Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le budget 2017 du ministère des affaires étrangères et du développement international, au Sénat le 3 octobre 2016.

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Circonstance : Audition devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 3 octobre 2016

Texte intégral


Merci de me recevoir. Je souhaitais commencer sans tarder ce parcours parlementaire pour la loi de finances 2017, par une audition devant votre commission. J'ai rencontré ce matin l'ensemble des rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ce débat est essentiel. Je serai présent autant que possible dans l'hémicycle. Les parlementaires s'intéressent beaucoup à ce budget, en témoigne l'augmentation du nombre de questions parlementaires adressées à mon ministère : 1100 contre 750 l'année dernière.
Les crédits augmentent cette année, à périmètre constant, sans compter les crédits du programme 341 ouverts en 2016 pour la COP21, et qui ne seront plus reconduits. Le budget du ministère augmente de 53,4 millions d'euros, soit + 1,15%, grâce aux 145,6 millions d'euros de crédits additionnels pour répondre à deux priorités. La sécurité des implantations et des communautés françaises à l'étranger verra son budget augmenter de 62,6 millions d'euros, avec la création de 67 ETP. Sur la mission «Aide publique au développement» (APD), les crédits consacrés à l'aide publique au développement sous forme de dons augmentent de 83 millions d'euros pour le programme 209. Si ce n'est jamais assez, c'est la première fois depuis cinq ans que ce budget de l'aide au développement augmente.
Le budget est responsable sur de nombreux aspects, et notamment pour les finances publiques, mais aussi parce que la sécurité des implantations de notre ministère et des communautés françaises est de notre responsabilité. Les crédits additionnels à l'APD sont conformes aux engagements du président de la République de respecter la trajectoire d'augmentation de l'aide sous forme de dons à l'horizon 2020. Ce sont aussi des engagements pour la santé, le climat, les réfugiés ou des aides transitant par les ONG.
Le ministère poursuit son chantier de modernisation et de rationalisation. Les réformes structurelles du programme MAEDI21 dégageront des économies et contribueront à la priorité gouvernementale de réduction des déficits publics, puisque notre objectif est d'atteindre un déficit de 2,7% du PIB en 2017.
Pour la principale mesure de la mission extérieure de l'État, à savoir la mise en place d'un plan de renforcement de la sécurité des communautés et intérêts français, j'ai obtenu 62,6 millions d'euros de crédits additionnels, soit 31,7 millions d'euros pour la sécurité des réseaux diplomatiques, consulaires et culturels - y compris les alliances françaises et les instituts et la création de 40 postes de gardes de sécurité. Pour la sécurité des communautés à l'étranger, l'effort atteindra 14,7 millions d'euros pour la sécurité des écoles et des lycées français, et le renforcement des moyens du centre de crise et de soutien du ministère sera poursuivi, notamment dans le cadre de la cellule interministérielle d'aide aux victimes (CIAV), excellent centre qui nécessitait un renforcement.
Près de 14,3 millions d'euros de crédits additionnels seront consacrés à la coopération de sécurité et de défense, dont 25 postes de coopérants.
Les crédits du plan de renforcement de la sécurité augmenteront sur les programmes 105 «Action de la France dans l'Europe et dans le monde» et 185 «Diplomatie culturelle et d'influence» de la mission. Les crédits du programme 151 sur les Français de l'étranger progressent de 4,36%, soit +11 millions d'euros, du fait de l'augmentation des crédits nécessaires pour l'organisation des élections.
Globalement, les crédits de la mission diminuent de 1,4%, à périmètre constant. Les crédits du programme 105 baissent de 2,1%, ceux du programme 151 sur les Français de l'étranger et les affaires consulaires augmentent de 1,3%, et les crédits du programme 185 «Diplomatie culturelle et d'influence» diminuent de 0,8%.
Cette diminution des crédits de la mission, en dépit de 62 millions d'euros supplémentaires liés au plan de sécurité, s'explique par la baisse de notre contribution aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix (OMP), à hauteur de 100 millions d'euros. Cette somme très importante répond à certaines logiques : phénomène structurel, le taux de participation de la France a baissé, conséquence mécanique de l'augmentation du barème des grands pays émergents. Tous les cinq ans, le taux de participation de chaque pays est revu. Conjoncturellement, la décroissance substantielle de certaines OMP est une bonne nouvelle budgétairement, même si elle est contestable politiquement. Un certain nombre de blocages à l'ONU sur la gestion des crises se traduisent par une baisse des OMP. Plusieurs de ces contributions doivent être payées en devises. Le risque de change sera couvert en 2017 : nous avons utilisé une facilité de France Trésor de 500 millions d'euros en dollars et 40 millions d'euros en francs suisses, ce qui nous protège de tous les aléas de change, uniquement pour les dépenses. Les parlementaires ont fait des propositions l'année dernière pour le volet recettes. Nous y travaillerons.
