Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information Eau : urgence déclarée, demandé par la délégation sénatoriale à la prospective, et sur les conclusions du rapport d'information sur le bilan de l'application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, demandé par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. (Rapports d'information nos 616 et 807, 2015-2016.)
La parole est tout d'abord aux orateurs de la délégation et de la commission qui ont demandé ce débat.
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Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation à la prospective, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je tiens à vous remercier pour l'ensemble de vos travaux et recommandations formulées dans vos deux rapports consacrés à l'eau. Je vous remercie également de la clarté de votre présentation initiale.
Au travers de vos deux rapports, vous avez rappelé que la gestion de l'eau constituait un enjeu majeur. Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur le sujet. Vous avez souligné que nous considérons souvent l'eau comme une évidence. L'eau est là, elle a toujours été là et l'on imagine par conséquent qu'elle sera toujours là. Il est donc important d'user de pédagogie vis-à-vis des usagers pour mieux leur faire comprendre que la ressource en eau doit être gérée et qu'il faut anticiper.
L'urgence est bien de construire des politiques de l'eau dont la priorité est l'adaptation au changement climatique.
C'est une priorité nationale et mondiale portée par notre gouvernement et par la ministre, Ségolène Royal, présidente de la COP 21, qui a introduit cette question dans les débats internationaux.
Le 2 décembre 2015, une journée entière a été consacrée à cette problématique, avec la signature du Pacte de Paris sur l'eau et l'adaptation au changement climatique dans les bassins des fleuves, des lacs et des aquifères par plus de cent cinquante organisations. La France a des atouts à faire valoir en ce domaine, une expérience solide, des savoir-faire, en particulier j'y reviendrai, car le sujet a été beaucoup abordé dans le domaine de la gouvernance et de la concertation avec tous les usagers. Jean-Yves Roux et Jean-Jacques Lozach l'ont rappelé, il est nécessaire de faire preuve de pédagogie pour éviter les conflits d'usage.
M. Tandonnet l'a souligné, les entreprises françaises sont performantes. Elles doivent pouvoir être confortées. Lors de son voyage en Iran en août dernier, Ségolène Royal a commencé à prendre des contacts afin de faire valoir nos expertises.
La COP22 sera l'occasion de rendre compte des premiers résultats produits par l'accord de Paris, de donner les solutions et de fixer un nouvel agenda pour l'action à poursuivre.
Je reprendrai quelques-uns de vos constats. Les travaux scientifiques soulignent plusieurs points s'agissant de la situation française.
Tout d'abord, ils établissent une tendance à la baisse du débit des cours d'eau ainsi qu'une forte diminution de la recharge des nappes. Une année sèche comme celle nous connaissons en 2016 pourrait devenir en 2070 une année normale. Toutes les régions structurellement déficitaires pourraient voir leur déficit s'aggraver. De nouveaux déséquilibres seraient susceptibles d'apparaître sur des bassins actuellement non touchés. Les besoins en eau d'irrigation pour l'agriculture augmenteraient de 40 % à 65 % et ne pourraient plus être totalement couverts sur la plupart des régions, à l'exclusion des bassins alpins de l'Isère et de la Durance, de la vallée du Rhône et des contreforts pyrénéens.
Que faisons-nous ? Nous établissons des schémas, car il est important de pouvoir organiser : il ne s'agit pas de déposséder qui que ce soit de ses prérogatives, comme le craint M. Pointereau, mais il est essentiel de développer une vision d'avenir et une stratégie. Cela passe par la mise en uvre d'une politique la plus proactive possible dans les bassins hydrographiques. C'est la raison pour laquelle cette question a été reprise dans tous les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux adoptés à la fin de 2015 dans chaque bassin.
De plus, à la demande de Ségolène Royal, l'ensemble des comités de bassin élaborent un plan d'adaptation au changement climatique, à l'instar de celui du bassin Rhône-Méditerranée adopté en 2015. Il ne s'agit pas uniquement de plans techniques : ils ont vocation à permettre de prévoir l'avenir.
Ces plans de bassins traitent à la fois de la gestion de la rareté de l'eau et de la prévention des inondations.
Vos rapports font un certain nombre de propositions, notamment en termes de gouvernance et de pilotage territorial de l'adaptation, en concertation avec toutes les parties prenantes.
Ils soulignent, à raison, que la boîte à outils pour l'adaptation aux effets du changement climatique doit se construire maintenant.
Les choses ont commencé à se mettre en place. Vous ne pourrez que constater l'honnêteté intellectuelle dont j'ai fait preuve.
Depuis le début des années 2000, le ministère de l'environnement a mis en uvre plusieurs mesures pour améliorer la résilience des territoires et des activités sur des sujets tels que la gouvernance, l'observation, la connaissance, la prévision ou l'accompagnement des acteurs.
