Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur l'action sociale et de santé des directions territoriales et départementales (ANDASS), Paris le 28 septembre 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


Madame la Maire adjointe,
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les professionnels de l'action sociale,
Je vous remercie pour votre invitation à ces 28èmes journées nationales. « Innover… à la vitesse de l'usager », l'objectif de ces journées me semble être particulièrement d'actualité.
Avant d'être Secrétaire d'État, j'étais d'abord élue locale et j'ai donc particulièrement conscience de l'importance du département dans les politiques de solidarité, les solidarités humaines mais aussi les solidarités territoriales.
Pourquoi innover tout d'abord ? Parce qu'effectivement le monde change : les besoins des personnes, les facteurs d'exclusion, le marché du travail ont tous évolué, il est en effet plus que jamais nécessaire de nous adapter et d'adapter nos façons de faire, et nos formations.
Près de 8 millions de personnes vivent aujourd'hui encore en France sous le seuil de pauvreté et nous tous qui travaillons au quotidien pour faire reculer l'exclusion, avons le devoir de ne jamais nous reposer sur des acquis, de chercher sans cesse de nouvelles solutions pour répondre aux besoins des personnes, de faire face à toutes les questions qui émergent - la fracture numérique, les nouveaux flux migratoires, la hausse du surendettement d'un certain nombre de nos concitoyens liée aux nouveaux modes de crédit à la consommation - ou celles qui persistent comme la crise du logement.
C'est sur ce constat que nous avons lancé, dès 2012, une large démarche de concertation avec les « États généraux de travail social » qui ont rassemblé les contributions de chacun pour définir les grandes priorités pour renouveler le secteur social.
L'ANDASS y a largement contribué, je profite de cette occasion pour remercier tout particulièrement Madame Brigitte Bourguignon, Madame Florence Perrin, Messieurs Michel Dagbert, Philippe Metezeau, Marcel Jaegger, et Jean-Basptiste Plarier et tous ceux qui ont contribué à la rédaction des cinq rapports cadre issus de ce travail commun.
Le fruit de tout ce travail a été le lancement du « plan d'action en faveur du travail social et du développement social », qui traduit en mesures concrètes les constats faits dans l'exercice quotidien de nos missions.
Conformément aux engagements que j'avais pris, ce plan est en cours de mise en œuvre et en particulier les mesures les plus structurantes : réforme de la gouvernance du travail social, avec l'instauration en juillet dernier du nouveau Haut Conseil du Travail Social, expérimentation de la fonction de référent de parcours, qui débutera d'ici quelques semaines, renforcement de la participation des citoyens, ce qui peut paraître simple et en réalité nous fait interroger sur nos modes de fonctionnement et de décision, ou encore mise en place du premier accueil social sur lequel nous travaillons avec vous depuis plusieurs mois.
Pour apporter des réponses à tous ceux qui sont ballotés entre institutions et administrations, qui se découragent à force de frapper à des portes où l'on ne peut apporter qu'une réponse partielle à leurs problèmes, nous avons en effet souhaité avec vous mettre l'accent sur ce premier accueil de proximité. Faire que dans chaque département, des lieux s'organisent pour accueillir des personnes sans rendez-vous, qu'elles puissent être orientées efficacement ou mettre en place un accompagnement individuel. Sans recréer de nouveau dispositifs, je souhaite qu'au sein de chaque département il puisse y avoir la mise en place d'une sorte de « labellisation » de ces lieux de premier accueil social.
D'ailleurs des solutions existent dans nombreux départements, et c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que soit mis en place un guide qui recueille ces pratiques pour permettre que les expériences qui marchent puissent être reprises dans d'autres territoires et accompagner chaque département à créer, renforcer ou améliorer ses propres dispositifs en s'inspirant des expériences existantes.
Pour autant, moderniser les politiques sociales passe par une mesure qui me tient particulièrement à cœur : la réforme de la formation des travailleurs sociaux. Cette réforme a pour objet de reconnaître la valeur des métiers du travail social en revalorisant leurs diplômes déjà, en renforçant les passerelles entre les métiers, à la fois pour faciliter les évolutions de carrière des professionnels du secteur, mais également et surtout pour créer ce « langage commun » qui doit être à la base d'une plus grande coordination entre professionnels.
Cette réforme est en cours, et doit aboutir en 2018 à l'instauration des nouveaux diplômes qui j'en suis sûre permettront de renforcer encore les compétences des travailleurs sociaux.
Après ce point sur le plan d'action en faveur du travail social, je veux maintenant vous parler d'évaluation.
L'évaluation est essentielle car elle garantit la qualité de l'innovation. Je lancerai prochainement une Fondation pour l'investissement et l'innovation sociale, dirigée par Isabelle Kocher, directrice générale du groupe Engie, qui aura pour objet de financer des projets sociaux. Elle reposera sur un partenariat mixte public-privé et sera dotée d'un conseil scientifique. Car nous avons besoin de combler notre retard sur la mesure de l'impact, pour apporter une caution scientifique aux projets sociaux et prouver à tous ceux qui affirment haut et fort que les dépenses sociales sont inefficaces et inutiles, qu'elles forment au contraire le terreau de notre société de demain, et j'irai plus loin : ces dépenses sociales constituent le socle de notre cohésion sociale car un pays solide, c'est une nation solidaire.