Certaines mesures sont techniques : 2017 sera une année creuse pour l'organisation des conférences internationales, avec un budget en réduction de 12 millions d'euros, sans sommet de la francophonie ni de sommet Afrique-France, ni de COP21 !
D'autres mesures sont d'ajustement technique : ainsi, les bourses de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) diminuent de 5 millions d'euros, pour achever l'amortissement de l'excédent de trésorerie de 42 millions d'euros résultant fin 2014 du changement de mode de comptabilisation des bourses. Nous souhaitons aligner le montant de la dotation en loi de finances sur nos prévisions de dépenses, et partir de la réalité, qui continue d'augmenter. Nous répondrons à toutes les demandes : en 2015, nous avons versé 100 millions d'euros ; en 2016, 106 millions seront versés, et nous prévoyons de verser 110 millions d'euros en 2017, inscrits dans le texte.
Pour les mesures structurelles liées à la modernisation du ministère et à la rationalisation de ses outils, elles sont d'une ampleur maîtrisée, 38 millions d'euros, soit 1,2% des crédits de la mission, et concernent la rationalisation des réseaux engagée depuis deux ans - c'est le dispositif de poste de présence diplomatique (PPD), dont la mise en place s'achèvera en 2017. Ce qui a été engagé se met en oeuvre, mais la troisième vague envisagée est supprimée. Nous mettrons en cohérence le réseau des instituts français avec celui des alliances françaises : la négociation est en cours.
Après prise en compte du plan de sécurité, le plafond d'emplois du ministère est quasiment stabilisé : moins 48 ETP. Celui de l'AEFE - l'opérateur avec le plus d'effectifs - est inchangé, et le nombre d'emplois hors plafond, autofinancé par l'Agence, augmentera. On m'a demandé plus d'emplois ou de revenir sur certaines mesures catégorielles. Je m'en suis tenu aux engagements précédents. Nous tenons nos engagements, ni plus ni moins. Les mesures catégorielles ne seront pas remises en cause, et amélioreront la situation des recrutés locaux. Les organisations syndicales du ministère ont jugé ces aspects positifs.
Nous participons au désendettement de l'État avec le produit des cessions. Nous avons restitué 100 millions d'euros l'année dernière, 60 millions d'euros cette année.
La mission «Aide publique au développement» sera l'objet d'un effort important du gouvernement, avec des crédits budgétaires augmentant de 133 millions - 83 millions pour l'aide sous forme de dons, 50 millions d'euros pour l'aide sous forme de prêts pour le programme 110, géré par le ministère des finances - et au total une augmentation de 5%. L'augmentation des crédits pour les dons est plus importante en volume que celle des crédits pour l'aide sous forme de prêts, garantissant l'équilibre entre dons et prêts.
En parallèle, les recettes extrabudgétaires affectées à l'APD sont maintenues à leur niveau de 2016, à hauteur de 738 millions d'euros sur le Fonds de solidarité et de développement (FSD), alimenté par la taxe sur les transactions financières pour 528 millions d'euros et la taxe sur les billets d'avion à hauteur de 210 millions d'euros. Il n'y a pas de substitution entre ressources budgétaires et ressources extrabudgétaires. L'augmentation de 133 millions d'euros des crédits budgétaires de l'APD est une véritable augmentation, traduisant une volonté de rééquilibrer notre dispositif en faveur des crédits budgétaires votés par le Parlement, après la forte croissance des ressources extrabudgétaires ces dernières années. Ce point est très sensible, et les ONG sont très attentives à ce rééquilibrage. Elles ont réagi positivement à ces annonces.
En 2017, le champ des dépenses financées par le FSD sera recentré sur deux grands domaines d'action : la santé, dont nos contributions aux instruments verticaux que sont le Fonds mondial sida ; l'environnement - le Fonds vert - pour rendre plus lisible notre dispositif APD, répondant ainsi à une forte demande. Ces moyens additionnels sont la traduction concrète pour 2017 des engagements du président de la République : augmentation de 4 milliards d'euros de la capacité d'intervention de l'Agence française de développement (AFD) et de 400 millions pour les dons à horizon 2020.
