes et de garde-frontières ou encore modification du code Schengen pour un contrôle d'identité systématique aux frontières extérieures, afin de protéger tous les Européens.
L'Europe agit en responsabilité et de manière solidaire et la France n'est pas effacée. C'est elle, avec l'Allemagne, qui a proposé nombre de ces mesures.
Il nous faut donc dialoguer, sans relâche, avec la Turquie, qui est acteur de la crise en Syrie où elle se défend, elle aussi, contre le terrorisme. C'est dans cet esprit de partenariat que je me rends à Ankara, la semaine prochaine. Membre du conseil de l'Europe, elle doit respecter ses valeurs. La perspective de la libéralisation des visas n'adviendra que lorsque les 72 critères seront remplis. Quant aux négociations sur l'adhésion à l'Union européenne, elles sont conduites sans préjuger du résultat.
Je ne veux pas conclure ce débat sans évoquer le conflit israélo-palestinien. Certains estiment que les bouleversements en Syrie ont rebattu les cartes et les priorités. Ce n'est pas la position de la France.
Si nous ne faisons rien, il sera bientôt trop tard. Penser que le Levant pourra retrouver la paix sans un règlement de ce conflit est une illusion.
Beaucoup se sont résignés. Ce n'est pas le cas de la France. En rassemblant une trentaine de délégations, à Paris, le 3 juin dernier, nous avons permis que s'exprime la volonté de la communauté internationale de s'engager à nouveau en faveur de la solution des deux États. Nous avons insufflé une nouvelle dynamique : des groupes de travail se mettent en place.
Au Levant, la France agit avec trois principes : lucidité, approche collective et détermination pour aboutir à une paix durable reposant sur la préservation de l'unité des États et la perspective de la création d'un État palestinien.
L'enjeu est essentiel : assurer la paix et la prospérité de cette région, plus que jamais cruciale pour notre propre équilibre et notre propre sécurité. La diplomatie française est mobilisée à cette fin. Je compte sur vous pour nous aider à y parvenir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2016