Cette évaluation est nécessaire également pour généraliser toutes les initiatives qui marchent.
Le but étant que l'innovation puisse être reconnue, non comme une initiative solitaire mais bien comme une première étape d'un processus qui doit au final profiter au plus grand nombre. Trop d'expérimentions restent aujourd'hui méconnues, isolées et donc sous-exploitées.
Innover oui, mais « à la vitesse de l'usager » bien évidemment car aucune solution n'est viable si elle ne tient pas compte de la personne à laquelle elle est destinée. Les réponses proposées doivent toujours avoir pour objectif l'émancipation, l'autonomie des personnes, le renforcement des compétences de chacun, pour que le soutien et l'accompagnement soient un moyen d'accéder à la liberté.
Un des moyens de renforcer cette liberté, c'est de renforcer la participation citoyenne dont j'ai fait une priorité depuis mon entrée en fonction. Interroger les gens sur leurs attentes, les associer à la définition, à la mise en œuvre et à l'évaluation des politiques publiques est une nécessité car cette façon de faire permet de garantir que les solutions proposées répondent véritablement à leurs besoins. Cette méthode a un autre avantage : associer les gens aux décisions, être d'égal à égal, c'est évacuer de fait toute posture compassionnelle ou toute sensation de stigmatisation. Un kit de participation citoyenne sera d'ailleurs lancé prochainement.
Associer les citoyens, oui, mais également travailler mieux ensemble. La politique de la ville, les dispositifs d'accès aux soins, l'hébergement, la politique de l'emploi, tous ces domaines qui interagissent de manière directe avec l'action des départements en matière d'insertion, doivent venir l'appuyer et non évoluer dans des silos parallèles.
Depuis des années, nous parlons ensemble de « décloisonnement » de l'action sociale, de cette nécessité de concevoir les actions dans une logique de développement social, de partir des besoins des personnes et des territoires pour organiser des réponses coordonnées.
C'est dans ce sens notamment que j'ai proposé au premier ministre, qui l'a accepté, la mise en place d'un système de contractualisation avec les départements sur les questions d'insertion. Pourquoi cette contractualisation ? Certainement pas – comme j'ai pu l'entendre dans certains médias - pour que l'État reprenne la main sur un domaine dont le département doit rester le chef de file. L'action sociale est par nature une action locale et de proximité. Recentraliser l'insertion n'aurait aucun sens. Si l'on y regarde de près, on s'aperçoit justement que chacun de vos départements développe des initiatives pour trouver des solutions efficaces aux difficultés d'insertion sociale, professionnelle et citoyenne de leurs habitants. Au-delà des moyens déployés pour prendre en charge le seul accompagnement vers l'emploi des « bénéficiaires » du RSA - terme que je n'aime pas utiliser - les solutions que vous trouvez à ces difficultés sont variées : prévenir les ruptures, dans le logement par exemple avec les commissions départementales de prévention des expulsions ou la prévention spécialisée, mais également des actions permettant de renforcer la mobilité de personnes isolées, de faciliter les gardes d'enfants pour concrétiser la reprise d'un emploi, ou encore prendre en charge des mineurs isolés. Si chaque département a ses spécificités, de nombreuses initiatives mériteraient d'être mieux partagées, dupliquées, adaptées dans d'autres départements, et la contractualisation proposée par l'État aujourd'hui doit justement servir cet objectif.
Un nouveau Fonds d'appui aux politiques d'insertion, viendra ainsi dès 2017 apporter un soutien supplémentaire aux départements qui s'engagent, dans le cadre d'un contrat pluriannuel fixant les priorités conjointes de l'État et du Département en matière d'insertion.
L'émancipation, et le respect du libre arbitre des personnes, sont des principes qui doivent également guider notre action en direction des personnes en situation de handicap. Tout comme pour les politiques de lutte contre l'exclusion, notre but est de ne laisser personne au bord de la route, permettre à chacun de faire des choix de vie et non pas subir l'absence de choix. Pour cela, la société doit devenir plus accueillante pour les personnes en situation de handicap. Cela passe par l'accessibilité des espaces, par le changement du regard, par l'adaptation de l'existant, par l'innovation là encore.
L'action du gouvernement, mon action, s'inscrit justement dans cette logique. Notre but c'est de permettre que les enfants et les adultes en situation de handicap, comme l'ensemble de nos concitoyens, aient accès à l'école, aux études supérieures, à la formation professionnelle, au monde du travail, notamment grâce au dispositif « emploi accompagné pour tous », à un logement, aux loisirs, aux sports, à la culture…
Lors de la CNH de mai dernier, le Président a fixé le cap : se mobiliser tous pour bâtir une société inclusive. Cette demande est un engagement de la société toute entière, pas seulement des pouvoirs publics. Et je sais que vous partagez cette ambition car les politiques départementales en direction des personnes en situation de handicap ne se limitent plus à leur dimension médico-sociale. Pour le constater, il suffit de regarder les schémas départementaux de l'action sociale, par exemple celui de mon département - il fallait quand-même que je le cite - où nous avons opté pour un schéma unique des solidarités.