Une part importante des crédits additionnels du programme 209 sera consacrée au Fonds européen de développement (FED). Notre contribution augmentera de 41,6 millions d'euros en 2017. Rappelons le rôle des instruments communautaires dans le contexte européen actuel. L'aide au développement de l'Union européenne est significative, la France est le 2e contributeur du FED. La France fait beaucoup par ce biais, et finance 17,8% du fonds. Cette politique comprend des priorités géographiques en direction des 16 pays les plus pauvres - comme le Burkina-Faso, la République démocratique du Congo, le Mali, le Niger, Madagascar... - et des priorités thématiques comme le Fonds fiduciaire d'urgence pour l'immigration, la facilité d'investissement pour l'Afrique ou le financement par le FED de la facilité africaine de paix. La France travaille pour que le FED respecte un objectif chiffré et contraignant de 20% des ressources affectées au climat à l'horizon 2020. Notre aide bilatérale augmentera de 37 millions d'euros, et ses moyens additionnels viendront alimenter les nouvelles priorités et orientations qui seront débattues très prochainement, à l'occasion du prochain Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de novembre.
Des crédits de coopération multilatérale sont maintenus constants à 250 millions d'euros, engagement notamment pour aider les réfugiés syriens sur la période 2016-2018 en Jordanie, au Liban et en Turquie.
(Interventions des parlementaires)
Votre rôle est de pointer les insuffisances, je l'accepte.
Qu'il s'agisse de l'AEFE ou d'autres, les augmentations liées à la prise en compte de la sécurité sont une base budgétaire et non une intervention ponctuelle : elles perdureront. Nous finançons les dépenses de sécurité qui devaient être à la charge des opérateurs, qui disposent donc d'une substantielle marge de manoeuvre financière supplémentaire. Les instituts français accueillant beaucoup de cours, des dépenses de sécurité et des investissements étaient nécessaires. Les alliances françaises voient la participation de l'État à leur budget croître de 25%. Étant convaincu comme vous de l'importance du rayonnement culturel de la France, j'y suis particulièrement attentif.
La baisse du budget d'Atout France est de 0,8%. Optiquement, il vaudrait mieux qu'il soit en hausse. Néanmoins, j'ai annoncé un abondement de 10 millions d'euros au dernier comité d'urgence économique pour le tourisme. L'organisation de la filière est également importante. Elle sera abordée lors d'un comité interministériel dans les prochaines semaines, ainsi qu'à la conférence annuelle du tourisme. Ce secteur important a besoin d'une communication positive à l'étranger de la part de tous ceux qui parlent de la France. Tel vol de bijoux, telle agression dans un bus font beaucoup de mal en raison de leur impact négatif sur les réseaux sociaux et dans les médias. Nous devons nous-mêmes résister au discours anxiogène.
J'entends parler d'une ponction de 100 millions d'euros sur le fonds de roulement de l'AEFE. Ce n'est pas la vérité. J'ai résisté à cette demande de ponction, qui serait extrêmement mal vécue. Je tiens bon.
Concernant l'AFD, j'ai veillé à ce qu'aucun crédit du programme 209 ne soit annulé. La trajectoire votée en loi de finances initiale est préservée. J'ai demandé le dégel de tous les crédits pour savoir exactement quelles étaient les dépenses.
En matière d'immobilier, monsieur le sénateur évoqué l'ancien compte d'affectation spéciale (CAS). Il fonctionne. Les cessions sont passées de 124,5 millions d'euros en 2014 à 255,3 millions en 2015 et à seulement 50 millions en 2016. Nous récupérons à 100% nos cessions. Nous finançons nos investissements, qui sont nombreux, comme nos besoins, et contribuons à ce CAS en restituant 60 millions d'euros.
Quelque 98 opérations de regroupement ont eu lieu depuis 2000, dans un effort de rationalisation, tandis qu'une dizaine de colocalisations ont été réalisées avec des Européens. Ce n'est pas si facile. Trois nouvelles opérations sont en cours, à Dacca, Abuja et Asunción. La piste de Tripoli avait été évoquée avec l'Allemagne mais les conditions de sécurité ne sont pas réunies.
Il est difficile de donner un chiffre précis sur l'AEFE et l'Éducation nationale. Des détachements de personnel ont eu lieu. Le sujet est complexe. Veut-on une cotutelle de l'Éducation nationale sur l'AEFE, contrairement à la situation actuelle ?
Nous finançons des actions d'éducation par un grand nombre d'instruments, qu'ils soient bilatéraux ou en lien avec des ONG. L'éducation, priorité transversale, constitue par exemple une part très importante des 200 millions d'euros consacrés aux réfugiés, dans les camps.