En matière d'efficacité de la gouvernance de la politique de l'eau, outre les structures classiques comité de bassin, commission locale de l'eau , la priorité aujourd'hui est d'encourager et d'accompagner la mise en uvre d'organismes uniques de gestion collective qui sont destinés à répartir une ressource en eau limitée.
MM. Poher et Gremillet, ainsi que Mme Billon, ont soulevé la question de la gouvernance. Je propose que nous sortions du débat relativement récurrent qui consisterait à opposer les agglomérations, les intercommunalités et les communes. C'est l'élue locale que je suis encore qui vous le dit !
Nous avons aujourd'hui à gagner en efficacité dans nos politiques publiques. C'est pourquoi, parfois, pour permettre une vision plus globale et une mise en uvre opérationnelle, il est intéressant de confier des compétences aux EPCI tout en ne dépossédant pas les communes. La loi NOTRe a réformé les compétences des collectivités, a confié la gestion de l'eau et de l'assainissement aux EPCI afin de limiter le morcellement de cette compétence et faire émerger des services d'eau plus robustes techniquement et financièrement.
M. François Bonhomme. Et les charges ?
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. L'enjeu est la gestion durable du patrimoine. Nous savons bien parfois que, à l'échelle des communes les plus petites, il est difficile de mettre en place une ingénierie technique et financière. Je suis convaincue que cela contribuera à la mise en uvre opérationnelle d'actions visant à prévenir les fuites d'eau dans les réseaux et à lutter contre elles.
Enfin, la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a introduit une nouvelle compétence, dont vous nous avez tous beaucoup parlé, de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, ou GEMAPI.
Le Gouvernement ne méconnaît pas les inquiétudes et les questions que la mise en place de cette nouvelle compétence peut susciter. Il a entendu la demande d'obtenir du temps et de différer la mise en uvre de cette compétence. Il s'agit, malgré tout, d'une des plus grandes réformes depuis la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, touchant à la fois au domaine de l'eau et intégrant les risques naturels d'inondation. Ces dispositions permettront d'améliorer la cohérence territoriale en tenant compte de l'amont et de l'aval, tout en renforçant les solidarités entre les territoires.
Vous avez souligné un certain nombre de freins en matière d'adaptation. Vous avez été une majorité à aborder les questions du prélèvement de l'État sur le fonds de roulement des agences de l'eau. Je vous rappelle qu'il s'agit d'un prélèvement sur les années 2014 à 2017, répondant à la nécessité de contribuer à l'effort de redressement des comptes publics. Tous les opérateurs ont été concernés. C'est un effort réel de solidarité qui a été demandé. La période 2014-2017 passée, il n'y aura nulle raison de prolonger le dispositif plus avant.
Vous avez désigné comme frein la difficulté d'articuler les échelles de décisions locales et nationales : l'adaptation d'une économie locale s'insère souvent dans un système de filières et d'interactions dépassant le niveau du territoire concerné.
Vous avez également relevé la difficulté d'adaptation avec de nombreux acteurs qui n'ont pas tous les mêmes calendriers.
Par ailleurs, il faut distinguer ce qui relève du changement climatique de ce qui relève de l'activité humaine. Cela ajoute un niveau de complexité au diagnostic et donc aux solutions à apporter.
Enfin, toute adaptation a un coût : il faut en préparer le financement.
M. François Bonhomme. Ah !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. C'est le nerf de la guerre, monsieur le sénateur !
Face à ces difficultés, le Gouvernement développe des politiques et des financements ambitieux.
M. François Bonhomme. Sur le dos des autres !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Jamais ! C'est la solidarité nationale qui parle !
En matière de gestion quantitative de l'eau, les agences de l'eau mettent en place des plans d'action pour acquérir des connaissances plus approfondies des réseaux, réduire les fuites et renouveler les conduites.
Ce sont entre 100 millions et 200 millions d'euros qui ont été ou qui vont être consacrés à cette problématique pour la période 2015-2017.
En matière de gestion qualitative, la France a l'obligation de répondre aux objectifs fixés par la directive-cadre sur l'eau.
Notre pays n'a pas atteint ses objectifs en 2015 du bon état écologique, principalement en raison de l'insuffisance des résultats au titre de la continuité écologique des cours d'eau et de la dégradation des masses d'eau dues aux pollutions diffuses d'origine agricole. J'ai entendu l'attachement que vous avez manifesté à l'égard du patrimoine et de l'histoire. Je rappelle que, en ce qui concerne la restauration de la continuité écologique, l'État apportera bien une réponse au cas par cas, se fondant sur une analyse. Il n'y a donc pas de priorité à l'effacement. Ségolène Royal l'a souligné clairement : il importe de développer une vision globale et d'étudier chaque situation dans son cadre local, en lien avec les élus locaux.
Ces priorités de gestion qualitative ont été remises au cur des programmes d'intervention des agences de l'eau, révisés en 2015.