Je sais donc que nous partageons la finalité de nos politiques. Nous partageons aussi de nombreux travaux visant à améliorer la vie de nos citoyens en situation de handicap. Le handicap n'est pas à part ou à côté de la société.
D'abord, tout le travail sur la modernisation des Maisons départementales des personnes handicapées. Les MDPH sont sous tension depuis leur création. Leur activité augmente de 7% par an en moyenne. Et, il s'agit avant tout d'un dispositif essentiel pour l'accès aux droits des personnes en situation de handicap, qui n'existe nulle part ailleurs.
C'est pour cela que j'ai engagé avec l'association des directeurs, un véritable programme de modernisation des MDPH. Des travaux menés depuis 2014 avec l'association des directeurs de MDPH ont permis d'aboutir à de nombreuses simplifications. Pour ne citer que les principales : allongement de 3 à 6 mois de la durée de validité du certificat médical, possibilité d'étendre jusqu'à 5 ans la durée d'attribution de l'AAH pour les personnes avec un taux d'invalidité entre 50 et 80%, et jusqu'à 20 ans pour les personnes avec un taux d'invalidité de plus de 80%, et la création de la Carte Mobilité Inclusion. Il s'agit là de faciliter les démarches des personnes, d'améliorer la qualité de service – je pense notamment à la CMI – et de réduire la charge de travail des MDPH.
La mise en place du système d'information harmonisé des MDPH et le déploiement des systèmes d'information régionaux de suivi des orientations seront gages de simplification et d'efficacité.
Je sais que ces évolutions demanderont à être accompagnées et les Conseils départementaux auront un rôle important à jouer pour la réussite de ces chantiers. Pour vous aider, j'ai obtenu un budget de 15M€ dédié à cette démarche de modernisation des systèmes d'information pilotée par la CNSA.
Tout l'enjeu de ces évolutions est de renforcer la plus-value des MDPH en leur permettant de passer moins de temps sur les tâches administratives pour se concentrer sur les situations qui le nécessitent. Déjà au cœur de l'accès aux droits pour les personnes, elles ont un rôle encore plus crucial à jouer dans le cadre de la Réponse accompagnée pour tous.
Ce projet me tient particulièrement à cœur car il y a peu de publics qui aujourd'hui en France peuvent être laissés sans solution. Ça existe sur le champ du handicap et ça concerne souvent les situations les plus fragiles. Je ne peux pas accepter ça !
Mais pour changer cette situation il faut faire bouger les lignes partout : dans les MDPH, dans les ARS, dans les établissements médico-sociaux et sanitaires, dans les départements bien sûr. Ce changement peut faire peur mais 24 départements se sont déjà engagés dans la démarche et témoignent de la plus-value qu'elle apporte.
J'insiste sur le rôle central du département : Votre participation est essentielle à plusieurs titres :
1) en tant que partie prenante de la MDPH elle-même au cœur du dispositif d'orientation permanent ;
2) en tant qu'autorité chargée de l'offre médico-sociale pour mettre en place des solutions souples face à des situations complexes et faire évoluer l'offre départementale dans la durée ;
3) enfin en tant que collectivité qui porte de nombreux dispositifs de droit commun mobilisables pour les personnes en situation de handicap.
Je ne peux donc que vous inviter à vous lancer dans ce projet, d'autant plus que les départements qui s'engageront avant la généralisation du dispositif pourront bénéficier d'un soutien exceptionnel. Une enveloppe de 8 M€ y sera en effet consacrée.
En conclusion, je voudrais dire qu'en redonnant un nouvel élan aux politiques d'insertion et de lutte contre la pauvreté, et en faisant le pari d'une société plus ouverte aux personnes en situation de handicap, le gouvernement fait le choix de la solidarité mais aussi le choix de l'investissement social : vous le savez mieux que quiconque, la pauvreté et l'exclusion ont un coût pour l'ensemble de la société. Ces coûts, on les mesure en termes financiers, lorsqu'ils entraînent des hospitalisations, des incarcérations, ou tout simplement des compétences professionnelles inutilement gâchées, mais on les mesure également à travers la perte de lien social, le manque de civisme ou d'engagement dans la société, tous ces éléments qui doivent former pourtant la base du développement social.
La fraternité est en France une valeur qui dépasse les clivages, qui fait partie de notre socle républicain. Parce qu'elle est porteuse de sens – bien sûr - mais également parce qu'elle est tout simplement utile à chacun d'entre nous : nous avons tous, un jour ou l'autre, besoin d'un réseau de solidarité, pour prendre en charge une personne de notre famille touchée par le handicap ou la maladie, pour rebondir après la perte d'un emploi, ou une rupture familiale. Le modèle de protection sociale sur lequel s'est construit notre pays repose largement sur cette solidarité. Face à tous les discours qui la menacent, il est de notre devoir de la préserver.
Merci à tous et bons débats.
Source http://social-sante.gouv.fr, le 6 octobre 2016