Les deux postes cités par Madame la Sénatrice seront affectés au Centre de crise.
Les bourses ont été évoquées ce matin à la réunion de présentation du projet de budget du ministère avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat. Une réflexion sur la révision de leurs critères d'attribution a été demandée. Je n'ai pas d'objection.
La taxe sur les transactions financières existe à l'échelle française ; la France est le pays le plus engagé pour la faire exister à l'échelle européenne. Malheureusement, elle n'a pas beaucoup d'alliés - les pressions du monde financier sont efficaces. Je continue de penser que c'est une bonne chose.
Le développement de la diffusion de la télévision représente un travail de longue haleine qu'il faut poursuivre. On peut se féliciter du développement multilingue de France 24. Franceinfo vise en revanche une cible nationale et non internationale. France 24 est en train de trouver sa place. Nombre de pays ne la reçoivent pas, mais sa diffusion progresse. Ainsi, j'ai pu la regarder en Mongolie. Son lancement en espagnol est prévu en février. Elle peut toucher un très grand nombre de téléspectateurs. Les retours sont extrêmement encourageants.
La sécurité, qu'il s'agisse des entreprises ou des écoles, fait l'objet d'une politique globale que nous amplifions.
Je me suis adressé cet après-midi aux 200 cadres de Business France. La fusion entre Ubifrance et l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) a été difficile au début mais elle nous dote d'une vraie force de frappe sur le terrain. Business France travaille beaucoup avec BPI France. J'ai dit aux cadres que je souhaitais que la diplomatie des territoires soit totalement prise en compte. On peut s'améliorer. Les ambassadeurs travaillent de plus en plus avec les opérateurs Business France, Campus France, Atout France, dans un esprit de coopération. Tout le monde a compris l'intérêt de parler d'une même voix. En moyenne, les ambassadeurs consacrent 40% de leur temps de travail à la diplomatie économique. Les esprits ont changé.
Nous avons restitué une partie des 17 millions d'euros prévus par la loi de finances initiale pour la COP21. Celle-ci a créé des recettes, puisque les entreprises ont engendré 1,16 euro de chiffre d'affaires pour un euro d'argent public.
(Interventions des parlementaires)
Je suis tout à fait d'accord. Ce point, qui sera discuté au CICID, est valable en Centrafrique comme au Mali.
J'ai bien noté les propos du monsieur le sénateur ; j'y répondrai.
Monsieur le Sénateur, la question des migrants est centrale. Je ne cesse de sensibiliser les pays européens aux flux migratoires qui nous attendent. À ceux qui ont des difficultés à accepter quelques centaines de Syriens relevant du droit d'asile, je dis de faire attention. Le plus grand problème de l'avenir est celui des migrations liées à la misère, au terrorisme et au changement climatique.
La crise libyenne est politique, sécuritaire, liée à Daech. La Libye, qui court le risque d'une guerre civile, est un pays de passage des migrants du Sud vers l'Europe. Ce ne sont pas des Syriens. Il faut prendre du temps pour répondre dans le détail à cette question stratégique centrale. Cette réunion n'est peut-être pas le lieu.
La France est en première ligne sur la question syrienne ; elle tient la plume au conseil de sécurité des Nations unies pour obtenir une résolution de cessez-le-feu. Les Européens sont prêts à apporter de l'aide humanitaire, mais il est impossible d'accéder aux zones touchées. Le président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Peter Maurer, sait prendre des risques. Pourtant, il dit qu'il ne peut pas exiger de son personnel de se rendre sur place. Vous avez vu ces membres du Croissant rouge bombardés mortellement par des avions sans doute russes, sinon syriens.
La bataille de Syrie est d'abord diplomatique. Je me rendrai demain à Moscou et après-demain à Washington. Il faut parler directement avec les Russes et avec les Américains. Je leur tiendrai un langage de vérité et de responsabilité. L'accord du 9 septembre n'a porté aucun fruit. Les bombardements de civils de ces derniers jours sont une honte. Des gens meurent et davantage de réfugiés affluent, dont la majorité ont l'espoir de rentrer un jour en Syrie.
Hier, j'ai déclaré à l'Assemblée nationale qu'il fallait poursuivre le dialogue avec les Russes, dans un langage de vérité. Mon objectif est de les convaincre de voter une résolution. La priorité va à l'aide humanitaire, avant la reprise de négociations de paix. Les Américains, quant à eux, doivent s'engager clairement./.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2016