Enfin, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est venue renforcer cette politique afin d'améliorer la gestion des cours d'eau en définissant pour la première fois c'est un aspect important les cours d'eau et en élargissant le champ d'intervention des agences de l'eau.
J'ai entendu vos réserves sur le principe selon lequel « l'eau paie l'eau ».
M. François Bonhomme. Oui !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Nous avons tout intérêt à ce que les agences de l'eau puissent se pencher sur l'ensemble de la biodiversité. C'est une opportunité pour la politique en faveur de la biodiversité que de lui faire bénéficier du savoir-faire des agences de l'eau !
L'eau, la nature et la mer paieront l'eau, la nature et la mer ! Il s'agit d'un élargissement de champ, mais qui permet de prendre le problème dans toute sa globalité à travers un élargissement des compétences et des types de financement.
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Avec moins de moyens !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Les moyens sont là, monsieur le sénateur !
Les agences de l'eau deviennent sur le terrain l'interlocuteur de toutes les parties prenantes, dont les collectivités locales, pour le financement de l'ensemble des volets relatifs à l'eau et à la préservation des ressources naturelles.
Enfin, en matière d'autorisation unique pour les projets soumis à la loi sur l'eau, les procédures ont été simplifiées.
M. François Bonhomme. Ah ?
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Tout à fait !
Le Gouvernement a lancé en 2015 une cartographie des cours d'eau pour distinguer cours d'eau et fossés. Les exigences environnementales qui s'y appliquent sont en effet différentes. Le Gouvernement a défini, en concertation avec les acteurs de l'eau et du monde agricole, des guides d'entretien des cours d'eau.
M. François Bonhomme. C'est de la pédagogie (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Enfin, nous avons voulu alléger les procédures de mise en uvre des organismes uniques de gestion collective, comme les obligations en matière d'études préalables ce point a été évoqué dans vos interventions pour l'obtention de l'autorisation unique de prélèvement.
D'ailleurs, la plupart des autorisations ont été délivrées cet été, à la suite de l'instruction donnée par Ségolène Royal aux préfets de ne pas refuser les dossiers incomplets, ce qui prouve que le Gouvernement est parfaitement à l'écoute des élus locaux.
M. François Bonhomme. Cet avis n'est pas partagé par tous !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Je rappelle que les agences de l'eau cofinancent un certain nombre de projets au profit des collectivités, avec un budget de 2,5 milliards d'euros.
Pour essayer de répondre à toutes les questions, je reprendrai rapidement deux points.
Je rappelle à Mme Didier que, en matière de pesticide, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages prévoit l'interdiction des néonicotinoïdes à partir de 2018. Le Gouvernement a également élargi l'assiette de la redevance pour pollutions diffuses.
J'ai entendu les inquiétudes exprimées par Rémy Pointereau au sujet des agents de l'ONEMA et de leur façon d'intervenir. Nous sommes tous attachés au respect de la loi, que le Parlement fixe, et des règlements, que les Gouvernements successifs mettent en place, et convaincus de la nécessité d'une régulation : il serait compliqué de laisser la nature seule s'exercer.
Les agents de l'ONEMA ont comme mission principale de favoriser les conditions de dialogue et de pédagogie, ce qui répond à votre inquiétude.
M. Rémy Pointereau. Le révolver à la ceinture !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Les armes sont indissociables des missions de police administrative. Les modèles choisis sont toutefois peu ostentatoires. Je ne doute pas que chacun aura à cur que leurs travaux s'effectuent dans de bonnes conditions.
M. François Bonhomme. Ce n'est pas le cas !
Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes face à un moment important de prise de conscience, ce que rappellent les deux rapports que vous avez présentés avec une grande énergie. Il s'agit d'un moment important pour notre société ; il est essentiel que les usagers de notre pays se saisissent également de cette question.
J'espère que ce débat y aura contribué. Les avis se sont largement exprimés et ont éclairé l'ensemble de ces thématiques. Je tenais à vous en remercier, car nous avons encore devant nous des solutions innovantes à soutenir, qui contribueront également à la performance économique de notre pays.
Plus que tout, nous aurons à nous adapter aux changements climatiques et au développement de nos territoires.
Soyez assurés de la mobilisation du Gouvernement j'ai compris que nul n'en doutait ici (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) et de sa volonté de produire des résultats rapides et concrets, tout en s'appuyant sur l'intelligence des territoires. C'est le sens des réformes que nous avons adoptées : prendre le bon échelon pour résoudre les problèmes tels qu'ils sont, et pas tels qu'on les imaginerait, c'est-à-dire s'appuyer sur les communes et les élus locaux pour mettre en uvre des politiques d'agglomération ambitieuses qui permettront de régler réellement les problèmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Rémy Pointereau, rapporteur. Amen !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le rapport d'information Eau : urgence déclarée et sur les conclusions du rapport d'information sur le bilan de l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques.
Source http://www.senat.fr, le 26 octobre 2016